• DE LA CROIX À L'ÉTOILE

    Après le premier pèlerinage effectué en mars et avril 2013 (dont vous trouverez le récit sur ce même blog sous le titre "En suivant la voie lactée"), je suis reparti sur les chemins de Saint Jacques. Cette fois-ci, j'ai démarré de Genève le 1° septembre 2017 pour arriver à Compostelle le 12 novembre puis au Cap Finisterre le 16 novembre. Ce sont ces 77 jours de marche que je me propose de vous raconter en images.
     

    La coquille Saint Jacques

     

     

    DE LA CROIX À L’ÉTOILE

     

    MON 2° PÈLERINAGE À COMPOSTELLE

    DU 1° SEPTEMBRE AU 16 NOVEMBRE 2017

      

    Ça ne commence pas très bien.
    Genève où j’arrive dans l’après-midi est toute grise sous un plafond si bas qu’on ne voit pas le sommet du grand jet d’eau, symbole de la ville.

    Et surtout, il pleut.
    Une pluie continue qui se calme un peu de temps en temps sans vraiment s’arrêter, ce qui me dissuade de me lancer dans la visite touristique que j’avais prévue.

     

    Genève - Le drapeau suisse

     

    Mais qu’est-ce que je fais à Genève, ce 31 août 2017 ?
    Je m’apprête tout simplement à repartir sur les chemins de Compostelle.

     

    En 2013, je m’étais enfin décidé à me lancer dans cette longue marche dont je rêvais depuis tellement longtemps. Les cinquante-six jours de ce pèlerinage avaient été cinquante-six jours de bonheur. À cause des mille-cinq-cents kilomètres parcourus sur cet itinéraire mythique où tant de pèlerins m’avaient précédé. À cause aussi et surtout des nombreuses rencontres qui avaient émaillées mon chemin. La plupart de ces compagnes et compagnons de marche avec qui j’avais partagé les mêmes joies et les mêmes difficultés sont devenus des amis. Et ces amitiés sont sans aucun doute le meilleur souvenir de mon pèlerinage.
    J’étais revenu si enthousiasmé par cette expérience que je n’avais qu’une envie, repartir. Et cette envie, ce besoin même, augmentait au fil du temps au point d’en devenir quasiment une obsession. J’ai dû attendre quatre longues années, mais finalement je repars.

     

    Je vais à Notre Dame, la cathédrale catholique, pour faire apposer le tampon de départ sur ma Créanciale. 

    Savez-vous ce qu’est la Créanciale ?
    C’est un document délivré par l’autorité religieuse qui justifie de la condition de pèlerin.

    Autrefois c’était un véritable passeport qui servait aussi à contrôler que la personne avait effectivement fait le chemin car il n’était pas rare que le pèlerinage fût une punition infligée pour une faute grave. La Créanciale était visée à chaque étape par l’apposition d’un tampon qui avait pour but de s’assurer que le "condamné" avait bien purgé sa peine.

    Aujourd’hui, en permettant de s’identifier comme pèlerin, elle autorise seulement l’accès à certains hébergements réservés. Les tampons, ou sellos en espagnol, sont contrôlés à l’arrivée à Santiago pour obtenir la Compostela, mais ils ont surtout une valeur symbolique et décorative, d’autant que chaque village, chaque auberge et parfois les riverains qui installent un étal de ravitaillement au bord du Chemin s’évertuent à proposer un sello original qui va se démarquer de ceux de ses voisins, une sympathique compétition tout à l’avantage des pèlerins.


    L’intérieur de la cathédrale est calme et silencieux. Une messe va avoir lieu et une cinquantaine de personnes sont installées. Je fais le tour de cette église sans charme puis je rentre me mettre à l’abri à l’auberge de jeunesse où je loge.

     

    Bizarrement j’ai du mal à entrer mentalement dans le Chemin. Il faut que je me concentre pour préparer le grand départ du lendemain. Mon esprit ne pense pas encore aux étapes à venir. À la place, je me surprends à me remémorer les événements qui ont précédé, je pense à des tas de choses, je rêve, mais je ne pense pas au Chemin. Alors que je n’arrivais pas à dormir avant mon premier départ en 2013 !
    Pourtant, je suis prêt depuis longtemps.


    Cette fois-ci, grâce à l’expérience acquise, la préparation a été plus facile et plus rapide que la première fois mais tout aussi méticuleuse, en particulier pour l’itinéraire.
    J’utilise toujours les photos de cartes au 100 000°, une par étape, et des copies de cartes plus détaillées pour les tronçons compliqués et sans balisage. Pas de guides non plus, juste la carte Michelin 161 du chemin du Puy et une petite brochure éditée par une association jacquaire pour le tronçon Genève Le Puy, deux documents qui donnent des informations sur le parcours, les hébergements, les points de ravitaillement et autres services que l’on peut trouver le long de l’itinéraire.

     

    Le matériel qui a fait ses preuves est identique. Le même sac à dos léger, juste un drap en soie de cent-trente grammes en guise de sac de couchage et pas de gros blouson polaire que je ne n’avais pas utilisé la dernière fois. Mais j’emmène à nouveau mon reflex pour faire des photos de qualité.

     

    Le sac pèse un peu plus de huit kilos avec l’eau et le repas de midi.

    Mon sac

     

    J’ai acheté de nouvelles chaussures deux jours avant le départ car je crains que celles que j’utilise d’habitude, assez usées, ne tiennent pas la distance. Ce n’est pas vraiment conseillé de partir avec des chaussures neuves, mais elles sont très souples et confortables et cela devrait bien se passer.

     

    Mais pourquoi partir de Genève ?

    Pour ce deuxième pèlerinage, j’ai voulu parcourir un itinéraire complètement différent du premier. Ma première idée avait été de partir du Puy-en-Velay. Quand j’ai découvert que le GR 65 qui sert de support et de guide aux marcheurs commençait en fait à Genève, j’ai décidé que cette ville serait mon point de départ.

    J’ai aussi voulu passer par Rocamadour, autre grand lieu de pèlerinage et site magnifique, ce qui m’a amené à quitter le chemin traditionnel à Figeac avant de le retrouver deux-cent-cinquante kilomètres plus loin, dans le Gers, un détour qui rallonge quelque peu mon parcours.

    En Espagne, pour ne pas emprunter à nouveau le Camino Francés, j’ai choisi de marcher sur le Camino del Norte qui suit la côte atlantique d’Irún à Ribadeo avant de bifurquer vers Santiago.

     

    Ce deuxième périple va suivre l’itinéraire suivant, illustré sur les cartes ci-dessous :

     

    Genève, Le Grand-Lemps, La-Côte-Saint-André, Bourg-Argental, Montfaucon-en-Velay, Le Puy-en-Velay, Aumont-Aubrac, Espalion, Conques, Figeac, Rocamadour, Gourdon, Puy-L’évêque, Agen, Condom, Aire-sur-l’Adour, Navarrenx, Saint-Palais, Espelette, Hendaye, Irún, San Sebastián, Bilbao, Laredo, Santander, Gijón, Ribadeo, Vilalba, Santiago. De là, j’ai prévu de continuer jusqu'à Muxía puis jusqu’au cap Finisterre, ce qui représente quatre jours de marche supplémentaires.

     

    carte du parcours en France

     
    carte du parcours en Espagne

     

     

       Itinéraire en 2013

     

     

       Itinéraire en 2017

     

     

    Seulement une dizaine de kilomètres entre Navarrenx et Aroue dans les Pyrénées Atlantiques, sont communs avec mon premier parcours ainsi que les trente-sept derniers kilomètres avant Santiago.

     

    En 2013, j’avais marché en mars et avril pour éviter l’affluence de la haute saison. Cette fois-ci, ce sera septembre, octobre et début novembre, une époque où je ne devrais pas rencontrer trop de monde non plus.

     

    Au fait, pour ceux qui s'interrogeraient sur le titre, la croix c'est celle du drapeau suisse qui flotte à Genève, mon point de départ, et l'étoile est celle de Compostelle, Campus Stellae.

     L'indispensable Créanciale    La Créanciale

     

      

    1 - RÉCIT DU PARCOURS

     

    Ce récit est réalisé à partir du journal que j’ai soigneusement tenu jour après jour. Une telle expérience est trop importante pour risquer d’en perdre les détails par l’érosion naturelle de la mémoire et, cette fois-ci, je n’ai pas attendu pour commencer à l’écrire.

     

    J’ai entrepris ce deuxième pèlerinage sans appréhension puisque, ayant accompli le premier sans difficulté, je savais en être capable. Je savais aussi ce que j’allais vivre, le plaisir d’avancer dans des paysages qui se renouvellent à l’infini au rythme de mes pas, le réconfort d’arriver dans une auberge et d’y être accueilli par des hospitaliers sympathiques et serviables, les belles rencontres, les relations sans arrière-pensée, les amitiés fortes et sincères que l’on noue facilement avec les autres pèlerins grâce à tous ces moments vécus ensemble.

    J’ai bien évidemment mis à profit cette expérience pour me préparer en respectant les quelques principes qui m’avaient si bien réussi la première fois.

    Pour l’itinéraire dont la longueur est bien supérieure à celui de 2013, j’ai veillé à prévoir chaque fois que possible des étapes d’environ vingt-cinq kilomètres, distance que je sais être capable de parcourir quotidiennement sans fatigue. Mais ce n’est pas aussi simple qu’il n’y paraît, car, en réalité, ce sont les hébergements existants qui conditionnent la longueur des étapes.

    J’ai évité de forcer aussi, en marchant à mon rythme, sans aller trop vite et sans essayer de suivre d’autres marcheurs plus rapides que moi.

    Grâce à mon passé de militaire qui m’a donné l’expérience du terrain, je suis parfaitement à l’aise dans la nature, je sais me protéger des intempéries et trouver mon chemin en toutes circonstances. C’est un énorme avantage qui me facilite grandement la tâche et qui, avec mon entraînement et ma préparation minutieuse, a certainement contribué à nouveau à la réussite de ce pèlerinage.

    De ce fait, tout comme en 2013, je n’ai pas du tout le sentiment d’avoir accompli un exploit.

     

    J’ai articulé le récit en plusieurs phases:

    - les treize premiers jours de Genève au Puy-en-Velay,

    - les huit jours suivants du Puy-en-Velay à Figeac,

    - les huit jours de la boucle par Rocamadour, de Figeac à Castelnau-sur-l’Auvignon,

    - la suite du parcours sur le GR 65, de Castelnau-sur-l’Auvignon à Navarrenx,

    - les quatre jours de la liaison Navarrenx - Hendaye,

    - le parcours en Espagne de Hendaye à Santiago, 

    - les quatre derniers jours de Santiago à Muxía puis au Cap Finisterra.

     

      

    11 - DE GENÈVE AU PUY 

      

    Ces 370 km sont très agréables et se divisent en deux parties bien distinctes. 

    Avant le Rhône, le chemin traverse la Savoie puis l’Isère à travers de beaux paysages où les massifs des Préalpes sculptent l’horizon. Les Bauges, la Chartreuse puis le Vercors se succèdent au fil des pas. Pourtant, malgré cet environnement montagneux, il n’y a qu’une seule étape un peu ardue avec un col à passer à 821 m d’altitude. Tout le reste est facile. Jolis villages fleuris, vignobles des vins de Savoie, collines douces, vergers de pommiers, champs de maïs emplissent les paysages. 

     

    De l’autre coté du Rhône, c’est un changement total de décor. On entre dans le Massif Central. Après les monts du Vivarais, on traverse les plateaux du Velay à 1000 m d’altitude. C’est sauvage, rude, froid mais envoûtant. Le chemin traverse souvent des forêts de sapins sombres et mystérieuses et de grands pâturages où paissent des troupeaux de vaches paisibles. Les villages aux belles maisons de granit sont austères. Les paysages y sont grandioses et magnifiques sous le ciel immense. 

    Ce tronçon est peu fréquenté, surtout en cette saison, et je n’ai rencontré que 5 pèlerins pendant les 13 jours nécessaires pour le parcourir. 

     

    J 1 - Vendredi 1° septembre. GENÈVE - CHARLY
    Temps couvert                                                                                                                                                          25 km


    C’est parti. Pas de boule d’angoisse au creux de l’estomac comme la première fois. Au contraire, je suis enchanté d’être là, sur le point de faire mes premiers pas sur ce nouveau chemin. Je me suis réveillé avant même que le réveil ne sonne et je prends mon petit-déjeuner dans un café sur l’avenue car l’auberge de jeunesse ne propose qu’une machine à café automatique. Je suis content. Je m’apprête à repartir sur le chemin.

    Le temps est très sombre mais la météo n’annonce pas de pluie pour cette première journée de marche.

    Au passage, je fais mes courses au supermarché voisin, passe devant la cathédrale puis descend sur la promenade qui longe le lac Léman. Je marche jusqu’à la statue qui marque l’endroit où Sissi, l’impératrice Elisabeth d’Autriche fut assassinée en 1898. La statue est très fine, très élégante comme devait l’être la jeune femme. Mais le manque de lumière ne la met pas en valeur.
      Genève - Statue de l'impératrice Sissi  à l'endroit de son assassinat

      
    Je fais l’obligatoire photo souvenir de départ au bord du lac. Dommage, le grand jet d’eau n’a pas encore été mis en route. Il aurait été du meilleur effet en arrière-plan.

    J1 - Genève - Départ au bord du lac Léman


    Je traverse le Rhône sur le pont du Mont-Blanc et je fais un petit détour pour aller voir la fameuse horloge fleurie dans le jardin qui s’étire sur l’autre rive. Je profite de la présence d’une charmante jeune femme pour une nouvelle photo souvenir. Bien sûr c’est la photo d’elle que j’ai gardée, des photos de moi, il y en aura d’autres.

    J1 - Genève - L'horloge fleurie
    Maintenant, il ne reste qu’à couper à travers la vieille ville pour rejoindre l’itinéraire du chemin. À la sortie de la place du Bourg du Four, je trouve la première marque, la coquille stylisée jaune dans son carré bleu.

    J1 - Genève - Place du Bourg du Four


    La rue Saint Léger, la place des philosophes puis la rue Prévert Martin me mènent droit au pont sur l’Arve. De l’autre coté, c’est la place de l’Octroi sur la commune de Carouge.

    Tout doucement, la ville s’efface pour laisser place à la campagne. Je peux me relâcher un peu. En ville, il n’est pas toujours facile de repérer le balisage noyé dans les divers panneaux et la publicité et il faut rester concentré.

    Je suis heureux de marcher. Je laisse le plaisir m’envahir en remplissant mes yeux de la campagne suisse, bien propre et bien rangée. Néanmoins, je surveille mes pieds car je n’oublie pas que je porte des chaussures neuves et mes genoux car ils me font mal depuis le mois de novembre dernier. C’est de l’arthrose et il n’y a rien à faire pour le faire passer. Mais mon ostéopathe me dit qu’il faut continuer à marcher. Allons-y donc, marchons.

    Je traverse quelques petits villages bien mignons et c’est Charrot, juste avant la frontière. Au centre du village, il y a une boîte dans laquelle on trouve un livre d’or et un premier tampon à apposer sur la Créanciale. Je l’utilise puis inscris mon passage sur le registre. Je signe "Max de Montpellier".

    Quelques centaines de mètres et c’est la frontière.

     J1 - Max à la frontière Suisse France


    Je m’en étais fait une idée et je suis déçu. Elle se situe dans un petit bois, sur le pont enjambant un ruisseau. Ce n’est même pas marqué. Je m’attendais à quelque chose de plus solennel, plus officiel, un panneau annonçant le changement de pays.
    Non, rien.
    Il y a juste une petite pancarte d’une association jacquaire suisse sur laquelle est inscrit en quatre langues "la Suisse vous dit au revoir". Et au bas du panneau, en tout petit, "Santiago de Compostela 1865 kilomètres".

     
     J1 - Panneau à la frontière Suisse France

     
    Encourageant ou démoralisant ? À chacun de voir. Moi, ça ne me perturbe pas. C’est une information, une anecdote. Ce qui compte, ce sont les vingt-cinq kilomètres que j’ai à faire aujourd’hui pour atteindre le gîte de ce soir.

    Après avoir franchi l’autoroute A40, j’arrive au premier village français, Neydens, et le temps commence à s’éclaircir. Je vois Genève et le lac Léman dans le lointain mais les sommets du Mont Salève sont toujours dans les nuages.

    Le chemin est très bien balisé, pas de souci.

    J1 - Neydens - Marquage du chemin
     

    Sur le chemin menant à Neydens


    En arrivant à La Forge, je décide d’emprunter l’ancienne route qui mène directement à La Chable où je m’arrête pour déjeuner sur un banc ensoleillé avant de boire un café au bar du village.

    J’arrive à Mont Sion avec les premiers rayons de soleil. C’est un joli village typique, situé au col du même nom. Près de la route, un grand panneau explique le parcours du chemin entre Genève et Le Puy.

    J1 - Le village de Mont Sion

    J1 - L'itinéraire du chemin entre Genève et Le Puy


    Plus que deux kilomètres avant l’arrivée. Moins d’une demi-heure de marche par un agréable chemin qui ondule dans les collines savoyardes sous le soleil.

    J1 - Arrivée à Charly
     

    Charly où j’arrive vers quinze heures trente est un tout petit village mignon, très fleuri, très propre, avec une église au clocher à bulbe typique de la région. Le gîte communal est sur la petite place au centre du village et s’appelle "Chez Odette". Il est ouvert car j’ai téléphoné pour annoncer mon arrivée. Une grande cuisine avec évier, plaque chauffante, four, frigo, micro-ondes et même des provisions apparemment mises en place par la municipalité. À coté une grande pièce sert de salle à manger et séjour. À l’étage, une grande chambre avec deux grands lits et la salle de bain, et sous les combles, un dortoir avec plusieurs couchages a été aménagé.

     J1 - Charly - Le gîte communal
    Comme indiqué dans les consignes, je mets mon écot dans une enveloppe que je glisse dans le petit coffre encastré dans le mur. Il ne me reste plus qu’à m’installer. Une bonne douche chaude puis je lave mes affaires et les étends dehors au soleil. J’ai retrouvé la routine des étapes du chemin. Il ne me reste qu’à rédiger ce journal et à annoter les photos prises pendant la journée.

    Dans la soirée, un orage s’abat sur le village et la pluie tombe brutalement, très violente, accompagnée de grêle. Dans la rue en pente qui passe devant le gîte, c’est presque un torrent qui dévale, entraînant terre et graviers. Impressionnant.

     J1 - Charly - Le village sous l'orage


    Il fait presque nuit et il pleut encore fort quand arrive une pèlerine à vélo, trempée par l’averse. Elle s’appelle Anna, est allemande et parle français.

    Je me souviens de mon premier pèlerinage où, pendant les trois premières semaines, toute la durée du parcours en France, je n’avais rencontré personne. Et cette année, j’ai une pèlerine pour me tenir compagnie dès le premier soir. C’est un cadeau, un signe du ciel.

     

    Nous dînons ensemble en partageant ses provisions et ce que j’ai préparé. Elle arrive de Freiburg-Im-Breigsau en Allemagne et compte aller jusqu’au Puy. À vélo, elle parcourt des étapes de cinquante à soixante kilomètres, ce qui veut dire que je ne la reverrai plus.

    J1 - Charly - Avec Anna au gîte communal

     
    La pluie s’est enfin arrêtée. Je sors sur le pas de la porte pour téléphoner à Hélène, lui raconter ma journée et prendre de ses nouvelles. Sur la place, je découvre un bien joli spectacle. L’église est éclairée par des projecteurs et un spot dessine sur le sol de la place une coquille Saint Jacques lumineuse du plus bel effet. Quelle bonne idée d'avoir pris la peine d’installer cet hommage au chemin pour les quelques pèlerins qui s’arrêtent ici.

    J1 - Charly - L'église et la place aux couleurs du chemin la nuit

    Le mal aux genoux est toujours là mais il ne s’est pas aggravé et ne me gêne pas trop finalement. Je masse mes genoux au Voltaren bien que je ne sois pas sûr que ça serve à quelque chose.


      

    J 2 - Samedi 2 septembre. CHARLY - DESINGY
    Temps couvert                                                                                                                                                          28 km

     

     

    Je me réveille à six heures trente, me lève sans bruit, plie mes affaires et descends faire ma toilette à l’évier de la cuisine pour être plus discret. Je fais chauffer de l’eau pour le café et prépare le petit-déjeuner. Il y a un pot de Nescafé, du sucre et des biscottes dans les provisions. Ce n’est pas grand-chose mais c’est bien mieux que de partir le ventre vide. Anna fait son apparition et nous déjeunons ensemble.

     

    7h45. Je dis au revoir à Anna et pars.

    J2 - Charly - Prêt au départ devant le gîte communal


    Je n’emprunte pas le chemin balisé qui passe par les crêtes boisées. Je passe par les routes de campagne qui relient de charmants petits villages. Cernex, Marlioz, Contamine-Sarzin. À la sortie de ce dernier, une belle pierre de granit sculptée, décorée des armoiries de Savoie et de la coquille Saint Jacques, porte une inscription gravée, "Santiago 1826 kilomètres". Ça me laisse rêveur. Quelqu’un a pris la peine d’évaluer la distance depuis cet endroit perdu de Savoie et Saint Jacques de Compostelle, au fin fond de la Galice.

    J2 - Cernex - Maison très fleurie


     J2 - Contamine Sarzin - Borne 1826 km
     

    Il est midi quand j’arrive à Frangy, gros village où je vais pouvoir faire mes courses et manger mon repas de midi. J’ai parcouru vingt-deux kilomètres en un peu plus de quatre heures, sur un itinéraire facile, mais essentiellement sur le goudron.

    Devant le supermarché, Anna est en train de placer ses achats dans les sacoches de son vélo. Je suis étonné de la voir là. Elle a démarré tard de Charly. Nous pique-niquons ensemble à la terrasse du petit café voisin qui nous y a autorisés. Nouveaux adieux, cette fois probablement pour de bon.

    Il ne me reste que sept ou huit kilomètres pour atteindre le village de Desingy où j’ai prévu de m’arrêter.
    Une violente averse orageuse me surprend à la sortie de Frangy mais elle ne dure pas et je peux continuer à marcher en T-shirt.

    Desingy est construit sur une colline et domine la vallée du Rhône. Devant le tableau d’affichage de la mairie, je rencontre trois dames lourdement chargées que j’avais aperçues à Frangy. Elles vont dormir à Seyssel, quelques kilomètres plus loin. Je me dis que je les reverrai peut-être à Chanaz le lendemain.

    Il n’y a pas beaucoup de monde et je n’aurai pas de souci d’hébergement. C’est justement pour ça que j’ai choisi cette période pour marcher, sachant que le tronçon Genève Le Puy ne serait pas très fréquenté. Ce sera sans doute différent à partir du Puy mais j’y arriverai à la mi-septembre et l’affluence sera moindre.

    "Chez Nicole", la chambre d’hôte où je vais passer la nuit, est située huit-cents mètres après le village, sur l’itinéraire de demain. C’est une grande maison très confortable et décorée avec goût. J’ai droit à une belle chambre très agréable. Mon hôtesse me dit que sa maison a beaucoup de succès en été et qu’au printemps elle a hébergé pendant plusieurs semaines une équipe de télévision qui tournait un film dans la région.

    Le repas qu’elle a préparé est simple et délicieux mais je le mange seul dans la très belle salle à manger où trône un beau piano. Elle ne mange pas avec moi et n’est pas non plus très souriante. Un peu coincée, timide ? En tout cas, elle veut bien me prêter sa tablette avec laquelle je peux envoyer le deuxième courriel de la série des "De la croix à l’étoile" qui donne des nouvelles à la famille et aux amis. En effet, j’ai un petit souci avec mon téléphone : connecté en wifi, je peux consulter mes courriels mais je ne sais pour quelle mystérieuse raison, l’affichage sur l’écran ne me permet pas d’en rédiger et d’en envoyer. Je suis donc obligé de trouver un ordinateur pour le faire et c’est assez gênant.

    Quelques jours avant de partir, j’ai envoyé le premier courriel pour annoncer à toute la famille et à mes amis que je m’apprêtais à faire une nouvelle fois le pèlerinage de Compostelle et que je les tiendrai au courant de mon avancée par ce biais. Un bon moyen de rester en contact avec le monde extérieur et de rassurer mes correspondants sur ma santé, ma forme et mon moral. Hélène, mes enfants et quelques intimes ont droit à un "traitement" particulier : tous les matins, pendant que je marche les premiers kilomètres, je leur envoie un texto annonçant l’étape du jour. Et tous les soirs, j’appelle Hélène pour lui raconter ma journée et prendre de ses nouvelles. C’est le moins que je puisse faire, elle qui m’a laissé partir et va rester seule plus de deux mois.

     

    De son coté, notre amie Yvonne va fureter sur la toile pour trouver des informations sur les lieux où je vais passer et me les communique, ce qui me permet de ne pas rater quelques jolis endroits non signalés.

      

     

     

    J 3 - Dimanche 3 septembre. DESINGY - CHANAZ
    Beau temps                                                                                                                                                               27 km

     
    Il fait beau quand je démarre, la température est agréablement fraîche et le soleil commence à éclairer les sommets des montagnes. En contrebas, la vallée du Rhône est noyée dans le brouillard.

    Une belle journée s’annonce.

     

    Le parcours qui emprunte de petites routes et quelques bouts de piste avance en balcon au-dessus de la vallée et offre de belles vues sur le massif du Grand Colombier de l’autre coté. Je traverse des hameaux, passe près de quelques fermes, longe un jardin potager où resplendissent de belles citrouilles d’un orange vif, rencontre des ânes bien sages qui viennent me saluer. Le chemin est très agréable. Je marche avec plaisir et sans fatigue.

    J3 - Prairod - La compagnie des ânes


    J3 - Sur le chemin vers Vens


    Après le village de Vens, le chemin descend dans la vallée car on arrive aux gorges du Fier qui coupent la montagne juste avant la jonction avec le Rhône.

    À partir de là, le chemin longe le fleuve et je marche jusqu’au pont de Culoz. Mon amie Yvonne m’ayant indiqué un petit restaurant au rond-point voisin, je fais le détour pour aller y manger mais on refuse de me servir car c’est un repas privé. On ne veut même pas me donner un sandwich ou un morceau de pain. Je repars frustré et un peu en colère et retourne m’installer près du fleuve pour grignoter ce qui reste dans mon sac : un bout de pain acheté à Genève vendredi matin, un petit pot de compote que m’a donné Anna la veille et une banane. Ça suffira, il ne me reste que deux heures de marche.

    Autant le chemin entre le Fier et Culoz était agréable, autant ces quelques kilomètres entre Culoz et Chanaz sont monotones sur une piste cyclable puis le long d’un canal. Par contre, l’arrivée à Chanaz est splendide. Quel joli village !

    Arrivée à Chanaz


    J3 - Chanaz - Le canal de Savrière

    Surnommé la Venise savoyarde, il est construit à l’endroit où le lac du Bourget se déverse dans le Rhône par l’intermédiaire du canal de Savières. Au bord du canal, de belles maisons anciennes très fleuries se reflètent dans l’eau. C’est dimanche et il y a beaucoup de monde qui profite du soleil. Les bateaux qui emmènent les touristes jusqu’au lac du Bourget vont et viennent sur le canal, sans parler des petites embarcations. Une agitation bien sympathique.

    C’est vraiment un bel endroit.

    Je remonte dans les rues du village en suivant le fléchage vers le gîte El camino où j’ai prévu de dormir. Je suis accueilli par la gérante qui m’offre un sirop de menthe et de citron fait maison que je bois avec grand plaisir, car il faisait chaud sur cet interminable chemin.

    Trois dames vont occuper le dortoir de six places. Celles que j’ai vues hier à Desingy ? Elles ne sont pas encore là mais leurs bagages transportés par un taxi sont entreposés devant la porte. On ne peut pas dire qu’elles voyagent léger ! Quant à moi, elle m’a attribué une chambre où je suis seul.

     

    Je profite du beau temps pour laver mon pantalon puis je vais me promener dans le village parmi la foule des touristes. Je commence par le vieux moulin à huile entièrement restauré. La visite est libre et commentée. Une meule en pierre de trois cents kilos écrase les noix ou les noisettes. L’huile est récupérée après une deuxième presse et la pâte est séchée au-dessus d’un four pour faire de la farine. Je goûte l’huile de noisette qui est délicieuse.

    J3 - Chanaz - Le moulin à huile - La meule
    Je descends 
    ensuite au bord de l’eau car c’est là que tout se passe. Beaucoup de gens se promènent le long du canal où s’alignent les terrasses de bar, les marchands de glace et les magasins de souvenirs. Je me mêle à eux profitant de cette belle fin d’après-midi.

    Je rentre au gîte où je fais la connaissance des trois pèlerines qui viennent d’arriver. Ce ne sont pas celles que j’ai vues à Desingy. Celles-ci sont parties de Genève et font un tronçon de huit jours organisé par une agence de voyages.

     

    Le dîner en compagnie de notre hôtesse est composé d’une salade puis de crosiflette, une spécialité locale qui ressemble à la tartiflette avec du reblochon, des pâtes spéciales carrés et des légumes. Et pour terminer, une tarte aux fraises et à la rhubarbe. Un festin !

    J3 - Chanaz - La tablée au Camino


     J3 - Chanaz - Refuge Le Camino - La crosiflette

     

      

    J 4 - Lundi 4 septembre. CHANAZ - YENNE - SAINT-MAURICE-DE-ROTHERENS
    Beau temps                                                                                                                                                               29 km

     


    Malgré un réveil impromptu à trois heures du matin, je suis au petit-déjeuner dès sept heures trente et vingt minutes plus tard je suis parti. Avant de quitter le village, je passe à la boulangerie acheter une baguette et un pain au chocolat.

    Le chemin avance sur les hauteurs dominant la vallée du Rhône et traverse les vignobles des vins de Savoie. Je passe de jolis villages très agréables, des fermes bien tenues. C’est une belle région où l’on perçoit la richesse apportée par ces vins réputés, un peu comme dans les villages de la région de Reims. Dans les vignes, au bout de chaque rangée de ceps, un pied de roses est planté. Il sert à prévenir de l’apparition de l’oïdium, maladie similaire au mildiou, car le rosier est plus sensible que la vigne au champignon qui la provoque. Et les jolies fleurs rouges, roses, jaunes ou blanches apportent une agréable note colorée au paysage.


     J4 - Dans les vignobles de Jongieux


    J4 - Jongieux - Les vignobles


    À midi, j’arrive à Yenne, gros bourg bien animé. Il n'y a pas de tampon à l’église et le presbytère est fermé.

    Je décide de manger à la terrasse d’un kébab qui a une bonne allure. Et comme il est excellent, j’en commande un deuxième en sandwich pour le soir car le gîte où j’ai l’intention de m’arrêter ne propose pas le repas du soir et il n’y a rien dans le village. En fait, ce n’est pas très clair. Ce matin, j’ai appelé plusieurs fois le numéro indiqué sur ma brochure sans jamais avoir de réponse. Je vais donc à l’aveuglette.

    J4 - Yenne 

     

    Autant le parcours de ce matin était facile, autant cet après-midi la montée jusqu’au col du Tournier à huit-cent-vingt-et-un mètres d’altitude paraît longue. Dans la partie basse de la montagne, l'itinéraire traverse bois et prairies, passe dans plusieurs hameaux où je trouve de l’eau pour remplir la petite bouteille qui me tient lieu de gourde. Tout le long du chemin, je ramasse ou cueille des pommes. Ça rafraîchit et ça donne de l’énergie. Il fait chaud et j’apprécie les passages à l’ombre des arbres.

     

    J4 - Dans la montée vers le col du Tournier


    Dans la partie haute, je marche dans une imposante forêt de sapins qui entretient une agréable fraîcheur.

    Arrivé au col, je me risque à couper par une piste figurant sur ma carte sans être totalement sûr que ce soit la bonne. Mais comme elle va dans la bonne direction…

    Quand je débouche de la lisière sur l’autre versant, je suis rassuré car je vois les premières maisons de Saint-Maurice-de-Rotherens. Encore un petit village tranquille. Mais où vais-je dormir ?

    Alors que je traverse le village en cherchant ce fameux gîte, mon téléphone sonne. C’est l’hospitalière qui répond enfin aux messages que je lui ai laissés ce matin. En fait, ce n’est pas du tout le gîte indiqué sur mon petit bouquin. Bon, le gîte est un kilomètre plus loin et à l’écart du chemin mais le repas du soir et le petit-déjeuner sont fournis. C’est une ancienne ferme, Le Vernay, aménagée par l’ancien curé du village qui avait épousé une de ses paroissiennes et lui avait fait trois enfants. C’était un visionnaire mais sans doute très brouillon. Tout est commencé et rien n’est fini et c’est un peu désordonné mais Florence, l’hospitalière qui le gère est sympathique et aux petits soins pour moi et pour le Suisse qui arrive un peu plus tard complètement épuisé bien qu’il n’ait démarré que de Yenne où j’étais à midi.

    Florence a fait le pèlerinage de Compostelle et a eu ensuite envie de rendre service aux pèlerins. Elle a pris la gérance de ce lieu qui appartient aux enfants du curé et fait de son mieux. Elle n’a pas choisi un endroit facile. C’est complètement isolé, à l’écart du village, et je me demande si beaucoup de gens s’arrêtent là, même en pleine saison. En tout cas, je passe une très bonne soirée car nous avions des tas de choses à nous dire. J’en ai même oublié le mal aux genoux qui est pourtant toujours là.

     

     
    J 5 - Mardi 5 septembre. SAINT-MAURICE-DE-ROTHERENS - VALENCOGNE
    Beau temps                                                                                                                                                               26 km

     

    Nous avons continué à discuter et à regarder des photos en prenant notre petit-déjeuner. Résultat, je ne suis prêt à partir qu’à huit heures trente après avoir fait une photo en compagnie de Florence devant l’immense panorama qu’offre ce lieu en hauteur. En contrebas, les ondulations sans fin des collines de la région de Voiron viennent buter sur les falaises blanches du massif de la Chartreuse où je reconnais le sommet du Grand Som à sa silhouette en forme de pyramide si caractéristique.

     

    J’ai tout mon temps aujourd’hui car l’étape ne fait que vingt-six kilomètres.

    J5 - St Maurice de Rothonens - Panorama vers la Chartreuse
    Je trouve un raccourci qui rejoint directement le chemin sans avoir besoin de remonter au village. Le chemin descend tranquillement vers la plaine dans une belle région. Sur le passage, une ferme a installé un point de ravitaillement avec café, thé, eau, gâteaux. Il y a même des coquilles ! C’est payant mais c’est quand même très sympathique et ça fait plaisir de voir que le pèlerin est attendu et apprécié.

    J5 - Grésin - Point de ravitaillement


    Saint-Genix-sur-Guiers. Il n’y a aucun commerce, aucun bar sur mon passage. Heureusement, j’ai le sandwich au kébab acheté hier. Je traverse le Guiers sur un pont décoré de drapeaux et entre dans le département de l’Isère.

    J5 - St Génix sur Guier - Le pont sur le Guier
     

     J5 - St Génix sur Guier - Le Guier


    De l’autre coté du pont, je quitte le GR 65 qui fait un grand détour en suivant la rive de la rivière. Hier soir j’ai repéré un itinéraire sur la carte au 1/25000° affichée au gîte et l’ai pris en photo. J’économise au moins un kilomètre.

    Tout d’un coup, je ressens une douleur au talon. Ça ressemble à une tendinite et je suis très inquiet. Je m’arrête immédiatement, me déchausse et me masse le pied avec le Voltaren que j’ai emporté. L’expérience du premier chemin où j’avais longtemps marché avec des contractures.

    Je me repose un bon quart d’heure avant de repartir en relâchant le laçage de mes chaussures. La douleur ne revient pas. Je suis rassuré mais voilà un autre problème à surveiller. J’en oublie les genoux une fois de plus.

    J5 - La Bruyère


    Je m’arrête aux Abrets pour manger le sandwich au kébab acheté à Yenne, je vais boire un Schweppes au bar d’à coté puis je repars après un arrêt d’une bonne heure. C’est que je pense à cette douleur au talon apparu si soudainement ce matin.

    Le chemin monte et descend et zigzague quelque peu dans les collines et au milieu des champs de maïs avant d’arriver à Valencogne. Il est presque seize heures. J’ai prévu de m’arrêter chez Annette et je repère tout de suite son portail rouge en face de la mairie. Annette est une charmante, très charmante dame d’à peu près mon âge, dynamique, chaleureuse et sympathique. Le courant passe bien entre nous dès la première seconde et elle me plaît beaucoup.

    Son gîte est bien aménagé et confortable. C’est un véritable petit appartement avec salon cuisine au rez-de-chaussée et une jolie chambre à l’étage.

    Après les tâches habituelles de chaque soir, je vais faire un tour dans le village. L’église est assez quelconque à l’exception de sa construction en galets ronds régulièrement disposés qui est remarquable. Elle est ouverte et, chose rare, dispose d’un tampon que j’appose sur ma Créanciale. 

    Je marche ensuite jusqu’à la statue de Notre Dame des Vignes érigée sur la colline d’en face en 1903 pour protéger les vignes du phylloxéra. On y jouit d’une vue magnifique sur le village et la région environnante des Terres froides.

     J5 - Valencogne - Notre Dame des Vignes


    Mais l’histoire ne dit pas si la statue a été efficace…

    Annette est une jolie femme, intelligente, intéressante et cultivée. Nous dînons sur la terrasse en tête à tête et ce repas ressemble beaucoup à un dîner entre deux amis de toujours. Après le repas, nous allons nous installer dans son salon pour continuer notre agréable discussion.


     

     J 6 - Mercredi 6 septembre. VALENCOGNE - SAINT-HILAIRE-DE-LA-CÔTE
    Couvert                                                                                                                                                                      26 km

     

    Le petit-déjeuner est tout aussi plaisant que le dîner de la veille. Annette m’a charmé.

    Un peu à regret, je me décide à reprendre la route. On s’embrasse et je franchis le portail rouge.

    Je suis les marques rouge et blanche du GR qui monte dans les bois sur la colline car je pense avoir une belle vue sur le lac de Paladru de l’autre coté. Mais la végétation cache le panorama attendu. En plus, je me trompe à un carrefour et perds du temps, chose que je n’aime pas.

    Le temps a changé. Le ciel est gris avec un plafond très bas et il fait froid. Exactement ce que m’a dit mon fils Matthieu qui, tous les matins, m’annonce la météo de la région que je traverse.

    Je marche en ayant toujours Annette en tête. Très jolie et charmante avec des yeux magnifiques. C’est peut-être pour ça que je me suis trompé…

    J’arrive au village du Pin. L’épicerie est fermée mais la boulangerie me dépanne avec une demi baguette et une quiche que je mangerai à midi puis je me pose au bar pour boire un café au lait. Je profite du wifi pour poster une publication sur ma page Facebook. Et je reprends ma marche par un chemin qui s’enfonce dans les bois.

     

    Près de Blaune, je rattrape une marcheuse. C’est une Allemande et elle est pèlerin. Elle s’appelle Monika, elle a quarante-quatre ans, est infirmière et habite Ulm. Elle marche depuis Fribourg en Suisse mais elle va s’arrêter à la prochaine ville, Le Grand-Lemps, pour reprendre le train et rentrer chez elle. Dommage car elle est très sympathique et me fait oublier Annette.

    J6 - Avec Monika près de l'A48


    Nous marchons ensemble les quelques kilomètres restants sur le chemin qui passe sous l’autoroute A 48, grimpe dans les collines et redescend, raide et caillouteux de l’autre coté. Une grosse averse inattendue nous oblige à nous équiper. Monika sort un parapluie, spécialement fait pour la marche, de forme ovale pour protéger aussi le sac à dos et robuste pour supporter les rafales de vent sans se retourner. Fabriqué aux Pays-Bas. Tiens tiens. Ça n’a pas l’air mal.

    Au Grand-Lemps, nous nous posons à la terrasse d’un bar au centre du village pour déjeuner, petite pause agréable et salutaire. Mais moi je ne suis pas arrivé. J’embrasse Monika qui rejoint la gare et repars sur l'itinéraire. C’était bien de l’avoir rencontrée. La première vraie pèlerine à pied depuis mon départ.

     

    Il me reste huit kilomètres pour arriver à Saint-Hilaire-de-la-Côte que je parcours tranquillement sans me presser. Je fais une halte au château de la Villardière tout près du village de La Frette, une belle bâtisse que j’aperçois à travers les grilles fermées de l’imposante entrée. Vérification faite, le château et ses terres sont passés de famille en famille au fil des siècles, le plus célèbre propriétaire étant Pierre Emé de Marcieu, lieutenant-général des armées du roi Louis XV et commandant en chef du Dauphiné. Aujourd’hui, il appartient à Bernard de la Villardière, plus connu comme présentateur de deux émissions célèbres de la chaîne M6, "Enquête exclusive" et "Zone interdite".

     J6 - La Frette - Pause au chateau de  la Villardière
    À Saint-Hilaire-de-la-Côte, je m’arrête au gîte "La Ceriseraie" qui se trouve derrière l’église, un peu sur la hauteur et à deux pas du chemin. Cet endroit très bucolique planté de cerisiers me convient tout à fait.

    J6 - St Hilaire de la Côte - Gîte La Ceriseraie


    Le gérant est un original, tant dans sa tenue que dans sa conversation et ses idées et cela se reflète dans l’agencement et la décoration de la maison. Mais il est très sympathique et il m’offre même une bière à mon arrivée. Je loge dans une grande chambre à l’étage pourvue de cinq lits mais comme je suis le seul pèlerin, je peux m’installer à ma guise.

    Le dîner en tête à tête avec mon hôte se passe le mieux du monde grâce à son abondante conversation et à la qualité de la chère préparée par sa fille qui est venu nous le livrer. Mais il n’a pas le charme de celui de la veille… 

    Je me couche très content de cette belle journée, qui a si bien commencée avec Annette et qui a été égayée par la rencontre avec Monika.

     
     

    J 7 - Jeudi 7 septembre. SAINT-HILAIRE-DE-LA-CÔTE - REVEL-TOURDAN
    Beau temps                                                                                                                                                               26 km

     

    Comme j'étais réveillé, je démarre une demi-heure plus tôt bien que l’étape ne fasse que vingt-six kilomètres. Il fait beau et la température fraîche à cette heure matinale est bien agréable. 

    J’arrive rapidement à La-Côte-Saint-André par un chemin qui domine la grande plaine de la Bièvre légèrement brumeuse. Dans la petite ville où Berlioz est né, le marquage m’emmène voir la halle à la magnifique charpente en bois qui date du 13° siècle. J’ai de la chance, c’est le jeudi que le marché se tient sous ce monument et je joins l’utile à l’agréable en y faisant mes courses pour mon repas de midi. Mais je néglige les deux églises et la maison natale de Berlioz devenue musée.

    J7 - La Côte St André - Halles du 13° siècle


    Le chemin continue le long d’une ligne de collines, facile, sans dénivelées, traversant plusieurs petits villages tranquilles tels Ornacieux ou Faraman.

    Peu avant ce dernier village, le chemin traverse un parc agrémenté d’un bel étang. L’endroit est très agréable et je profite d’une table de pique-nique pour faire une pause.

    Une très jolie fille vêtue d’une robe rouge s’arrête et m’interroge sur la coquille accrochée à mon sac, ce qui nous entraîne dans une plaisante conversation qui prolonge largement la durée de ma pause. Un bon moment après l’avoir quittée, je me dis que j’aurais dû lui demander la permission de la prendre en photo. Quel dommage que je n’y ai pas pensé plus tôt. Si jolie et si sympa. Un bref mais bon souvenir du chemin.

    Après Faraman et pour rejoindre Pommier-de-Beaurepaire, je marche tout droit à travers les champs de maïs qui ont été coupés pour éviter les grands zigzags que fait le chemin pour contourner les parcelles.

     

    C’est à Pommier que je m’arrête pour manger, au soleil mais bien à l’abri du vent froid sur la place du village, adossé à un calvaire devant l’église. Ici aussi, elle est construite en galets placés bien régulièrement et alternant avec des lignes de briques rouges.

    J7 - Pommier de Beaurepaire - L'église


    Sur une imposante maison face à moi, est apposé un panneau indiquant que le maître des lieux, un certain baron du Teil a reçu plusieurs fois Napoléon Bonaparte à l’époque où il n’était qu’un jeune officier d’artillerie encore anonyme.

    Après le village, le chemin file le long d’une ligne de petites collines jusqu’à Revel-Tourdan, mon étape du jour où j’arrive vers quinze heures trente.

     

    C’est un petit village tranquille et désert. Je loge à l’auberge «L’escapade» qui est fermée à cette heure mais le gérant à qui j’ai téléphoné ce matin m’a dit qu’il laisserait la porte latérale ouverte. Elle l’est. J’entre et monte m’installer dans la chambre numéro un comme il m’a été indiqué puis je vais faire un tour dans le village. Pas grand chose à voir. Une petite église qui a été amputée d’un bas-côté, claire et fraîche, et quelques jolies maisons dont une portant à l’angle d’un mur une très réaliste statue de Saint Jacques pèlerin, de cinquante centimètres de hauteur, arborant le chapeau orné d’une coquille, le grand manteau, le bourdon et la traditionnelle calebasse.

    J7 - Revel Tourdan - Statue de St Jacques


    Au retour de ma petite balade, le gérant de l’auberge est arrivé et a ouvert son établissement. Je bois un verre au bar en discutant avec lui sur la vie du village avant que n’arrivent quelques gaillards, visiblement habitués des lieux et qui s’attaquent à la réserve de pastis de la maison avec un remarquable entrain.

    Il est presque dix-huit heures quand arrive Pier, une pèlerine suisse, d’à peu près mon âge et qui a l’air assez fatiguée bien qu’elle ait démarré à La-Côte-Saint-André. C’est son dernier jour de marche. Demain, elle prend un taxi pour rejoindre une gare et rentrer chez elle. Ceci ne nous empêche pas de dîner agréablement en tête à tête dans la grande salle à manger vide de l’auberge pendant que les stakhanovistes du pastis sont toujours au travail. J’espère qu’ils ne sont pas venus en voiture !

    Une journée bien agréable et paisible à travers cette campagne aux horizons immenses qui s’étendent depuis les crêtes des Alpes qui crénellent le ciel à l’est jusqu’aux montagnes du Massif Central qui commencent à être visibles à l’ouest.

    Seul petit point négatif, j’ai eu un peu mal aux pieds aujourd’hui. Cela ressemble à des contractures et la douleur est bien localisée sur le dessus du pied. Je me masse soigneusement au Voltaren avant de me coucher. 

     

     

    J 8 - Vendredi 8 septembre. REVEL-TOURDAN - CLONAS-SUR-VARÈZE
    Beau temps                                                                                                                                                               26 km

     
    La nuit aurait été bien meilleure si les cloches de l’église toute proche n’avaient pas sonné les heures et les demi-heures toute la nuit. Malgré cela, il est à peine sept heures trente quand je quitte l’auberge. Il fait beau comme prévu et la température est idéalement fraîche. J’achète quelques provisions à la boulangerie du village. Pier me dit au revoir en passant dans le taxi qui l’emmène vers la gare de Valence. Mon chemin, ou plutôt ma route, car je marche sur la D135, croise la ligne à grande vitesse. Je m’arrête pour faire une photo mais, tant qu’à faire autant la prendre quand passe un TGV. Je n’ai pas longtemps à attendre. Le bruit est déroutant, et ressemble à celui d’un avion à basse altitude. C’est impressionnant. Mais je tiens ma photo, mes photos, car pour plus de sûreté, j’en ai fait quatre !
     

     J8 - Après Revel Tourdan - Passage de la ligne à grande vitesse


    Je traverse ensuite plusieurs petits villages, Bellegarde, La-Chapelle-de-Surieu puis Assieu. C’est là que je fais la pause repas, sur la place devant l’église. Trois marcheurs passent en m’ignorant.

    J8 - Petite pause près de Bellegarde


    Le chemin continue vers l’ouest à travers des paysages agricoles où les champs de maïs ont laissé la place aux vergers de pommiers. C’est bien plus agréable que les moignons de tige vus jusqu’ici et je peux cueillir et croquer quelques pommes tout en marchant. Je double les trois marcheurs de midi qui sont arrêtés au bord du chemin. Je les salue mais ils m’ignorent à nouveau.
     

     J8 - Arrivée à Assieu


    Plus loin, le chemin passe au-dessus de l’autoroute A7, traverse encore un autre village, Auberives-sur-Varèze puis, très vite, c’est Clonas-sur-Varèze. On arrive par les hauts du village qui s’étale sur les pentes qui plongent vers la plaine du Rhône. Avant de descendre, j’admire le panorama sur la large vallée dominée par les monts du Vivarais qui barrent l’horizon et vers lesquels je marcherai demain. Dans Clonas, le bar des sports est au centre du village, avec sa terrasse ensoleillée. C'est là que je fais halte. J’y dispose d’une grande chambre coté ouest et je m’empresse d’étendre mon linge à sécher à la fenêtre. Puis je descends boire un demi panaché avec les quelques clients attablés à l’extérieur. Les trois marcheurs vus deux fois dans la journée passent devant le bar et disparaissent. J’ai fait le tour du village bien tranquille où il n’y a rien à voir mais j’ai repéré la boulangerie pour demain matin.

    J8 - Clonas sur Varèze - Le bar des sports

     
    L’étape d’aujourd’hui n’était pas très agréable mais elle s’est bien passée et en un temps minimum, bien aidé par le beau temps qui m’a accompagné tout le long. Et je n’ai pas eu mal aux pieds. 

     

     

     

    J 9 - Samedi 9 septembre. CLONAS-SUR-VARÈZE - BOURG-ARGENTAL
    Pluie                                                                                                                                                                           27 km

     
    Aujourd’hui c’est une étape importante qui m’attend. Je vais traverser le Rhône et entrer dans le Massif Central. 
    Le Rhône était mon premier objectif intermédiaire, que je suis heureux d’avoir atteint sans difficulté.

    Quand je quitte le bar des sports à sept heures trente pour entamer la deuxième partie de mon périple, le ciel est très gris. Il ne pleut pas encore mais cela ne devrait pas tarder. 

    Quelques kilomètres le long d’une petite départementale et j’arrive au grand pont sur le Rhône en même temps que la pluie annoncée par la météo.

    J9 - Traversée du Rhône à Chavaney

     
    Le Rhône est très large. Quelle différence avec le fleuve que j’ai longé pendant deux jours au début de ma marche. À ma gauche, en aval, les tours de refroidissement de la centrale nucléaire de Saint-Alban-Saint-Maurice crachent des nuages de vapeur d’eau qui se mêlent aux nuages bas et gris.

    De l’autre coté du grand pont, j’arrive directement à Chavaney où je ne trouve aucun magasin ouvert. Heureusement que j’ai fait mes courses à la boulangerie ce matin avant de quitter Clonas. Le village est au pied de la montagne et la petite route que j’emprunte grimpe immédiatement dans les collines. Elle me fait gagner un bon kilomètre par rapport au chemin balisé, ce qui n’est pas à négliger, le parcours du jour étant en montée pratiquement tout le long. Je retrouve le marquage à l’endroit prévu juste avant Morzelas et à partir de là, je suis le sentier qui grimpe à travers les vignes en direction de Bessey. Peu avant ce village, les vignes cèdent la place aux pommiers. Il pleut toujours. Je m’arrête boire un café dans un petit bar inespéré à la sortie du village puis je continue mon chemin tranquillement au milieu des vergers, parfois dans les bois, parfois sur de petites routes.
     

     J9 - En quittant Bessey sous la pluie


    Malgré la pluie et la dénivelée, le chemin est bien agréable et je savoure ces bons moments. La pluie s’arrête bien gentiment à l’heure du repas de midi alors que je traverse le hameau de Mérigneux. Pendant que je déguste ma tranche de fromage de tête et mon pain frais, passe un groupe d’une vingtaine d’Allemandes emmenées par un guide, inutilement emmitouflées dans des anoraks, des bonnets et des ponchos car il fait bon et je suis en T-shirt. Elles ne répondent même pas à mon "Guten Tag".

    Je les rattrape très vite car elles marchent lentement et s’arrêtent souvent pour attendre les retardataires. Leur groupe est dispersé sur plusieurs centaines de mètres. Cette fois, je ne leur adresse pas la parole et les double sans même un regard.

    Le chemin franchit un premier col à six-cent-soixante-dix mètres d’altitude, redescend à Saint-Julien-Molin-Molette et remonte vers un autre col encore plus haut. Le drôle de nom de ce village m’a incité à me renseigner. Il viendrait d’un soldat romain nommé Julien plus tard transformé en saint, à l’existence de moulins sur la rivière du Ternay et aux molettes, petites meules utilisées pour aiguiser les lames d’acier. Et les habitants s’appellent les "piraillons", surnom donné autrefois aux gens travaillant dans les anciennes mines de plomb et d’argent. Une histoire bien compliquée mais intéressante.

    Et un beau parcours à travers bois malgré la pluie qui s’est remise à tomber.

    Un dernier col, routier celui-là, et c’est la longue descente vers Bourg-Argental au bord de la Déôme. Ce faisant, j’ai quitté le département de l’Ardèche et suis passé dans celui de la Loire.

    J9 - Au col du Banchet 678m

    L’entrée dans l’agglomération est un peu longue mais j’arrive au centre ville vers seize heures trente. Avant de rejoindre le gîte que je sais être à l’écart, je me pose à la terrasse d’un bar pour boire un verre et laisser mon sac puis je vais me promener dans cette petite ville de trois-mille habitants. L’hôtel de ville sur la place centrale est installé dans un joli petit château enjolivé par un inattendu rayon de soleil.


     J9 - Bourg Argental - La mairie
    L’église Saint André est assez banale à l’exception du magnifique tympan du 13° siècle.

     J9 - Bourg Argental - Le tympan de l'église


    Je fais mes courses pour le lendemain, récupère mon sac et rejoins le gîte de Christine, à l’extérieur du village. Je le connais pour y être déjà venu en janvier 2011 à l’occasion du rallye de Monte Carlo. Mais il faisait nuit et il neigeait ce qui ne m’avait pas permis d’apprécier la beauté de la maison. L’intérieur est magnifique. Je reconnais le grand escalier en colimaçon, le hall décoré de divers mannequins de femmes, les tableaux, les moulures, les meubles anciens. Une maison de style et de charme. Quand Christine a hérité de la maison de famille, elle était en mauvais état, n’ayant pas été habitée de longtemps. Elle a pensé à la vendre mais ses enfants y étaient attachés. Elle a alors entrepris de la rénover petit à petit. Une tâche immense. Puis, un jour, par hasard, elle a hébergé un pèlerin ce qui lui a donné l’idée de l’aménager en chambre d’hôtes pour la rentabiliser. Le résultat est exceptionnel.

    J9 - Bourg Argental - Le gîte


    J9 - Bourg Argental - La maison de Christine


    Ce soir, j’ai rendez-vous avec Ahmed, un pèlerin rencontré en Espagne en septembre 2013 alors que je cheminais avec Rose-Marie. Depuis, il a fait plusieurs chemins dont le Camino del Norte où je marcherai dans quelques semaines. Par Facebook, il savait que je passais par là et il est venu en voisin, habitant un village à quelques kilomètres. Nous dînons ensemble dans un petit restaurant en refaisant le monde du chemin. C’est un gars très sympa et nous avons des tas de choses à nous dire.

     J9 - Bourg Argental - Avec Ahmed




    J 10 - Dimanche 10 septembre. BOURG-ARGENTAL - LE SOUVIGNET
    Couvert                                                                                                                                                                      24 km

     
    Christine me laisse utiliser sa tablette pour envoyer mon habituel courriel après un excellent petit-déjeuner pris dans sa magnifique salle à manger. Je ne suis pas seul, un jeune couple d’Allemands est arrivé hier soir tard. Ils n’ont pas l’air de marcher beaucoup ni de démarrer tôt mais ils sont sympathiques et très mignons.

    Elle n’a l’air de rien cette étape de vingt-quatre kilomètres mais elle monte beaucoup. Dès la sortie de Bourg-Argental, le sentier grimpe dans les bois pour rejoindre une ancienne voie ferrée qu’il suit jusqu’au-delà de Saint-Sauveur-en-Rue.

    Sur cette petite route très agréable, je croise plusieurs joggeurs et cyclistes qui tous me saluent, l’un d’entre eux s’arrêtant même pour discuter un moment avec moi. Après la "gare" de Saint-Sauveur, le chemin repart à l’assaut de la montagne dans la forêt de sapins. Quatre heures de montée en tout pour passer des cinq-cent-cinquante mètres de Bourg-Argental aux mille soixante-huit du col de Trécol situé sur la ligne de partage des eaux entre l’Atlantique et la Méditerranée. Tout ce qui coule derrière moi descend vers le Rhône et la Méditerranée, tout ce qui coule devant moi va vers la Loire et l’Atlantique. Au col, il y a aussi le GR7 qui suit cette ligne de partage. Attention de ne pas se tromper car c’est le même balisage.

    À cette altitude, il fait froid, à peine dix degrés, d’autant que le ciel est toujours très nuageux et qu’un vent du nord glacial souffle avec force.

    J10 - Sur le chemin de L'Hermet vers Coirolles


    La montée n’est pas pour autant terminée car la ligne de crête ondule en permanence. Je marche toujours dans une forêt de sapins bien sombre et mystérieuse jusqu’à ce que, finalement, je débouche dans une immense clairière où est construit le petit hameau des Sétoux avec ses belles et austères maisons de granit. Je vais m’arrêter là pour manger à l’abri du vent car il fait vraiment froid malgré le soleil qui vient de faire son apparition. Je découvre le gîte du Combalou et sa terrasse bien abritée. Je me propose de m’installer là mais il faut demander la permission. Monique, la patronne, m’invite à m’installer bien au chaud à l’intérieur. C’est très gentil. Je peux manger mon casse-croûte confortablement assis à une table. Je commande un café au lait et j’ai la surprise de le voir arriver accompagné d’une grosse part de tarte aux pommes faite maison. Un moment plus tard, lorsque je veux régler ma note, Monique me répond : "Rien du tout. C'est ma contribution à ton pèlerinage". Et elle m'embrasse en me souhaitant bon chemin. Je repars bien revigoré, le moral remonté au beau fixe par cet accueil sympathique et pas du tout commerçant. La vraie hospitalité.
     

    À la sortie du hameau, j’admire une collection de vieux tracteurs en parfait état exposée au bord du chemin.
     

    J10 - Les Setoux - Collection de vieux tracteurs

     
    Il me reste huit kilomètres pour arriver au hameau du Sauvignet par une belle piste qui monte et descend pour franchir les vallons dans un paysage où alternent bois de sapins et pâturages sous un ciel qui laisse passer quelques rayons de soleil.
     

     J10 - Les Setoux - Ciel nuageux sur le chemin vers L'Hermet

     
    J10 - Dans la forêt près de Sauvignet


    Peu après la ferme de La Fléchière, je coupe le long d’une lisière pour aller directement au hameau qui n’est pas situé sur le chemin balisé. Ce hameau est constitué de quelques maisons éparses sur un plateau dénudé d’où on voit le village de Saint-Bonnet-le-Froid sur la ligne de crête à l’horizon. Je connais bien ce secteur où je suis souvent venu voir passer le rallye de Monte Carlo. La route que j’ai traversée tout à l’heure a longtemps été une des spéciales mythiques de ce rallye hivernal, souvent couverte de neige.

    Je loge à "la maison d’à coté", un gîte tenu par un couple sympathique qui me rappelle des voisins, Denis et Hélène. Le gîte est une petite maison très bien aménagée et très confortable avec une grande cuisine en bas et une belle chambre à l’étage. Il y a le chauffage, ce qui n’est pas du luxe. Je dîne avec mes hôtes et leurs enfants, Adeline quinze ans et Thomas douze ans. En famille. C’est charmant et très agréable.

     
     

    J 11 - Lundi 11 septembre. LE SOUVIGNET – SAINT-JEURES
    Couvert                                                                                                                                                                      27 km

     

    Le temps est toujours très couvert quand je démarre à sept heures trente. Je descends dans la vallée, traverse la route empruntée par le rallye et remonte dans les bois de l’autre coté alors qu’il se met à pleuvoir. 

    Un beau chemin m’amène sans difficulté à Montfaucon-en-Velay, gros bourg tout gris dominé par le clocher de son église.

     J11 - Montfaucon en Velay


    Je fais mes courses et repars immédiatement en empruntant sur un kilomètre la D 105 plus directe que le chemin. Mais à l’endroit où le GR 65 est censé couper la route, je ne vois aucune marque. J’emprunte alors la voie verte aménagée sur le tracé d’une ancienne voie ferrée métrique qui va dans la bonne direction, quasiment en ligne droite jusqu’à Tence où je dois passer. Voilà qui est parfait.
    Au bout de deux kilomètres, la voie verte bifurque et s’éloigne des rails qui arrivent dans une gare. C’est la gare de départ du train touristique Velay - Lignon. Sans hésitation, je continue sur la voie. Il faut adapter ses pas à l’espacement des traverses mais le trajet est très agréable.
     

     J11 - Sur la voie ferrée entre Montfaucon en Velay et Tence

     
    Je rencontre des ouvriers qui travaillent à réparer cette vieille voie avant la nouvelle saison, ce qui me rassure sur l’absence de passage de train. Il est midi quand j’arrive à l’entrée de Tence devant un panneau annonçant "Saint-Jacques de Compostelle 1563 kilomètres" au moment où les nuages crachent une grosse averse sans prévenir.

    J11 - Tence - Panneau 1563 km
     

    Plutôt que manger mon pique-nique sur un banc et sous la pluie, je me réfugie dans un petit restaurant où on me sert un menu du jour qui me convient tout à fait. Quand je ressors, moins d’une heure plus tard, le soleil a réussi à percer et le village a pris une bien meilleure allure.

     J11 - Tence et le Lignon


    Je repars par le chemin balisé qui longe la rivière Lignon puis file sur un plateau où alternent bois et champs, passant près de belles fermes isolées, traversant quelques hameaux aux murs de granit et toits de lauzes. 
    La magnifique croix de Couves en granit attire mon attention. Le Christ et la Vierge à ses pieds y sont finement sculptés et ont résisté aux intempéries et surtout aux dégradations humaines.

    J11 - La croix de Couves sur le chemin vers St Jeurès


    Je rencontre un agriculteur qui est en train de couper l’herbe le long du chemin et nous discutons un bon moment sur l’évolution des choses, l’agriculture, le temps, les pèlerins qu’il voit passer. Une parenthèse bien sympathique.

    J’arrive à Saint Jeures, ma destination du jour, petit village aux maisons de granit si typiques de cette région de Haute-Loire. Deux d’entre elles sont baptisées château bien qu’elles ne soient, en fait, que des maisons fortes à l’architecture assez imposante. L’église Saint Georges est ouverte et dispose d’un tampon que j’appose sur ma Créanciale avant de rejoindre le gîte du Fougal à la sortie du village. C’est une grande maison de granit comme toutes les autres.

     J11 - St Jeurès - Maison de granit


    Martine m’accueille et me tutoie d’emblée. Un couple de randonneurs originaires d’Aubenas qui fait un circuit dans la région arrive un peu plus tard. Ils logent dans une chambre d’hôtes plus confortable tandis que je suis dans la partie gîte un peu plus simple, sans chauffage.

    Mais le dîner est pris dans la grande salle à manger où la cheminée procure une chaleur agréable et sèche mon linge en un temps record. C’est un moment bien convivial qui clôture cette belle journée passée bien vite malgré les vingt-sept kilomètres sans que le mal aux genoux ou aux pieds ne réapparaissent.

    Forme et moral sont au plus haut.

     

     

    J 12 - Mardi 12 septembre. SAINT-JEURES - SAINT-JULIEN-CHAPTEUIL
    Couvert                                                                                                                                                                      28 km

     

    Je n’aurais pas dû boire une infusion hier soir. Je me suis levé deux fois cette nuit !

    Le petit-déjeuner est exceptionnel. Parmi les bonnes choses proposées, une délicieuse confiture à l’abricot et au melon préparée par notre hôtesse.

    Dehors, il fait vraiment froid. Il est vrai que depuis que j’ai atteint la ligne de partage des eaux, le chemin avance sur ces plateaux du Vivarais en restant toujours près des mille mètres d’altitude. Je ne serais pas surpris de voir de la gelée blanche dans un coin exposé au nord. 

    Les forêts de sapins succèdent aux alpages, le relief se hérisse de montagnes d’origine volcanique, se creuse de profondes vallées.

    J12 - Le mont Chanis 1231 vu de Queyrières


    Je passe d’abord à Araules puis à Piaillevialles où je rencontre la mairesse qui est venu évaluer les dégâts causés par une tornade la semaine précédente. Sur cinquante mètres de large seulement, les arbres ont été cassés, les toitures arrachées. Cela paraît incroyable.
     

    On franchit le massif boisé du Maygal par un col à mille-deux-cent-quarante-huit mètres d’altitude puis on redescend au village de Queyrières, tourné vers le sud et appuyé à un piton d’orgues basaltiques assez spectaculaire. Il est onze heures et plus que temps de faire une pause en mangeant le pain au chocolat acheté à Araules.

    J12 - Queyrières


    À partir de là, le chemin bifurque vers le sud en direction de Monedeyres. Le long du chemin, plusieurs beaux calvaires de granit se dressent, marquant sans doute le chemin de Compostelle d’autrefois.

    J12 - Calvaire à la sortie de Queyrières

    J12 - Calvaire à la sortie de Monedeyres


    Après ce village, il descend vers un vallon étroit et boisé. J’arrive à une intersection. À gauche, le balisage rouge et blanc du GR 65 file à flanc de montagne, à droite le balisage bleu et jaune du Chemin plonge au fond du trou. Dilemme. Je choisis la coquille Saint-Jacques et descend jusqu’à la rivière où se dresse un ancien moulin en bon état.

    Sur le chemin vers le moulin de Guérin


    La bâtisse est sans intérêt mais je prends le temps de lire le panneau qui explique le fonctionnement du moulin autrefois, en particulier comment il s’intégrait à la société rurale de l’époque.

    De l’autre coté de la rivière, le chemin remonte jusqu’à une belle piste qui file dans les bois sur le flanc sud du mont Chanis, un suc volcanique, et me mène au hameau de La Chapuze où je m’arrête pour manger au soleil, protégé du vent par une maison. Je m’aperçois qu’il ne me reste que deux kilomètres car cet itinéraire est bien plus court que le GR 65. Saint-Julien s’étale en face de moi sur un replat, dominé par la silhouette de l’église perchée sur un piton rocheux, reste de la cheminée d’un volcan.

    J12 - St Julien Chapteuil


    Il est à peine quatorze heures quand j’entre dans le village et je commence par m’installer à la terrasse d’un bar face à la mairie où je déguste un café au lait en guise de dessert tout en profitant du soleil. Puis je rejoins l’hébergement où j’ai prévu de m’arrêter. C’est chez Suzanne, une vieille dame très sympathique avec un chien très gentil qui me fait fête.

    Après m’être installé, je vais me promener dans le village. L’église Saint-Julien aux voûtes spectaculaires et au chœur en cul-de-poule a été construite au 13° siècle sur ce promontoire qui domine le bourg. Elle est de style roman et était probablement fortifiée à l’origine. J’ai la chance de profiter d’un rayon de soleil qui éclaire sa façade imposante.

    J12 - St Julien Chapteuil - L'église St Julien 12° siècle - La nef romane


    En me promenant dans les rues, je rencontre le couple qui était hier avec moi à Saint-Jeures. Nous nous installons dans un bar et discutons un moment.
    Je reviens "chez moi" pour le dîner avec Suzanne et son mari André qui a fait le chemin du Puy à Fisterra en deux fois.

    L’étape d’aujourd’hui était très belle malgré le vent froid qui a soufflé toute la journée. Toute cette partie du chemin depuis Bourg-Argental est magnifique. On marche dans une nature reposante et pure, on traverse des paysages sauvages où alternent les champs de blé, les pâturages et les forêts de sapins. Quel plaisir ! Les villages et hameaux s’intègrent parfaitement, leurs maisons de granit, les toits de lauze, les clochers, les calvaires font totalement partie du paysage.

    À Saint-Julien, on est redescendu à plus basse altitude, moins de huit-cents mètres, et la température est nettement meilleure.

    Je me couche très satisfait de cette belle journée. J’ai modifié mon planning pour demain et les jours suivants. J’avais prévu de continuer jusqu’à Saint-Christophe-sur-Dolaison, huit kilomètres après Le Puy que je connais déjà. Mais, tout bien réfléchi, ce serait dommage de ne pas faire halte dans cette belle ville qui est une étape importante du Chemin. Ce changement va se répercuter sur la suite du parcours, mais il y a beaucoup plus d’hébergements à partir d’ici et je m’adapterai au fur et à mesure.

     

     

    J 13 - Mercredi 13 septembre. SAINT-JULIEN-CHAPTEUIL - LE PUY
    Beau temps                                                                                                                                                               17 km

     

    Seulement dix-sept kilomètres aujourd’hui. Je suis parti un peu plus tard que d’habitude et je marche sans me presser en savourant le soleil revenu et l’agréable fraîcheur matinale. 

    Sur la petite route qui descend vers l’est, je photographie mon ombre qui s’étire dans le soleil rasant.

     J13 - Après Eynac - Mon ombre sur la route

     
    Une autre ombre vient s’ajouter. Je me retourne, c’est une jeune femme qui marche d’un bon pas. Nous faisons connaissance. C’est la fille dont m’avait parlé Annette, celle qui voyage sans argent. Elle s’appelle Élodie, est étudiante en 5° année de médecine et cette façon de voyager est à la fois un défi personnel et une étude sociologique. C’est, en tout cas, intéressant et osé. Nous continuons ensemble. J’aime bien sa compagnie et sa conversation.
     

    J13 - Mont Joie - Elodie


    Petite halte à Montjoie d’où nous apercevons Le Puy dans le lointain pour la première fois. En fait, on ne voit que les pitons où se dressent la grande statue de la Vierge et la chapelle Saint-Michel d’Aiguilhe, deux monuments particulièrement caractéristiques de la ville.
     

     J13 - Mont Joie - Un pèlerin - Au fond Le Puy


    Un autre pèlerin s’est arrêté au même endroit, Williams. Je ne l’ai encore jamais vu mais Élodie l’a déjà rencontré et le trouve tellement collant qu’elle l’a surnommé la sangsue. Un chien noir est avec lui mais ce n’est pas le sien. Il s’est mis à le suivre quand il a traversé le village précédent. Et quand nous repartons, il choisit de nous accompagner, trouvant sans doute la pause de Williams trop longue.
     

    Élodie et moi arrivons à Saint-Germain-Laprade et décidons de nous arrêter pour boire un café sur la place où se tient le marché. Le chien est toujours avec nous. Il nous encombre un peu car on se sent responsable de lui. Je remarque alors qu’un numéro de téléphone est inscrit sur son collier. J’appelle. La propriétaire du chien n’est pas surprise et dix minutes plus tard arrive pour récupérer son animal, coutumier du fait, et nous remercie chaleureusement. Parfait, nous pouvons maintenant boire notre café tranquillement. 

    Nous traversons la Loire à Brives-Charensac sur l’un des ponts qui enjambe le fleuve. Tout à coté, le vieux pont médiéval dont il ne reste que deux arches et, plus loin, l’élégant pont gallo-romain encore en parfait état mais fermé à la circulation automobile, lui font une sévère concurrence sur le plan esthétique. De là, le balisage nous entraîne le long des berges jusqu’à l’entrée de la ville. 

    J13 - Brives Charens - Le vieux pont médiéval sur la Loire
     

    J13 - Brives Charens - Traversée de la Loire


    J13 - Brives Charens - Vieux pont gallo-romain sur la Loire
     


     J13 - Elodie sur le chemin du Puy

     

    Pendant notre arrêt à Saint-Germain, j’ai téléphoné pour trouver un hébergement au Puy. Les deux gîtes collectifs sont complets et je trouve une chambre chez une vieille dame à l’entrée de la vieille ville, rue Sous-Sainte-Claire. Élodie, fidèle à son défi, part à la recherche d’une âme hospitalière. Je loge dans une vieille maison très bien arrangée, au premier étage où on accède par un étroit escalier en colimaçon. C’est un vrai petit studio sous les toits, bien sympa.

    J13 - Le Puy - A l'entrée de la ville, belle fresque murale à la gloire du chemin


    Il n’est même pas midi et j’ai tout mon temps pour aller redécouvrir cette ville pittoresque. J’achète un excellent sandwich et me pose au pied de la fontaine des Tables pour le manger au soleil quand arrive Élodie qui s’assied avec moi. Elle n’a pas encore trouvé un refuge pour la nuit. En attendant, je partage mon sandwich et mon Coca avec elle avant de me lancer à l’assaut de la basilique Notre-Dame de l’Annonciation dont l’immense façade domine de toute sa hauteur la rue des Tables où je me trouve.

    J13 - Le Puy - Rue des Tables et la cathédrale

    J13 - Le Puy - Façade de la cathédrale Notre Dame de l'Annonciation


    Cet étonnant édifice roman du 13° siècle, en pierres volcaniques de différentes couleurs est construit au pied du rocher Corneille en grande partie au-dessus du vide, supporté par des piliers. On y accède par un imposant escalier de cent-trente-quatre marches qui pénètre directement dans la nef. L’intérieur en pierre noire paraît très austère et impressionne par la hauteur des 
    voûtes et des coupoles qui la font un peu ressembler à une église orthodoxe. Je m’approche de la célèbre Vierge Noire qui a longtemps fait l’objet de pèlerinage, entourée d’une multitude de cierges. J’en allume un à mon tour. Je ne suis pas croyant mais peut-être que ce geste simple et symbolique dédié à plusieurs amis qui ont besoin qu’on pense à eux sera utile, ne serait-ce que par l’intensité de mon intention.


     J13 - La cathédrale - La Vierge noire


    Je grimpe au sommet du rocher Corneille où se dresse l’immense statue de la Vierge baptisée Notre Dame de France. Lors de ma première venue, elle était en travaux et on ne pouvait y grimper. La statue mesure seize mètres de haut et pèse cent-dix tonnes. Elle a été réalisée avec le fer provenant de deux-cent-treize canons pris à Sébastopol pendant la guerre de Crimée.

     J13 - Le Puy - Statue de Notre Dame de France sur le rocher Corneille


    On peut monter à l’intérieur de la statue par un étroit escalier métallique mais le plus intéressant est l’immense panorama sur les toits rouges de la ville, sur la basilique en contrebas, sur la spectaculaire chapelle Saint Michel accrochée au sommet du piton volcanique d’Aiguilhe et sur l’ensemble du plateau du Velay qui encercle la ville. Au nord, la silhouette sombre et carrée du château de Polignac se détache sur le ciel.

    J13 - Le Puy - La cathédrale vue du rocher de la Vierge

     
    J13 - Le Puy - Le Mont Aiguilhes et l'église St Michel


    J13 - Le Puy - Panorama Nord depuis le rocher de la Vierge - Le Mont Aiguilhes et le chateau de Polignac


    Je reviens dans les jolies rues du centre ville et m’installe à la terrasse d’un bar, autant pour boire un verre que pour bénéficier du wifi. Le couple de Saint-Jeures vient s’installer avec moi et nous passons un moment ensemble.

    Après avoir dîné dans la pizzeria indiquée par ma logeuse, je reviens devant la cathédrale pour regarder le spectacle son et lumières projeté sur la façade.

    J13 - Le Puy - Façade de la cathédrale Notre Dame de l'Annonciation sous les jeux de lumières


    J’ai joué au touriste toute l’après-midi et toute la soirée. Il est presque vingt-trois heures quand je rentre me coucher, satisfait de cette belle journée ensoleillée commencée ce matin en compagnie d’Élodie. Le Puy était mon deuxième objectif intermédiaire et je suis enchanté d’être arrivé jusqu’ici sans aucun problème. Quand on commence un parcours à pied d’une telle longueur, on ne regarde pas vers le but final qui est bien trop lointain, quasiment irréel, mais on se fixe des objectifs intermédiaires plus réalistes, plus concrets.
     

    On pourrait s'étonner de me voir autant fréquenter les églises alors que je m'affirme non croyant. D'ailleurs est-ce le mot exact? Oui, je fréquente les églises car elles font partie intégrante du Chemin. Le Chemin est né de l'Église catholique qui l'a ensuite modelé à sa guise au fil des siècles. Les chapelles, les oratoires, les calvaires, les églises, les monastères et même les cathédrales sont légion tout au long de ses parcours.

    J'y entre pour les visiter, y faire brûler un cierge en pensant aux miens, geste symbolique qui matérialise mes pensées, parfois pour assister à la messe même si je ne crois pas au cérémonial qui se déroule. D'ailleurs c'est peut-être ça. C'est surtout en la religion et au Dieu qu'elle nous propose que je ne crois pas. Mais cela fait partie de la tradition et il y a des messes qu'il ne faut pas rater. Celle des pèlerins à sept heures du matin dans la cathédrale du Puy en fait partie, tout comme la grand-messe des pèlerins dans la cathédrale de Santiago. Mais celle-là, personne n'en doute.

     

    C'est impressionnant une église quand on pense au travail de titan que cela a représenté à une époque où la seule énergie disponible était celle de l'être humain. Et à la foi de ces gens qui mettaient des siècles pour édifier une cathédrale.

     

     

     

    12 - DU PUY À FIGEAC

     

    Ce tronçon est certainement la partie la plus belle de la Via Podensis et les marcheurs et pèlerins sont nombreux, même en cette saison, à en arpenter les deux-cent-quatre-vingts kilomètres.

    C’est aussi la partie la plus accidentée car on avance perpendiculairement aux vallées de l’Allier et de plusieurs autres rivières. À chaque fois, il faut donc descendre jusqu’en bas, traverser la rivière et remonter sur le plateau de l’autre coté. Ce ne sont pas de grosses dénivelées, mais ajoutées les unes aux autres, elles comptent.

    Le chemin est vraiment magnifique. Il traverse les plateaux pittoresques et sauvages de la Margeride et de l’Aubrac avant de descendre dans la délicieuse vallée du Lot, porte d’entrée du Rouergue, ses charmantes bastides et ses sites incontournables dont Conques fait partie.


     

    J 14 - Jeudi 14 septembre. LE PUY - SAINT-PRIVAT-D’ALLIER
    Pluie                                                                                                                                                                           24 km

     

    La journée commence par la messe des pèlerins qui a lieu dans la cathédrale à sept heures du matin. Une cérémonie à ne pas manquer malgré l’heure matinale. Quand j’arrive, une bonne soixantaine de personnes sont déjà installés dans l’immense nef. Je ne pensais pas qu’il y en aurait autant. Les pèlerins viennent de toute l’Europe, du Canada, des USA, d’Amérique latine et même de Palestine. Ça m’inquiète un peu pour les hébergements à venir. Devrai je réserver ?

    La messe est dite par trois prêtres, un polonais et deux camerounais. C’est une vraie messe qui dure plus d’une heure et qui se termine par la traditionnelle et toujours émouvante bénédiction du pèlerin. Elle se prolonge ensuite par une distribution de médailles et de chapelets et même d’évangiles miniatures. Ces colifichets ne m’intéressent pas mais, plus intéressante est la panière posée devant la statue de Saint Jacques : elle contient des petits papiers sur lesquelles des gens ont écrit une prière adressée à l'apotre. Pour respecter la tradition, je prend l'un de ces papiers, la prière d’une personne inconnue, et l'emmenerai à Compostelle où je la déposerai près des reliques de l’apôtre.

    Quand tout le cérémonial est terminé, les pèlerins sortent par le grand escalier et descendent la rue des Tables, sacs au dos et bâtons cliquetant sur les pavés, s’éloignant à travers les rues de la ville vers les plateaux à l’ouest. Je ne me joins pas à eux car je retourne chez ma logeuse prendre mon petit-déjeuner qu’elle ne pouvait pas me servir avant la messe.

     

    Je démarre un peu avant neuf heures. La traversée de la ville est facile et le chemin grimpe dès la sortie. Je marche depuis presqu’une heure quand un éclair me traverse l’esprit. Mon chapeau ! Je vérifie mon sac. Pas de chapeau. Je me remémore les derniers préparatifs dans la chambre. Oui, c’est là qu’il a dû tomber quand j’ai rangé ma polaire. Je suis trop loin pour revenir en arrière, la seule solution est de téléphoner à ma logeuse qui, fort gentiment, me le ramène en voiture. Ouf ! Petite étourderie qui ne se solde que par une demi-heure de perdu.

     

    Je reprends ma marche d’un bon pas. Dans la montée qui n’en finit pas, je double plusieurs marcheurs qui traînent déjà la patte.

     J14 - Le Puy - Montée vers St Christophe sur Dolaison


    Arrivé sur le vaste plateau, je décide de rester le long de la D589 qui file tout droit. La pluie, qui s’était faite annoncer par un splendide arc-en-ciel, se met à tomber, violente, poussée par un vent de face.
    Je marche tête baissée et les quelques voitures qui se sont hasardées sur cette route passent en chuintant dans un nuage d’embruns. J’arrive à Bains et vais m’abriter un moment dans la belle église romane en pierres rouges avec son clocher-mur à quatre cloches, en même temps que deux marcheuses assez élégantes. Sur la pelouse devant l’église, une belle croix celte se dresse, indifférente à la pluie et au temps qui passe.

     J14 - Bains - Eglise Ste Foy
     

    J14 - Bains - Croix celte devant l'église Ste Foy

     
    Plus loin, je croise le sentier balisé et le suit mais il me ramène presque aussitôt sur la route. Après un petit col à peine marqué, la pente s’infléchit. L’heure de la pause repas approche. En traversant le hameau du Chier (quel nom difficile à porter !), je vois un abri avec une table de pique-nique et des bancs. C’est l’endroit idéal pour s’arrêter. Malgré la polaire et la parka, le froid est vif aussi je ne m’éternise pas.

    J14 - Le Chier - Pause repas


    Je repars très vite pour parcourir les deux kilomètres restant avant Saint-Privat-d’Allier.

    La pluie cesse enfin quand j’arrive au village. Sur un éperon, se dresse l’église tandis que le village s’étale sur le flanc de la montagne en face.
     

    St Privat d'Allier - Arrivée au village


    Il y a plusieurs gîtes que je découvre en marchant dans la rue principale mais je vais à celui que j’avais prévu, recommandé par Jean, "La Cabourne", tout au bout du village. Vaste, moderne, bien tenu, confortable. Je partage la chambre avec un jeune nordiste, Quentin. Quand je ressors après douche et lessive, le soleil commence à percer les nuages. Le village a bien meilleure allure et je monte jusqu’à la jolie église romane très sobre en belles pierres rouges.

    St Privat d'Allier - L'église romane


    En y pénétrant je ressens une étrange émotion, un trouble inexplicable qui me serre la gorge et me fait monter les larmes aux yeux. Drôle de sensation qui ne dure pas et disparaît pendant que j’avance vers le chœur entre les piliers massifs. Je ressors en me demandant ce qui a provoqué cette réaction et fais le tour de l’esplanade qui entoure l’église.

    J14 - St Privat d'Allier - La nef de l'église romane


    Depuis le cimetière, la vue sur le village éclairé par le soleil est splendide.
    En revenant au village, je vais acheter à manger à la boulangerie-pâtisserie-épicerie pour le lendemain ainsi qu’un pain au chocolat pour tout de suite. J’y fais la connaissance de Sylvie qui vient d’acheter un éclair au chocolat et se demande si elle le mange de suite ou l’emporte. Je lui propose de le manger de suite avec moi, ce que nous faisons en l’accompagnant d’un chocolat chaud au bar d’à coté. Le courant passe très bien entre nous. Elle est jolie et j’aime beaucoup ses cheveux très courts, coiffés à la garçonne.

    Demain, elle pense aller jusqu’au hameau de La Clauze alors que j’avais prévu de m’arrêter à Saugues qui n’est qu’à vingt kilomètres. Je vais peut-être faire pareil. Nous nous quittons pour rejoindre nos gîtes respectifs.

    Le soir au gîte, le dîner en compagnie de Quentin, Chantal et Muriel est très sympathique. Les méandres de la conversation me font découvrir que Chantal est la belle sœur de notre ami Georges. Incroyable coïncidence.

    L’étape s’est bien passée. La pluie qui n’en finissait pas était pénible mais je m’en suis bien sorti sans être mouillé. J’ai pensé au parapluie de Monika mais aurait-il résisté à ce vent violent ?

    Je suis complètement entré dans le chemin grâce à tous ces pèlerins rencontrés depuis le départ, Anna, Monika, Élodie et maintenant Sylvie et toutes celles et tous ceux avec qui je partage le repas de ce soir. Et grâce aussi aux deux semaines de marche.

     

     

    J 15 - Vendredi 15 septembre. SAINT-PRIVAT-D’ALLIER - LA CLAUZE
    Pluie et froid                                                                                                                                                              27 km

      

    Le ciel est bleu quand je démarre mais le brouillard enveloppe tout. Il fait froid, à peine quatre degrés au thermomètre publicitaire accroché au mur du gîte. J’emprunte la route jusqu’à l’endroit où elle croise le chemin balisé. Un panneau précise qu’il ne faut pas s’y engager en cas de fortes pluies. Michelle m’a parlé de ce passage qui l’avait impressionnée. Avec le beau temps et malgré les fortes pluies de la veille, je ne le trouve pas si terrible.

    J15 - Pratchaux - Toile d'araignée


    Le passage délicat n’est pas très long et le reste de l’itinéraire pour descendre jusqu’à Monistrol-d’Allier est même très facile et agréable. En bas, au moment de traverser la rivière sur le vieux pont métallique construit par Eiffel en 1888, je rattrape Amandine, une jeune femme accompagnée d’un joli chien noir. Elle porte un gros sac à dos car elle est autonome, dormant la nuit sous sa tente.

    Dans le village, je m’arrête boire un café au lait au petit bar à la sortie du pont.

    Reste à remonter l’autre versant. Le chemin passe au pied de remarquables orgues basaltiques, devant la chapelle de la Madeleine construite à l’entrée d’une grotte puis monte tranquillement par un large chemin en lacets jusqu’au hameau de Rochegude.

     J15 - Monistrol d'Allier - Le village et l'Allier

    J15 - Monistrol d'Allier - Orgues basaltiques


    Sur le plateau, il file presque tout droit dans une campagne bien dégagée parsemée de quelques bosquets de chênes et traverse Rozier, Le Vernet, Rognac, petits hameaux aux maisons construites en basalte et où l’on voit encore des "ferradous", ces bâtis en pierre ou en bois qui servaient autrefois à ferrer les chevaux.

    Rognac - Le ferradou


     J15 - Le Vernet - Boucs et moutons



     J15 - Le Vernet - Belle maison


     J15 - Le Vernet - Marquage du chemin


    L’arrivée à Saugues est originale. Sur les hauteurs dominant le village, des troncs d’arbres ont été travaillés pour former des sculptures ressemblant à de grands chandeliers, évidemment ornés de la coquille Saint Jacques.
     

    J15 - Arrivée à Saugues
    Il fait encore soleil mais ça ne va pas durer longtemps car le ciel se couvre de plus en plus. Quand j’arrive en ville, le soleil a complètement disparu, remplacé par la grisaille et le froid.
    Je vais voir la tour des Anglais et l’église Saint Médard qui contient les reliques de Saint Bénilde. Qui c’est celui-là ? Frère Bénilde (1805 - 1862) était un ancien directeur des écoles de Saugues qui avait voué sa vie à l’éducation. Il fut canonisé en 1967 et est devenu le saint patron des accordéonistes.

    Mais comment devient-on saint patron des accordéonistes ?

    Renseignement pris, frère Bénilde jouait de l’accordéon pour apprendre la musique à ses élèves, pour se distraire et accompagner les chants à l’église. André Thivet, grand accordéoniste auvergnat à la recherche d’un saint patron, proposa son nom qui fut accepté et officialisé par l’église en décembre 1990.

    Dans l’église, son corps embaumé repose dans une chasse de verre.

     J15 - Saugues - La collégiale St Médard - La chasse de St Bénilde


    À la sortie, je suis accosté par une vieille dame qui tient absolument à apposer son tampon sur ma Créanciale. Ma foi, je me laisse faire, il y a de la place sur mon "ausweis".
     

    Je déjeune de mon casse-croûte sur une petite place au pied d’un petit monument de bois à la mémoire de Robert Sabatier et de son roman "Les noisettes sauvages" dont l’action se déroule dans cette petite ville.

    J15 - Saugues - Monument à la mémoire de l'écrivain Robert Sabatier


    Quand je repars pour les sept derniers kilomètres, il fait carrément froid et il commence à pleuvoir. Sur la petite route qui mène à La Clauze, je double deux marcheurs enfouis sous leurs ponchos. Un autre avance quelques centaines de mètres devant moi que je ne rattrape qu’en arrivant au gîte "Le repos d’antan". C’est Sylvie. Les deux autres marcheurs arrivent à leur tour. Ce sont Elisabeth, suissesse, et Nicolas, anglais. Nous allons passer la soirée ensemble. Parfait.

    Ce gîte est très joli, aménagé avec beaucoup de goût dans une vieille maison qui était autrefois l’étable. Belle cuisine bien équipée et grande salle à manger au rez-de-chaussée, deux chambres en mezzanine au-dessus. Il y a une grande cheminée et même un lit armoire très ancien.

    J15 - La Clauze - Le gîte Au repos d'antan
     

    Avec Sylvie, nous allons voir la tour qui se dresse à quelques centaines de mètres de là. Un bref rayon du soleil couchant l’éclaire juste le temps d'une photo puis s’éteint. Baptisée tour des Anglais, elle daterait du 13° siècle et serait tout ce qu’il reste d’un ancien château féodal. De forme octogonale et bâtie sur un socle de granit, elle est très fine et témoigne de l’expertise des bâtisseurs du Moyen-âge.

     J15 - La Clauze - La tour des Anglais


    De retour au gîte, nous discutons des prochaines étapes. Demain, nous marcherons jusqu’à Saint-Alban, soit vingt-cinq kilomètres puis nous irons jusqu’au hameau de Finieyrols à trente-et-un kilomètres, et le troisième jour à Saint-Chély-d’Aubrac à vingt-sept kilomètres.

    Sonia, la propriétaire des lieux arrive. C’est une petite dame très tonique qui ne perd pas de temps dans les formalités et les consignes. Elle nous apporte aussi tout ce qu’il faut pour le petit-déjeuner du lendemain que nous devrons préparer nous-mêmes.

    Le dîner se passe à coté du gîte dans la partie chambres d’hôtes où logent d’autres marcheurs. Nous dînons tous ensemble à la même table dans une très bonne ambiance. Nos hôtes sont très agréables, serviables et le repas préparé par Sonia est parfait pour les marcheurs affamés que nous sommes. Du kir framboise à la tarte aux myrtilles en passant par la délicieuse soupe aux choux, difficile de dire ce que nous avons préféré.

    Il ne reste plus qu’à rejoindre notre nid pour une bonne nuit de repos après cette très belle étape sur les plateaux de la Margeride.

     

     

    J 16 - Samedi 16 septembre. LA CLAUZE - SAINT-ALBAN-SUR-LIMAGNOLE
    Couvert                                                                                                                                                                      25 km

     

    Je n’ai pas très bien dormi. Le café de seize heures ? Le bon repas du soir ? Les ronflements de Berndt ? 

    Quand je me lève, Elisabeth a déjà installé le petit-déjeuner.

    J16 - La Clauze - Petit-déjeuner au gîte - Berndt, Max, Sylvie, Elisabeth et Nicolas


    Il fait froid quand je démarre à huit heures en compagnie de Sylvie. Le ciel est nuageux mais quelques lambeaux de ciel bleu arrivent de temps en temps à s’infiltrer.

    À la sortie du hameau, nous rencontrons Amandine et son chien qui ont dormi dans l’abri communal.

    Le chemin est aussi agréable qu’hier. Cette région est vraiment très belle, sauvage aussi et il n’y a pas beaucoup de villages. Nous sommes dans le Gévaudan et le département de la Lozère.

    Le GR a été dévié exprès pour passer à la ferme du Sauvage où est maintenant installé un hébergement. Nous le court-circuitons en empruntant l’ancien itinéraire qui débouche près d’une aire de repos aménagé pour les marcheurs avec des bancs et des tables, une fontaine et un petit oratoire dédié à Saint Roch, le saint patron des pèlerins.

    Nous marchons à bonne allure, sans forcer, du même pas. Sylvie est une compagne très agréable et j’apprécie sa présence réconfortante. Elle me parle d’elle, de ses préoccupations et, bien sûr, je fais de même. Le vieil adage du chemin se vérifie une fois de plus : un inconnu devient un confident puis le confident devient un ami.

    J16 - Avec Sylvie sur le chemin de St Alban


    La pause pour le repas se fait dans une petite clairière bien à l’abri du vent et éclairée par le soleil lorsqu’il daigne se montrer. C’est l’occasion d’une petite sieste qui me permet de récupérer de ma nuit en pointillés.

    Nous arrivons vers quinze heures sur les hauteurs de Saint-Alban dominé par un château assez ancien qui a appartenu aux barons d’Apchier. Il a servi de point de ralliement pour l’organisation des battues visant à éliminer la fameuse bête du Gévaudan. C’est vrai, nous sommes dans la région où a sévi de 1763 à 1767 cette bête monstrueuse, simple loup d’une taille exceptionnelle pour certains, carrément loup-garou pour d’autres plus crédules, qui a terrifié les populations et fait tout de même une centaine de victimes.

    Mais aujourd’hui, devenu musée départemental, après avoir été transformé en hôpital psychiatrique, nous ne pouvons admirer que les sobres façades de cette demeure historique.

    Pendant que nous tournons autour, nous faisons la connaissance de Clémence. C’est une pèlerine qui, tout comme Amandine, dort dehors sous sa tente.

    Au café du centre du village, nous retrouvons Berndt, Elisabeth et Nicolas qui viennent avec nous loger chez Marie-Hélène où nous nous partageons trois chambres. Le soir, nous allons dîner dans un petit restaurant familial où la patronne déborde de gentillesse et se met en quatre pour nous servir malgré l’affluence. La magie du mot pèlerin se vérifie partout.

    Le plaisir de marcher dans cette belle région est toujours aussi grand. Les bois de pins tordus, les prairies, les ruisseaux, les petits villages charmants, le ciel immense où courent les nuages, tout contribue à mon bonheur, rehaussé par l’agréable présence de Sylvie. Et ces deux dernières soirées avec Elisabeth, Berndt et Nicolas ne peuvent que renforcer ma satisfaction d’être revenu sur le chemin.

     

     

    J 17 - Dimanche 17 septembre. SAINT-ALBAN-SUR-LIMAGNOLE - FINIEYROLS
    Pluie                                                                                                                                                                           31 km

     

    Ce matin, le chemin est toujours aussi agréable malgré le froid, le vent et les nuages omniprésents dans le ciel. Ça sent la pluie. Quand va-t-elle tomber ? Nous marchons tous ensemble, Sylvie, Elisabeth, Berndt, Nicolas et moi.

     

    Nous traversons plusieurs hameaux perdus sur ces hauts plateaux où prairies et bois de pins alternent à l’infini. Nous passons Les Astrets puis Chabannes où nous bavardons avec une dame assez âgée qui emmène ses vaches au pâturage. Elle nous apprend que toute la production laitière de la région part en Chine où elle est transformée en lait en poudre pour l’alimentation des bébés. Étonnant ! Ce sont les miracles de la mondialisation.

     J17 - Chabaunes - Troupeau de vaches

     
    Nous rattrapons Amandine qui nous présente son chien Milou, revêtu d’un gilet jaune fluo. Il est très sage et très gentil. Il est très bien éduqué nous dit Amandine. Elle nous accompagne pendant un moment puis nous la distançons inexorablement, ralentie par le poids de son sac.

    J17 - Les Astrets - Amandine et Milou


    Je m’aperçois que j’ai perdu un gant dans la matinée. Bien embêtant avec le froid qu’il fait.

    J17 - Sylvie à l'entrée d'Aumont Aubrac


    Aumont-Aubrac est le seul gros bourg de notre parcours. Nous passons à l’église Saint-Étienne pleine de monde pour la messe dominicale.


    J17 - Messe du dimanche à Aumont Aubrac

     
    Nous y restons un moment avant de préférer le bar sur la place pour boire une boisson chaude bien à l’abri. Parmi les clients, quelques anciens pleins d’humour et bien au fait de la technologie moderne font des paris en ligne avec leurs portables en attendant la fin de la messe.

    Aumont Aubrac - Les anciens au bistrot


    Nous faisons la connaissance d’une autre pèlerine, Brigitte, qui a quelques soucis avec ses chaussures. Miracle, il y a un magasin d’articles de montagne et de randonnée dans la rue principale et, deuxième miracle, il est ouvert. Serait-ce la récompense divine de notre bref passage à l’office tout à l’heure ? Pendant que Brigitte choisit ses nouvelles chaussures, j’achète une paire de gants qui remplace avantageusement le gant solitaire qui me restait.

    J17 - Aumont Aubrac - Brigitte


    Berndt, Sylvie et moi quittons Aumont-Aubrac par la D987 qui franchit l’autoroute A 75 et continuons sur le ruban de goudron pour économiser une paire de kilomètres, un raccourci intéressant dans cette longue étape. Elisabeth et Nicolas nous ont abandonnés car ils trouvent l’étape trop longue et ont décidé de s’arrêter avant.
     

    Pour notre repas de midi, la petite chapelle de la Pignède opportunément ouverte nous abrite du vent glacial.

    Chapelle de La Pignède
     

    J17 - Pause repas à l'abri dans la chapelle de La Pinède
    C’est à cet endroit que le GR 65 retrouve la route et je me souviens être passé là en mai 2009 lors d’une randonnée avec mes voisines Gisèle et Françoise.
     

    Après cette pause sous la protection de la Vierge, où nous avons apprécié le thé chaud sorti du thermos de Berndt qui avait pensé à le remplir ce matin, nous repartons alors que la pluie commence à tomber. Sur la petite route qui file sur le plateau de l’Aubrac, balayée par le vent et la pluie glacée, nous rencontrons à nouveau Clémence qui s’ajoute à notre petit groupe.

     J17 - Sur le chemin de Finieyrols - Berndt, Sylvie, Max et Clémence


    Il est seize heures quand nous arrivons aux Gentianes, notre étape de la soirée. C’est un hôtel restaurant complètement isolé sur l’immensité du plateau. À coté un deuxième bâtiment a été aménagé en gîte d’étape pour les pèlerins. C’est là que nous allons loger. Le propriétaire des lieux permet à Clémence de s’installer dans ce qu’il appelle la buanderie au rez-de-chaussée de notre bâtiment. C’est juste une pièce nue, encombrée de gravats et glaciale. C’est mieux que dehors sous la pluie mais ce n’est quand même pas bien confortable. Alors, nous décidons de prendre Clémence avec nous dans notre chambre agréablement chauffée. Et comme elle est très sympathique, nous l’invitons même à dîner au restaurant de l’hôtel où nous avons droit à une excellente soupe suivie de saucisse grillée, d’un superbe aligot, du plateau de fromages et d’une délicieuse tarte maison aux myrtilles.

     J17 - Gîte Les Gentianes - Aligot

     

     

     

    J 18 - Lundi 18 septembre. FINIEYROLS - SAINT-CHÉLY-D’AUBRAC
    Pluie                                                                                                                                                                           26 km

     

    C’est aujourd’hui que nous traversons véritablement l’Aubrac. Le ciel est très nuageux mais il ne pleut pas quand nous démarrons. Par contre, il fait froid, sans doute entre zéro et cinq degrés. Les conditions idéales, quoi ! La pluie et le froid accentuent encore la rudesse de ce coin de terre. Malgré cela ou peut-être à cause de cela, c'est une étape MAGNIFIQUE.

    Les quelques hameaux aux belles maisons de granit et les immenses étendues où paissent des troupeaux de vaches font que les deux seuls villages traversés, Nasbinals et Aubrac, malgré leur taille réduite, nous apparaissent comme des oasis. C’est à Nasbinals que nous faisons la pause café et c’est à Aubrac que nous déjeunons sur la place devant le fameux restaurant "chez Germaine", à l’abri de la pluie sous l’énorme tilleul planté là. Mais nous allons boire notre café bien au chaud et au sec au bar d’en face. Nous y retrouvons Amandine qui nous apprend qu’elle a dormi aux Gentianes, mais dehors. Si nous avions su qu’elle était là, nous l’aurions prise aussi avec nous.

    J18 - Rieutord - Abreuvoir de pierre
     

    J18 - Aubrac - Pont sur le Bès

    J18 - Sur le chemin d'Aubrac


    J18 - Arrivée à Aubrac


    Ensuite, il ne reste plus qu'à dévaler les cinq-cents mètres de dénivelée par un chemin boueux et quelques bouts de route pour arriver à notre étape du jour, Saint-Chély-d'Aubrac. Le parcours presque intégralement en sous-bois est très beau. Je me régale de marcher. La pluie se calme et nous arrivons à Saint-Chély avec un rayon de soleil particulièrement bienvenu.

    J18 - Sur la route vers St Chély d'Aubrac


    Il y a du monde ici et ce n’est qu’au troisième essai que nous trouvons juste trois places libres dans une chambre où est déjà installé un couple canadien. Il y a un grand lit pour deux et un petit lit. Sylvie me demande comment on fait et je lui réponds « je préfère dormir avec toi qu’avec Berndt ». 

    C’est ainsi qu’après le repas du soir pris dans un restaurant rempli de pèlerins, nous avons dormi ensemble, bien sagement. Je réalise que je ne suis pas gêné par cette situation comme je l’avais été lors du précédent pèlerinage les première fois où j’avais dormi à coté d’une ou plusieurs jeunes femmes. Je me souviens que je n’étais pas très à l’aise au moment de me déshabiller près d’elles et je percevais que c’était réciproque. Il avait fallu que cela se renouvelle au fil des jours pour s’habituer à cette intimité involontaire et qu’une relation de confiance réciproque s’établisse et nous rapproche encore plus, comme si nous avions surmonté une épreuve commune.

    Ce soir, je réfléchis à tout ça et à la magnifique étape que nous venons de parcourir. C’est la plus belle étape depuis mon départ de Genève. La réputation de l’Aubrac n’est pas usurpée, c’est une région magnifique, sauvage, la nature à l’état pur. Les quelques burons rencontrés dans la montagne ne font qu’accentuer le vide de ces immenses étendues.

    Quant à moi, je suis en grande forme d’autant que le mal aux genoux dont je souffrais depuis des mois s’est complètement évaporé. Après avoir éteint la lumière, je me couche le dernier en faisant bien attention de ne pas toucher Sylvie. Pas gêné mais un peu intimidé quand même.

     

     

    J 19 - Mardi 19 septembre. SAINT-CHÉLY-D’AUBRAC - ESPALION
    Couvert                                                                                                                                                                      25 km

     

    Je n’ai pas très bien dormi. L’oreiller qui n’allait pas et aussi la présence inhabituelle de Sylvie près de moi. Comme quoi…
    Le ciel est toujours couvert mais il fait bien meilleur à cinq-cents mètres d’altitude.
     

    De l’autre coté du pont qui, depuis des siècles, permet aux pèlerins de franchir la Boralde, la vue sur le village qui s’étale sur l’autre versant de la montagne est très belle. Plusieurs cheminées fument alors que nous sommes encore en été. Quel rude pays !

    J19 - Départ de St Chély d'Aubrac - Le pont des pélerins


    J19 - St Chély d'Aubrac

     
    Le chemin descend à travers bois vers la vallée du Lot et, pour la première fois depuis plusieurs jours, il ne pleut pas.
     

    J19 - Le chemin vers St Côme d'Olt

     
    Dans un hameau, nous nous arrêtons à un point de ravitaillement installé par Suzanne pour les pèlerins. Café, thé, petits gâteaux. Même s’il est demandé de verser son obole, c’est agréable et ça fait plaisir. Sylvie se souvient que cet endroit existait déjà quand elle était passée, quatre ans plus tôt. Belle constance de la part de cette vieille dame.

     J19 - L'Estrade - Sylvie et Suzanne

      
    Plus loin, le chemin est barré par deux tracteurs. Grande discussion en cours à laquelle nous nous mêlons. L’un des comparses est un vieux monsieur de quatre-vingt-cinq ans à la belle barbe blanche et à la parole facile et truculente. Il nous parle de ses terres, de l’évolution de sa propriété au fil des ans, de la guerre, de sa famille, et nous présente son gendre assis sur l’aile du tracteur, un gars de la ville qui travaille dans une banque (sic) avec qui il a l’air de bien s’entendre. Un grand moment de vie bien sympathique. Ce sont ces rencontres et ces bavardages qui embellissent les journées des pèlerins.

    Il ne faut pas longtemps pour arriver à Saint-Côme-d’Olt et son original clocher tors ou flammé. Je me souviens en avoir rencontré un à Barran dans le Gers lors de mon premier parcours et je sais qu’il n’y en a que soixante-cinq dans toute la France. C’est un très beau village qui a conservé de vieilles maisons, des remparts et des portes fortifiées.


    J19 - St Côme d'Olt et son clocher tors
    Nous allons manger une pizza dans un petit restaurant. Elle est énorme, tellement grande que je n’arrive pas à la finir.

    Quand nous ressortons, le soleil a fait son apparition pour notre plus grand plaisir. Nous traversons le Lot sur le vieux pont du 16° siècle protégé des violentes crues de la rivière par des avancées de maçonnerie, et filons par une petite route tranquille vers Espalion, à seulement six kilomètres. Nous faisons la connaissance d’Alice, une vieille dame qui ramasse des noisettes le long de la route. Elle est ravie de papoter avec nous. Sylvie est très douée pour faire parler les gens et c’est un régal d’écouter les histoires de cette dame.

    L’arrivée à Espalion se fait le long des rives du Lot et offre de belles vues sur les clochers de la ville et sur le Vieux Palais, bel édifice Renaissance dressé au bord de l’eau.

    J19 - Arrivée à Espalion


    Nous nous arrêtons au gîte communal, juste en face du couvent des Ursulines. Un beau gîte moderne, propre où nous bénéficions d’une chambre pour nous trois.

    Une fois installés, nous allons faire un tour dans ce très beau village où tout est construit en grès rouge. Avec le soleil couchant, le village prend une magnifique couleur orangé. Nous passons à l’église Saint-Jean-Baptiste et traversons le magnifique Pont Vieux du 11° siècle qui enjambe la rivière de ses quatre arches puis nous allons jusqu’à la statue de scaphandrier au bord du Lot érigée à la mémoire de Benoit Rouquayrol, l’inventeur du scaphandre autonome mais, faute de temps, nous négligeons les deux musées de la ville.

     J19 - Espalion - Le pont vieux 12° siècle


     J19 - Espalion - Monument à la mémoire de  Benoît Rouquayrol


    De retour au gîte, nous préparons pour la première fois notre repas que nous partageons avec une Laura et une Clara. Soupe, salade verte et salade de fruits, pour changer des nourritures roboratives englouties jusque là dans les auberges et restaurants où nous sommes passés.

    Nous sommes très bien dans ce gîte et, avec le soleil revenu, sommes très contents de cette étape, bien différente mais tout aussi belle que celles qui ont précédé.

     

     

     

    J 20 - Mercredi 20 septembre. ESPALION - MASSIP
    Beau temps                                                                                                                                                               26 km

     

    Quand nous quittons le gîte, Berndt, Sylvie et moi, la vallée est noyée dans le brouillard. Le chemin suit la rivière jusqu’à Bessuejouls où il passe près de la jolie église romane Saint-Pierre avant de grimper sur le plateau par un sentier raide qui zigzague parmi les chênes blancs.
     

    J20 - Eglise St Pierre de Bessuejouls


    J20 - Sur le GR 65 entre Bessuejols et Beauregard


    Là-haut, le soleil a fini par percer le brouillard et la campagne aveyronnaise est illuminée. 

    J20 - Verrières


    L’arrivée à Estaing sous ce magnifique soleil est un enchantement. Le grandiose château domine le village tassé à ses pieds sur la rive droite du Lot, franchi par le pont gothique qui étire ses quatre arches au dessus de l’eau. Nous allons nous installer à la terrasse d’un bar, au bord du quai, pour notre habituelle pause café du milieu de matinée. Nous sommes vraiment bien au soleil dans ce cadre somptueux.

     J20 - Estaing


    J20 - Pause café à Estaing


    Mais il faut bien repartir. Nous retraversons le pont pour emprunter la petite route qui longe la rivière puis c’est une longue montée au soleil qui nous ramène à nouveau sur le plateau.

    J20 - Panorama depuis Montagut le Haut


    C’est là que nous faisons la pause repas près d’une fontaine à l’ombre d’un immense chêne. Suivie d’une petite sieste…

    J20 - Petite sieste près de Montagut le Haut


    Près de Montégut, au bord de la petite route que nous empruntons, je lis cette petite affiche au sujet de Pépé Catusse qui m'a ému aux larmes. J’aurais bien voulu rencontrer ce brave pépé et parler avec lui.

    J20 - Montagut le Haut - Pépé Catusse


    Plus que quelques kilomètres le long de ce magnifique chemin qui serpente dans la campagne et à travers bois. C'est sans doute dû au retour du soleil mais aujourd'hui j'aurais voulu que l'étape ne finisse pas tellement je me sens bien. Et au moment où j’allais le dire à Sylvie, elle s’apprêtait à me dire exactement la même chose. Étonnante communion d’esprit.

    Je suis vraiment dans le chemin. C’est fort et c’est très bon. Je suis bien avec Berndt et surtout Sylvie avec qui je m’entends si bien.

    J20 - Chemin dans les bois vers Massip 

     

    Nous arrivons à Massip, une ferme isolée où est aménagé le gîte "L’orée du chemin". L’accueil est chaleureux, le gîte est confortable et agréable avec de petites chambres de trois ou quatre lits. En bas, une grande salle à manger où nous nous retrouvons tous. Le dîner en commun avec la quinzaine de pèlerins présents ce soir est délicieux et se déroule dans la bonne ambiance habituelle des auberges de pèlerins. Au dessert, il y a même un petit gâteau d‘anniversaire avec bougies pour Muriel, une jeune suissesse qui fête ses vingt ans. Elle est ravie de cette attention inattendue et nous aussi car elle nous permet d’avoir droit à une tournée d’eau de vie de prune sauvage, spécialité locale, particulièrement parfumée.

     J20 - Massip - La tablée au gîte L'orée du chemin

     J20 - Massip - Gîte L'orée du chemin - Yannick et Muriel qui fête ses 20 ans

     
    Nous retrouvons Clara qui est bien sympathique et faisons la connaissance de Jacopo, l’Italien qui marche depuis son village natal dans le nord de l’Italie, au pied du col du Simplon.

     J20 - Massip - Avec Jacopo

     
    "L’orée du chemin", voilà un gîte dont je garderai un aussi bon souvenir que celui de La Clauze, "Au repos d’antan".

     

     

    J 21 - Jeudi 21 septembre. MASSIP - CONQUES
    Beau temps                                                                                                                                                               23 km

     

    Après cet excellent intermède, nous reprenons notre marche vers Conques, la merveilleuse. Jacopo s’est joint à notre trio. Le chemin passe par quelques jolis villages. À Gonilhac où nous faisons nos courses, nous faisons la connaissance de Mickael, ancien serveur de café sur les Champs Élysées, très bavard et rigolo qui nous envoie à la chapelle Notre-Dame des Hauteurs d’où le panorama sur la vallée du Lot noyée dans le brouillard, en contrebas vaut le déplacement.


    J21 - Gonilhac - Panorama sur la vallée du Lot


     J21 - Gonilhac - Nos ombres sur la route d'Espeyrac


    Plus loin, c’est Espeyrac où nous buvons un café avec Sylvie après avoir perdu Berndt resté en arrière avec un coreligionnaire tandis que Jacopo a filé devant. Puis nous traversons Sénergues et sa tour de garde en ruine.

     J21 - Arrivée à Sénergues

     
    J21 - Cueillette de framboises dans les bois vers Sénergues


    Nous faisons la pause repas dans un champ au bord de la route en regardant passer les autres marcheurs dont trois dames de Lorraine avec qui nous avons bien discuté et même fait une séance de qi-gong car Sylvie est lorraine elle aussi et adepte de cette gymnastique orientale qui associe science de la respiration et maîtrise de l’énergie vitale.

     J21 - Pause repas près de la D42


     J21 - Sur la D42 - Les 3 Lorraines


    Finalement, nous arrivons à un petit panneau de bois qui nous indique de quitter la route pour plonger dans un sentier qui dégringole dans les bois. "Conques 30 mn".

     J21 - Arrivée à Conques


    Trente minutes de descente par un sentier raide et plein de cailloux, mais quel spectacle en débouchant des bois au-dessus du village. Pierres dorées, toits d’ardoise, fleurs, rues pavées se conjuguent pour nous en mettre plein les yeux.

    J 21 - L’arrivée à Conques


    Nous arrivons devant l’abbatiale Sainte Foy et son célèbre tympan du Jugement Dernier. La photo est obligatoire. En posant avec Sylvie et Berndt qui a fini par nous rejoindre, je me souviens de la première fois où je suis venu à Conques avec Hélène en 2010. Un pèlerin était là et se faisait prendre en photo, tout comme nous aujourd’hui. Je le regardais avec admiration et j’ignorais qu’un jour ce serait mon tour. Je suis donc un peu ému d'être là aujourd'hui en tant que pèlerin.

     J21 - Conques - Devant l'abbatiale Ste Foy
    Nous allons ensuite nous installer à l’auberge de l’abbaye où j’étais venu avec Hélène et Michelle en 2014.

    J21 - Conques - Entrée du gîte
     

     J21 - Conques - Dans le gîte
    Il y a beaucoup de monde, le dortoir est plein, mais la plupart sont des pèlerins "de luxe" qui font de petits tronçons en se faisant porter les bagages par les fourgonnettes de Claudine ou de la Malle Postale. Ils sont partis du Puy et vont s’arrêter là ou bien démarrent d’ici pour marcher jusqu’à Figeac ou Cahors.
     

    La salle à manger est pleine elle aussi, ce qui n’empêche pas le service assuré par des bénévoles d’être rapide et efficace.

     J21 - Conques - Les pélerins dans la salle à manger du gîte

    Après le repas, nous allons assister aux vêpres qui sont suivies d’une présentation pleine d’humour par le père Pierre-Régis, supérieur de l’abbaye, du très beau tympan représentant le Jugement Dernier 
    et des si étranges "Curieux" qui l’entourent. Nous y retrouvons Amandine qui a décidé d’arrêter là, fatiguée de porter son gros sac. Milou lui, va très bien.

    J21 - Conques - Le tympan de l'abbatiale Ste Foy

     
    J21 - Conques - Le tympan de l'abbatiale Ste Foy - Les curieux


    La magie continue en nocturne. Après les complies et la bénédiction des pèlerins, le concert d'orgue dans l'abbatiale est envoûtant. L’organiste joue du Polnareff et d’autres musiques profanes de compositeurs célèbres dont "Les portes du pénitencier" de Johnny Halliday.

     J21 - Conques - Prière du soir dans l'abbatiale

     

      

     

    J 22 - Vendredi 22 septembre. CONQUES - LIVINHAC-LE-HAUT
    Beau temps                                                                                                                                                               23 km

     
    Nous sommes nombreux à démarrer par ce beau matin ensoleillé. Berndt a retrouvé son compatriote allemand. Sylvie et moi partons avec Clara que nous aimons bien.

     J22 - Conques - Devant le gîte prêt à partir avec Sylvie et Clara
    Je connais cette étape pour l’avoir parcourue en mars 2014 avec Hélène et Michelle. Descente par les ruelles du village jusqu’au pont moyenâgeux sur le Dourdou au fond de la vallée puis c’est la longue remontée à travers bois jusqu’au plateau de l’autre coté.

     J22 - Conques - Départ du village
     

    J22 - Conques - Sortie du village


    J22 - Conques - Traversée du pont roman sur le Dourdou


    Pour respecter la tradition, tout le monde s’arrête à la chapelle Sainte Foy aux trois-quarts de la montée pour sonner la cloche. À l’époque, l’abbaye répondait en sonnant sa propre cloche mais il y a longtemps que cette coutume n’est plus respectée. Le beau panorama sur le village de Conques a été malheureusement effacé par le brouillard. Il ne reste qu’à continuer notre marche.

     J22 - Conques - Clara à la chapelle Ste Foy


     J22 - Sur le chemin vers Noalhac

     
    Nous passons à Noalhac pour la pause café et les courses et remontons jusqu’à la chapelle Saint Roch sur la crête avec ses magnifiques vitraux puis continuons sur le mouvement de terrain qui offre de belles vues sur toute la région.

    J22 - Noalhac - Chapelle St Roch


     J22 - Sur la route vers Peyrebrune
    Instruit par l’expérience, je propose d’éviter de passer par Decazeville qui n’a aucun intérêt et nous suivons la D580 qui rejoint directement le pont de Livinhac-le-Haut par une descente en pente douce bien tranquille.

    Il est près de treize heures et nous marchons sur une route de campagne bordée de quelques maisons en cherchant un endroit sympa pour s'arrêter et pique-niquer quand nous passons devant une villa dont le portail est ouvert. Sur la pelouse, une table, deux chaises de jardin et un petit banc. Voilà l'endroit qu'il nous faut !

    Nous sonnons et demandons la permission. Très gentiment, Francine, la propriétaire des lieux nous laisse utiliser sa table de jardin et nous propose même des figues. C’est l'ambiance du Chemin et la magie du mot pèlerin qui ouvre toutes les portes. 

      J22 - Peyrebrune - Pause repas chez l'habitant

     
    Nous arrivons très vite au pont sur le Lot. Livinhac-le-Haut est juste de l'autre coté.

    J22 - Traversée du Lot sur la route vers Livinhac le Haut
     

     J22 - Clara à l'entrée de Livinhac le Haut


    À Livinhac-le-Haut, le gîte communal est sur la place du village, tout à coté de la boulangerie et de la boucherie. On ne peut pas être mieux placé. L’accueil y est très cordial. Nathalie, la responsable, est très arrangeante et nous installe dans une jolie chambre de trois lits. L’église est juste en face. Nous sommes aux premières loges pour entendre sonner les heures, les demi-heures et les quarts d’heures. Pourvu que ça ne sonne pas toute la nuit. Nous découvrons derrière l’église un local d’accueil des pèlerins où trois dames bénévoles dont une religieuse nous offrent boissons et petits gâteaux et tamponnent nos Créanciales. Elles sont charmantes et se mettent en quatre pour nous, aussi nous y restons un bon moment à discuter avec elles.

    J22 - Livinhac le Haut - Accueil des pélerins


    Nous décidons de nous préparer le repas et faisons les courses en conséquence. Et comme Nathalie nous prête le barbecue du gîte, nous faisons griller un rôti d’agneau pour accompagner notre salade de tomates et avocats et la salade de fruits. Nos voisines ont ramassé des châtaignes le long du chemin et les ont faites bouillir pour agrémenter leur menu. Nous dînons tous ensemble et c’est à nouveau une de ces soirées magiques du chemin qui ne peut que donner envie de continuer.

     

     

     

    J 23 - Samedi 23 septembre. LIVINHAC-LE-HAUT - FIGEAC

    Beau temps                                                                                                                                                               23 km

     

    Les cloches se sont gentiment arrêtées de sonner à vingt-deux heures et n’ont recommencé qu’à sept heures du matin, nous permettant de passer une bonne nuit. Nous démarrons avec Jacopo tandis que Clara qui a mal aux pieds reste en arrière. Le brouillard cache tout le paysage mais c’est une promesse de beau temps. Au village de Montredon, nous sommes au-dessus de la couche et le soleil brille sur cette belle campagne de grands pâturages où paissent des vaches. Dans chaque prairie, il y a aussi un taureau et on se demande pourquoi c’est ainsi dans cette région. Nous posons la question à des agriculteurs rencontrés sur la route. Ici on produit des veaux pour la boucherie et le taureau est là pour féconder les vaches quand c’est le bon moment. Tout simplement.

     J23 - Chemin vers St Jean Miraval - Max, Jacopo et Berndt


    Nous traversons plusieurs jolis villages.

    À Saint-Félix, nous nous arrêtons devant l’église pour manger sur les tables de pique-nique installées dans le petit jardin. Tout à coté, près du monument aux morts, une plaque est apposée en souvenir d’une famille qui a été fusillée par les Allemands en 1943, les parents et leurs trois enfants de quatorze, douze et huit ans. Berndt qui est allemand, est bouleversé. C’est un historien et il est très concerné par cette triste période qui est occultée dans son pays. Il a fait des recherches sur les cinquante-deux familles juives qui vivaient dans sa ville de Bielefeld. Certaines ont été exterminées dans les camps tandis que d’autres avaient réussi à quitter le pays. Ayant retrouvé l’un d’entre eux aux États-Unis, il l’a fait venir pour participer à une conférence organisée par lui et parler de ce qu’il avait vécu. Il nous raconte cette conférence où toute la population était venue et écoutait religieusement l’orateur de quatre-vingt-treize ans parler sans acrimonie de ses souffrances.

     

    À Saint-Jean-de-Mirabel, nous passons voir la jolie église du 13° siècle et son original portail d’entrée avant de reprendre notre route le long de la D2. La plaque avec le joli poème à la gloire des pèlerins est toujours à sa place contre le mur d’une propriété.

    J23 - Route de Figeac - Poème à la gloire du chemin

     
    En suivant la petite route de campagne qui descend directement vers Figeac, nous passons près d’une belle cazelle construite au milieu d’un champ. Les cazelles sont des cabanes construites en pierres sèches qui servaient autrefois à abriter le berger des intempéries, à entreposer de l’outillage, voire même à abriter les moutons. Les cazelles, constructions typiques du département du Lot, s’apparentent aux trulli du sud de l’Italie ou aux bories de Provence.

    J23 - Route de Figeac - Cazelle


    Nous arrivons tranquillement à Figeac aux alentours de quinze heures et allons nous installer au Carmel car c’est là que les personnages du livre "Le vestibule des causes perdues" de  Manon Moreau que j’ai adoré, passent la nuit et je voulais le voir en vrai. Les religieuses ont été remplacées par un couple d’Anglais certes sympathiques et serviables mais ce n’est pas aussi magique et si le jardin intérieur existe bien, par contre le figuier a disparu.


     J23 - Arrivée à Figeac


    Nous avons tout le temps d’aller visiter cette jolie ville avec ses rue tortueuses, sa halle ancienne, ses trois églises et l’originale place des Écritures dont le sol est recouvert d’une immense reproduction de la pierre de Rosette avec le même texte écrit en hiéroglyphes, en grec et en égyptien démotique, particularité qui a permis à Champollion de déchiffrer ces fameux hiéroglyphes.

    Nous allons aussi dans la cathédrale Saint-Sauveur voir l’ancienne salle capitulaire décorée de tableaux en bois polychrome.

     J23- Figeac - L'église St Sauveur - La salle capitulaire

     
    Nous buvons un verre sur la place Champollion, face au merveilleux musée de l'écriture, au milieu des Figeacois, avant d’aller dîner dans un petit restaurant pour célébrer notre amitié et se dire au revoir car demain on se sépare.

    J23- Figeac - La place Champollion


    Il y a Berndt, Jacopo que je reverrai peut-être, Mathias et bien sûr Sylvie. Ils s'arrêtent ou continuent sur le chemin normal vers Cahors tandis que je vais bifurquer vers Rocamadour. C’est un nouveau chemin qui va commencer pour moi.

     

    Nous retournons au Carmel où six femmes occupent les huit places disponibles. Berndt et moi sommes les seuls hommes. Rien n’a changé, il y a toujours autant de femmes sur le chemin. C’est ma dernière nuit avec Sylvie. On s’embrasse avec une certaine émotion avant de s’endormir l’un près de l’autre.

     

     



    13 - DE FIGEAC À CASTELNAU-SUR-L'AUVIGNON
    PAR ROCAMADOUR

     

    Je voulais passer par Rocamadour, ce grand centre de pèlerinage où est vénérée une autre Vierge noire depuis le 12° siècle. Ce détour bénéficie du balisage du GR 6 pour rejoindre Rocamadour puis du GR 652 jusqu’à La Romieu. Il traverse une région magnifique, le Quercy, puis franchit à nouveau le Lot avant d’atteindre la Garonne à Agen et retrouver le GR 65 un peu plus loin.

    Par contre, il est peu fréquenté et les hébergements y sont rares, imposant de longues étapes, et chers car pas vraiment prévus pour les pèlerins.

     

     

    J 24 - Dimanche 24 septembre. FIGEAC - THÉMINES
    Beau temps                                                                                                                                                               33 km

     

    Il faut se lever et se préparer sans bruit car nos compagnes de la nuit qui s’arrêtent là ne sont pas pressées de se réveiller. Comme les autres jours, Sylvie et moi faisons notre toilette ensemble avant de descendre prendre notre petit-déjeuner avec nos hôtes anglais.

    Pincement au cœur quand il faut se quitter. Dix jours ensemble quand on s’entend si bien, ça compte. Je l’embrasse et elle me serre longuement dans ses bras puis je m’éloigne le long des rives du Célé. Je me retourne plusieurs fois. Elle est toujours sur le pas de la porte du Carmel. Un dernier salut de la main et je tourne le coin de la rue pour traverser le pont et marcher à travers la ville déserte vers les marques rouges et blanches du GR 6 qui vont me guider vers Thémines, ma première halte sur le chemin vers Rocamadour. Je me concentre sur ces marques pour oublier ma pointe de tristesse.

    C’est une longue étape de trente-trois kilomètres par des chemins et des petites routes qui traversent une belle région. Je marche sur le causse de Gramat, ses paysages de bois de chênes et ses champs aux murs de pierres sèches. Je traverse le village de Cardaillac, ancienne place forte moyenâgeuse où subsistent encore la tour de Sagnes et la tour de l’horloge.

    J24 - Cardaillac - Lac des Sagnes


    Au-delà, le parcours est un peu compliqué. Je ne sais plus très bien où je suis sur ma carte et, de ce fait, je ne peux pas me permettre de couper alors que j’ai l’impression que le chemin fait des détours. Dans les bois après Saint-Bresson, je rencontre Marguerite, une vieille dame qui monte tous les jours à sa grange, sept kilomètres aller-retour, et qui est bien contente de parler un moment avec moi.

    J’arrive à La Capelle-Marival aux alentours de midi. Le village est dominé par l’imposante silhouette de son château du 13° siècle, avec son massif donjon carré, ses mâchicoulis et ses échauguettes.

     J24 - La Capelle Marival - Chateau du 13° siècle
    C’est devant l’entrée de la mairie que je me pose pour manger mon repas, bien installé sur un banc à l’ombre du bâtiment.

    J24 - La Capelle Marival - Pause repas au pied du chateau

     
     J24 - Rudelle - Eglise St Martial 13° siècle


     J24 - Près de Thémines

    La suite du parcours est plus accidentée avec beaucoup de montées mais le paysage se dégage nettement. Il est quand même plus de dix-sept heures quand j’arrive enfin à Thémines, petit village situé près de la perte de l’Ouysse. Je loge dans une chambre d’hôtes aménagée dans une grande bâtisse à l’entrée du village.

    J24 - Thémines - Le gîte


    Quasiment un appartement avec une cuisine et une très grande chambre. Quand ma logeuse arrive en fin de journée, j’ai eu le temps de me doucher, de m’installer et mon linge est en train de sécher au soleil. Je vais faire un tour dans le village et découvre qu’il y a un gîte où se sont arrêtées Éléonore et Astrid, deux Parisiennes qui étaient avec moi à Conques et à Livinhac-le-Haut. Elles sont attablées à la terrasse avec le patron, le maire et sa femme et je me joins à eux pour déguster un excellent vin aux plantes des bois qui a un agréable petit goût d’amande amère en écoutant les histoires rocambolesques de la commune racontées par le maire, un homme sympathique, plein d’humour et à l’accent rocailleux.

    De retour "chez moi", je réponds au texto de Sylvie qui, revenue dans sa Lorraine natale, prend de mes nouvelles. J’ai perdu l’habitude d’être tout seul. 

     

     

     

    J 25 - Lundi 25 septembre. THÉMINES - ROCAMADOUR
    Pluie                                                                                                                                                                           23 km

     

    Après les magnifiques journées ensoleillées de ces cinq derniers jours, la pluie fine qui tombe dès mon départ me paraît particulièrement désagréable. J’emprunte la route pour éviter les détours du chemin balisé et arrive au Breil. Dans la traversée du village, je perds une des chaussettes qui séchait sur mon sac. Un automobiliste qui passait l’a ramassée et me l’a gentiment ramenée. C’est vraiment sympa car je ne m’en étais pas aperçu. Après le village, sur les conseils du gérant du gîte de Thémines, j’emprunte l’ancien itinéraire du GR 6 qui va directement à Gramat.

    La petite ville ne me plaît pas, peut-être à cause de la pluie qui ne l’embellit pas, peut-être à cause du trajet que j’ai suivi à travers des quartiers tristes et déserts sans aucun magasin où faire mes courses ni aucun bar où faire une pause. Les marques rouge et blanche réapparaissent là où je ne les attends pas et suivent un parcours étonnant. Ce n’est qu’à la sortie de l’agglomération, là où le chemin s’enfonce dans les bois que je comprends grâce à un panneau "fin de déviation" que des travaux dans la ville ont imposé une modification du trajet.

    Deux ou trois kilomètres plus loin, le sentier plonge dans les gorges de l’Alzou, un véritable canyon encaissé entre des parois à pic et envahi par une végétation abondante. La rivière est à sec, ce qui n’a pas dû être toujours le cas comme l’atteste la présence de plusieurs moulins construits sur des sites improbables dont le moulin du Saut à un spectaculaire resserrement des rochers. Je m’arrête pour manger au moulin de Tournefeuille dont il ne reste que quelques pans de mur.

    J25 - Gorges d'Alzou - Moulin du Saut


    J25 - Gorges d'Alzou - Pause repas aux ruines du moulin Tournefeuille


    Finalement, après un très joli parcours, la gorge s’élargit et on débouche dans le vallon au pied de Rocamadour. Dommage qu’il ne fasse pas beau mais au moins il ne pleut pas. La basilique est tout là-haut, accrochée au rocher, au pied d’une falaise verticale et le village s’étire sur les flancs du vallon. C’est un site très pittoresque.
     

     J25 - Arrivée à Rocamadour


    Il faut monter par des rues escarpées jusqu’à la vieille ville dans laquelle j’entre par la porte de l’Ouest. Pour atteindre le gîte il faut encore grimper le Grand Escalier, parcours final emprunté par les nombreux pèlerins qui viennent de toute la France pour vénérer la Vierge Noire, certains le faisant à genoux. Je n’irai pas jusque là, c’est déjà bien assez dur en marchant.


    J25 - Rocamadour - Le grand escalier


    J25 - Rocamadour - Le village

     
    Le gîte "Le Cantou" niché sous les falaises appartient à une congrégation de religieuses. Il n’y a qu’un petit dortoir de sept places et un joli jardin en balcon qui domine toute la vallée. Pendant que je vaque tranquillement à mes occupations de chaque soir, Éléonore et Astrid arrivent et s’installent avec moi. Éléonore reste très distante, pas très sympa mais heureusement, Astrid compense par sa gentillesse et son sourire. Une fois mon linge étendu au soleil, je pars visiter cette belle cité en commençant bien sûr par les différentes églises et chapelles imbriquées les unes dans les autres : la basilique Saint Sauveur, la crypte de Saint Amadour et surtout la chapelle Notre Dame où trône la Vierge noire vénérée par les marins. Le sanctuaire est envahi de touristes. Ce n’est pas pour rien que Rocamadour est le cinquième site le plus visité de France.


     J25 - Rocamadour - Le sanctuaire de la Vierge noire


    Je traverse le vallon et grimpe sur la route en face pour bénéficier d’une belle vue d’ensemble sur le site puis reviens déambuler dans la rue principale et ses innombrables magasins de souvenirs où il y a aussi tout ce qu’il faut pour manger et boire.

    J25 - Rocamadour

    Mais dès que le soir arrive, la foule des touristes repart dans ses bus et ses voitures, beaucoup de boutiques ferment, et Rocamadour retrouve une tranquillité reposante. Je n’avais pas anticipé que cette fermeture serait aussi totale et ne peut acheter à manger pour le lendemain ni dîner vite fait dans un snack. Il ne me reste que le restaurant chic d’un grand hôtel où je mange certes très bien mais pour bien plus cher que ce que j’avais escompté.

     

    L’étape d’aujourd’hui s’est très bien passée malgré la pluie du matin mais je suis un peu déçu par Rocamadour. Pourquoi ? C’est indéfinissable. La grisaille, la foule des touristes, le prix de mon repas du soir, la solitude dont j’ai perdu l’habitude ? La combinaison de tout ça sans doute. 

     



    J 26 - Mardi 26 septembre. ROCAMADOUR - GOURDON
    Couvert                                                                                                                                                                      28 km

     

    L’abondant petit-déjeuner préparé par les religieuses me permet de me faire un sandwich que j’emporte pour mon repas de midi. Et Denis, l’hospitalier du gîte m’indique un bar juste après la traversée de la RN 20. Les petits problèmes trouvent toujours une solution sur le chemin.

    Je quitte la vieille ville et descend dans le vallon de l’Alzou et le suit. Plus loin, le chemin monte sur une crête. Au sommet, le calvaire de la Vitarelle orné d’une coquille Saint Jacques et du sceau de l’abbaye de Rocamadour marque les limites de son territoire.

     J26 - Au calvaire de La Vitarelle


    De l’autre coté, le chemin redescend dans la vallée de l’Ouysse qui réapparaît. Ici, il y a beaucoup d’eau alors que c’est un mince filet d’eau qui disparaît près de Thémines. Il doit y avoir d’immenses réserves sous le plateau calcaire. 

    Je franchis l’autoroute A20 puis continue par un chemin agréable qui avance dans les bois. Au début, les arbres sont essentiellement des chênes sur le sol calcaire des causses puis, soudainement, après la traversée de l’ex RN 20, ce sont des châtaigniers qui constituent l’essence principale.

     

    Le bar indiqué par Denis est annoncé par des panneaux. Mais en arrivant sur place, je m’aperçois que c’est plus une brocante qu’un bar, à voir les vélos rouillés, les vieux outils et autres ferrailles qui traînent un peu partout. Ce n’est pas très engageant. Dilemme résolu, c’est fermé. Je vais un peu plus loin, hors de vue de cette espèce de dépotoir pour grignoter mon sandwich avant de continuer d’avancer par ce très bucolique chemin qui débouche finalement au village du Vigan. Petite pause café et je repars pour les derniers kilomètres vers Gourdon. Mais Gourdon est assez étendue et l’entrée dans l'agglomération n’en finit plus. La ville est construite sur une colline dominée par l’église Saint Pierre. Les rues pavées de la partie ancienne se serrent tout autour et on peut y voir de nombreuses maisons d’époque dont la maison du Sénéchal, magnifique demeure Renaissance qui abrite un oratoire décoré de fresques religieuses et dont la plupart des pièces sont pourvues de superbes plafonds peints.

     J26 - Gourdon


    Je passe devant la chapelle des Indulgences quand je reprends ma marche vers une zone commerciale à deux kilomètres du centre ville. Il y a un Intermarché où je fais mes courses avant de rejoindre la chambre d’hôtes où j’ai téléphoné ce matin qui se trouve près de là.

    Il est plus de dix-sept heures quand j’arrive à une belle maison au milieu d’un grand jardin.

    J’y bénéficie d’une grande chambre confortable et la propriétaire des lieux m’offre un demi panaché et me propose sa machine à laver et son sèche-linge pour ma lessive quotidienne.

    Je prépare mon repas avec les provisions achetées au supermarché. N’ayant pas à les porter longtemps, je me suis fait plaisir avec quelques petites choses que j’adore. La gourmandise n’est pas un défaut, c’est même une qualité.

    Il y a une grande carte au 1/25000° dans la salle à manger sur laquelle je repère un itinéraire direct pour sortir de la ville et rattraper le GR 652 que je suivrai le lendemain, découverte d’autant plus intéressante qu'il y aura trente-deux kilomètres à parcourir.

    Encore une belle étape dans une région magnifique. Mais ce soir, les contractures au pied gauche sont revenues et, plus embêtant, j’ai aussi mal au genou droit. Heureusement, ça se calme avec du repos. Je me masse longuement au Voltaren avant de me coucher.

     

     

     

    J 27 - Mercredi 27 septembre. GOURDON - GOUJOUNAC
    Beau temps                                                                                                                                                               32 km

     

    À partir d’ici, je commence à redescendre vers le sud-ouest en suivant un itinéraire que j’ai dû adapter pour passer par les villages où je pourrai dormir sous un toit.

     

    La journée avait bien commencé. La chambre d’hôte était sur la bonne sortie de la ville. Les deux kilomètres supplémentaires de la veille ne sont plus à faire ce matin. Il fait beau et frais et j’emprunte le parcours repéré sur la carte qui passe par une petite route qui m’amène au village de Costeraste où je retrouve comme prévu les marques du GR 652.
     

    J27 - Anes sur la route vers Costeraste


    J27 - Chêne sur la route vers Costeraste

    C’est là que tout se gâte. Je pars sur le trajet du GR mais dans le sens opposé qui me ramène vers Gourdon ! Une erreur grossière ! Je sentais bien que quelque chose clochait, que je n’allais pas dans la bonne direction par rapport au soleil mais j’ai quand même attendu d’avoir parcouru deux kilomètres avant de réagir ! Presque une heure de perdu et tout le bénéfice du raccourci évaporé !

    Pour compenser, je décide de couper au plus court par un itinéraire encore plus direct que je trace sur ma carte pour rejoindre Goujounac, le petit village où se trouve l’hébergement de ce soir. Je vais marcher sur de petites routes à travers cette très belle région du Quercy, ses bois de chênes, ses mignons petits villages, et ses très belles bastides remarquablement restaurées.

    J27 - Mazerac - En marche vers Bourbon


    Je m’arrête à Bourbon, un très joli hameau aux maisons de pierre sèches, aux toits de lauze et aux si pittoresques pigeonniers. Une dame recomplète ma réserve d’eau et je m’installe sur un petit muret au soleil pour manger. Un beau chat roux très affectueux vient me rejoindre, plus attiré par le parfum des bonnes choses que j’ai déballées de mon sac que par ma bonne mine.

     

     J27 - Bourbon - Pause repas


     J27 - Les Arques - A la chapelle des Aubépines

     
    Malgré la beauté des paysages traversés, l’étape est longue d’autant que la route que j’emprunte monte et descend sans arrêt pour passer d’un vallon à l’autre. De nouveau, il est plus de dix-sept heures quand j’arrive à Goujounac, joli petit village avec ses maisons de pierres dorées et son église Saint-Pierre-ès-Lens du 13° siècle. L’hostellerie de Goujounac est sur une petite place avec une belle terrasse protégée du soleil par une treille du plus bel effet. C’est un ancien relais des postes remarquablement aménagé par un couple de Néerlandais. Je suis le seul client de l’hôtel mais, le soir au restaurant, une autre table est occupée par six clients hollandais qui ont dû venir en voisins.

    J27 - Goujounac - L'hostellerie


    Dans la soirée, je discute avec le patron de mon parcours et lui dis que je n’ai pas trouvé d’hébergement le lendemain à Moiroux où j’ai prévu de passer. Il connait une hostellerie comme la sienne là-bas tenue par un Belge et me donne le numéro de téléphone que j’appelle aussitôt. Pas de problème, une chambre m’attendra demain. Me voilà sauvé. Je vais dérouiller coté finances mais il n’y a rien d’autre dans les environs. Je n’ai pas le choix à moins de faire comme Élodie. Au fait qu’est-ce qu’elle devient ? Je l’appellerai demain.

    J’ai eu encore mal au pied aujourd’hui. Par contre je n’ai pas eu mal aux genoux. J’en parle à Michel qui me téléphone. Il me dit que c’est provoqué par un manque de sels minéraux et me conseille de boire de la Vichy Saint-Yorre qui en contient beaucoup.

     

     

     

    J 28 - Jeudi 28 septembre. GOUJOUNAC - MOIROUX

    Beau temps                                                                                                                                                               24 km

      

    Je suis parti sans petit-déjeuner ce matin car l’hôtel n’ouvre pas si tôt et suis sorti, alors qu’il ne fait pas encore jour, par une porte dérobée après avoir caché la clé à l’endroit indiqué par le patron. Ça ressemblait à un départ à la cloche de bois !

    Sur la route qui me conduit à la Pomarède, je cueille des pommes qui tiendront lieu de petit-déjeuner. Le mal au pied m’embête beaucoup bien qu’il ne me gêne pas vraiment. Je me force à marcher plus lentement et je fais des pauses plus fréquentes, quasiment toutes les heures. Sous un ciel d’un bleu parfait, j’arrive à Puy-L’évêque vers dix heures trente après un parcours de neuf kilomètres tout en descente sur la D44. J’entre dans l’église Saint-Sauveur qui domine la ville. Comme partout ailleurs depuis mon départ, j’allume un cierge en pensant à celles et ceux de mon entourage qui ont besoin qu’on pense à eux.
    Dans la boulangerie voisine, j’achète un pain au chocolat, deux sandwiches et une baguette. Pour compléter, avant de traverser le Lot, je bois un café au lait à la terrasse ensoleillée d’un bar. Me voici remis à niveau.

    Je ne connaissais pas cette jolie ville. Depuis l’autre rive du Lot, j’admire la belle vue. L’église Saint-Sauveur tout là-haut et le château de la Lychairie qui dominent la vieille ville et ses rues pavées se reflètent dans les eaux calmes de la rivière. Le quai de la Cale, de l’autre coté était autrefois un port très actif par où transitait le charbon de la région de Decazeville mais aujourd’hui, seuls des bateaux de plaisance y font escale.
     

    J28 - Puy l'Evêque - Devant le beau panorama depuis l'autre rive du Lot

     

    Je repars sur la D5 qui traverse les vignobles des vins de Cahors avant de grimper sur le plateau, en cueillant quelques grappes au passage pour me désaltérer.
     

    J28 - Puy l'Evêque - Dans les vignobles des vins de Cahors

     

    J28 - Vignobles du Cahors


    Il commence à faire vraiment chaud. Arrivé là-haut, je découvre un endroit parfait pour ma pause, une belle pelouse à l’ombre de plusieurs épicéas. Un vent léger me rafraîchit agréablement. Il fait bon. Je me déchausse et passe du Voltaren pour soulager le pied gauche qui me lance à nouveau puis je mange avec plaisir le délicieux sandwich au thon acheté ce matin. Un morceau de chocolat au lait et une pomme complètent ce bon repas. Allongé dans l’herbe à l’ombre de ces beaux arbres, je me laisse aller à une petite sieste réparatrice. J’ai tout mon temps aujourd’hui avec cette courte étape.

    Quand je repars une heure plus tard, le mal au pied s’est calmé. Je passe Capelle-Cabana et arrive très vite à l’hostellerie "Le Vert" installé peu avant le village de Moiroux, à l’écart de la route. C’est un hôtel de charme au cœur d’un vaste parc planté d’arbres centenaires aménagé dans un ancien domaine viticole du 17° siècle tout en pierres dorées et toits de lauzes. L’endroit est magnifique et je suis accueilli avec beaucoup de gentillesse par Eva et Bernard, les propriétaires des lieux. Après m’être installé dans l’une des six chambres belles et confortables, je n’ai rien d’autre à faire que m’asseoir sur la terrasse ensoleillée pour rédiger mon journal en sirotant un demi panaché bien frais. Les deux chats de l’hôtel viennent me tenir compagnie et font leur sieste sur une chaise à coté de moi. La vie est belle.

    J28 - Mauroux - Le chat de l'hôtel


    J’ai aussi appelé Élodie et Clara pour savoir où elles en sont. Elodie va bien et est arrivée à Estaing. Belle performance. Quant à Clara, elle s’est arrêtée une journée à Cahors pour reposer ses pieds et pense terminer à Moissac. Je ne la reverrai donc pas.

     

     

    J 29 - Vendredi 29 septembre. MOIROUX - PENNE-D’AGENNAIS
    Beau temps                                                                                                                                                               29 km

      

     J29 - Mauroux - Lever du jour
    C’est encore une belle journée ensoleillé et je marche avec plaisir dans la fraîcheur du matin après l’excellent petit-déjeuner que le patron belge ne m’a pas fait payer. Un petit geste très sympa de sa part. Je traverse le village de Moiroux bien désert et continue sur la D5. C’est une étape entièrement sur route comme les deux jours précédents. C’est peut-être pour ça que le mal au pied est revenu. Mais je n’ai pas le choix si je veux raccourcir la distance à parcourir. En suivant le GR 652, ce serait trente-deux kilomètres aujourd’hui. Je bifurque par Thézac où je peux boire un café en discutant avec une dame âgée très dynamique qui s’investit pour sa petite commune de deux-cents habitants.

     J29 - Sur le chemin vers Cazideroque


    J29 - Cazideroque


    Je passe à Boulens puis Cazideroque. Peu avant ce dernier village je rencontre une dame qui va à sa boite aux lettres. Elle est étonnée de me voir avec mon sac à dos et nous parlons. Je lui dis que je suis un pèlerin en route pour Compostelle ce qui déclenche des tas de questions. Puis, soudain, elle me dit : « je parle, je parle mais vous n’avez peut-être pas encore mangé ? ». À ma réponse négative, elle m’invite très spontanément à déjeuner chez elle où je fais la connaissance de son mari qui est tout sourire. Le repas est simple mais nous discutons beaucoup car elle et son mari sont curieux de mon entreprise. Je repars une heure et demie plus tard, rassasié, et surtout très heureux de ce moment de partage et d’amitié.

     

    Il fait de plus en plus chaud et je m’arrête à Dausse pour boire un Coca bien frais qui me redonne de l’énergie. Penne d’Agenais est sur un promontoire au bout d’une chaîne de collines. Que je passe par le GR ou par la route, il faut monter jusque là haut et la côte paraît bien plus dure sous le soleil.

    J29 - Arrivée à Penne d'Agenais


    C’est un beau village médiéval construit sur un site stratégique à l’histoire mouvementée. Il a connu les guerres de religion au moment de l’hérésie cathare, passa plusieurs fois entre les mains des Anglais pendant la guerre de Cent Ans et subit même une épidémie de peste en 1653. La chambre d’hôte où je loge est près du centre du village, aménagée dans une ancienne école communale qui domine la plaine d’où son nom, le Préau de l’horizon.
     

    J29 - Penne d'Agenais - La chambre d'hôte Le Préau d'horizon


    Le propriétaire est un ancien instituteur et les grandes chambres occupent les anciennes salles de classe. Elles sont décorées en rappelant leurs origines avec beaucoup de goût. C’est un très bel endroit.

     

    Après m’être installé et rafraîchi, je vais me promener dans les rues du village et je monte au sommet de la colline visiter Notre-Dame de Peyragude, sanctuaire dédié à la Vierge Marie et érigé pour enrayer l’épidémie de peste de 1653. C’est un beau monument très coloré pourvu d’une coupole qui lui donne une allure byzantine. De là haut, la vue sur les vallées du Lot et du Boudouyssou est saisissante.

    J29 - Penne d'Agenais - Notre Dame de Peyragude - Détail du tympan


     J29 - Penne d'Agenais - Panorama vers l'ouest depuis Notre Dame de Peyragude

     
    Je dîne à la terrasse d’un petit restaurant sur la place du village. À coté, la porte de la ville a bien meilleure allure sous les projecteurs que sous le soleil de l’après-midi.

    J29 - Penne d'Agenais - La porte de la vieille ville
     

    Je rentre me coucher, content de ma journée. Malgré tous ces kilomètres sur le goudron, le mal aux genoux n’est pas revenu et la contracture au pied gauche ne m’a pas trop fait souffrir. Et le repas de midi pris chez ces braves gens de Cazideroque m’a fait vraiment plaisir. J’ai quand même souffert de la chaleur pendant l’après-midi et en particulier dans la dernière montée. Il paraît qu’il faisait vingt-huit degrés. Quelle différence avec les presque zéro degrés rencontrés dans le Massif Central.

     

     

     

    J 30 - Samedi 30 septembre. PENNE-D’AGENNAIS - MADAILLAN
    Pluie                                                                                                                                                                           27 km

     

    Je suis sans doute puni pour avoir râlé à propos de la chaleur d’hier après-midi car c’est un changement complet de temps ce matin. Il pleut et il fait froid. Quel contraste. Je pensais faire mes courses au pont de Penne mais le chemin n’y passe pas et je n’ai pas envie de faire le détour. Je démarre cette étape sans aucune provision mais j’ai eu un excellent petit-déjeuner.

    J30 - Penne d'Agenais - Départ sous la pluie


    En longeant un verger, je cueille quelques pommes. Petite réserve au cas où.

    Le chemin bien boueux grimpe dans les bois puis suit une longue ligne de crête. J’abandonne le tracé balisé qui s’infléchit vers Pujols en bordure de Villeneuve-sur-Lot car j’ai décidé de couper tout droit par Saint-Antoine-de-Ficalba, Castella et Lavedan. La pluie ne s’arrête pas.

    Il est presque onze heures quand j’arrive à Saint-Antoine où je trouve un bar ouvert. Alléluia. La patronne me propose un café et des tartines beurrées que j’accepte avec plaisir et je repars avec un beau sandwich en réserve. Voilà une halte d’autant plus appréciée qu’elle était inattendue.

    La pluie ne se calme que bien après Castella pour finalement s’arrêter quand je retrouve le balisage du GR à un carrefour. J’en profite pour faire la pause repas, bien installé au pied d'un chêne au bord de la petite route.

     J30 - Pause repas avant Lavedan


    Il est seize heures quand j’arrive à La Michelle, une ferme isolée sur le territoire de la commune de Madaillan aménagée en chambres d’hôtes. J’avais téléphoné la veille pour m’assurer qu’on pouvait me recevoir et la propriétaire des lieux m’avait dit que son gîte était complet à cause des invités d’une noce ayant lieu ce samedi dans les environs. Mais comme j’étais un pèlerin, elle se débrouillerait pour me loger.

    La maison est magnifique, immense avec des recoins partout, très agréable. Une maison avec une âme.

    Je suis accueilli par Katia, charmante, souriante, sympathique et très tonique, qui me reçoit comme un ami ou un membre de la famille. Elle prend le temps de s’asseoir avec moi pendant que je bois le verre de jus d’orange qu’elle m’a proposé dès mon arrivée. Elle a réglé le problème de mon hébergement en me donnant la chambre de sa fille qu’elle a envoyée dormir chez une copine. Si ce n’est pas de l’hospitalité, ça.

     J30 - Madaillan - Gîte Chez Katia


    Après m’être installé dans une vraie chambre de fille, avec des tas de fanfreluches roses, je redescends rejoindre Katia dans l’immense pièce à vivre, à la fois salon, salle à manger et cuisine. Un endroit très agréable, clair et ouvert sur la campagne environnante. En contrebas, près d’un étang où nagent quelques canards, deux chevaux broutent paisiblement. Katia bavarde avec moi tout en préparant le repas devant ses fourneaux de professionnel. Les chats de la maison font leur apparition. « Qui c’est celui-là ? » semblent-ils penser. Le plus sauvage est le noir qui me reluque depuis la porte sans entrer tandis que le noir et blanc et le gris osent s’approcher et même se laisser caresser au bout d’un long moment d’observation.

     J30 - Madaillan - Gîte Chez Michelle - L'un des 3 chats


    C’est vraiment une maison où on se sent bien, me dis-je en écrivant mon journal tout en parlant avec Katia.

    Marcel le mari, arrive en fin de soirée. Lui aussi est très agréable, souriant, dynamique. Ils sont bien assortis ces deux là et le dîner en leur compagnie est un très bon moment d'autant que Katia est aussi une excellente cuisinière.

    Pour l’étape suivante, elle me suggère de m’arrêter à Moirax où il y a un gîte communal au lieu d’Aubiac où j’avais prévu d’aller. Même distance et juste quelques kilomètres d’écart. De toute façon, je n’arrivais pas à contacter la chambre d’hôtes repérée sur Internet tandis que la responsable de Moirax répond à mon appel. J’irai donc à Moirax.
     

     

     

    J 31 - Dimanche 1° octobre. MADAILLAN - MOIRAX
    Couvert                                                                                                                                                                      24 km

     

    Je repars de ce havre de paix sous un ciel gris pas très engageant après avoir chaleureusement remercié Katia pour son accueil. Cela fait chaud au cœur d’être reçu de cette manière, avec simplicité et gentillesse, même si, bien sûr, il faut payer son écot.

    C’est l'un de mes deux meilleurs hébergements avec celui d’Annette à Valencogne. Mon moral est en haut de l’échelle tandis que je marche sur le chemin qui m’amène directement à Agen montant et descendant des collines noyées dans le brouillard.

    J31 - Madaillan - Pigeonniers
     

    J31 - Sur le chemin d'Agen


    Voilà. Cela fait un mois que je marche et tout va bien.
     J’ai atteint la Garonne qui constitue le troisième repère intermédiaire de mon parcours.  Je n’ai pas vu le temps passer, j’ai vécu des moments magnifiques et j’ai fait de belles rencontres. Le chemin a tenu ses promesses et m’a enchanté jusque là. 

    J’arrive au bord du coteau de l’Ermitage au pied duquel s’étale la ville d’Agen. C’est la ville natale de Francis Cabrel, Nostradamus y a séjourné et Montesquieu y a passé son enfance.
     J31 - Arrivée à Agen

    Je m’arrête au point de vue qui domine la large vallée de la Garonne avant de dévaler la rue en pente raide qui m’amène au bord du canal latéral à la Garonne que je dois traverser avant d’atteindre le centre ville. Une passerelle piéton l’enjambe et continue dans le même élan par-dessus les voies de la gare SNCF.

    J31 - Agen - Le canal latéral à la Garonne


    Rues tranquilles en ce dimanche matin grisâtre. Je passe à la cathédrale Saint-Étienne, pas très gracieuse de l’extérieur mais très richement décorée et colorée à l’intérieur. La messe est en train de se dérouler et j’y assiste depuis le fond de l’église après avoir allumé une bougie sous la statue de la Vierge.

     J31 - Agen - Messe à la cathédrale St Caprais


    La coquille Saint-Jacques sur mon sac attire l’attention quand les gens sortent après le "Ite missa est" final. Une dame s’approche et me propose le tampon de la cathédrale que j’accepte avec grand plaisir. Je l'accompagne jusqu’à la sacristie pour l’obtenir et j’en profite pour bavarder avec le curé qui vient de terminer la messe.

    Je passe ensuite faire mes achats au marché couvert doté d’une belle armature métallique dans le style des anciennes halles de Paris. Sandwich pour midi et provisions pour le repas du soir que je devrai préparer moi-même.

    Pour sortir de la ville, je longe la Garonne jusqu’au grand pont routier le plus au sud. Au-delà, ce n’est que de la route le long de laquelle je marche sans me presser. Je suis bien et même la longue zone commerciale que je dois traverser ne me dérange pas plus que ça.

    Ce n’est qu’une fois dans la campagne au-delà de l’autoroute A62 que je m’arrête pour manger mon sandwich. Une poignée de kilomètres plus loin, j’arrive au village dominé par l’église Notre-Dame, accolée à un prieuré de l’ordre de Cluny alors que le temps se gâte. Il ne pleut pas vraiment, juste un petit crachin bien désagréable. Il est un peu plus de quinze heures. Moirax est un joli village aux belles maisons en pierres dorées. L’une d’entre elles est un restaurant renommé, l’auberge du Prieuré, coté par le Guide Michelin et le Gault & Millau. Et sa réputation ne doit pas être usurpée, car il est complètement complet au point de ne pouvoir m’accueillir.

    J31 - Arrivée à Moirax


    Le gîte est fermé. J’appelle la responsable qui me dit ne pas pouvoir être là avant dix-neuf heures. Le restaurant n’étant pas accessible, je vais me réfugier dans le seul endroit possible, l’église très claire grâce à de grandes baies tout à fait inhabituelles. Elle est très sobre, les voûtes montent très haut et le chœur semi-circulaire est typique de l’art roman. J’ai tout le temps de faire le tour des différents chapiteaux du 11° siècle. On y voit la scène de la tentation, Saint Michel terrassant le dragon, Adam et Ève au paradis et tant d’autres, belles et fines sculptures miraculeusement préservées des ravages du temps.

    J31 - Moirax - Eglise Notre Dame - Chapiteau sculpté - Adam et Eve et la tentation


    Je commence à rédiger mon journal et à préparer le prochain courriel "De la croix à l’étoile" pour gagner du temps.

    Vers dix-huit heures, des musiciens commencent à arriver et s’installent dans le chœur pour un concert qui va bien m’aider à passer cette dernière heure.

    Dix-neuf heures, je suis devant la mairie où j’ai rendez-vous avec la responsable du gîte qui arrive peu après. Elle était partie en weekend en train et ne pouvait évidemment rentrer plus tôt.

    Le gîte, c’est en fait une grande pièce au premier étage d’une maison du village qui doit servir pour des fêtes ou comme salle de jeux pour les enfants. Il y a des lits pliants dans un coin, des couvertures et une cuisine assez bien équipée, une douche, de l’eau chaude et le chauffage. Cela me convient parfaitement.

    Je me prépare un repas avec ce que j’ai acheté à Agen et les provisions du placard : avocat vinaigrette, pâté de tête, pâtes au beurre, "Marronsuiss". Un petit festin.

    Quand je me couche vers vingt-deux heures, tout le linge que j’ai quand même lavé malgré l’heure tardive, est sec grâce aux radiateurs électriques.

     

     

     

    J 32 - Lundi 2 octobre. MOIRAX - CASTELNAU-SUR-L’AUVIGNON
    Pluie                                                                                                                                                                           31 km

     

    Lever tôt aujourd’hui. L’étape est longue et je sais que je vais passer "un certain temps" au village de Lamontjoie.

    En effet, l’étape est doublement particulière. D’abord, je vais rattraper le chemin normal à La Romieu et surtout, j’ai rendez-vous avec Jacqueline, un flirt de mes dix-huit ans que je n'avais jamais revue depuis cette lointaine époque. C’est grâce à mon ami Loulou que j’ai tout récemment retrouvé sa trace et appris qu’elle habitait dans les environs d’Agen. Je lui ai fait savoir que je passais dans sa région et nous avons arrangé cette rencontre. Cela aurait été dommage de ne pas se voir, car elle habite à cinq kilomètres à peine de mon itinéraire.
     

    Je quitte Moirax sous un léger crachin par la D268 qui file tout droit vers Lamontjoie. 

    À la sortie du village, je trouve ces panneaux indicateurs dont l’un me concerne tout particulièrement. Une photo s’impose.

     

     J31 - Moirax - Au panneau Labatut

     
    Après le maïs, les vignes, les vergers de pommiers, voici maintenant les tournesols, culture dominante de la région. Ils baissent tous la tête, comme pour saluer le pèlerin qui passe.

    J32 - Champ de tournesols sur la route de Lamontjoie


    Le trajet le long de cette route me réserve quelques belles images comme cette vieille Estafette couverte de mousses ou ce tracteur envahi par la végétation.

     J32 - Estafette abandonnée sur la route de Lamontjoie

    J32 - Tracteur abandonné sur la route de Lamontjoie

     
    Onze heures, j’arrive au rendez-vous. C’est elle qui me voit en premier et me reconnait sans peine, les gars avec un sac à dos n’étant pas très nombreux dans ce petit village. Moi je ne l’aurais peut-être pas reconnue. Cinquante ans sans se voir et elle n’avait que quinze ans à l’époque. Faute de mieux, nous nous réfugions dans l’épicerie du village qui sert du café et bavardons pendant plus d’une heure. Nous en avons des choses à nous raconter.

    J32 - Lamontjoie - Avec Jacqueline

     
    Malgré le plaisir de cette rencontre, il faut que je reparte car il y a encore pas mal de kilomètres jusqu’à l’étape de ce soir. Cette petite parenthèse sentimentale sur mon chemin était bien agréable. Maintenant, j’ai ses coordonnées et nous pourrons communiquer. Dès ce soir, j’ajouterai son adresse courriel à la liste de ceux qui reçoivent mes nouvelles régulières.  

    Le chemin paraît long jusqu’à La Romieu, surtout les six derniers kilomètres dans un large vallon rectiligne. Mais finalement les tours de la collégiale Saint-Pierre apparaissent à l’horizon et je peux faire une pause bien méritée sur la place centrale bordée de couverts. Je prends le temps d’une visite bien que je connaisse déjà les lieux. Je revois le magnifique cloître aux arcades gothiques géminées, l’église au vaisseau unique et la sacristie décorée de peintures murales exceptionnelles.


    J32 - La Romieu - Le cloître du 14° siècle


    Quand je repars de La Romieu, le soleil fait des efforts pour percer la couche de nuages qui m'envoie du crachin depuis ce matin. Il ne me reste que quatre kilomètres que j’avale en trois-quarts d’heure.

    Le gîte "Les Arroucasses" est bien mignon. L’arrivée est au son d’une salsa, la patronne étant fana de cette musique latino. 

     

    J32 - Castelnau sur l'Auvignon - Panneau du gîte Les arroucasses

     
    On m’attribue une bien jolie chambre que j’ai le privilège de ne partager avec personne.

    La salle de bains est magnifique, très bien décorée avec d’originales mosaïques. Six autres marcheurs, un couple d’Autrichiens et deux couples de Français dont j’ai vu le tas de bagages en arrivant me rejoignent une bonne heure plus tard. Nous dînons tous ensemble à la grande table du bas dans une bonne ambiance puis j’invite notre hôtesse à danser la salsa après le dessert au grand étonnement des six autres marcheurs qui ont l’air fatigués par leur étape.

    Tout a contribué à embellir cette journée. Les retrouvailles avec Jacqueline, une belle et longue étape, la percée du soleil, le retour sur le GR 65 où je rencontrerai à nouveau des pèlerins et même la salsa avec mon hôtesse tout à l’heure. Et je n’ai pas eu mal au pied.

      

     

     

     

    14 - DE CASTELNAU-SUR-L'AUVIGNON À NAVARRENX

     


    Je marche à nouveau sur le GR 65,
    un itinéraire plus fréquenté et très agréable qui avance à travers les collines du Gers, des Landes puis des Pyrénées Atlantiques. Le terrain est facile, sans dénivelées importantes et on peut parcourir de longues étapes sans fatigue.
     

    On approche tout doucement des Pyrénées que l’on va bientôt apercevoir à l’horizon.



     

    J 33 - Mardi 3 octobre. CASTELNAU-SUR-L’AUVIGNON - LAMOTHE
    Couvert                                                                                                                                                                      31 km


    Sous un ciel encore gris, je démarre sur un chemin que j’ai déjà parcouru avec Michelle et Rose-Marie en mai 2012. Il y a beaucoup de boue suite aux pluies de la veille. Je ne reconnais pas grand-chose, juste la borne de bienvenue installée sur la route à l’entrée de Condom.

     

     J33 - Borne de bienvenue à l'entrée de Condom

     

    Mais il y a aussi un autre panneau nettement plus agressif qui prouve que certaines personnes qui se disent pèlerins sont des sans-gênes.
      

     J33 - Panneau de mise en garde sur le chemin vers Condom

     
    Le balisage amène les pèlerins devant la belle cathédrale gothique Saint-Pierre. L’intérieur est clair et on remarque le magnifique chœur en fines boiseries et l’orgue monumental qui domine la nef, doté d’un rare "chant du rossignol" qui permet d’imiter le chant de cet oiseau grâce à des tuyaux plongés dans l’eau.

    J33 - Condom - La cathédrale St Pierre - La nef

     
    Dehors, c’est la statue de D’Artagnan et des trois mousquetaires qui attire les regards. Elle est l’œuvre du célèbre et très controversé sculpteur russe Zourab Tseretelli, connu pour quelques autres sculptures originales comme la gigantesque statue de Pierre le Grand à Moscou ou "le bien vainc le mal" devant le bâtiment des Nations-Unies à New-York, œuvre hautement symbolique réalisée avec des morceaux de deux missiles balistiques, l'un russe et l'autre américain.

     J33 - Condom - Devant la statue de D'Artagnan et des 3 mousquetaires

     
    Avant de quitter la ville, je fais les courses pour le repas de midi et m’éloigne par le sentier qui longe la Baïse et qui me mène jusqu’au pont d’Artigue sur la commune de Larresingle. Il en a vu passer des pèlerins, ce vieux pont construit au 12° siècle au-dessus de l’Osse. Il vient d’être entièrement restauré et paraît tout neuf. Il se situe à mille kilomètres exactement de Saint-Jacques de Compostelle, ce qui lui apporte une certaine célébrité.

    J33 - Le pont d'Artigue refait à neuf à 1000 km de Santiago


    Juste après le pont, le balisage entraîne les marcheurs à droite, vers le nord en direction du village de Montréal qui propose ravitaillement et hébergements. Mais il faut ensuite redescendre vers le sud-ouest pour arriver à Eauze. Une grande boucle que j’évite en continuant tout droit sur la petite route qui file plein ouest. Pour être déjà passé par là en 2012, je sais que je vais bientôt trouver les marques de l’ancien itinéraire qui va m’amener directement au hameau de Lamothe où ancien et nouveau parcours se rejoignent. Quelques centaines de mètres plus loin, je vois la première coquille bleue qui sera suivie de plusieurs autres judicieusement placées aux intersections pour guider les pèlerins aventureux.

    Je déjeune confortablement installé sous un magnifique cèdre à l’entrée du domaine du Piagert, alors que le soleil fait sa réapparition.

     

    Mais l’éclaircie ne dure pas. Demi-heure plus tard, une violente averse me surprend qui sera suivie par d’autres, à intervalles réguliers, jusqu’à l’arrivée à Lamothe. La remontée le long de la D254 depuis le pont sur l’Auzoue jusqu’à la D29 me parait interminable sous cette pluie qui ne se décide pas à s’arrêter. Il pleut toujours quand j’arrive à Lamothe dominé par sa belle tour de garde.

     J33 - Lamothe - La tour de garde


    Le gîte est moins confortable que celui de la veille mais il est correctement équipé pour satisfaire les besoins des pèlerins. Il est tenu par Elena, une jeune femme sympathique qui s’active efficacement.

    Un autre pèlerin est déjà là, Jean-Jacques qui est parti du Puy le huit septembre puis deux autres, Johan et Ladislas, arrivent peu après.

    Nous passons une agréable soirée tous les quatre, Elena nous raconte un peu sa vie d’hospitalière. Elle tenait déjà un gîte à Condom puis, trois ans plus tôt, quand les hébergements ont commencé à se multiplier dans la ville, elle a acheté celui-ci à l’Allemand qui le tenait auparavant, sans grande conviction d’après "Radio Chemin".

     

     

    J 34 - Mercredi 4 octobre. LAMOTHE - NOGARO
    Beau temps                                                                                                                                                               28 km

     

    Les autres ne sont pas prêts quand je démarre à huit heures et je n’ai pas envie de les attendre. Je marche sur l’ancienne voie ferrée qui mène à la petite ville d’Eauze dans un brouillard qui annonce le beau temps.

     J34 - Sur l'ancienne voie ferrée menant à Eauze


    Après cette ville où j’ai fait mon habituelle pause petit-déjeuner bis, le chemin continue à travers la campagne jusqu’à Manciet où je m’arrête pour manger, profitant d’une table de pique-nique sur la place du village. Un chat particulièrement déluré grimpe sur la table et réclame sa part avec insistance. Décidément, je les attire.

    J34 - Manciet - Pause repas


     J34 - Tournesol solitaire sur le chemin vers Manciet

     
    J34 - Sur le chemin vers Manciet

     
    Johan et Ladislas arrivent et se mettent à la recherche d’un endroit où acheter à manger. Quand je repars à la fin de mon repas, je ne les ai pas revus.

    Plus que six kilomètres jusqu’à Nogaro où j’arrive à seize heures sous un soleil estival. Je bois un verre à la terrasse d’un bar et vais demander à l’office du tourisme le téléphone de "L’Arbladoise", un gîte très agréable où je m’étais arrêté en 2012. Il se trouve deux kilomètres après la ville mais ce sera autant de moins à faire demain.

    La maison est toujours aussi belle, aussi confortable et c’est toujours Christian qui est aux commandes, sympathique et efficace. Il y a quelques changements depuis mon premier passage : les chambres du bâtiment principal sont maintenant chambres d’hôtes tandis que le gîte est installé dans un bâtiment attenant, moins luxueux qu’à coté mais très bien arrangé et agréable. J’y suis tout seul tandis que quelques pèlerins "de luxe", deux couples de Français et un couple d’Américains sont dans les chambres d’hôtes. Je fais leur connaissance pendant le dîner que nous prenons tous ensemble dans la grande salle à manger. Les Américains ont plus de quatre-vingt ans et sont partis du Puy. Certes, ils font de petites étapes et se font porter leurs affaires, mais à leur âge, c’est une belle performance.
     

    J34 - Nogaro - Devant le gîte L'Arbladoise

     
     J34 - Nogaro - Gîte L'Arbladoise - Dîner de pélerins


    Avant le repas, j’ai eu le temps de rédiger ma page d’écriture et de réfléchir à mon avancée. Les dernières étapes se sont bien passées sans que le mal au pied ne soit revenu. J’ai vraiment bien marché, surtout aujourd’hui, et je suis en pleine forme. Et je commence à rencontrer à nouveau des pèlerins.



    J 35 - Jeudi 5 octobre. NOGARO - AIRE-SUR-L’ADOUR
    Beau temps                                                                                                                                                               20 km

    J35 - Nogaro - Gîte L'Arbladoise - Avant de repartir avec Christian le patron


    L'arrêt à "L’Arbladoise" me fait économiser deux kilomètres, et il n’en reste qu’une vingtaine pour atteindre Aire-sur-l’Adour d’autant que j’ai décidé d’emprunter la petite route qui passe par Arblade-le-Bas et aboutit directement à Barcelone-du-Gers, aux portes d’Aire.

    J35 - Nogaro - Lever du soleil

     

    Le ciel est bleu au-dessus de ma tête, mais le paysage est complètement noyé dans un brouillard épais qui ne commencera à se lever qu’à mon arrivée au bord de l’Adour. Rien à voir, que des champs de maïs à l’infini.

    J35 - Arrivée à Aire sur l'Adour


    Avec une si courte étape, il est à peine treize heures quand j’entre en ville en traversant le pont sur l’Adour. L’office de tourisme, l’accueil pèlerins, le gîte "la maison des pèlerins", tout est fermé. Je veux me débarrasser de mon sac à dos pour être tranquille aussi je vais m’installer au petit hôtel voisin au lieu d’attendre l’ouverture du gîte. Je ressors pour aller manger un sandwich à la terrasse ensoleillée d’un bar, faire mes courses et me faire couper les cheveux. J’ai aussi acheté un nouveau cahier pour écrire mon journal car le premier est déjà fini et je le renvois par la poste à la maison. Inutile de transporter du poids inutile.

    Et quand toutes mes obligations sont terminées, je m’installe sur un banc au bord de l’Adour pour rédiger mon journal et me promène tranquillement dans la ville. Un peu de repos ne peut pas faire de mal.

    Je retourne à l’église pour faire apposer le tampon sur ma Créanciale et faire quelques photos. J’ai la bonne surprise d’y rencontrer Jacopo, l’Italien que j’avais quitté à Figeac le vingt-trois septembre. Lui est installé à "la maison des pèlerins" et je regrette de n’avoir pas été patient tout à l’heure, de ne pas avoir attendu l’ouverture. Trop tard.

     

    Le soir, en préparant mon sac, je m’aperçois que j’ai perdu le cahier du journal et le carnet sur lequel je note les photos. Où les ai-je oubliés ? Chez les commerçants, à l’office du tourisme, à la poste, à l’église ? Je fonce chez les commerçants chez qui j’ai fait mes courses tout à l’heure. Rien. Tout le reste est fermé et n’ouvrira pas avant neuf ou dix heures demain. Je ne peux pas continuer sans ces documents. Je mange seul au restaurant de l’hôtel en essayant de me souvenir où j’ai bien pu les laisser. Ma soirée est gâchée. Je vais me coucher en ruminant mon étourderie. 

     

     

     

    J 36 - Vendredi 6 octobre. AIRE-SUR-L’ADOUR - ARZACQ-ARRAZIGUET
    Pluie                                                                                                                                                                           34 km

     

    Avant de partir, je dois retrouver le cahier et le carnet. Il faut que j’attende l’ouverture des différents lieux et je trépigne d’impatience. Quand je sors de l’hôtel à huit heures, je rencontre Jacopo qui démarre. Bien que je sache qu’il est trop tôt, je vais quand même à l’office de tourisme. Miracle, c’est ouvert car la femme de ménage est en train de nettoyer. Je vérifie. Ce n’est pas ici que je les ai laissés. La Poste ouvre à neuf heures, alors je vais m’asseoir devant l’église pour attendre l’ouverture.

    Huit heures quarante. Une dame âgée arrive avec une énorme clé qui ne peut être que la clé de l’église. C'est bien ça. J'entre derrière elle. Le cahier et le carnet sont bien là, sur une table au fond de l’église, au milieu des missels. Je les avais posés là pour faire tranquillement mes photos, puis j’ai rencontré Jacopo et suis parti avec lui en oubliant de reprendre mes affaires.

    À huit heures quarante-cinq, je suis en route. Devant l’église Sainte-Quitterie sur la colline, je rencontre Johan et Ladislas et les deux jeunes Allemandes dont ils m’avaient parlé à Lamothe. Nous continuons ensemble mais dès le premier rond-point, je me trompe de direction. Je m’aperçois de mon erreur une fois arrivé dans la vallée en contrebas et me récupère en montant sur le barrage du lac car je sais que le chemin en suit la berge. Quelques centaines de mètres plus loin, j’ai retrouvé les marques rouge et blanche.

     

    À partir de là, je distance mes compagnons et file à grande enjambées sous le crachin qui a commencé à tomber. Je coupe au plus court, parfois à travers champs, pour compenser mon départ tardif. Je rattrape un autre Johan rencontré hier à l’office de tourisme et le distance lui aussi. J’ai la super forme, je marche vite sans effort.

     J36 - Sur la route à la sortie de Miramont Sensacq
    Il est à peine treize heures quand j’arrive à Miramont Sensacq où j’ai décidé de m’arrêter pour manger. Je passe à l’église allumer une bougie et marquer mon passage sur le livre d’or et descends au centre du village. Devant la maison d’Hélène (petit clin d’œil à ma chère épouse), un petit kiosque va me servir d’abri. Jacopo y est déjà installé et je me joins à lui.

    J36 - Miramont Sensacq - Le livre d'or de l'église


    J36 - Miramont Sensacq - La maison d'Hélène


    Nous repartons ensemble et en compagnie de Johan sous le crachin qui continue de tomber. Nous passons à la très jolie église de Sensacq construite au 11° siècle qui se dresse toute seule au milieu des champs avec son clocher-mur, ses fonds baptismaux datant de l’époque carolingienne et sa charpente en carène de bateau.
     

     
     J36 - Eglise St Jacques de Sensacq 11° siècle

     

    Plus loin, c’est la collégiale de Pimbo construite au 12° siècle au sommet d’une colline et entourée par les maisons du petit village. Elle est assez massive avec ses murs couronnés d’un chemin de ronde. Sa façade en mur pignon est toute lisse, seulement percée du porche d’entrée et des deux arcades supportant les cloches. L’intérieur est très sobre mais agréable. Il émane quelque chose de cette église qui me prend aux tripes, une émotion qui me serre la gorge comme à Saint-Privat d’Allier et je ne sais pas définir ce que c’est.

    J36 - Pimbo - Collégiale St Barthélémy 12° siècle
    Il y a un accueil pèlerin sur l’esplanade et même plusieurs hébergements dans ce minuscule village d’à peine deux-cents habitants alors qu’il n’y avait rien quand j’étais passé en 2012. Les choses évoluent vite sur le chemin au fur et à mesure de son succès croissant.

    Il ne reste que sept kilomètres mais ils paraissent longs. Il est seize heures trente quand nous finissons de grimper la longue côte qui mène au village. Mais pourquoi toutes les étapes du chemin sont-elles au sommet d’une côte ?

    Je sais où est le gîte municipal et j’y vais directement.

    Je m’aperçois que j’ai de nouveau perdu une des chaussettes qui séchait sur mon sac. Cette fois-ci, pas d’automobiliste sympa pour me la ramener. Heureusement, il y a une mercerie dans le village et je peux acheter une paire en coton que je mettrai à l’étape mais pour marcher, je devrai utiliser toujours la même paire. Ce n’est pas très pratique car il faudra qu’elle ait séché dans la nuit mais je devrai faire avec.

    En tout cas, ici, j’ai retrouvé de la compagnie. Jacopo, Johan et une pèlerine, Jo. Plus un groupe bruyant d’Allemands à vélo et leur véhicule d’accompagnement.

    Ce soir, je suis un peu fatigué par cette longue étape de trente-quatre kilomètres où j’ai marché vite mais je n’ai mal ni au pied ni aux genoux. Après une bonne nuit de sommeil, cela ira mieux. 

     

     

     

    J 37 - Samedi 7 octobre. ARZACQ-ARRAZIGUET - ARTHEZ-DE-BÉARN
    Beau temps                                                                                                                                                               25 km


    Enfin le grand beau temps est de retour. En quittant Arzacq, Jacopo et moi, nous profitons d’un somptueux lever du jour puis d’un magnifique panorama sur la chaîne des Pyrénées qui se détache clairement sur le ciel qui rosit.

     

     J37 - Azracq Arraziguet - Les Pyrénées

     
    Moitié sur le chemin, moitié sur les petites routes désertes du coin, nous avançons rapidement et rattrapons un gars qui marche sur la route. Il a une drôle d’allure. Quand nous arrivons à sa hauteur, nous découvrons un asiatique d’une quarantaine d’années (si tant est qu’on puisse donner un âge à un asiatique), sac au dos et en chaussures de marche. Mais le plus étonnant est qu’il est en costume de ville et tient une valise à chaque main. Que fait-il là, en pleine campagne, d’où vient-il et où va-t-il ? Nous le saluons et il nous répond poliment de plusieurs hochements de tête mais nos tentatives de conversation en français comme en anglais sont infructueuses. « Compostelle ? » demandons-nous. Nouveaux hochements de tête qui semblent être affirmatifs. Un pèlerin ? Incroyable. S’il a l’intention d’aller jusqu’à Compostelle ainsi équipé, il n’est pas prêt d’arriver. Devant l’impossibilité de dialoguer avec lui, nous le saluons une dernière fois et reprenons notre cadence et le distançons rapidement en commentant cette rencontre tout à fait inattendue.

     

    La première pause casse-croûte se passe à la sortie du village de Fochous-Riumayou où une aire de pique-nique nous a interpellés. C'est là que Johan nous a rejoint. La deuxième, dans le village d’Uzan, n’était pas prévue mais en passant dans la rue principale, nous tombons sur une pancarte sympathique qui annonce « si vous souhaitez boire un café, un thé, entrez et servez-vous ».


    J37 - Uzan - Point de ravitaillement


    Nous n’avons pas résisté à l’invitation et sommes entrés dans le jardin de la villa où sont installées des chaises et une table avec plusieurs thermos de café et de thé et deux grands gâteaux visiblement faits maison. Voilà quelque chose qui fait très plaisir. Pendant que nous buvons un café, une dame sort de la maison et je m’avance à sa rencontre pour la remercier, pensant qu’elle est la propriétaire. Non, c’est une amie de la famille, une belle Canadienne plantureuse aux énormes seins à peine cachés sous son T-shirt, avenante, excitante même. Un rayon de soleil…

     

    Nous empruntons le raccourci déjà utilisé en 2012 et nous nous arrêtons pour manger au début du petit chemin, juste après la D945. Je suis bien au soleil et comme on n’est plus très loin, je m’installe pour une petite sieste pendant que Jacopo et Johan repartent pour terminer l’étape.

    J37 - Chemin vers Castillon


    J37 - Castillon - Récolte du maïs

     

    Il est quinze heures quand j’arrive à Arthez et je vais directement au gîte communal que je connais. Il n’y a personne. Je m’installe et retourne sur la place boire un Coca à la terrasse du seul bar ouvert. Jacopo est allé s’installer dans un gîte privé à la sortie du village et on se donne rendez-vous à la messe de dix-huit heures. Il paraît que le curé est remarquable.

    C’est vrai qu’il est jeune et dynamique et fait participer les gens. La messe a une certaine allure. Il a l’air d’être apprécié car l’église est pleine. Peut-être est-ce une méfiance irraisonnée due aux multiples cas dont on parle tant, mais de le voir entourée de ces toutes jeunes filles qui servent d’enfants de chœur me met mal à l'aise.

    Après les nourritures spirituelles, il faut penser à celles du corps et je vais dîner au seul restaurant ouvert qui m’a été indiqué par l’hospitalière. Malgré sa situation de monopole, le repas est bien et le tarif convenable.

    Je rentre à l’auberge dans la nuit en me disant que c’est une nouvelle belle journée qui est passée comme dans un rêve. Une étape courte et agréable, un temps splendide, la rencontre de cette appétissante Canadienne et le petit coin ravitaillement, que des choses positives propres à me donner le sourire.

     

     

     

     

    J 38 - Dimanche 8 octobre. ARTHEZ-DE-BÉARN - NAVARRENX
    Beau temps                                                                                                                                                               32 km

     

    Je vais prendre mon petit-déjeuner à la boulangerie-pâtisserie du village. Il n’y a pas de meilleur endroit pour ça. Pain frais garanti. Ce petit déjeuner est un régal et je repars avec un pain au chocolat tout chaud pour la pause de dix heures.

    Voici un tronçon que je ne connais pas. À la sortie d’Arthez, je reste sur la D275 qui descend directement à Argagnon et je découvre que cet itinéraire est balisé avec des coquilles car c’est le vrai chemin.

    J38 - Ancien marquage sur le raccourci vers Argagnon


    Trois kilomètres d’économisé dès le départ, c’est intéressant dans une étape annoncée pour trente-six kilomètres.

     

    Sur les hauteurs, on bénéficie d’un panorama exceptionnel sur la chaîne des Pyrénées, toujours plus proche, mais le tableau est quelque peu gâché par le complexe pétrochimique de Lacq qui crache une nappe de fumées blanches s’étirant paresseusement vers l’ouest.

     

    J38 - Arthez de Béarn - Panorama sur les Pyrénées et les usines du complexe de Lacq


    Je traverse le gave de Pau et je m’arrête de l’autre coté à la sortie du village de Maslacq. Pendant que je grignote mon pain au chocolat, Jacopo me rejoint et nous repartons ensemble en empruntant le deuxième raccourci qui nous amène à Sauvelade où nous nous arrêtons à nouveau pour boire un verre au bar installé près du monastère.

     

    Il est midi trente et nous marchons sur une petite route qui suit la crête d’une colline. Sur notre gauche, un panneau nous incite à entrer dans un petit passage dans la haie. Surprise. De l’autre coté, un espace est aménagé pour faire halte. Sous un toit, à l’ombre des arbres, nous découvrons une table et un énorme canapé en cuir très confortable sur lequel nous nous installons derechef pour manger notre repas.

    J38 - Jacopo lors d'une pause repas confortable


    Un peu partout, sont suspendues de petites ardoises sur lesquelles sont inscrites des phrases en français et en anglais. J’en ai retenu deux. Une de Bob Marley qui me plait bien : « Some people feel the rain, others just get wet ». Une autre attribuée à Einstein : « Le hasard, c’est Dieu qui voyage incognito ».

    Nous arrivons vers seize heures à Navarrenx après une longue descente dans les bois. Le chemin nous fait faire le tour des fortifications à la Vauban jusqu’à la porte de France. Mais il n’y a plus de porte, elle a été démolie au 19° siècle pour faciliter l’entrée des voitures en ville. Quel dommage.

    J38 - Fontaine avant Meritein


    Nous sommes dimanche et presque tout est fermé. Un seul bar est ouvert à coté de la fameuse porte et on s’y installe pour se rafraîchir après cette longue étape. Après quelques hésitations, je me décide à accompagner Jacopo au gîte qu’il a choisi. Le "cri de la girafe" est un peu à l’extérieur de la ville, juste après le Carrefour Market, c’est ce qui me faisait hésiter. En fait, ce n’est qu’à trois-cents ou quatre-cents mètres.

    Je connais Navarrenx, je m’y suis arrêté fin mars 2013 lors de mon premier Chemin. Il faisait froid et il pleuvait. Aujourd’hui il fait bon et le soleil brille. Je repars donc à la découverte de la ville, fais le tour des remparts construit par Fabricio Siciliano, un architecte italien, passe la porte d’Espagne et termine à l’église. Une visite guidée au profit des pèlerins se déroule et je me joins aux huit femmes qui sont là. Huit femmes et pas un seul homme, à part moi. Nous allons ensuite boire un verre au pot organisé à l’accueil des pèlerins. Ma foi, c’est très sympa et je passe un bon moment à discuter avec ces dames qui vont toutes jusqu’à Saint-Jean-Pied-de-Port.

    J38 - Navarreinx - Les remparts de Vauban


     J38 - Navarreinx - L'église St Germain d'Auxerre

     
     J38 - Navarrenx - La porte St Antoine  vue de l'intérieur

      

    Je rentre au gîte pour un excellent et agréable dîner avec nos hôtes, Maria et Fabien. Le gîte est vraiment très bien et nous y sommes reçus comme chez nous. Même le chien, un énorme berger des Pyrénées, nous fait fête et vient nous solliciter à sa manière pour qu’on joue avec lui. Cela fait vraiment plaisir, on se sent bien. Jacopo se raconte. Il est ingénieur chimiste et habite Crodo, un petit village du nord de l’Italie, au pied du col du Simplon.

    C’était la fête au village quand il est parti. Quand il va rentrer, ce sera du délire.

     Le drapeau basque

      

     

     

      

     

     15 - DE NAVARRENX À HENDAYE ET IRÚN

     

    Ce tronçon d’un peu plus de cent kilomètres va me permettre de passer du GR 65 qui file vers Saint-Jean-Pied-de-Port, à Hendaye et Irún d’où démarre le Camino del Norte que je vais emprunter pour arriver à Santiago.

    C’est un très bel itinéraire dans une région pittoresque mais au relief accidenté que je parcours en quatre jours et sans difficulté particulière grâce au traçage et au balisage mis en place par l’association jacquaire du département.

     

     

    J 39 - Lundi 9 octobre. NAVARRENX - SAINT-PALAIS
    Beau temps                                                                                                                                                               28 km

     

    Je dis au revoir à Jacopo que je ne reverrai sans doute pas puisqu’il va continuer vers Saint-Jean-Pied-de-Port et suivre le Camino Francès et je m’éloigne à travers la ville. J’ai quand même quelque espoir de le revoir à Santiago. Nous avons échangé nos adresses courriel et nos numéros de téléphone pour rester en contact. Ce serait bien de se retrouver là-bas.

     J39 - Navarreinx - Bel arbre sur la route d'Aroue
    Je fais mes courses au passage au Carrefour Market et à la boulangerie, puis je passe la porte d’Espagne et traverse le gave. Comme en 2013, j’emprunte la D115 qui file tout droit et me fait gagner deux kilomètres par rapport au chemin balisé. J’arrive à la jonction où je m’étais si lamentablement trompé en 2013. Je fais une pause sous l’abri installé là par la petite conserverie voisine en me remémorant la mésaventure de l’époque. Une dame vient parler avec moi. Je lui raconte mon premier passage en ce lieu, quatre ans plus tôt. Elle me propose un café que j’accepte avec plaisir. Il accompagne parfaitement mon pain au chocolat et je le bois en écoutant ses commentaires sur son usine et sa production qui a beaucoup de succès.

    Je retrouve le raccourci à travers champ un peu avant Aroue et l’emprunte sans hésitation. Rien n’a changé.

     J39 - À Aroue
    C’est à Aroue que je laisse le chemin balisé qui s’éloigne vers Uhart-Mixe puis Saint-Jean-Pied-de-Port. Moi, je marche plein ouest en direction de Saint-Palais en restant sur la rectiligne D911. Ça se passe très bien car il y a très peu de circulation. Je m’arrête à Etcharry pour manger mon repas au pied de l’église, tranquillement installé au soleil sur le mur du cimetière et il est tout juste seize heures quand j’arrive à Saint-Palais après un trajet sans histoire.

     J39 - Domezain Berraute - L'église

     J39 - St Palais - Traversée de la Bidouze
    Je vais directement au monastère des Franciscains où je vais passer la nuit. C’est une grande bâtisse en bordure de la ville, très bien aménagée, grande et confortable. Les hospitaliers sont un couple de Belges très sympathiques. Le dîner n’est pas prévu et il ne l’est pas non plus demain à Hélette. Il me faut donc aller acheter le nécessaire au Carrefour Market qui se trouve à l’autre bout de la ville. Qu’à cela ne tienne, j’ai la forme et je m’arrête dans un bar sur la place au retour pour boire tranquillement un verre tant que le soleil est là en regardant la ville vivre sa vie autour de moi.

    Saint-Palais est située sur le chemin de Vézelay et je fais la connaissance d’un Néerlandais qui en arrive. Le chemin se raccorde à celui du Puy, une vingtaine de kilomètres plus loin, à Ostabat. 

    De retour au monastère, je me prépare un bon repas avec salade de tomates, deux steaks hachés, des pâtes au beurre et du riz au lait. Un véritable festin.

     

     

     

    J 40 - Mardi 10 octobre. SAINT-PALAIS - HÉLETTE
    Beau temps                                                                                                                                                               25 km

     

    L’itinéraire que je vais suivre a été reconnu par l’association jacquaire du département des Pyrénées-Atlantiques pour permettre aux pèlerins qui, comme moi, arrivent par le chemin du Puy, de Vézelay ou celui d’Arles de rallier Hendaye pour continuer en Espagne sur le Camino del Norte. Il y en a deux en fait, l’un au départ de Saint-Palais, l’autre au départ de Saint-Jean-Pied-de-Port.

    J’ai relevé la description du parcours sur leur site et l’ai transférée sur des photos de cartes à grande échelle de l’IGN. J’en ai fait un long ruban de papier qui va me guider jusqu’à Hendaye en passant par Hélette où je dormirai ce soir, Espelette où je m’arrêterai demain et Ascain.

    Je quitte le monastère à huit heures et pars dans une brume matinale qui se lève vite sous l’action du soleil.

    C’est mon anniversaire aujourd’hui. J’ai failli l’oublier mais j’ai été rappelé à l’ordre par les textos et les messages reçus.

    J’emprunte de petites routes, des chemins qui montent et descendent sans arrêt dans les collines du pays basque, très vertes, piquetées de bois, de fermes isolées et de quelques rares villages aux maisons blanches et rouges. Les paysages traversés sont très beaux.

     J39 - Sur le chemin vers Hélette

     J40- Les collines basques
    Je m’aperçois très vite que l’itinéraire est balisé par des flèches jaunes et quelques coquilles bleues aux endroits délicats, ce qui me facilite bien les choses. Je n’ai plus à chercher mon chemin mais simplement à vérifier qu’il correspond bien à la carte. Ou inversement…


     J39 - Panneaux sur le chemin d'Armendaritz

    J40 - Panneau humoristique sur le chemin d'Armendaritz


    J’ai beaucoup ralenti car les montées incessantes parfois assez raides sont fatigantes. Je fais plusieurs pauses dans la matinée puis je m’arrête devant l’église du village d’Armendarits pour manger mon repas de midi. Je ne me presse pas et je prends le temps de boire un bon café au lait au bar d’en face. Il y a toujours un bar en face des églises.


     J39 - Arrivée à Hélette

    J’arrive à seize heures à Hélette, joli village tranquille avec une grande place centrale, une église Sainte-Marie qui renferme une statue de Saint-Jacques dans ses habits de pèlerins et l’inévitable fronton de pelote basque. Je suis très agréablement reçu à la mairie où on me remet les clés du gîte communal installé dans une maison du centre. Il y a une auberge sur la place où j’aurais pu prendre mon repas et éviter ainsi de porter la nourriture si j’avais connu son existence. Je m’y installe à la terrasse pour écrire mon journal et me prélasser en buvant un Coca bien frais. Je suis bien au soleil et je reste là jusqu’à l’heure de préparer mon repas. Le soir, je commence à avoir des courbatures et mal à la tête et je mets ça sur le compte de la fatigue après cette étape assez rude. J’ai carrément froid et j’allume le chauffage du gîte.

    Pour la première fois, je me couche en bien mauvaise forme. J’espère que ça ira mieux après une bonne nuit de sommeil.

     

     

     

    J 41 - Mercredi 11 octobre. HÉLETTE - ESPELETTE
    Beau temps                                                                                                                                                               22 km

     

    J’ai passé une sale nuit. J’ai eu chaud, j’ai eu froid et je me suis retourné dans tous les sens. Je me lève en aussi mauvais état que la veille, avec mal à la tête, de la fièvre et des courbatures dans tout le corps.

    En prenant mon petit-déjeuner à l’auberge, je réalise que j’ai eu une insolation la veille au soir en restant trop longtemps au soleil à la terrasse du café.

    Je pars quand même en traînant la jambe pour une courte étape de vingt-deux kilomètres. Je me décide à prendre un Doliprane pour faire tomber la fièvre. Le médicament fait effet au bout d’une dizaine de minutes et je me sens bien mieux. Je peux marcher un peu plus vite et profiter des beaux paysages que je traverse. Les montagnes sont couvertes de fougères qui ondulent sous l’effet du vent. Le trajet est aussi moins dur que la veille avec moins de côtes, et ça compte.

    J41 - Sur le chemin après Hélette


    Vers midi, j’arrive à Itxassou, un gros bourg aux belles maisons typiques. Je m’arrête un long moment sur la place près du fronton pour mon repas avant de repartir pour franchir le mouvement de terrain sur lequel est bâti l’aérodrome d’Urzuma qui sert essentiellement aux planeurs. De l’autre coté, après une longue descente tranquille, j’arrive à Espelette.

    J41 - Descente sur Espelette - Le chêne


    Malgré ma petite allure, il est à peine quinze heures. Je passe par l’église dont l’intérieur se distingue par les galeries de bois qui courent le long des murs. Elles étaient réservées aux hommes, tandis que les femmes devaient se contenter du bas.

     

    J41 - Espelette - L'église St Etienne

    J41 - Espelette - L'église St Etienne - L'intérieur avec ses balcons
    Je traverse le village envahi de touristes qui viennent autant admirer les belles maisons traditionnelles peintes en blanc et rouge que déguster les fameux piments et le chocolat noir, spécialités locales.

    Quand j’ai téléphoné la veille à l’office du tourisme, on m’a annoncé que le gîte était fermé pour travaux et on m’a proposé d’aller à l’hôtel Euskadi qui accueille les pèlerins. Il est au centre du bourg, et arbore une belle façade aux volets et balcons rouge sombre décorée de guirlandes de piments. J’y suis effectivement très bien reçu et m’installe dans une belle chambre confortable.

     

    Je vais me promener dans les rues où les magasins de souvenirs et ceux où est vendu le piment sous toutes ses formes se côtoient. Normalement, les piments récoltés sont mis à sécher pendus en chapelets aux façades des maisons. C’est ce mode de séchage qui leur donne cette saveur particulière et qui a fait le succès du village. Et ils donnent en même temps une belle allure aux façades. Mais il n’y en a pas beaucoup ainsi décorées. Ce n’est peut-être pas la bonne période pense mon coté gentil. À moins qu’il soit maintenant séché par une méthode plus efficace et surtout plus rapide, me susurre mon coté méchant. Comment savoir ? Inutile de poser une question aussi sensible, on ne me dira pas la vérité.

    J41 - Espelette - Piments séchant en façade

    Je fais aussi mes courses pour le lendemain avant de rentrer me reposer dans ma chambre et avaler un autre Doliprane car la fièvre revient. Ce n’est toujours pas la grande forme.

     

     

     

    J 42 - Jeudi 12 octobre. ESPELETTE - HENDAYE
    Beau temps                                                                                                                                                               33 km

     

    Je me réveille avec la fièvre. Ce n’est pas de bon augure pour entamer une journée où j’aurai à parcourir trente-trois kilomètres. Je prends un Doliprane et ça va mieux quand je descends prendre mon petit-déjeuner.

    Il ne fait pas encore jour lorsque je quitte l’hôtel. Heureusement, j’ai reconnu la sortie de la ville hier après-midi.

     

    Le chemin grimpe pendant un long moment, redescend légèrement pour franchir la route au col de Pinodieto puis il remonte sur la longue ligne de crête est-ouest que je vais suivre jusqu’à Amotz puis Ascain. Avec la lumière orangée et rasante du soleil levant, le panorama sur les collines de la région en contrebas, sur la chaîne des Pyrénées et le sommet de la Rhune est grandiose.
     

    J42 - Lever du soleil sur Espelette
     

    J42 - Sur la crête de Pinudieto


     J42 - La crête de Pinudieto


    Tout le long de cette crête, je rencontre des chasseurs de palombes qui attendent le passage hypothétique des oiseaux dans les abris disséminés à intervalles réguliers. C’est la grande spécialité de la région, ce qui a même donné lieu à des affrontements politiques entre partisans et opposants qui voulaient faire interdire cette chasse.

    Je vois aussi plusieurs élevages de porcs. Les animaux sont propres et somnolent tranquillement au soleil. Ils ne savent pas encore qu’ils vont finir en jambons de Bayonne.

     J42 - Elevage de porcs sur la crête de Suhalmindi


    C’est vraiment un plaisir de marcher sur ces chemins dans cette si belle nature. Finalement, on aperçoit l’océan et Saint-Jean-de-Luz à l’horizon.

    J42 - Sur la crête de Suhalmindi. L'océan est en vue.


    Je redescends à Ascain où je m’arrête pour mon repas. Je prends un nouveau Doliprane car la fièvre revient. Les cachets font effet pendant quatre à cinq heures. Combien de temps ça va durer ? Je commence à être inquiet pour la suite de mon pèlerinage. Et il faut que j’achète une boite de Doliprane, la petite réserve de ma trousse à pharmacie touchant à sa fin. La pharmacie d’Ascain est fermée et n’ouvrira qu’à quinze heures. C’est beaucoup trop tard, je ne peux pas attendre aussi longtemps alors qu’il reste presque vingt kilomètres à parcourir.

    Après Ascain, le trajet emprunte des petites routes dans les collines de l’arrière pays. Ça monte et ça descend de nouveau et ce n’est pas intéressant. Mais il faut continuer à avancer. Je longe l’autoroute A63 sur une paire de kilomètres, traverse par un tunnel et arrive enfin à Behobie aux portes d’Hendaye. Il y a une pharmacie et j’achète une boite de Doliprane 1000. La pharmacienne me confirme que je souffre d’une insolation. Ce sont bien les symptômes et elle me rassure en me disant qu’il suffit de faire baisser la fièvre et boire beaucoup. « Cela devrait passer d’ici quelques jours » me rassure-t-elle avec un grand sourire encourageant. Bien. Et je ressors le cœur plus léger pour terminer cette longue étape.

    À partir de là, je n’ai qu’une petite zone commerciale à traverser pour arriver à l’hôtel Campanile où j’ai réservé une chambre hier. J’avais repéré qu’il était situé à cette entrée de la ville et j’ai modifié mon parcours de façon à arriver par là pour économiser trois ou quatre kilomètres. Malgré cela, j’ai quand même marché trente-trois kilomètres aujourd’hui.

     J42 - Arrivée à Hendaye

     
    Voilà. J'ai traversé la France et ai atteint un nouvel objectif intermédiaire. Je suis très content d’être arrivé jusqu’ici. Tout serait parfait si je n’avais pas ces accès de fièvre. Je décide de changer mes plans. Au lieu de partir directement en direction de San Sebastián comme j’avais prévu, je vais me reposer une journée en visitant Hendaye, puis je traverserai le pont Saint Jacques sur la Bidassoa pour aller dormir à Irún.

    En attendant, je n’ai rien d’autre à faire que me reposer en profitant du confort de l’hôtel et envoyer textos et courriels.

     

     

     

     

    J 43 - Vendredi 13 octobre. HENDAYE - IRÚN
    Beau temps                                                                                                                                                               10 km

     

    Je me réveille encore avec de la fièvre, mais bien moins forte. Le superbe petit-déjeuner du Campanile est un peu gâché par mon état, car le cachet met un certain temps à faire effet.

    Je pars tranquillement vers le centre ville puis je marche jusqu’à la grande plage sur l’océan.

    J43 - Hendaye - La baie et Fontarabía


    À cette heure matinale, l’océan est encore gris. La houle s’avance en ondulations paresseuses qu’une bonne vingtaine de surfeurs chevauchent avec plus ou moins de bonheur au moment où elles se transforment en vagues déferlantes. Plus loin, les deux jumeaux, deux énormes rochers laissés là par l’érosion de la falaise, barrent l’horizon.


    J43 - Hendaye - La plage, les surfeurs et les 2 jumeaux


    C’est un beau spectacle qu’on a envie d’admirer sans fin. Une sensation de paix, de sérénité, de perfection quand l’un des surfeurs glisse sans effort apparent sur la crête d’une vague.

    Je reviens vers le centre ville par la promenade aménagée le long de la baie de Chingoudy sur laquelle des bateaux de plaisance flottent mollement.

    Je fais quelques courses, boit un café et passe à la mairie où une employée souriante appose sur ma Créanciale le tampon du lieu.

    Bon. Je n’ai plus rien à faire à Hendaye, je passe en Espagne.

    Pour cela, il suffit de traverser le pont qui enjambe la Bidassoa et qui s’appelle fort opportunément pont Saint-Jacques. Il est bien banal et ne se distingue que par les panneaux fixés à chaque extrémité, en français coté Hendaye et en espagnol coté Irún.

     J43 - Hendaye - Le pont sur la Bidassoa


    J43 - Irún - Le pont sur la Bidassoa

     
    La ville est bien plus grande que je pensais. Les voies ferrées y tiennent beaucoup de place car c’est une importante gare frontière. Je trouve des marques et les suis mais ce ne sont pas les bonnes. Il y a plusieurs chemins dont un qui rejoint le Camino francés à Pampelune. Il ne faut pas se tromper. Grâce au Paseo Colón, axe principal de la ville mentionné dans mon guide, je me repère et trouve l’albergue municipale où je veux passer la nuit. Elle n’ouvre qu’à seize heures et je patiente en allant manger une pizza dans un petit restaurant sur le paseo.

     

     J43 - Irún - L'albergue municipale


    L’albergue est donativo, c’est-à-dire que l’on donne ce que l’on veut ou plutôt ce que l’on peut. Cela permet aux pèlerins peu fortunés d’être hébergés quand même. Les autres compensent en payant le prix normal, voire plus. Les deux hospitaleros sont sympathiques et donnent des conseils sur la suite du parcours. Comme je n’ai pas de sac de couchage, je leur demande s’ils peuvent me prêter une couverture. Ils sont étonnés que je n'en ai pas, me donnent satisfaction mais me conseillent d’acheter un sac car, me disent-ils, il n’y a plus de couverture dans les auberges municipales en Espagne à cause du risque d’infection par les punaises de lit. Allons bon. Il faudra que je règle ce problème.

    Je partage la chambre avec une jeune Américaine, Pauli, qui vient du Michigan et Pablo, un jeune Chilien. Quatre Allemandes logent dans une autre chambre. Il y a la mère, sa fille et ses deux petites filles. Quelle bonne idée de faire un bout du chemin en famille ! 

    Je me balade dans le centre ville, je visite l’église de Notre-Dame du Juncal, j’achète quelques marrons grillés à une vendeuse toute en rondeurs et très avenante sur la place San Juán et finalement dîne dans un petit restaurant voisin avant de rentrer à l’auberge.

    J43 - Irún - Vendeuse de marrons grillés


    La fièvre n’est pas revenue bien que je n’ai pas pris de cachet depuis ce matin. C’est bon signe. Je décide de ne pas en prendre avant de me coucher. Pour voir.

    Je discute un moment avec Pauli qui découvre le chemin et est un peu inquiète. Je la rassure mais lui conseille quand même d’alléger son sac qui me paraît bien gros, comparé au mien.

    Je me couche en bien meilleure forme et surtout avec le moral en hausse après avoir passé en revue dans ma tête les quarante-deux étapes de mon parcours français.

     

    Quarante-deux étapes qui représentent un peu plus de mille-cent kilomètres pendant lesquels tout s’est très bien passé.

    Cela n’a pas toujours été facile, notamment dans la traversée du Massif Central où les dénivelées et surtout la pluie et des températures proches de zéro degré m’ont donné un peu de fil à retordre. Mais j’étais préparé et je m’y attendais.

    Depuis Figeac, j’ai enchaîné beaucoup d’étapes de trente kilomètres et plus sans difficulté. Je suis en grande forme, je n’ai pas d’ampoule, je souffre juste de la contracture sur le dessus du pied gauche qui ne passe pas malgré les massages au Voltaren sans vraiment me gêner. Quant au mal aux genoux dont je souffrais depuis bien avant le départ, il a disparu après une dizaine de jours de marche.

    Seul ennui, l’insolation du dix octobre dont les conséquences m’ont perturbé ces trois derniers jours.

     

    Le parcours français est magnifique. Depuis les contreforts des Alpes jusqu’aux collines verdoyantes du pays basque, j’ai vu se dérouler au rythme de mes pas les paysages les plus variés. Un beau chemin dont le tronçon entre Le Puy et Figeac est le joyau. J’y ai pris beaucoup de plaisir, malgré la pluie qui s’est vainement évertuée à me faire détester.

    J’ai eu un peu de mal au départ à "entrer" mentalement dans le chemin, peut-être parce que je ne partais pas de chez moi mais d’une ville qui m’était étrangère, qui ne représentait rien pour moi. Mais j’ai très vite plongé dans cette ambiance si spéciale du chemin grâce aux rencontres faites et aux hébergements accueillants.

    Et c’est vrai que j’ai retrouvé l’accueil chaleureux réservé aux pèlerins dans la plupart des endroits où je me suis arrêté. La palme revient à Annette de Valencogne, à Christine de Bourg-Argental, à Katia et Marcel de Madaillan et à Maria et Fabian de Navarrenx qui m’ont fait me sentir chez moi. Une mention spéciale aussi au "Repos d’antan" de La Clauze, à "L’orée du chemin" de Massip et à "L’Arbladoise" de Nogaro pour la qualité de leur gîte et leur accueil simple et chaleureux.

    J’ai aussi retrouvé cette relation si particulière, directe et sans arrière-pensée que l’on noue avec les autres pèlerins. Tout le long de mon parcours, j’ai fait des rencontres enrichissantes qui ont éclairé mon chemin : tout d'abord Sylvie avec qui je me suis si bien entendu pendant dix jours, ainsi qu’Anna, Monika, Elodie qui marchait en comptant sur l’hospitalité des gens, Berndt, Clara, Jacopo, Johan, Ladislas, Brigitte, Amandine, Clémence. Toutes et tous ont contribué à enrichir mon chemin, font partie de mon chemin. 

     

    Hendaye, à l’autre bout de la France constituait le quatrième objectif intermédiaire de mon parcours. Mais tellement loin que je n’ai commencé à y penser que pendant les quatre derniers jours. 

     

    Voilà, après cette journée de repos sur les rives de la Bidassoa, à la frontière espagnole, je suis prêt à affronter le Camino del Norte à la réputation sulfureuse. Et à le savourer.

     

     

     

     

    16 - DE IRÚN À SANTIAGO

     

     

    Aux débuts du pèlerinage, les pèlerins suivaient la côte nord de l'Espagne, sur les terres contrôlées par les chrétiens. Ce premier chemin, utilisé jusqu'au milieu du 12° siècle, a pris le nom de Camino del Norte. Ce n’est qu’après la reconquête des plateaux intérieurs sur les Arabes, que les pèlerins utilisèrent ce qui est devenu le Camino Francés, poussés à passer dans les villes nouvellement reconquises par le roi Alfonso Ier d’Aragon. 

     

    La réputation du Camino del Norte est bien établie. Il traverse des régions montagneuses, contourne ou franchit rías et estuaires où se nichent de mignons petits ports de pêche, et longe une côte souvent sauvage mais parfois ourlée d’immenses plages de sable. Mais il passe aussi par de grandes villes aux banlieues tentaculaires et aux zones industrielles envahissantes.  

    Le climat de cette côte atlantique est doux et humide, ce qui, en clair, signifie qu’il pleut beaucoup.  

    Il est bien moins fréquenté et, conséquence directe, bien moins équipé en albergues et autres gîtes pour pèlerins. Cela m’a valu de parcourir quelques étapes non prévues de trente-cinq kilomètres faute de trouver un toit hospitalier à des distances plus raisonnables.  

    Le chemin ne suit pas toujours la côte. À plusieurs reprises, il s’enfonce à l’intérieur des terres, notamment avant d’arriver à Bilbao, faisant découvrir un autre visage plus rustique du pays basque avec ses montagnes couvertes de forêts d’eucalyptus, ses fermes isolées et ses hameaux serrés autour d’une petite église et d’un fronton.  

    Puis, dès son entrée dans la province de Galice, il quitte définitivement la côte et s’enfonce résolument à travers une zone montagneuse et sauvage pour rejoindre Santiago.  

     

    Ayant déjà emprunté le Camino Francés en 2013, j’ai choisi de parcourir cet itinéraire pour arriver à Compostelle. Je n’ai pas été déçu, le chemin a été conforme à sa réputation. Terrain magnifique mais difficile, paysages à couper le souffle, quelques grandes zones industrielles désagréables, peu d’hébergements d’autant qu’à cette saison, certains étaient fermés, et pas beaucoup de monde. Il m’est arrivé de marcher plusieurs jours sans voir le moindre pèlerin. 

     

    Malgré les difficultés que j’ai parfois rencontrées, j’ai pris un grand plaisir à marcher sur ce chemin. L’ambiance est un peu différente de celle du Camino Francés, sans doute à cause de la difficulté et de la fréquentation moindre qui font que les relations et les échanges sont plus sincères et plus profonds, le souci de l’autre et l’esprit d’entraide plus développés. En tout cas, les rencontres que l’on y fait contribuent toujours autant au charme du pèlerinage.
     

     

     

    J 44 - Samedi 14 octobre. IRÚN - SAN SEBASTIÁN
    Beau temps                                                                                                                                                               25 km

     

    L’hospitalier fait lever tout le monde en douceur et en musique dès six heures trente. Je n’ai pas de fièvre sans avoir pris de cachet. C’est fini, j’ai retrouvé mon état normal. Je vais pouvoir me régaler de marcher sur le chemin espagnol. Dès sept heures trente, je suis parti dans la nuit le long des avenues éclairées.

    J43 - Irún - Marquage du chemin
    Assez vite après la sortie de l’agglomération, le chemin commence à monter vers Nuestra Señora de Guadalupe sur les Monts Jaizkibel qui dominent toute la côte de leurs cinq-cents mètres. Devant moi, un grand gaillard marche avec véhémence, c’est le mot, tellement il pousse puissamment sur ses bâtons. Mais dès le début de la montée, il ralentit. Je le rattrape et le double dans le premier lacet où il s’est arrêté, essoufflé et en nage. Il est gros, bedonnant, coquilles Saint Jacques autour du cou et sur le sac, bandana sur la tête, mousquetons accrochés au sac, gros bâton, et autres colifichets. Une vraie caricature de pèlerin ! À son allure, il doit être allemand ou néerlandais. Ça m’étonnerait qu’il aille bien loin s’il continue de cette façon.

     

    Arrivé au sanctuaire de Guadalupe, j’admire le panorama sur la baie de Chingoudy en contrebas puis j’entre dans la chapelle voir une nouvelle Vierge noire, vénérée par les marins et les pêcheurs de la baie.

    J44 - Irún - La baie de Txingudi vue du sanctuaire de Nuestra Señora de Guadalupe


    J44 - Sanctuaire de Nuestra Señora de Guadalupe - La Vierge noire


    Quand je ressors, arrivent Pauli et Pablo qui arbore un drapeau de son pays sur son sac à dos. Il y a quelques autres marcheurs qui semblent déjà fatigués par la montée et qui avancent doucement. Ils démarrent d’Irún, c’est leur premier jour tandis que moi je suis parfaitement entraîné avec quarante-trois jours de marche dans les jambes.

    Le chemin continue à flanc de montagne pendant une quinzaine de kilomètres. On domine un paysage de collines boisées parsemées de nombreuses habitations.

     J44 - Chemin du Mt Jaizkibel
    Après ce joli parcours sur les hauteurs, le chemin plonge brusquement au bord de la ría au pittoresque village de pêcheurs de Pasei-Donibane.

    J44 - Arrivée à Pasaï Donibane
    C’est assez spectaculaire. Les maisons sont serrées contre la falaise et il y a de l’animation dans les rues dont un mariage avec pleins de messieurs en chemise blanche et nœud papillon et de jolies femmes en robes décolletées.

     J44 - Pasaï Donibane
    Le bras de mer fait à peine cent-cinquante mètres de large pourtant un gros cargo passe tandis que j’attends la barque qui va me faire traverser. C’est une petite embarcation qui prend à peine une dizaine de personnes. Pour cinquante centimes et en trois minutes, je suis sur le quai de l’autre coté, à Pasaï San Pedro.

    J44 - Pasaï Donibane - Embarquement sur la barque pour traverser la ría


    Pasaï San Pedro


    Je flâne un moment en regardant cette vie maritime à laquelle je ne suis pas habitué puis je repars en suivant les habituelles flèches jaunes qui m’amènent au pied d’une volée d’escaliers. C’est par là. Les marches conduisent au phare de la Plata et sur les hauteurs des Monts Ulia.

     J44 - Pasaï San Pedro - Début de la montée vers le phare


    La montée est raide et je ne suis pas tout seul. Cette grimpette semble être la promenade préférée des gens d’ici en ce beau samedi ensoleillé.

    De la plateforme près du phare, la vue sur l’embouchure de la ría et la côte en direction d’Irún est immense. C’est là que je m’installe pour déjeuner, face à ce grandiose panorama. Je comprends que tout le monde vienne jusqu’ici.

     J44 - Phare de la Plata

     
    Ensuite c’est un agréable sentier qui serpente sur les pentes du Mont Ulia offrant des vues magnifiques sur la côte déchiquetée.

     J44 - La côte du Mont Ulia

     
    Au bout, on arrive sur les hauteurs dominant San Sebastián.

     J44 - San Sebastián vu du Mt Ulia
    Après une descente assez raide dans les bois, on se retrouve quasiment sans transition sur la promenade du bord de mer longeant la belle plage de Zuriola. Le contraste est brutal. Je marche le long de cette plage de sable pleine de gens qui profitent du soleil. Je côtoie un autre monde mais personne ne fait attention à moi à l’exception de quelques passants qui me saluent d’un réconfortant « Buen camino ».

    J44 - San Sebastián - Plage de Zuriola

     
    Je m’arrête à l’office de tourisme pour trouver un hébergement, les deux auberges de pèlerins où j’avais pensé aller étant complètes. Je passe deux heures à téléphoner à des myriades de pensions puis d’hôtels. Il doit y avoir une manifestation quelconque dans la ville car tout est complet. Le seul weekend ne justifie pas une telle foule.

    Je trouve finalement un hôtel, cher et loin du centre, ce qui me prive d'une balade en soirée dans les rues animées. Pour y arriver, je marche le long de l’immense plage de la Concha, bordée par la Casa Real de Baños, le Real Club Náutico et le Palacio de Miramar. Ces bâtiments somptueux, la belle grille longeant la promenade, les réverbères stylisés, contribuent à donner à la plage une allure élégante et particulière. C’est, de loin, la plus belle plage de la ville.

    J44 - San Sebastián - Plage de la Concha et le Mt Urgul


    L’hôtel se trouve au pied du Mont Igueldo près du chemin que j’emprunterai demain. C’est un bel hôtel, mais les autres clients sont des jeunes ados très décontractés. Moi qui craignais de me faire remarquer avec mes pantalons de marche et mes tongs, je suis mieux habillé que certains. Je dîne dans une cafétéria qui détonne par rapport au standing de l’hôtel, par contre l’immense chambre est très confortable.

     

     

    J 45 - Dimanche 15 octobre. SAN SEBASTIÁN - ZARAUTZ
    Beau temps                                                                                                                                                               23 km

     

    Je ne quitte mon hôtel de luxe que vers neuf heures après avoir acquitté une facture assez salée qui me reste sur l’estomac et qui me ruine le moral. J’aurais dû y penser et réserver à l’avance. Mais c’est trop tard, ce qui est fait est fait. Une leçon à retenir.

     

    Le chemin grimpe immédiatement sur le Mont Igueldo puis avance au milieu de pâturages, de landes d’ajoncs et de fougères, longe champs de maïs et vignes qui produisent le Txakoli, un vin blanc pétillant élaboré à partir de raisins verts, ce qui lui donne une certaine acidité. Partout, de belles échappées sur l'océan dont les vagues sont toutes ébouriffées par le vent violent.

    J45 - Sur le chemin vers Orio - Ferme


    En fin de matinée, après avoir zigzagué pour traverser l’autoroute AP8, le chemin plonge au bord de la ría d’Orio où se niche le village du même nom.

    J45 - Arrivée à Orio


    C’est un joli village de pêcheurs tassé autour de la très belle et originale église San Nicolás de Bari. Elle est entourée d’un vaste préau qui servait autrefois aux réunions publiques. L’église est pleine pour la messe dominicale qui est en train de se dérouler. J’assiste jusqu’à la fin puis je me mêle au flot des fidèles qui se dirige vers le bas du village.
    La petite place centrale au bord du quai est pleine de monde. Les gens, souvent bien habillés, se promènent où sont attablés dans les différents bistrots du lieu tandis que les enfants jouent dans les rues. C’est là que je déjeune dans cette agréable ambiance festive avant de traverser l'estuaire de la rivière puis de remonter sur le plateau de l'autre côté.

    J45 - Orio - L'église St Nikolas

     
    J45 - Orio
    I
    l fait chaud et je prends soin de boire et de me mouiller la tête régulièrement. Une fois, pas deux.

    Échaudé par mon aventure de San Sebastián, je téléphone à l’hôtel où j’ai prévu d’aller à Zarautz mais cette fois-ci il n’y a pas de problème.

    L’arrivée à Zarautz offre un panorama magnifique sur l’immense baie bordée d’une longue plage de sable fin où les rouleaux de l’océan viennent s’écraser. Il y a un parcours de golf en contrebas qui étale ses pelouses en arrière des dunes. C’est un bel endroit et je reste un moment sur ce promontoire à admirer le site.

     
    - J45 - Arrivée à Zarautz

     
    L’hôtel est situé dans la vieille ville, sur la petite place Musika, tout à fait à l’autre bout de la baie. J’ai une chambre sous les toits et la patronne, très gentiment, me propose son sèche-linge.

    Je vais me promener sur le front de mer où souffle un petit vent très agréable. Beaucoup de monde sur cette jolie promenade et dans les rues animées du centre. Le soir, je dîne d’une tortilla sur la place en écoutant un orchestre de quatre musiciens très dynamique et très éclectique.

     J45 - Zarautz - La plage
    J’étais un peu fatigué en arrivant mais la fraîcheur de la soirée et la bonne ambiance de cette petite ville m’ont bien reposé.

    J’envoie un message à Jacopo. Il a dépassé Pamplona et tout va bien pour lui.

    J’ai beaucoup aimé cette étape à travers la campagne basque. Mais je n’ai vu aucun pèlerin. Où sont passés tous ceux qui ont démarré d’Irún hier en même temps que moi ? 

     

     

     

    J 46 - Lundi 16 octobre. ZARAUTZ - DEBA
    Beau temps                                                                                                                                                               23 km

     

    Je pars au lever du jour le long de la route qui mène à Getaria. Je marche sur un cheminement piétonnier aménagé le long de la côte où je rencontre pas mal de gens qui font leur footing.

    J46 - Départ de Zarautz en direction de Getaria

    J46 - Sur le chemin de Zarautz à Getaria

    Éclairé par le soleil levant, Getaria est toute badigeonnée d’orange.

     J46 - Getaria

     
    J’entre dans la ville pour aller voir l’église San Salvador. Sa particularité est que la rue principale passe en dessous par un long tunnel pour rejoindre le port mais l’intérieur est sombre et sans grand intérêt.

    Sur la place devant l’ayuntamiento, s’élève une statue du capitaine Juán Sebastián Elcano, premier marin à avoir effectué le tour du monde entre 1519 et 1522 avec l’expédition de Magellan. C’est lui qui a ramené la Victoria, le seul bateau de l’expédition à être revenu après la mort de l’explorateur.

    Il y en a une autre sur la place des Gudaris sans compter le mausolée rappelant les noms des marins qui l’avaient accompagné.

    Puis, je quitte Getaria par un chemin pavé qui monte dans les vignes. Ici aussi, on produit le Txakoli.

     J46 - Sur le chemin pavé quittant Getaria
    Je passe à Azkizu et son église San Martín fortifiée avant de redescendre à Zumaia au bord de la rivière Urola. Le chemin passe devant l'ancienne gare superbement restaurée puis près de l'austère église fortifiée San Pedro, qui se dresse dans le centre historique de la petite ville, aux rues égayées par quelques originales œuvres d'art.

    J46 - Zumaia - L'ancienne gare


    J46 - Zumaia - Fontaine et palais


    Je traverse la rivière sur un grand pont et remonte sur le plateau de l’autre coté. Dans la montée, je double deux Espagnoles assez rondes et bien chargées qui marchent lentement. Enfin, des pèlerins.


     J46 - Zumaia - La ville et l'église San Pedro

     

     J46 - Zumaia - L'ermitage San Telmo


    Le chemin descend dans des vallons, remonte sur les hauteurs, franchit la N 634 et l’autoroute AP8 et arrive au village d’Itziar qui, l’air de rien, est à cinq-cents mètres d’altitude. On y trouve le sanctuaire Nuestra Señora de Itziar qui abrite l’une des sept Vierges noires du Pays basque, vénérée par les marins et les pêcheurs. Après avoir allumé une bougie à ses pieds, je m’installe pour manger sur la place, à l’ombre des grands arbres, en regardant les enfants du lieu jouer au ballon. Les deux Espagnoles me saluent joyeusement en passant, visiblement pas éprouvées par la longue côte et continuent sans s’arrêter.

    J46 - Itziar - Eglise Nuestra Señora de Itziar - La Vierge noire


    Plus que trois kilomètres en descente, agréable au début puis de plus en plus raide au point de finir par des escaliers pour arriver à Deba, une petite ville nichée au bord d’une autre ría. Je vais à la pension Zumaldi, belle maison près de la grande plage de sable orange. Puis je me promène dans la ville et ses rues pavées. Je passe à l’église Santa María du 15° siècle qui s’orne d’un magnifique tympan polychrome et d’un grand retable et je termine sur la grande place dominée par la façade de l’ayuntamiento décorée des
    blasons de Deba, de Gipuzkoa et d'Espagne.

    J46 - Deba - Eglise Santa María - La nef


    J46 - Deba - Place de la mairie

     

    J46 - Deba - Armoiries sur la façade de la mairie


    C’est là que je m’installe pour boire un verre et rédiger mon journal, au milieu des gens qui discutent et des enfants qui jouent. Un très agréable moment de paix.

    Après avoir dîné dans un petit restaurant, je rentre à la pension, content de cette belle journée à travers des paysages magnifiques. Grâce au vent, la chaleur était très supportable. J’ai l’impression que l’immensité de l’océan toujours présent apporte une touche de douceur à l’ensemble.

    Mais c’était aussi une étape assez difficile avec beaucoup de dénivelée.

    Et je n’ai pas revu non plus les pèlerins des jours précédents ni même les deux Espagnoles de tout à l’heure. Où sont-ils passés ? Où se sont-elles arrêtées ?

     

     

    J 47 - Mardi 17 octobre. DEBA - Monastère de CENNARUZA ZIORTA
    Beau temps                                                                                                                                                               27 km

     

    Il est sept heures quarante quand je quitte la pension mais il fait encore nuit. Je suis mille kilomètres plus à l’ouest qu’à Montpellier et cet écart est sensible. Le jour se lève quasiment une heure plus tard et, bien sûr, la nuit tombe aussi une heure plus tard.

    J47 - Deba - Lever du jour


    Je repasse par le centre pour quitter la ville et traverse la voie ferrée qui longe la ría. Il y a un passage à niveau pour les piétons sans aucune protection particulière. Juste un feu rouge et un avertisseur sonore qui sonne à l’approche d’un train sans rien pour empêcher les gens de passer. Ce qui démontre un esprit de discipline et un sens des responsabilités plus élevés. Feu rouge, on ne passe pas. Pas besoin de barrière.

     

    J 47 - Deba - Lever du solei

    De l’autre coté du pont, le chemin attaque directement la pente pour escalader les collines. Au début, ce sont des prairies parmi lesquelles je vois de nombreuses fermes isolées. C’est là que je rattrape les deux Espagnoles d’hier, Isabel et Angeles qui avancent doucement, lestées de leurs gros sacs à dos, toujours aussi souriantes et sympathiques. Mais où ont-elles passé la nuit ? Je leur demande. À l’auberge municipale me répondent-elles, située tout à coté de ce fameux passage pour les piétons. Dix fois dans la nuit, elles ont été réveillées par la sonnerie qui se déclenchait à chaque passage de train.

    Il y avait donc une auberge municipale qui n’était pas signalée sur mon document. J’ai payé plus cher mais, au moins, j’ai bien dormi dans la pension près de la plage.

    Le chemin s’éloigne doucement de l’océan et entre de plus en plus profondément à l’intérieur des terres. Les collines deviennent des montagnes et se couvrent de forêts de pins et d’eucalyptus. Ça monte beaucoup puis, soudain, le chemin redescend dans la vallée fermée d’Olatz. C’est une vallée d’origine karstique qui n’a pas de débouché car la rivière a disparu sous terre. L’endroit est très tranquille et semble carrément à l’écart du monde. Des fermes éparses, un hameau que le chemin traverse avec un petit bar ouvert juste en face de l’ermitage de San Isidro. Je ne laisse pas passer une aussi belle occasion et m’arrête pour boire un café au lait qui accompagne bien agréablement mon pain au chocolat. C’est peu après cet arrêt, alors que je remonte l’autre versant de la vallée, que je suis rattrapé par Marc, un Français de Chartres qui a démarré à Cahors. Un peu plus loin, un autre gars me rattrape à son tour, Giza, un jeune Hongrois, et nous finissons par marcher ensemble sur ce chemin qui monte et descend dans ce monde de forêts à l’écart de toute civilisation.

     J47 - Olatz - Ferme isolée dans la montagne
    Finalement, vers midi, le sentier redescend vers la petite ville de Markina-Xemein. Nous passons devant une ferme fortifiée dressée sur un promontoire.

    J47 - Markina Xemien - Ferme fortifiée


    Puis nous arrivons à l’église San Miguel d’Arretxinaga que nous n’aurions même pas regardé tellement l’extérieur est banal. Heureusement, avant de partir ce matin, j’avais lu les explications touristiques sur cette étape. C’est une église étrange et unique. À l’intérieur, trois énormes blocs de rocher sont empilés en équilibre l’un sur l’autre. En dessous, un petit autel et la statue de Saint Michel terrassant le dragon. Le tout forme un ensemble impressionnant. Comment ces rochers sont-ils arrivés là ? Ils sont trop gros pour avoir été manipulés, c’est une œuvre de la nature, certainement vieille de plusieurs millions d’années et qui a dû être considéré comme un lieu magique avant d’être transformée en église à l’arrivée du Christianisme.


    J47 - Markina Xemien - L'étrange église St Michel
    Nous finissons d’entrer dans la ville et nous arrêtons sur la grande place Golko Portala pour boire un verre à la terrasse d’un bar accueillant. Il n’est pas quatorze heures. Marc propose de continuer jusqu’au monastère de Cenarruza Ziorta qui se trouve dans les montagnes, sept kilomètres plus loin. J’avais prévu de m’arrêter à Markina-Xemein mais c’est bien trop tôt. D’accord, on continue.
     

    Nous repartons alors que le temps se couvre rapidement. Le chemin s’engage à nouveau dans les montagnes et grimpe continuellement. Le monastère est construit sur une butte qui domine la vallée par où nous sommes arrivés. Un magnifique calvaire de granit sculpté nous accueille.

    J47 - Monastère Cennaruya Ziortia - Calvaire
    Nous passons deux portails monumentaux certainement vestiges d’une ancienne enceinte, longeons l’église et le cloître et arrivons à un magasin de souvenirs. Là, un vieux moine nous dirige vers l’endroit où nous allons loger, une simple pièce meublée de quelques lits superposés avec un coin cuisine. Les sanitaires sont à l’extérieur. C’est assez spartiate mais nous devrons nous en contenter.

     

    À dix-neuf heures trente, un peu par égard pour nos hôtes, un peu par curiosité, nous allons assister aux vêpres qui ont lieu dans la grande église, très sobre à l’exception d’un magnifique retable très coloré qui orne le chœur.

    J47 - Monastère Cennaruya Ziortia - Le retable dans l'église
    Nous ne voyons que cinq moines, tous très vieux et la prière nous paraît bien triste. En sortant nous faisons le tour du cloître bien que le faible éclairage ne le mette pas en valeur.

    Un peu plus tard, un moine nous apporte le repas, identique à celui de la communauté. C’est une grande marmite de soupe à la tomate avec des pâtes, des haricots, des pois et des champignons. Il n’y a que ça mais nous pouvons en manger autant qu’on veut et on ne s’en prive pas. Pour le dessert, il suffit de piocher dans le panier plein de pommes cueillis dans les vergers alentours posé dans un coin de notre logis. Manger une pomme chaque jour, éloigne le médecin pour toujours dit le proverbe. Avec toutes celles que je mange depuis le départ, je devrais être tranquille pour un bon bout de temps.

    Ce repas assez monacal ne nous empêche pas de passer une bonne soirée. Marc et Giza sont sympas. Les conversations se font en anglais, mais ce n’est un problème pour personne.

     

     

    J 48 - Mercredi 18 octobre. Monastère de CENNARUZA ZIORTA - PEPIANA
    Pluie                                                                                                                                                                           26 km

     

    Quand nous démarrons à huit heures, il fait encore nuit. Il faut dire que la pluie qui tombe des nuages bas n’arrange pas la luminosité. L’itinéraire continue de monter et descendre au fil des crêtes et des vallons. Le paysage est toujours aussi sauvage, les montagnes sont couvertes de forêts de pins et d’eucalyptus. On rencontre de temps en temps une ferme isolée dans une clairière et on passe quelques villages aux noms flamboyants, Gerrikaitz, Arbatzegi, Aldaka, Zarra, Arratzu.

    J48 - Pont d'Artzubi
    J48 - Sur le chemin vers Marmitz

    En traversant Muñitibar, nous remarquons deux peintures murales, visiblement destinées aux pèlerins que nous sommes, car qui, à part nous, passe à cet endroit. Ce sont des peintures de propagande. L’une vante les mérites d’une organisation basque baptisé ERNAI (Garde) dont les mots d’ordre sont organisation, indépendance, socialisme, féminisme. Ils ratissent large. L’autre réclame le retour des prisonniers basques au pays. Quatre prisons françaises figurent sur la liste de celles où ces prisonniers sont détenus, Fleury, Bapaume, Arles et Clervaux.

     J48 - Munitibar - Propagande murale ETA


    J48 - Munitibar - Propagande murale ETA


    Après un long parcours dans les montagnes, nous retrouvons la civilisation en débouchant des bois à Ajangiz, petite bourgade construite sur les pentes de la vallée creusée par la rivière Oca.

    On y retrouve le jeune allemand déjà vu précédemment et aussi un gros type ventru avec des gris-gris partout, un bandana dans les cheveux et un énorme bâton. C’est le gars que j’avais doublé à la sortie d’Irún. Comment est-il arrivé jusque là avant moi ? Tout simplement en prenant le bus pour terminer les étapes chaque jour. Il n'est pas allemand mais néerlandais. J'avais vu juste.

    Ajangiz est aux portes de la tristement célèbre Gernika où nous arrivons pour midi.

     

    Le 26 avril 1937, entre dix-sept heures trente et vingt heures, l’aviation allemande (et italienne aussi) largue soixante tonnes de bombes incendiaires sur la petite ville qui est détruite à soixante-dix pour cent. Le nombre officiel de victimes est de mille-six-cent-soixante-quatre morts et plus de huit-cents blessés. Ce bombardement a contribué à la médiatisation internationale du conflit espagnol et le célèbre tableau peint par Picasso sur commande du gouvernement espagnol est devenu l’une des œuvres les plus célèbres du peintre.

    Mais Gernika nous a déçus. C’est une ville moderne et active mais il n’y a rien à voir. Et la pluie qui tombe sans discontinuer n’arrange rien. Du chêne sous lequel se tenaient les assemblées plénières pour décider des intérêts de la communauté, il ne reste qu’un moignon de tronc brûlé protégé sous une coupole devant le bâtiment du parlement reconstruit.

    J48 - Gernika Lumo - Les restes du chêne
    Nous déjeunons dans un restaurant sur la place principale, faisons nos courses pour le repas du soir et quittons la ville, toujours sous la pluie. Dans les faubourgs, nous passons devant une statue de pèlerin en métal. Le pèlerin est traité à la manière de Picasso, sans doute en souvenir de son célèbre tableau. C’est le seul "monument" digne d’intérêt.


    J48 - Gernika Lumo - Max et la statue de Saint Jacques à la Picasso
    Par contre, il suffit de regarder les panneaux indicateurs pour savoir qu’on est en plein pays basque.

    J48 - Gernika Lumo - Marquage du chemin en basque
    Nous avons décidé de marcher jusqu’à une auberge où nous avons téléphoné tout à l’heure. L’endroit s’appelle Pepiana et se trouve au milieu de nulle part dans les collines.

    C’est effectivement complètement isolé au bout d’une petite route à l’écart du chemin. Un panneau indique faussement deux-cents mètres pour ne pas décourager les bonnes volontés car les pèlerins n’aiment pas faire des kilomètres supplémentaires, même pas des hectomètres. En fait, le gîte est au moins à cinq ou six-cents mètres mais quand on s’en aperçoit, ça ne vaut plus le coup de faire demi-tour !

     

    Un accueil de pèlerins a été aménagé dans une grande maison isolée par le propriétaire des lieux, amateur de grosses motos. C’est bien arrangé mais c’est surtout très mercantile. Au prix de la nuit, conforme à ce qui se fait partout, il faut ajouter des euros pour pouvoir cuisiner, encore des euros pour avoir des pâtes, de l’huile, etc. Avec les provisions achetées à Gernika, nous nous préparons un bon repas bien consistant et, finalement, nous passons une bonne soirée avant d’aller nous coucher dans le grand dortoir sous les toits où nous sommes seuls. Dans cet endroit isolé, la nuit devrait être d’un calme absolu. 

     

     

    J 49 - Jeudi 19 octobre. PEPIANA - BILBAO
    Beau temps                                                                                                                                                               23 km

     

    La calme n'a pas été absolu car j’ai été réveillé dans la nuit par le bruit de la pluie sur le vasistas au-dessus de moi. Et il pleut encore au moment du départ. Heureusement ça ne dure pas et, au fil de la matinée, le beau temps s’installe tout doucement.

    L’environnement est le même qu’hier : grandes forêts d’eucalyptus, montagnes que nous escaladons et dévalons, quelques rares petits villages déserts. Au bas d’une piste boueuse et particulièrement glissante, nous arrivons à Goikoelexoa et son église massive entourée d’un vaste préau, comme nous en avons déjà vus dans la région. Encore un peu de descente et nous voilà à Larrabetzu, au bout de la large vallée de Txorierri qui file vers l’océan. Sur la place où nous avons fait une pause café, nous découvrons une émouvante peinture murale en nuances de gris. Elle montre des gens regardant craintivement vers le ciel dans lequel on voit des avions. Ces avions, ce sont les bombardiers allemands allant incendier Gernika. Sa sobriété accentuée par l’absence de couleurs la rend poignante. Et pour enfoncer le clou, une réplique du célèbre tableau de Picasso, lui aussi en nuances de gris, est fixée au-dessus.


    J49 - Larrabetzua - Peinture sur le bombardement de Gernika


    À partir de là, nous suivons la route qui nous mène à Lezama puis Zamudio dans une zone de plus en plus peuplée et construite. Nous avons changé de monde. Fini les montagnes sauvages et désertes, voici le pays basque côtier, actif, urbanisé et industrialisé.

     

    À l’entrée de Lezama, une énorme pierre rectangulaire est exhibée sur une pelouse. Sur les grands cotés, sont fixées de grandes poignées métalliques. Elle sert à l’un des jeux basques où la force est mise en valeur, la traction de pierre. Ces remorquages ont lieu sur une place spécialement aménagée qui reçoit le nom de probaleku où les participants doivent traîner la pierre pendant une période de temps préétabli, le plus grand nombre de tours possible.

    J49 - Lezama - Pierre servant à un jeu basque
    À Zamudio, nous quittons la route et la vallée pour grimper les collines qui nous séparent de la grande ville de Bilbao, capitale d’Euskadi, le Pays Basque. Nous faisons halte au sommet, le Mont Avril, pour manger face à un
    immense panorama sur l’agglomération qui s’étale en dessous de nous.

    J49 - Mont Avril - Panorama sur Bilbao


    La descente est facile et rapide. Nous arrivons dans la ville ancienne, passons à coté de l’église San Antón, près du fleuve que nous traversons pour remonter vers le centre ville. Nous logeons au Bilbao Central Hostel, une auberge de jeunesse située rue Fernández del Campo, en plein centre.

    J49 - Bilbao - Eglise San Antón
    Il est à peine
    quinze heures, nous avons le temps d’aller visiter la ville. Le gérant, sympa, s’occupe de notre linge qui se lave et se séchera tout seul dans les machines de l’auberge.

    Je passe devant la gare Abando à l’inattendu façade rococo pour aller jusqu’à la cathédrale Santiago.

    J49 - Bilbao - La gare Abando
    Sa situation dans la vieille ville ne permet pas d’avoir assez de recul pour pleinement apprécier la majesté de la façade gothique. J’entre. Ma première impression est une sensation de chaleur. L’intérieur est sobre et clair et baigné par une musique d’orgue en sourdine bien agréable. Au comptoir d’accueil, la préposée appose le sello du lieu sur ma Créanciale et me précise que la visite est gratuite pour les pèlerins. Bonne nouvelle. Je m’avance au milieu de la nef et à nouveau, je ressens le même trouble, la même émotion que dans les petites églises romanes de Saint-Privat-d’Allier et Pimbo. La gorge serrée et les larmes aux yeux. Ce n’est pas désagréable mais c’est très surprenant. Tout doucement, cette sensation s’estompe et je peux admirer en toute tranquillité la très belle statue de l’apôtre dans sa traditionnelle tenue de pèlerin et le magnifique orgue baptisé "Jesús Guridi" du nom de l’un de ses titulaires, compositeur reconnu.

    J49 - Bilbao - Eglise Santiago - La statue de St Jacques
    Je continue ma visite par le cloître dont le jardin est planté de citronniers et de palmiers, faisant une belle parure aux fines arcades.

    J49 - Bilbao - Eglise Santiago - Le cloître
    En marchant le long de la ría jusqu’à la passerelle suspendue Zubizuri, je pense à cette émotion inexplicable que j’ai ressentie pour la troisième fois. Qu’est-ce qui provoque cette sensation ? Mon hypothèse de l’énergie tellurique est-elle la bonne ?

     

    La passerelle lancée par-dessus le fleuve Nervion est très aérienne et a des allures de voilier. Son plancher à l’origine en verre transparent n’a pas fait l’unanimité et a été remplacé par un revêtement antidérapant noir nettement moins heureux.

     J49 - Bilbao - La passerelle Zubizuri


    Je continue ma promenade sur le paseo Uribitarte jusqu’au fameux musée Guggenheim où je retrouve Marc.

    Le musée est l’œuvre de Franck Gehry. Tout en verre et en titane, il a une allure très futuriste et renferme une exceptionnelle collection d’œuvres d’art moderne et contemporain.

    J49 - Bilbao - Musée Guggenheim de Franck Gehry
    À l’extérieur, on est accueilli par "Maman", l’araignée de Louise Bourgeois et par "les Tulipes" de Jeff Koons.

    J49 - Bilbao - Musée Guggenheim - L'araignée Maman de Louise Bourgeois

     
    J49 - Bilbao - Musée Guggenheim - Les tulipes de Jeff Koons


    À l’intérieur, j'ai particulièrement aimé "la matière du temps" de Serra, le mur de lumière et le tableau "la grande anthropométrie du bleu" de Klein.

    Quand nous sortons, il fait déjà presque nuit et, pour nous pèlerins, c’est déjà l’heure de dîner. Mais pas pour les Espagnols pour qui c’est à peine l’heure de l’apéritif. Qu’à cela ne tienne, nous revenons vers notre auberge à travers les belles avenues et les places majestueuses du centre moderne très agréable et très animé. La plupart des axes sont piétonniers et, dans certaines rues, les terrasses des bars et des restaurants débordent largement sur le bitume. Nous en choisissons une qui a très bonne allure et commandons des tapas et une caña con lemón car à cette heure-ci, il n’est pas question de menu.

    Marc a reçu une mauvaise nouvelle. Un problème familial l’oblige à arrêter son parcours et à rentrer chez lui à Chartres. Demain, il prend le bus pour rejoindre Hendaye.

    Occupés à notre discussion, il nous faut un bon moment pour nous apercevoir que tous les autres clients du restaurant sont en fait des clientes, des dames d’un certain âge, très bien habillées, maquillées, parées de bijoux, qui papotent en sirotant bières, vins rouge ou whisky. En tout cas, notre présence masculine passe totalement inaperçue.

    De retour à l’auberge, nous retrouvons notre linge, propre et sec sur nos lits. Mais j’ai la mauvaise surprise de découvrir que ma paire de chaussettes, la seule qui me reste, a rétréci de moitié, sans doute à cause du sèche-linge réglé trop chaud. M….

    Comment vais-je faire ?

    Sur le chemin tout s’arrange. Marc qui n’en a plus besoin, me prête les siennes. C’est sympa. Merci camarade.

     

     

    J 50 - Vendredi 20 octobre. BILBAO - POBEÑA
    Beau temps                                                                                                                                                               27 km

     

    Mon petit-déjeuner est agrémenté par une intéressante discussion avec Nani, une jeune et jolie Mexicaine en stage à Bilbao. Elle étudie dans la communication et je la trouve parfaite pour ce métier. Jolie, intelligente et très à l’aise. Une très agréable entrée en matière pour cette nouvelle journée.

    Marc est parti à six heures trente pour prendre son bus et je quitte l’auberge seul car Giza n’est pas prêt, me dit-il. Je pense qu’il veut surtout prolonger la conversation avec Nani qui lui plaît bien et qui est de son âge.

    Le long des grandes avenues qui commencent à s’animer, je rejoins le bord de la ría dont je vais suivre la rive gauche jusqu’à Portugalete à quinze kilomètres de là.

     

    J’étais prévenu mais j’ai quand même été surpris. Au bout de quelques kilomètres, le parcours entre dans une zone de friches industrielles. On chemine le long d’usines abandonnées, des carcasses de bâtiments et des structures rouillées, on longe la voie ferrée, on passe sous des ponts qui enjambent ces espaces, on emprunte des rues de cités ouvrières sans âme où la plupart des maisons sont inoccupées. Tout là-haut, l’autoroute A8, toujours lui, traverse la vallée entière sur un immense viaduc. C’est vraiment sinistre et laid mais je croise malgré tout des gens qui font leur footing sur cet itinéraire peu attrayant.

    J50 - Chemin vers Portugalete à travers les friches industrielles

     
    J50 - Chemin vers Portugalete à travers les friches industrielles

     

    J50 - Chemin vers Portugalete à travers les friches industrielles


    J 50 - Chemin vers Portugalete - Passage sous l'autoroute


    En approchant de Portugalete, on peut admirer le plus grand pont transbordeur à câbles du monde. Il relie Portugalete à la ville de Getxo de l’autre coté de l’estuaire, par-dessus le trafic maritime important de la
    ría. Sous le soleil, la couleur rouge de sa structure resplendit et se détache bien sur le bleu du ciel et de l’océan.

    J50 - Portugalete - Le pont transbordeur Biscaye


    J’arrive au centre de Portugalete où je m’arrête pour un petit-déjeuner-bis bien mérité après cette longue traversée du désert.

    Je passe près de l’église Santa María, pas très élégante, et de la tour Salazar, vestige d’anciennes fortifications du 14° siècle qui surveillait l’entrée de l’estuaire.

    J50 - Portugalete - Tour Salazar 14° siècle
    À part ça, la ville est suffisamment animée pour me permettre de faire mes courses avant de poursuivre ma route.

     

    Dès la sortie de la ville, on emprunte un chemin aménagé en piste cyclable et voie piétonne bien agréable baptisé "el camino rojo" à cause de la couleur rouge de son revêtement. D’accord, c’est du bitume mais son parcours est quasiment plat avec juste quelques pentes assez douces et il permet de survoler les rocades urbaines et l’autoroute A8 avant de s’engager entre de belles collines verdoyantes.

     J50 - El camino rojo vers La Arena


    J50 - Portugalete - Très joli tag sous l'autoroute

    Je m’arrête pour manger sur une aire de repos équipée de tables de pique-nique et même de fontaines installées à l’ombre des arbres. Alors que je finis mon repas, Giza arrive tranquillement. Il n’a pas dû avoir de succès auprès de Nani. Pour sortir de Bilbao, il a pris un autre chemin, par la rive droite du fleuve. Tout aussi désagréable mais avec l’avantage d’avoir traversé le bras de mer à Portugalete en utilisant le fameux pont transbordeur.

    Nous repartons ensemble pour le dernier tronçon en descente qui nous mène directement à la jolie plage de La Arena. C’est une petite station balnéaire avec quelques immeubles, beaucoup de restaurants, de bars, quelques hôtels et surtout une magnifique plage de sable orange sur laquelle les gros rouleaux de l’océan viennent déferler puissamment. Beau spectacle.

    J50 - Pobeña - Plage de La Arena

    Nous longeons les deux kilomètres de plage par un chemin en bois pour arriver à Pobeña, un vrai village un peu en retrait de la côte. Le chemin passe au pied du petit ermitage Nuestra Señora del Socorro. Le promontoire sur lequel il est construit était autrefois une île maintenant rattachée à la terre.

    L’auberge municipale pour les pèlerins est fermée et nous nous rabattons sur un petit hôtel qui veut bien nous héberger. Nous n’avons pas une simple chambre mais un petit appartement où on s’installe tous les deux. Pour le prix d’une chambre.

     

    Une fois installés, nous revenons sur la plage profiter de la mer et du soleil. Je me déshabille et tâte l’eau qui n’est pas si froide que ça. J’y vais, mais je n’ose pas m’aventurer bien loin car les vagues sont énormes, impressionnantes. On n’est pas habitué à ça en Méditerranée.

     J50 - Pobeña - Sur la plage de La Arena


    Nous marchons sur la plage jusqu’à La Arena en admirant le spectacle. De ce coté de la baie, il y a de nombreux surfeurs qui s’amusent sur ces vagues faites pour eux. Nous les regardons faire pendant un moment avant de nous installer à la terrasse de l’un des restaurants, face à la mer. Nous dînons d’un incontournable plato combinado en regardant le soleil disparaître et la nuit s’installer. Les surfeurs sont toujours dans l’eau.

    Nous revenons tranquillement vers notre toit par le même chemin. On ne voit quasiment plus les vagues mais on entend par contre très bien le grondement régulier des rouleaux qui déferlent infatigablement.

    Quelle belle étape ! Quel plaisir de retrouver le soleil, la mer, la plage après ces quelques jours de pluie et de grisaille passés dans les montagnes basques, loin de la civilisation.

    Tout bien pesé, malgré cette longue traversée des zones industrielles à l’abandon, c’était une bonne étape qui n’a pas été trop difficile. Je me suis régalé, je n’ai mal nulle part et je me sens bien en forme. J’apprécie de plus en plus ce parcours.

     

     

     

    J 51 - Samedi 21 octobre. POBEÑA -  ISLARÈS
    Couvert                                                                                                                                                                      25 km

     
    Il fait encore nuit quand je quitte Pobeña par la petite route qui mène à Kobarón. J’économise un kilomètre et demi et j’évite de marcher sur un chemin caillouteux et glissant dans l’obscurité. Après quelques hésitations dans le village, je retrouve les flèches jaunes qui m’amènent vers une ancienne voie ferrée d’exploitation minière qui longe la côte. C’est dans ce secteur que je quitte le Pays Basque pour entrer en Cantabrie. Toute la région était au siècle dernier un immense gisement de fer. Il ne reste plus grand-chose de cette époque : les friches industrielles que j’ai traversées hier matin, des balafres dans la montagne par ci par là, des cités ouvrières bien caractéristiques reconverties ou abandonnées, et cette ancienne voie ferrée devenue chemin de promenade.

    La côte rocheuse déchiquetée, le ciel charriant des nuages noirs, l’océan gris aux vagues hérissées d’écume forment un ensemble sauvage dans lequel avance ce chemin spectaculaire, entrecoupé de tunnels qui domine l’océan. Dans le lointain, on devine Castro Urdiales voilé par la brume. C’est magnifique.

    J51 - La côte sur le chemin vers Ontón


    J51 - Le chemin vers Ontón tracé sur une ancienne voie ferrée
    Dommage, j’ai mal au genou droit. Ça me tracasse et, du coup, gâche un peu mon plaisir.
    Pourquoi ? Alors que depuis un mois, je ne ressentais rien. Je n’ai rien fait de particulier ou de différent.

    J’ai fortement ralenti mais ça ne change rien. J’arrive à Ontón après être passé sous l’autoroute A8. À partir de là, le chemin fait une grande boucle dans les montagnes par les villages de Otañes, Santullán, Sámano.

    Si je n’avais pas eu mal, je l’aurais sans doute suivi mais dans ces conditions, je tiens à m’économiser. Je prends la route, la N 634 au parcours très sinueux dans cette zone au relief accidenté. Une station-service providentielle me permet de boire un café tiré d’une machine automatique et quelques biscuits, car ce matin, je suis parti sans petit-déjeuner. Et de reposer un moment mon genou.

     

    Je repars en traînant un peu la jambe jusqu’à Mioño où j’abandonne la route pour un nouveau sentier côtier très agréable malgré le vent. Il me mène à Castro Urdiales, station balnéaire et port de pêche important. Le site est très beau avec une longue plage de sable bordée d’une série d’immeubles de style 1900 et un promontoire qui s’avance dans la mer sur lequel se dressent les silhouettes de l’élégante église gothique Santa María de la Asunción et du vieux château templier de Santa Anna surmonté d’un phare.

    J51 - Castro Urdiales - Le front de mer

    J51 - Castro Urdiales - Le port, l'église Sta María et le fort Sta Anna


    Je parcours le paseo marítimo et m’arrête au passage à l’office de tourisme où je fais apposer le sello sur ma Créanciale, récupère le plan de la ville et une petite brochure sur le chemin en Cantabrie qui me permettra d'affiner mon planning en fonction des hébergements existants.

    Je finis de contourner le port de pêche pour arriver à la vieille ville au pied du promontoire. Il est midi et je commence par une pause à la terrasse d’un bar sous les arcades. Café au lait et tortilla. Un drôle de menu qui me convient très bien.

     

    Je laisse mon sac à la garde du barman et pars visiter cette jolie ville au passé prestigieux. Elle a été fondée par les Romains en 74 avant Jésus Christ et a connu ensuite une histoire mouvementée. Cité riche et importante par où transitait le commerce entre la Castille et l’Europe du Nord jusqu’au 13° siècle, elle déclina quelque peu et, comme si cela ne suffisait pas, fut ravagée par les troupes napoléoniennes en 1813. C’est l’exploitation du fer et le tourisme qui la remirent en selle à la fin du 19° siècle. L’empereur romain Vespasien est honoré par une belle statue de bronze dressée sur l’esplanade devant l’église aux clochers qui semblent inachevés. Je fais le tour du massif château fort Santa Anna tout au bout du promontoire construit par les Templiers au 13° siècle. Sur l’une de ses tours, un phare a été construit en 1853 et est toujours en fonction. J’en redescends par le spectaculaire pont qui enjambe une gorge où la mer s’engouffre.


    J51 - Castro Urdiales - L'église Sta María Assunta 13° siècle

     
    J51 - Castro Urdiales - Le pont d'accès au chateau Santa Anna

    J51 - Castro Urdiales - La jetée qui protège le port


    Je quitte la ville en début d’après-midi. On m’a enseigné une variante qui démarre à la sortie de la ville près de la plaza de toros et mène à Cérdigo par un chemin direct qui a l’inconvénient de longer l’autoroute A8. Les quatre kilomètres sont rapidement parcourus et je m’arrête sur la petite place du village où un bar est ouvert. Des gens discutent et boivent à la terrasse du bar pendant que les enfants jouent sur la place. L’ambiance est paisible et bien agréable et je décide de faire une nouvelle pause. Je prends un Coca au bar et m’installe sur une table à l’écart pour manger tranquillement mon casse-croûte puis je m’allonge sur un banc au soleil pour une petite sieste qui, je l’espère, fera du bien à mon genou.

    J51 - Cerdigo - Pause repas sur la place du village
    Il ne reste que trois kilomètres pour arriver à Islares par un sentier pittoresque qui longe la côte escarpée. Le soleil est réapparu.

    J51 - Entre Cerdigo et Islarès
    C’est un petit village assez éparpillé sur le plateau qui domine la mer avec une église San Martín dont le clocher en pierres nues contraste avec les murs peints en blanc et égayée par un bougainvillier tout fleuri.

    J51 - Islarès - L'église St Martín


    Ma préoccupation du moment est de trouver un hébergement. À l’entrée du village, une affiche précise que le bar Elisa peut renseigner sur les chambres à louer. Il ne me reste qu’à trouver ce bar.

    Je me renseigne. Le bar est fermé et le quidam bien sympathique me précise que, vu la saison, tous les hôtels sont fermés y compris ceux près de la plage. Me voilà bien. Puis il ajoute, «essayez le relais routier au bord de la route au-dessus, il est peut-être ouvert».

    J’y vais. Il est ouvert et il a des chambres libres. Ouf ! 
     

    Mais ma soirée est gâchée par la découverte de la disparition de ma parka. Où ai-je bien pu la perdre, l’oublier ? Pourtant, chaque fois que je sors mes affaires de mon sac, je fais très attention de ne rien disperser pour ne pas risquer d’oublier quelque chose. À moins qu’on ne me l’ait volée ? Possible. Quand ? Qui ? Outre la perte financière, il y a le fait que je n’ai plus rien pour me protéger s’il fait vraiment froid. Il faudra que j’en achète une en passant à Santander, la prochaine grande ville sur ma route.


    Le dîner au restaurant de l’hôtel est très bien mais je le mange en pensant à la disparition de la parka. En attendant l’heure du repas, j’ai commencé à écrire mon journal tout en regardant la télé.

    De retour dans ma chambre, je continue de regarder le reportage en direct de Barcelone dont j’ai vu le début au bar. En Espagne, tout le monde se sent concerné par la tentative d’indépendance de la Catalogne. Au Pays Basque, j’ai vu de nombreux drapeaux catalans indépendantistes aux façades des maisons, affichant ainsi le soutien des Basques à la cause catalane. Mais ailleurs, les gens montrent ouvertement leur opposition.

     

     

    J 52 - Dimanche 22 octobre. ISLARÈS - SANTOÑA
    Pluie                                                                                                                                                                           25 km

     

    J’ai très bien dormi malgré le souci de ma parka disparue.

    Je quitte l’hôtel sous un petit crachin qui se transforme bien vite en pluie continue. Quelques centaines de mètres plus loin, la route surplombe l’océan. Ce matin, il est gris sombre et de longs rouleaux échevelés déferlent vers la plage du fond de la ría d’Oriñón dans un grondement impressionnant. Un spectacle fascinant.

    J52 - La mer à Portarón
    Le mal au genou s’est évaporé sans que j’aie fait quoi que ce soit.

    Vu le temps, j’évite le long parcours par la montagne en restant sur la N 634 qui va me mener directement à Laredo. Ce dimanche matin pluvieux, il n’y a pratiquement pas de voiture. La route est toute pour moi et j’en profite en coupant tous les virages. Alors que je désespérais de trouver un bar ouvert pour faire une pause, la traversée du village de Liendo me réserve une bonne surprise avec un petit bar dissimulé dans un recoin de la place que j’ai failli ne pas voir. Je rencontre aussi un jeune Allemand qui, lui, a suivi le chemin balisé et qui continue sa route sans s’arrêter au bar.

     

    J’arrive à Laredo par les collines qui dominent la ville et qui m’offrent un magnifique panorama sur toute la baie.

    J52 - Arrivée à Laredo
    Un peu plus loin, une stèle se dresse au bord du chemin, décorée de coquilles Saint-Jacques. Elle est bien destinée aux pèlerins, aucun doute. Sur la colonne, une plaque porte une inscription en latin que mes années de latiniste amateur au lycée me permettent de traduire :
    Peregrinus viator, hoc iter est quod te ad stellae campum, ubi requiescit apostolus, ducet (Pèlerin voyageur, ceci est le chemin qui te conduit au champ de l’étoile où repose l’apôtre).

    Les latinistes apprécieront.

    J52 - Arrivée à Laredo - Borne jacquaire
    J’entre dans la partie ancienne de la ville par la porte de Bilbao, en bas d’un large escalier puis je débouche sur la plaza de la Constitución et emprunte l’avenue Lopez Seña qui m’amène tout droit à l’office de tourisme, ouvert bien que ce soit dimanche. Deux jolies filles très aimables me donnent un plan de la ville et les informations dont j’ai besoin sur le bateau pour traverser la ría et sur l’auberge de jeunesse de Santoña où j’ai prévu de m’arrêter ce soir. Et en plus, elles disposent aussi d’un tampon pour ma Créanciale.

    Avant de reprendre mon chemin, je déjeune d’un plato combinado dans l’un des bars qui s’alignent sur l’avenue, laissant ainsi le temps à la pluie d’épuiser sa réserve d’eau.

    L’avenue me conduit au bord de mer. Il faut marcher jusqu‘au bout de la plage qui s’étire sur cinq kilomètres et je choisis de marcher sur le sable dur en profitant de la marée basse. Les énormes rouleaux de l'océan déferlent régulièrement avec un bruit continu impressionnant.

    J52 - Laredo - Sur l'immense plage de Salvé

    Au bout de la plage, je dois encore marcher jusqu’à la pointe, El Puntal, où se trouve l’embarcadère pour prendre le bateau avec lequel je vais traverser le bras de mer et rejoindre Santoña de l’autre coté. En guise d’embarcadère, il y a juste un chemin de planches qui traverse la plage et s’arrête à dix mètres de l’eau.

    J52 - Laredo - Embarcadère du bateau pour Santoña


    Je vois le bateau à quai de l’autre coté. Je m’installe bien confortablement pour l’attendre, profitant d’un rayon de soleil. L’Allemand de ce matin arrive et vient s’asseoir avec moi. Il s’appelle Philippe, un prénom pas tellement germanique.
     

    À quinze heures précises, le bateau quitte le quai et vient nous chercher. Deux euros et cinq minutes plus tard, il nous dépose sur le quai de Santoña, lestés d’un plan de la ville et d’explications détaillées pour rejoindre l’auberge qui se trouve de l’autre coté du port de pêche. Philippe ne vient pas avec moi mais continue vers Noja. Il transporte une tente pour camper.

     J52 - Laredo - Embarquement sur le bateau pour Santoña

    Laredo - Sur le bateau pour Santoña


    J’arrive sans difficulté à l’auberge qui est à l’écart de la ville. C’est un grand bâtiment qui sert de gymnase, centre de loisirs, de jeux et d’animations. Une jeune femme est à l’accueil et me conduit jusqu’à une chambre de quatre lits où je m’installe. Une cinquantaine de gamins et gamines s’agitent bruyamment dans les couloirs. Apparemment, ils ont passé le weekend à l’auberge et s’apprêtent à partir. Bien. Ce sera plus calme.

    J’ai à peine fini de prendre ma douche que la jeune femme de l’accueil revient, accompagnée d’une pèlerine, une jeune Française de Nantes, Domitille. Pour la laisser s’installer tranquillement, je vais au grand salon écrire mon journal. Domitille n’est pas très bavarde. Timide ou peut-être un peu gênée de se trouver seule avec moi. Quand j’ai fini mon pensum, je reviens lui proposer d’aller dîner ensemble dans un des bars de la ville car l’auberge ne fournit pas le repas du soir, seulement le petit-déjeuner.

    Elle n’est pas gênée ni timide. Elle est seulement très occupée à réaliser un reportage audio de son pèlerinage, tâche qui a l’air de la passionner.

    La ville est bien animée en ce dimanche soir. Nous choisissons un bar un peu au hasard où nous dînons en discutant malgré la télévision qui retransmet un quelconque match de foot. Ma compagne d’un soir a trente ans et veut devenir journaliste. Ce reportage c’est en quelque sorte un devoir de vacances. Après Compostelle, elle a l’intention de continuer jusqu’à Lisbonne puis de faire du bateau-stop pour rejoindre l’Amérique du Sud et descendre jusqu’à Ushuaïa. Sacré projet. J’espère qu’elle pourra le mener à bien.

    Après cette très bonne mais bruyante soirée, nous rentrons à l’auberge où nous découvrons que nous sommes absolument seuls dans cet immense bâtiment parfaitement silencieux.

     

     

    J 53 - Lundi 23 octobre. SANTOÑA - GÜEMES
    Beau temps                                                                                                                                                               28 km

     

    Le beau temps est revenu. Je me lève sans bruit car Domitille qui a travaillé tard à son reportage dort encore. Le petit-déjeuner a été préparé dans la salle à manger. Il n’y a plus qu’à faire chauffer l’eau et griller le pain. Domitille vient me rejoindre, sans doute attirée par la bonne odeur du café et du pain grillé et nous déjeunons ensemble en continuant notre conversation.

    Décidément, elle est vraiment bien agréable cette fille.

     

    Que c’est bon de commencer à marcher dans la fraîcheur du matin, le long des quais de cette petite ville, avec les mouettes et les goélands qui volent en criant tout autour de moi. À la sortie de la ville, le chemin longe sur presque un kilomètre le mur de la prison, puis c’est la belle plage de Berria, bordée de villas et d’hôtels, grands et petits. Au bout de la plage, le chemin devient sentier escarpé et grimpe sur un promontoire rocheux qui s’avance dans la mer et en fait le tour. Plus on monte, plus le panorama s’agrandit. Quel paysage somptueux avec le soleil rasant du matin !

    J53 - Santoña - Les marais


    De l’autre coté du promontoire, on découvre en contrebas l’immense plage d’Hegueras qui s’étire sur plusieurs kilomètres. Arrivé en bas, j’ai le choix entre marcher sur la petite route qui longe la plage ou carrément sur le sable. Et je choisis le sable. C’est tellement plus agréable.

    J53 - La plage d'Halgueras

    J53 - Sur la plage d'Halgueras
    Il y a déjà des surfeurs qui s’éclatent dans les rouleaux toujours aussi impressionnants pour moi qui n’ai pas l’habitude des grosses vagues. Avant d’arriver au village d’Hegueras, je passe près d’un pont datant du 16° siècle qui permettait aux pèlerins de l’époque de franchir une zone marécageuse.

    J53 - Halgueras - Le pont médiéval 16° siècle

    En arrivant dans la ville, je revois Philippe le jeune Allemand qui était sur le bateau hier avec moi. Il a monté sa tente et dormi près de la plage de Berria. C’est un solitaire. Il faut l’être pour faire le pèlerinage dans ces conditions car, du coup, on ne rencontre pas grand monde. Jean-Christophe Ruffin dormait lui aussi fréquemment sous la tente au cours de son pèlerinage qu’il raconte dans "Immortelle randonnée". La perception des choses et l’ambiance sont totalement différentes. Pour ma part, je préfère dormir dans les gîtes et les auberges et rencontrer les autres pèlerins. 

    Après le village de Neja, l’itinéraire quitte la côte et s’enfonce à l’intérieur des terres vers Castillo, San Miguel de Meruelo et Bareyo en empruntant des petites routes et n’est pas très bien signalé.

     

    Je m’arrête à la sortie de San Miguel de Meruelo pour manger une salade à la terrasse d’un bar et je continue mon chemin en direction de Güemes, petit village isolé dans les collines.

    J53 - Güemes - Le village

    Alors que j’arrive en vue du village, j’entends les cloches sonner à toute volée. Que se passe-t-il ? Il est presque quinze heures, ce n’est pas l’heure de l’angélus. Je finis d’arriver à l’auberge qui se trouve deux kilomètres après le village en haut d’une longue côte. Elle s’appelle La cabaña del abuelo Peuto. C’est une très belle auberge, aménagée dans plusieurs bâtiments avec un grand jardin. Vraiment une excellente première impression.

     J53 - Güermes - La cabaña del abuelo Peuto
    J’entre. Dans la grande salle, une dizaine de personnes sont installées autour d’une grande table. On m’offre le café et on m’explique ce qui se passe. L’auberge fête l’arrivée du onze-millième pèlerin de l’année, en l’occurrence, une pèlerine coréenne qui s’appelle Jiwong. Les cloches, c’était pour signaler son arrivée.

    J53 - Güermes - La cabaña del abuelo Peuto - Giwong 11000° pélerin de l'année


    Je suis arrivé dix minutes après elle et je suis le numéro onze-mille-deux. Un moment plus tard, quand l’agitation est apaisée, on passe aux formalités et je peux m’installer dans un dortoir avec les quelques autres pèlerins déjà arrivés, deux Allemandes, Johanna et Nelly, un Argentin, Facundo, une Italienne, Stefania, et une Mexicaine, Luciana. Un peu plus tard arrive Domitille qui vient s’installer à coté de moi, puis j’ai la surprise de voir arriver Giza qui me dit avoir pris le bus pour rattraper son retard en sautant des étapes.

    J53 - Güemes - Juliana et Stefania
     

    Je rédige mon journal à une des tables installées dans le jardin en compagnie de Domitille qui travaille toujours à son reportage sonore. Il fait beau, le soleil brille, je suis en bonne compagnie dans cet endroit idyllique, tout va bien.

    Avant le repas, Ernesto, le patron à la belle barbe blanche qui doit être âgé de plus de quatre-vingt ans, nous réunit tous dans une salle décorée d’anciennes photos du lieu pour nous raconter l’histoire de la maison et de la famille Peuto. Son grand-père a fui la misère au siècle dernier et s’est exilé en Catalogne pour pouvoir faire vivre sa famille. C’est Ernesto qui est revenu dans la maison, l’a restaurée et finalement en a fait cette auberge de pèlerins qui est ouverte depuis dix-huit ans. Ernesto a aussi créé une association qui finance des projets humanitaires en Amérique latine, dont une école au Guatemala. Cet homme a le cœur sur la main, ça saute aux yeux dès qu’on parle avec lui et ça influence l’ambiance sympathique de cette auberge extraordinaire. Ici tout est donativo et les personnes qui aident à faire fonctionner l’auberge sont toutes des pèlerins qui, après être passés ici, sont revenus pour travailler bénévolement.

    J53 - Güermes - La cabaña del abuelo Peuto - Ernesto le patron
    Nous sommes une vingtaine autour de la table pour le dîner servi dans les rires et les discussions qui se croisent dans tous les sens. En anglais, en espagnol, en allemand. Jiwong est l’héroïne de la soirée et quelques toasts sont portés à son intention avec le mousseux local qui nous est servi au dessert.

    Quelle super soirée. Une ambiance chaleureuse qui fait oublier les difficultés du chemin.

    L’enchantement continue lorsque nous regagnons le dortoir pour la nuit. Le chauffage marche ! C’est suffisamment rare pour être signalé, car, souvent, les gérants ne l’allument pas par économie malgré les températures assez fraîches. 

     

     

    J 54 - Mardi 24 octobre. GÜEMES - BOO DE PIELAGOS
    Beau temps                                                                                                                                                               27 km


    Je suis le premier à partir après un excellent petit-déjeuner et une nuit calme et tranquille alors que le soleil commence à rougir l’horizon.

    J54 - Güemes - Lever du jour

    Je marche sur la route qui traverse une grande forêt d’eucalyptus jusqu’à Galizano. Là, en débouchant de la forêt, je découvre un superbe panorama sur la baie de Santander et, plus au sud, sur les sommets des Picos d’Europa, la partie culminante de la cordillère cantabrique, qui se détachent sur le ciel parfaitement clair dans l’air frais du matin.

    J54 - Galizano - Vue lointaine sur Santander

    À partir de là, j’ai le choix entre la piste cyclable qui file directement à Somo et le sentier qui longe les falaises. Ce dernier est sans doute plus agréable et intéressant mais je suis pressé car j’ai des courses à faire à Santander qui vont sans aucun doute me retarder. Va donc pour la piste cyclable conduisant à l’embarcadère du bateau qui va me faire traverser la baie.

    Sur le quai, je rencontre une jeune femme qui attend elle aussi le bateau. C’est une pèlerine et j’engage la conversation avec elle. Elle s’appelle Liz et est néo-zélandaise. Je suis toujours étonné de rencontrer des gens qui viennent de l’autre bout du monde pour marcher huit ou neuf cents kilomètres en Espagne.

     J54 - Somo - Max et Liz (NZ) en attendant le bateau pour Santander
    Bon timing, Le bateau arrive presque immédiatement et, moyennant deux euros, Liz et moi embarquons pour cette petite croisière d’un quart d’heure.

     J54 - Somo - Le bateau pour Santander


    De l’autre coté, l’arrivée sur le front de mer de Santander est agréable.


    J54 - Arrivée à Santander


    Une fois débarqués, nous traversons les jolis jardins qui portent le nom du célèbre écrivain espagnol originaire de la région, José María de Pereda. Le monument érigé là célèbre l’une de ses œuvres "Escenas montañesas".

    J54 - Santander - Dans le parc Pereda


    Nous marchons ensuite jusqu’à
    la cathédrale toute blanche qui domine la vieille ville. Nous passons par la crypte où se déroule une messe puis allons visiter la grande nef et le cloître gothique attenant avant d’aller faire tamponner nos Créanciales dans la sacristie.

     J54 - Santander - Cathédrale Sta María de la Asunción


    J54 - Santander - Cathédrale Sta María de la Asunción - La nef

    Je suis obligé de quitter Liz qui continue sa route vers Santa Cruz de Beneza car ma priorité d’aujourd’hui, c’est l’achat d’une nouvelle parka. J’espère que je n’aurai pas besoin d’aller dans les zones commerciales extérieures pour trouver un magasin genre Décathlon. Je reviens à l’office de tourisme qui se trouve dans le parc de Pereda, juste en face de l’immense façade blanche percée d’une arche majestueuse de la banque de Santander, l’une des plus puissantes banques du monde. Ma condition de pèlerin est évidente. Est-ce pour cela que les jeunes femmes derrière le comptoir sont aussi aimables et désireuses de m’aider ? Ou sont-elles ainsi avec tout le monde ? Elles me remettent un plan et m’indiquent où je peux trouver dans le centre un magasin d’articles de sport et de montagne. Bien. Je n’aurai pas besoin de courir en banlieue. Le magasin en question n’a pas ce que je cherche mais il m’indique un autre magasin qui pourrait l’avoir, qui ne l’a pas et m’en indique un troisième où je trouve enfin ce qu’il me faut. J’achète une parka Goretex Millet noire et une paire de chaussettes de marche. Presque 300 € quand même mais me voilà rassuré et équipé.

     

    Il ne me reste qu’à quitter Santander en empruntant la longue rue Burgos, plutôt une large avenue ombragée, avec une agréable promenade piétonne entre les voies de circulation. Au passage, je déjeune d’une tortilla dans l’un des bars avant de reprendre ma marche vers l’ouest et sous le soleil.

    J54 - Santander - Rond point des 4 chemins
    C’est un long trajet totalement inintéressant, le long d’une interminable avenue qui traverse des banlieues sans charme, des zones commerciales et industrielles, longe la voie ferrée et des autoroutes sur quatorze kilomètres. Je les parcours en me déconnectant de ce qui m’entoure, et en fin de compte, ils passent assez vite puisque j’arrive à Boo de Pielagos (non, pas de faute de frappe) un peu avant dix-sept heures.

     

    Pietad est une charmante jeune femme et son auberge est bien agréable. Elle se situe à cinquante mètres de la petite gare du lieu, sur cette ligne de chemin de fer qui dessert la grande ville. Il y a deux chambres donnant sur une grande terrasse ensoleillée où mes affaires sèchent rapidement grâce au chaud soleil et au vent et une salle à manger où nous sera servi le repas de ce soir et le petit-déjeuner demain matin, le tout pour vingt-quatre euros. Je loge dans l’une des chambres et six Espagnols qui ont fini leur parcours logent dans l’autre.

    L’ambiance de ce soir n’a absolument rien à voir avec celle d’hier qui était exceptionnelle mais elle n’est pas désagréable pour autant.

    Je discute avec mon hôtesse de la suite du parcours qui n’est pas évidente. La documentation que j’ai propose plusieurs variantes, aussi longues et compliquées les unes que les autres. Le vrai problème, en fait, vient du franchissement de la ría Pas qui se trouve juste après le village et qui impose un long détour. Pietad me suggère de traverser par le pont de la voie ferrée, mais c’est assez dangereux car il y a beaucoup de trafic et demain matin, il fera encore nuit à l’heure où je passerai. « Mais prends le train » me dit-elle. « La gare est là, et tu descends à Morgro qui est juste de l’autre coté du pont. À peine deux minutes de trajet. ». De cette manière, la distance à parcourir redevient raisonnable. Je vais à la gare voir les horaires. Il y a un train à huit heures deux qui me convient tout à fait. Banco. Je prendrai le train demain matin. Je réorganise les prochaines étapes en conséquence.

     

    Ce matin, Hélène m’a énervé et vexé avec une remarque désobligeante suite à mon texto enthousiaste au sujet de l’auberge de Güemes. Je me demande si je vais continuer à lui envoyer les messages quotidiens. Fâché, j’ai décidé de ne pas appeler ce soir et de ne plus envoyer de messages.

    Sans ça, la journée aurait été très bonne malgré les kilomètres déplaisants de cet après-midi. La matinée a été agréable, égayée par la rencontre de Liz, et surtout, j’ai pu remplacer ma parka et résoudre mon dilemme sur les prochaines étapes.
     

     

    J 55 - Mercredi 25 octobre. BOO DE PIELAGOS - CÓBRECES
    Beau temps                                                                                                                                                               27 km

     

    Pietad a préparé un bon petit-déjeuner avec pain grillé et gâteau. Elle soigne ses petits pèlerins.

    À huit heures, je suis sur le quai de la gare à guetter les phares du train dans la nuit. Il arrive à l’heure et j’embarque. Effectivement, j’ai à peine le temps de m’asseoir que le train ralentit déjà et s’arrête à nouveau en gare de Morgro. En sortant de la gare, un peu désorienté, j’ai du mal à trouver mon chemin avec l’obscurité qui ne me facilite pas la tâche. Finalement je retrouve les flèches jaunes et je peux avancer dans le jour qui se lève à travers une agréable campagne et quelques petits villages. L’océan est toujours présent même si on ne le voit pas tout le temps mais on entend le grondement permanent des vagues qui s’écrasent sur les rochers ou déferlent sur les plages.

     

    Le trajet suivi ne correspond absolument pas à la carte dont je dispose mais il va dans la bonne direction et semble même couper au plus court.

    J55 - Barcena de Cudón - Les usines de Requejada


    J55 - Max sur le chemin vers Requejada


    Je passe à Barcena de Cudón puis à Mar où je m’arrête pour un petit-déjeuner bis et Requejada où est implantée une énorme usine. Le rond-point précédent est orné de statues de bisons. Ce sont des reproductions
    des bisons figurant sur les peintures rupestres des fameuses grottes d’Altamira qui se trouvent à quelques kilomètres de là. On voit ces reproductions un peu partout dans la région.

    J55 - Arrivée aux usines de Requejada
    L’itinéraire contourne l’usine et file le long de la CA 131 en direction de Santillanas del Mar.

    Lors d’une petite pause, je reçois un appel d’Hélène, étonnée que je n’aie pas téléphoné. On s’explique. Bon. J’enverrai à nouveau des messages mais ils seront secs et brefs.

    Le seul bel endroit du parcours, c’est le village de Santillanas del Mar avec sa collégiale Santa Juliana, ses magnifiques maisons armoriées, ses rues pavées et sa Plaza Mayor.

    Je vais directement à la collégiale Santa Juliana, joyau du village. Cette magnifique église romane du 13° siècle est très sobre, à l’exception de son retable en bois doré. Sous l’autel, quatre pierres sculptées représentent les apôtres évangélistes et, au milieu de la nef, trône un sarcophage contenant les restes de sainte Juliana, encore une pauvre fille qui a été abominablement torturée sur ordre de son propre père parce qu’elle était chrétienne et refusait le mariage arrangé avec un notable.

    J55 - Santillana del Mar - Collégiale Sta Juliana 12° siècle

    J55 - Santillana del Mar - Collégiale Sta Juliana - Le tombeau de la sainte
    Le cloître est bordé de colonnes doubles aux chapiteaux joliment sculptés.

    J55 - Santillana del Mar - Collégiale Sta Juliana - Le cloitre
    Ensuite, je me promène dans les vieilles rues pavées bordées de belles demeures seigneuriales aux façades blasonnées, les casonas. La place Ramón Pelayo forme un ensemble harmonieux avec ses superbes maisons aux balcons fleuris et ses tours. Ici aussi une statue des bisons d’Altamira se dresse près de la mairie.

    J55 - Santillana del Mar - La torre don Borja sur la plaza Mayor
     

    J55 - Santillana del Mar - La casa de águila sur la plaza Mayor


     J55 - Santillana del Mar - Armoiries sur la façade de l'hôtel


    C’est vraiment un très beau village où la pierre dorée, les tuiles rouges et les géraniums en fleur s’accordent parfaitement. Et la faible fréquentation touristique de cette fin octobre permet de mieux apprécier la beauté des lieux.

     

    La visite terminée, je m’installe à la terrasse d’une cafétéria pour déjeuner d’un plato combinado. Je suis à peine assis qu’arrivent un petit groupe qui était à Güemes avec moi : Jiwong, Nelly, Herbert et Facundo l’Argentin. Embrassades, accolades, discussion. Ils ne vont pas plus loin et vont faire étape dans l’auberge municipale du lieu. Dommage, j’aurais apprécié d’être avec eux le soir. Car il me reste encore treize kilomètres pour arriver à Cóbreces, où j’ai prévu de m’arrêter, avec beaucoup de route ce qui n’est pas très agréable malgré le peu de circulation. Mais il faut faire avec.
     

    J55 - Santillana del Mar - Giwong, Johan, Nelly et Facundo
    Le village de Cóbreces est construit sur la colline qui domine la plaine côtière et est dominé par les deux clochers de l’église Santa María de Viaceli qui se voient de loin.

    J55 - Arrivée à Cóbreces


    Renseignement pris auprès de deux habitantes, il me faut encore grimper jusqu’en haut du village pour trouver l’auberge Viejo Lucas dans une immense bâtisse qui ressemble à un couvent ou à une école. C’est effectivement un ancien collège de jeunes filles tenu par des religieuses qui a été transformé en auberge de jeunesse. En tout cas, c’est impeccable et je peux m’installer à mon aise dans le dortoir où je suis seul.

    Je m'apprête à passer une soirée en solitaire quand arrive Liz, la Néo-zélandaise, accompagnée de trois Allemandes. Je suis obligé de pousser un peu mon étendage mais la soirée prend une bien meilleure tournure.

    L’auberge ne fournissant pas le repas du soir, nous allons dîner tous les quatre au petit bar voisin où nous passons une très bonne soirée autour d’un menu peregrino tout à fait satisfaisant.

    Je reçois un message de Jacopo qui arrivera vendredi à León. Il est en avance sur moi et les chances de le retrouver à Santiago s’amenuisent.

     

     

    J 56 - Jeudi 26 octobre. CÓBRECES - PESUES
    Beau temps                                                                                                                                                               28 km

     

    Beaucoup de route encore aujourd’hui. Il y a deux jolies petites villes sur mon parcours. 

    La première, c’est Comillas où j’arrive très vite par la route du bord de mer.

    J56 - Arrivée à Comillas
    La ville se niche sur le flanc d’une colline et est connue pour le palais Sobrellano, pour la fameuse Université Pontificale, et pour le caprice de Gaudí.

    Le palais Sobrellano est un grandiose édifice de style néogothique tout en pierres rouge sombre. 


    J56 - Comillas - Palacio Sobrellano

     
    L’Université Pontificale est une sorte de grand séminaire pour la formation des prêtres, aujourd’hui fermé, qui dresse ses bâtiments sur une hauteur dominant la ville.

    Le Caprice de Gaudí est un palais d’été construit en 1884 dans le style délirant qui a fait le succès du fameux architecte catalan.

    Seul le Caprice de Gaudí se visite mais le parc où il se tient étant fermé, je n’ai même pas pu l’entrevoir à travers les grilles.

    Avant de repartir, j’expédie une lettre à Marc pour lui restituer ses chaussettes qui m’ont bien dépanné.

    J56 - Max sur le chemin de San Vincente
    La deuxième ville, c’est San Vincente de la Barquera où j’arrive vers treize heures après avoir traversé le joli pont de la Maza et ses vingt-huit arches sur le bras de mer. Cet ancien repaire de pêcheurs est très pittoresque avec sa ría parsemée de barques et de bateaux aux couleurs vives, l'église Santa María de los Ángeles du 13° siècle au sommet de la colline, son vieux village et les restes de son château.

     J56 - San Vincente Barquera - Le pont Maza


    J56 - San Vincente Barquera
    Après avoir mangé mon sandwich sur un banc au bord de l’eau en nourrissant de miettes de pain une vingtaine de moineaux délurés, je grimpe par les rues anciennes jusqu’à l’église. Le panorama est superbe mais l’église est fermée.

     

    Il est seize heures quand j’arrive à Pesues, petit village près de la ría Tina Menor, un peu moins de trois kilomètres avant Unquera. Il a fait chaud et je me suis arrêté plusieurs fois pour me rafraîchir et boire. Je m’installe à l’hôtel Baviera au bord de la N 634 dans une chambre exposée plein sud, ce qui permet à mon linge de sécher rapidement. C’est un hôtel de routier bien agréable dont le patron est sympathique. La salle à manger de l’hôtel est animée de diverses conversations qui me distraient de ma solitude. Mais elle ne me pèse pas ce soir. J’envoie mes messages tout en savourant mon copieux dîner. Ici aussi, le patron soigne ses pèlerins.

     

     

     

    J 57 - Vendredi 27 octobre. PESUES - LLANES
    Beau temps                                                                                                                                                               28 km

     

    En quittant l’hôtel, je reste sur la route pour rejoindre Unquera, dernière ville de Cantabrie et traverse la ría Tina Menor. De l’autre coté, c’est Bustio et la Principauté des Asturies.

    Le chemin grimpe sur la colline pour passer par le village de Colombres, célèbre pour ses belles maisons parfois extravagantes construites par les "indianos", ces Espagnols émigrés en Amérique du Sud au siècle dernier et qui y ont fait fortune.

    Comme il y a tout ce qu’il faut, j’y fais mes courses au petit supermarché local et bois un vrai café con leche, car celui de l’hôtel ce matin était décaféiné.

    J57 - Colombres - Marquage du chemin


    Après le village, le chemin croise et recroise l’autoroute AP8, passant parfois au dessus et parfois en dessous puis redescend vers la N 634 qu’il suit jusqu’au village de La Franca.

    J57 - Bielma - Passage au-dessus de l'autoroute AP8


    J57 - La Franca - Passage sous l'autoroute AP8


    Deux options se présentent à partir de là, soit par la vallée obscure à l’intérieur des terres, soit par le sentier côtier.

    Je choisis ce dernier.

    Il continue de jouer aux montagnes russes à travers pâturages et bois d’eucalyptus et débouche soudain sur la petite plage de Vidiago, encaissée entre les falaises. L’endroit est mignon comme tout, désert, l’océan est calme avec juste un petit clapot sympathique. J’en avais envie depuis longtemps et je ne résiste pas à la tentation. Je vais tâter l’eau du bout du pied. Elle n’est pas trop fraîche, alors je me déshabille entièrement, me jette à l’eau et nage un moment dans cette eau claire. Quel plaisir ! Puis je m’allonge sur les rochers pour me laisser sécher au soleil avant de repartir, revigoré par cette baignade imprévue.

    J 57 - Baignade sur la plage de Vidiago
     

    Plus loin, le chemin passe par les bufones d’Arenillas. La roche des falaises est calcaire et donc facilement creusée par les vagues. Les bufones sont des trous par où les vagues s’engouffrent et remontent jusque sur la falaise. Par temps calme, on entend le grondement des vagues monter de ces sortes de gouffre et le souffle de l’air chassé par l’eau. Par gros temps, ce sont carrément des geysers qui jaillissent du sol. Le site est magnifique avec l’océan d’une belle couleur verte et le ciel parfaitement bleu. Je décide de m’y arrêter pour manger mon repas de midi, près du bord de la falaise et d’un arbuste sur lequel est fixé le joli drapeau bleu ciel à la croix jaune des Asturies.

    J57 - Max aux bufones d'Aremillas

    J57 - Bufones d'Aremillas - Philippe au bord d'un bufón (trou soufleur)


    J57 - Bufones d'Aremillas - Drapeau des Asturies

    Deux pèlerins arrivent pendant mon repas, Philippe, l’Allemand campeur et Dany, un Australien barbu que je n’avais encore jamais rencontré.

    Une heure plus tard, j’arrive à l’observatoire de Ballota où le panorama sur la côte s’étend à l’infini. Juste en dessous, deux belles plages de sable blond serties dans les falaises tranchent sur le bleu de l’océan et le vert des prairies. Que c’est beau. Je m’installe sur les rochers et reste un long moment à profiter du spectacle.

    J57 - Andrín - Plage d'Andilua


     J57 - Andrín - Plage de Ballota
    Llanes est en vue mais n’a pas l’air de se rapprocher tandis que je marche sur la piste qui serpente à flanc de colline. On dirait même que je m’éloigne, au point que je crois un moment m’être trompé de chemin. Mais non, la piste se met à descendre et arrive à l’ermitage del Cristo del Camino et, de là, plonge vers les lisières de la ville.

     J57 - Andrín - Vue sur Llanes


    J’ai choisi d’aller à l’albergue de la estación, ainsi nommée car elle est installée dans la gare. Les flèches jaunes me conduisent d’abord au port coincé dans la ría très étroite. L’office de tourisme s’y trouve et les jeunes femmes qui y travaillent, toujours aussi serviables et souriantes, me remettent un plan de la ville et m’expliquent comment rejoindre la gare. À l’auberge, je retrouve Philippe et Dany.

    Elle est marrante cette auberge installée dans une gare en activité. Il y a des trains qui passent, qui s’arrêtent, des voyageurs qui montent et qui descendent. Les fenêtres de la chambre où je loge au rez-de-chaussée du bâtiment donnent sur le quai. Heureusement, les vitres sont dépolies, sinon je ferais le spectacle en me déshabillant pour prendre ma douche.

     

    En traversant le centre ville pour rejoindre la gare, j’ai pu apprécier l’animation des rues où s’alignent les magasins, les restaurants et les cidreries, grande spécialité de la ville car la province des Asturies est productrice de ce breuvage. Je n’aurai pas de mal à me nourrir tout à l’heure.

    Je ressors une fois ma routine expédiée et marche dans les rues pleines de monde alors que la nuit commence à tomber. Je passe devant le Casino, ancien palais d’"indiano" transformé et vais jusqu’à l’église Santa María, mi-romane et mi-gothique où une messe est en train de se dérouler, suivie par bien peu de fidèles. C’est une jolie église bien mise en valeur par les éclairages. Un coup de chance d’être venu au moment de la messe, sinon elle aurait été plongée dans l’obscurité et je n’aurais pas vu grand-chose de l’intérieur.

    J57 - Llanes - Eglise Sta María

    Le repas est l’occasion de sacrifier à la tradition locale du cidre et, plus exactement, à la manière dont il est servi : le serveur tient la bouteille au-dessus de sa tête et verse une petite quantité de cidre dans le verre tenu à hauteur de la cuisse pour le faire mousser. Il faut le boire cul sec avant que la mousse ne se dissipe.

    Normalement, il faut laisser un peu de cidre au fond pour rincer le bord du verre avant de le verser par terre car le même verre sert pour tous les buveurs d’une même bouteille.

    Donc, si vous passez dans les Asturies, prenez un verre de cidre.

     

     

     

    J 58 - Samedi 28 octobre. LLANES - RIBADESELLA
    Beau temps                                                                                                                                                               30 km

     

    Avant de quitter Llanes, je vais faire les photos que je n’ai pas faites hier soir, le crépuscule m’ayant dissuadé de prendre mon appareil. Je marche jusqu’au port pour aller voir les fameux Cubos de memoria, les blocs de béton qui protègent la jetée, peints par Agustín Ibarrola. Ce n’est pas bien terrible et je repars en me disant que cela ne valait pas la peine de venir jusque là.

    J57 - Llanes - Les cubos de memoria
     

    Je marche sur un beau chemin qui avance dans la verdure. Champs et bois d’eucalyptus se succèdent quand on ne longe pas de vastes plages de sable doré comme celle de Celoriu ou celle de Poo.

    J58 - Plage de Poo


    À Barru, l’église Nuestra Señora de los Dolores occupe une position remarquable sur une petite avancée au-dessus de l’eau de la ría dans laquelle son image se reflète.

     J58 - Barro - Nuestra Señora de los Dolores
    Plus loin, la petite église de Pria est envahie par une noce. Tout d’un coup, on côtoie un autre monde, avec de jolies femmes bien habillées, les bouquets de fleurs, le riz qui vole, la voiture ancienne pour transporter les mariés et tout l’habituel cérémonial.

     J58 - Eglise de Pría - Mariage
    Puis, on replonge dans le monde du chemin qui s’enfonce à nouveau dans la campagne. Parfois, on a des surprises comme cette murette transformée en œuvre d’art par un ou des inconnus grâce aux pierres peintes de divers motifs multicolores.

    J58 - Sur le chemin de Ribadesella

    Le chemin passe près d’un joli petit pont romain que je veux photographier. Une sympathique famille espagnole s’est installée là pour pique-niquer et je n’ai d’autre choix que de les prendre eux aussi en photo après leur avoir demandé la permission.

    J58 - Le pont romain sur le chemin de Ribadesella


    Quand je m’arrête pour le repas de midi, Dany l’Australien arrive et reste un moment avec moi. C‘est un rapide et il a l’intention d’aller jusqu’à Leces ou Vega, plusieurs kilomètres après Ribadesella où j’ai prévu de m’arrêter. Avant de repartir, je fais une petite sieste pour reposer mon pied gauche qui me fait toujours mal. Je marche avec les chaussures complètement délacées aujourd’hui pour essayer de soulager cette contracture mais ça n’a pas l’air d’être très efficace. Je m’arrête une nouvelle fois peu avant l’arrivée.

    J58 - Marche avec les chaussures délacées
     

    Voilà Ribadesella, en bas, au bord de la ría formée par la rivière Sella. Cet ancien port a gardé du temps de sa splendeur une jolie ville ancienne bâtie sur la rive droite, celle par où j’arrive. Le chemin emprunte de petites rues en pente bordées de belles maisons blasonnées pour arriver au pont sur le bras de mer. De l’autre coté, c’est la ville moderne avec le port de plaisance et surtout la magnifique plage de Santa Marina en forme de coquillage, presque enclavée entre des pointes rocheuses. La promenade du bord de mer est bordée de superbes hôtels particuliers. C’est dans l’un d’entre eux qu’est installée l’auberge Roberto Frassinelli. Belle maison et situation privilégiée !

    J58 - Ribadesella - L'auberge
    Il y a trois autres pèlerins, deux Néerlandais et un Français pas très causants malgré mes tentatives d’engager la conversation. Du coup, je vais manger seul à la cafétéria voisine.

     
     

    J 59 - Dimanche 29 octobre. RIBADESELLA - SEBRAYU
    Beau temps                                                                                                                                                               32 km

     

    Cette nuit nous sommes passés à l’heure d’hiver. Décalage d’une heure donc. Je n’ai rien changé à mes habitudes. Je pars à huit heures mais en fait il n’est que sept heures, ce qui me fait gagner une heure de marche. Il fait encore nuit quand je quitte l’auberge et marche jusqu’au bout de la promenade qui longe cette belle plage semi-circulaire.

    J59 - Ribadesella - Le bord de mer à l'aube
    Au-delà, le chemin s’enfonce dans la campagne tandis que le jour se lève rapidement puis le soleil pointe dans mon dos. J’arrive au village de Vega qui se distingue par d’originales peintures sur les façades de certaines maisons reproduisant des tableaux célèbres. C’est très bien fait et très joli.

    J59 - Max sur le chemin vers La Isla


    Vega - Peinture originale

    C’est aussi ici que je vois les premiers horreos asturiens.
     

    Vous savez ce que sont les horreos ? Ce sont des greniers sur pilotis où le maïs récolté est mis à sécher, à l’abri de la pluie et aussi des rongeurs grâce à la large pierre plate posé au sommet des piliers. J’en avais déjà vu en Galice mais il n’avait pas la même forme. Ici, ils sont carrés et assez grands, environ sept à dix mètres de coté.

    J59 - Llera - Horreo
    J’arrive au bord de l’océan et débouche sur une grande plage de sable. Un peu en retrait, sur un parking en terre, plusieurs camping-cars sont stationnés, des passionnés de surf qui viennent profiter au maximum des belles vagues de la région. Et ici, ils sont tranquilles avec le calme, la nature, la beauté de l’océan et de cette côte quasi déserte.

     

    Le chemin continue le long de la côte rocheuse. Les falaises ne sont pas hautes ici, juste une dizaine de mètres, mais tout aussi déchiquetées et entrecoupées de petites plages désertes. Le spectacle change presqu’à chaque pas. J’arrive à la petite plage d’Arenal de Moris que je reconnais immédiatement. Nous nous étions arrêtés dans un camping proche quand nous étions passés par là avec Hélène en juillet 2016 de retour du Portugal. Le soir, nous étions descendus à pied jusqu’à cette jolie plage et nous avions vu des pèlerins qui avaient monté leur tente sur un coin d’herbe près du sable. À ce moment-là, je ne savais pas que j’allais y passer à mon tour.

    J59 - Plage de Arenal de Moris

    J59 - Chemin vers La Isla

    Quelques kilomètres enchanteurs plus loin, le chemin longe la plage d’Espera puis celle de La Isla, véritable station balnéaire très fréquentée avant de s’aventurer à l’intérieur des terres.
     

    J59 - Sur la plage d'Espasa

    Il va bientôt être l’heure de manger. J’ai ce qu’il faut dans le sac sauf du pain. En traversant l’un des hameaux, je sonne à l’une des maisons pour en demander. Bien sûr, je propose de l’acheter mais ces braves gens me donnent une baguette entière et ne veulent pas entendre parler de paiement. Encore un geste sympathique qui fait vraiment plaisir.

    En traversant Colunga, je fais mes courses en prévision de ce soir car je sais qu’il n’y a rien à Sebrayu où j’ai prévu de m’arrêter. Dans le centre historique de ce petit village, parmi quelques belles maisons typiques, on peut voir celle où Charles Quint aurait passé la nuit lors d’une de ses expéditions en 1517 et dans laquelle est aujourd'hui installé l'ayuntamiento.

    J59 - Colunga - L'ayuntamiento


    C’est maintenant une petite route qui monte et descend dans les collines, traverse quelques hameaux, Pernús, La Llera, Priesca avec leurs vieilles églises du 9° ou 10° siècle. On quitte la route pour un chemin qui descend dans un vallon, passe sous un gigantesque viaduc de l’autoroute A8 et arrive à Sebrayu.


     J59 - Arrivée à Sebrayu - Passage sous l'autoroute A8
    C’est un hameau, à peine quelques maisons le long d’une petite route étroite, et l’une d’elle est le gîte d’accueil des pèlerins. Il y a une affiche sur la porte avec un numéro de téléphone à appeler pour se faire ouvrir. J’appelle et c’est une voisine, Sonia, en charge du gîte, qui vient m’ouvrir et me fait faire le tour des lieux en me donnant les consignes. C’est assez succinct mais c’est propre et le minimum vital est là : une dizaine de lits, des couvertures, des sanitaires, une douche avec de l’eau chaude et un petit coin cuisine rudimentaire. Bien sûr, il y aurait de quoi râler : pas de chauffage, pas de repas ni de petit-déjeuner, aucun confort. Ce n’est pas le genre d’endroit qui conviendrait à celles et ceux qui font le chemin en touriste mais moi je m’en contente tout à fait. J’ai gardé en mémoire une phrase caractérisant parfaitement l’état d’esprit du pèlerin : « le touriste exige mais le pèlerin remercie ». Elle s’applique parfaitement ici. Oui, je remercie la providence et surtout les habitants du hameau d’avoir mis ce refuge sur ma route où je vais pouvoir m’abriter au lieu d’être obligé de dormir dehors.

    Je m’installe tranquillement, prends ma douche, lave mes affaires puis vais m’asseoir sur les tables à l’extérieur pour rédiger mon journal et annoter les photos prises pendant la journée. Une tâche obligatoire sous peine de ne plus savoir où et quand les photos ont été prises et qui me permet aussi d’éliminer celles qui ne sont pas bonnes ou font doublon.

    Je ne suis pas fatigué malgré les trente-deux kilomètres de l’étape et le pied me fait moins mal sans que j’en connaisse la raison.

     

    Alors que la nuit tombe, je vois arriver trois pèlerines à quelques minutes d’intervalle. Il y a d’abord une Italienne, Michela, puis une Polonaise, Agneszka et enfin une Suissesse, Andrea.

     J59 - Sebrayu - Michela

     

     

         J59 - Sebrayu - Agneszka     J59 - Sebrayu - Moira

    Voilà une bonne chose, la soirée sera plus sympathique. Michela est une jeune femme pétillante et pleine d’énergie. Elle a décidé de faire des pâtes pour tout le monde. Quant à Agneszka, elle sort une bouteille de vin de son sac ! Alors que ce petit repas se prépare, voilà qu’arrivent deux autres Allemandes, Moira et Renée, que j’avais rencontrés ce matin pendant que je buvais un café dans l’un des villages traversés.

    Sonia m’a aussi annoncé le passage de l’épicier ambulant qui arrive vers vingt heures avec sa camionnette. On lui achète des oignons, des bananes, du vin ainsi que du café et des croissants pour le petit-déjeuner. Avec mon sandwich à partager et les pommes que nous avons tous ramassées le long du chemin, nous voilà parés.

    Malgré la température assez fraîche, ce petit dîner improvisé est excellent et je passe une très bonne soirée en compagnie de ces cinq filles très sympathiques.

     

     

    J 60 - Lundi 30 octobre. SEBRAYU - GIJÓN
    Pluie                                                                                                                                                                           31 km

     

    Lever sans bruit pour ne pas réveiller mes compagnes qui dorment encore et petit-déjeuner discret. Les croissants réchauffés directement sur la plaque de cuisson sont très bons mais le Nescafé sans sucre n’est pas terrible. Tant pis, je me rattraperai plus loin.

     

    Il fait encore nuit quand je quitte silencieusement le gîte et au premier carrefour, je me trompe. J’ai bien vu la coquille Saint-Jacques mais je n’ai pas compris qu’il fallait quitter la petite route et prendre ce chemin qui montait dans les bois. Distraction fatale. Ce n’est qu’en arrivant à la route principale que j’ai réalisé mon erreur. Je suis donc resté sur le bitume pour rejoindre Villaviciosa. Je me suis sûrement rallongé mais de combien ? 

    Pour arranger les choses, il commence à pleuvoir et c’est sous la pluie que j’arrive à l’entrée de la ville où je retrouve le marquage. Villaviciosa est la capitale de la pomme, comme le rappelle un original monument dans un jardin public de la ville.

    J60 - Villaviciosa - Monument à la pomme
    En effet, il y a des pommiers partout dans cette région. Néanmoins, j'ai lu sur un journal local que les producteurs de pommes ne sont pas contents car les fabricants de cidre préfèrent acheter les pommes moins chères en France et en République Tchèque !

    J60 - Barcena - Pommier bien chargé
    La sortie de la ville se fait par une route qui remonte une vallée entre des collines plantées de pommiers et il pleut toujours.

     

    C’est dans le village de Casquita que le chemin côtier vers Gijón et celui vers Oviedo, le primitivo, se séparent.

    J60 - Casquita - Séparation des chemins
    Après Oviedo, le primitivo continue à travers la cordillère cantabrique et se raccorde au Camino Francés à Melide. Son nom vient de ce qu'il fut le premier itinéraire utilisé pour se rendre en pèlerinage à Compostelle, en l’occurrence par le roi Alphonse II depuis Oviedo peu après la découverte des restes de Saint Jacques. C’est la plus ancienne voie jusqu’à la tombe de l’apôtre.

     

    Le parcours est, paraît-il, magnifique et très accidenté mais, dès le départ, j’ai décidé de suivre la côte jusqu’au bout. Je continue donc en direction de Gijón, toujours par la route jusqu’au pied d’une chaîne de collines assez élevées. Là, pour éviter les lacets de la route, le chemin grimpe tout droit dans les bois mais, arrivé au sommet, c’est de nouveau la route qui descend tranquillement vers Pión.

    Dans la descente, j’ai d’abord rencontré un pèlerin italien en sens inverse, tirant son sac sur une petite remorque, puis un vieux monsieur avec qui je discute un moment. Il me demande de quelle région d’Espagne je viens car il n’identifie pas mon accent. Voilà une remarque qui fait plaisir et me rassure sur mon niveau d’espagnol. Il me dit aussi que je trouverai un bar ouvert tout en bas, à la sortie du village. Bonne nouvelle, je pourrai m’y abriter de cette pluie incessante pour déjeuner.

    J’arrive au bar alors que la pluie redouble. Il était temps.

    Je commande un sandwich à l’omelette et un Coca. Quand la commande arrive, je n’en crois pas mes yeux. Le sandwich est énorme, préparé dans un pain entier. Je ne pourrai jamais manger tout ça.

     J60 - Peón - Le modeste sandwich servi au bar du village
    Je le partage avec une pèlerine néerlandaise qui vient d’arriver puis je repars profitant d’une éclaircie inespérée. Il faut gravir encore une autre colline mais le rayon de soleil et le magnifique panorama sur Gijón dans le lointain et l’océan me payent de mes efforts.

    Il ne reste plus qu’à redescendre pour rejoindre la plus grande ville des Asturies.

    J60 - El Curviello - Panorama sur Gijón
    Mais le chemin n’en finit pas et la pluie s’est remise à tomber. Je commence à en avoir un peu marre et dans cette longue descente, je ne me freine pas. Erreur fatale. J’ai senti le picotement et j’ai immédiatement ralenti mais c’était déjà trop tard.

    La combinaison des pieds mouillés, d’une longue étape et d’une longue descente à trop vive allure. Après mille-sept-cents kilomètres de marche sans ennui !

    Et ce n’est pas fini. Arrivé aux portes de la ville, les flèches jaunes m’envoient sur le paseo marítimo dont je dois parcourir les trois kilomètres avant d’arriver à proximité de la ville ancienne à la tombée de la nuit.

    J60 - Gijón - Sur le paseo maritimo
    Reste à trouver un hébergement. J’ai découvert hier soir que le petit guide que j’utilisais depuis Irún ne parle pas de cet itinéraire par Gijón mais seulement de la variante par Oviedo. Je n’ai donc aucune information pour trouver à me loger à partir d’ici et jusqu’à l’arrivée. Je fais les étapes indiquées sur les photocopies d’un guide édité par le gouvernement du Pays Basque qui date de 2011 et présente des cartes simplifiées et des informations touristiques, mais rien sur les hébergements.

    L’office de tourisme est fermé mais il y a un plan de la ville affiché sur la porte et je vois que plusieurs pensiones se trouvent dans une rue assez proche. Le troisième essai est le bon et je trouve une minuscule chambre au troisième étage d’un vieil immeuble.

    Aussitôt arrivé, je soigne mon ampoule avec ma bonne vieille méthode. Je perce l'ampoule avec une aiguille et un bout de fil que je laisse en place pour empêcher le trou de se reboucher et permettre au liquide de continuer à s’écouler.

     

    Ce soir, ce n’est pas la grande forme. L’étape était longue et fatigante, sans doute à cause de mon erreur du matin et du passage par le bord de mer qui ont rallongé les trente-et-un kilomètres théoriques et à cause de la pluie qui n’a pratiquement pas cessé de la journée. L’apparition de l’ampoule a sans doute aussi influencé ma perception des choses. Quand on a mal au pied, tout paraît plus long et plus dur.

    Je vais faire ma lessive à une laverie automatique, seul moyen d’avoir du linge propre et sec rapidement et je dîne dans un bar voisin en profitant du wifi pour consulter ma boite mail.

    Demain ça devrait aller mieux, la météo annonce le retour du soleil pour trois ou quatre jours.

     

     

     

    J 61 - Mardi 31 octobre. GIJÓN - PIEDRASBLANCAS
    Beau temps                                                                                                                                                               28 km

     

    Aujourd’hui, le petit-déjeuner pris dans une cafétéria voisine est parfait.

    Le démarrage est un peu difficile. Avec une ampoule, tout est différent. Je plains sincèrement celles et ceux qui en souffrent et je pense à Janette la Danoise que j’avais côtoyée sur le chemin en 2013. Ses pieds étaient couverts d’ampoules et j’avais passé une demi-heure à l’aider à se soigner un soir. Quel courage et quelle force mentale de continuer à marcher dans ces conditions !

    Je reviens sur le bord de mer pour trouver les marques. Elles n’y sont pas. Après quelques tâtonnements, je les retrouve le long d’une avenue parallèle. Bon.

     

    Au bout de cette longue avenue qui s’étire dans les faubourgs de la ville, les choses empirent en arrivant dans une grande zone industrielle : usines sidérurgiques Arcelor Mital, centrale thermique, voies ferrées et autoroutes qui se croisent, routes de dessertes des usines où circulent de gros camions chargés de je ne sais quoi, tout y est.

    J61 - Sortie de Gijón - Dans les zones industrielles
    Le chemin s’en extrait en grimpant sur une colline qui domine cet enfer.

    J61 - Sortie de Gijón - Arcelor Mital


    En traversant l’un des villages qui ressemble plutôt à une cité ouvrière, je découvre un point de ravitaillement inattendu. Amada, une vieille dame très gentille propose à boire et un
    sello bien à elle qui trouve sa place sur ma Créanciale. Je discute un moment avec elle. Elle a vu passer de nombreux pèlerins de tous pays et est assez fière de son livre d’or sur lequel j’écris un mot de remerciement pour marquer mon passage et je signe «Max de Montpellier» comme je l’ai fais chaque fois que j’ai écris quelque chose sur un livre d’or depuis le début de mon pèlerinage.

    Plus haut, le chemin s’enfonce dans un bois d’eucalyptus et la marche est de suite bien plus agréable dans cet environnement malgré la dénivelée. De l’autre coté de ce mouvement de terrain, on retrouve quelques villages, El Valle, Tamón, mais aussi l’autoroute A8 qu’il faut suivre pendant quelques kilomètres.

    J61 - Entre Gijón et Avilés - El Valle

    Pendant une petite pause, je vois arriver deux jeunes souriants très sympathiques avec qui je m’entends bien tout de suite. Il y a Gerald qui est catalan et Nadia aux longs cheveux bruns frisés qui est italienne. Ils ont une belle allure et marchent d’un bon pas.

     J61 - Trasona - Gerald et Nadia
    Et puis, on retombe dans les zones industrielles. Et cette fois, c’est beaucoup plus long que tout à l’heure. De Trasona à Avilés, ce n’est qu’une succession sans fin de plusieurs usines, de voies ferrées, de conduites de gaz, de pipe-lines et de cheminées crachant des fumées peu engageantes.

    J61 - Avilés - Usine Arcelor Mital
    Je fais une brève halte pour boire un Coca rafraîchissant et énergétique dans un bar minable près de l’entrée de la première usine car il fait chaud puis je m’arrête plus loin pour déjeuner sur le banc d’un arrêt de bus le long de la route qui traverse cette zone. Camions, bus et voitures passent en grondant à deux mètres de moi, tandis que de l’autre coté de la route et dans mon dos les usines s’alignent. J’ai connu mieux comme paysage mais je pense aux gens qui habitent là. Quel triste environnement !

    Gerald et Nadia arrivent et passent en me saluant gaiement. Je ne m’éternise pas à cet arrêt de bus déprimant et démarre juste derrière eux. Je les rattrape un peu plus loin sur une voie piétonne qui permet de s’éloigner de la route en longeant une rivière qui coule le long des usines. Mais le décor est toujours le même.

    Nous marchons ensemble jusqu’à l’entrée de la ville où un parc est égayé par quelques "œuvres d’art" constituées de ferraille et probablement offertes par Arcelor Mital.

    J61 - Avilés - Œuvre d'art offerte par Arcelor Mital

     
    J61 - Avilés - Le chemin en zone urbaine


    Avilés compte aujourd’hui près de quatre-vingt-mille habitants grâce à l’importance de son port de pêche et à ses usines sidérurgiques. Son centre historique présente de belles rues pavées bordées d’arcades, quelques palais dont celui où est installé l’ayuntamiento sur la place d’España et plusieurs belles églises, Santo Tomas toute blanche et San Francisco en belles pierres dorées.

    J61 - Avilés - L'ayuntamiento sur la plaza d'España


    J61 - Avilés - L'église Santo Tomas
    Pourtant je ne m’y attarde pas. L’ampoule commence à me faire mal et la contracture s’est réveillée. Il me tarde d’arriver. 

    Dans la rue Cámara et ses belles arcades, je croise trois jeunes filles qui reviennent de l’école, dans leur uniforme que je trouve un peu triste, jupe écossaise, pull et bas vert foncé. Mais c’est une bonne pratique que nous devrions adopter en France.

    J61 - Avilés - Ecolières en uniforme
    Plus que quatre kilomètres pour arriver à Piedrasblancas, petite ville bien plus agréable qu’Avilés. Il n’y a pas d’auberge ici et je vais à l’hôtel Piedras que l’on m’a indiqué. Il est à l’écart du chemin sur la large avenue de Galicia mais c’est un bel hôtel où je bénéficie d’une grande chambre confortable qui me change de celle de la veille. Et il pratique des prix tout doux pour les pèlerins.

    Pour faire sécher mon linge, je bricole une installation dans la salle de bains avec le sèche-cheveux puis je soigne mon orteil tout gonflé. Pour la contracture, à part me masser au Voltaren, je ne vois pas quoi faire d’autre. J’ai tout essayé, y compris marcher avec les chaussures délacées, la douleur revient au bout d’un laps de temps plus ou moins long et disparaît dès que je m’arrête.

     

     

    J 62 - Mercredi 1° novembre. PIEDRASBLANCAS - SOTO DE LUIÑAS
    Couvert                                                                                                                                                                      30 km

     
    J’ai quitté l’hôtel en empruntant le raccourci que m’a indiqué le serveur au petit-déjeuner pour rejoindre le chemin balisé sans avoir besoin de revenir au centre ville. Je retrouve les tant désirées flèches jaunes dans la traversée d’un quartier résidentiel à flanc de colline. Le chemin grimpe jusqu’au sommet puis file le long de la crête en traversant de très agréables bois d’eucalyptus.

    Quel arbre magnifique ! Fin, élancé, d’une jolie couleur, et cette odeur agréable qui flotte en permanence. J’apprécie d’autant plus que je n’ai pas mal au pied ce matin, ni la contracture, ni l’ampoule qui guérit tout doucement.

    Il est dix heures trente quand j’arrive au premier repère, la ría San Estebán qui se franchit sur un long pont routier. Il s’agit en fait de l’estuaire du Nalón, l’un des plus grands fleuves des Asturies.

    Juste avant de descendre près de l’eau, je traverse le village de Soto construit sur les collines et dominé par les restes du château San Martín.

    J62 - Soto del Barco
    Au centre du village, je fais la pause petit-déjeuner-bis, une bonne habitude prise lors de mon premier pèlerinage, et j’achète un sandwich à l’omelette pour midi. Cette fois-ci, il est de taille raisonnable, pas comme celui de Pión.

     

    Au bord de l’eau, de chaque coté du pont, de petits embarcadères de bois où quelques barques sont amarrées s’alignent le long de la rive.

    J62 - Soto del Barco - La ría San Estebán
    De l’autre coté, il faut remonter jusqu’à Muros de Nalón, autre joli village qui doit son nom au marquis de Muros, éminente personnalité du lieu. Il ne reste que des ruines de son château, mais la place sur laquelle se dresse l’église
    Santa María porte son nom.

    À partir de là, le chemin traverse une zone de collines couvertes de forêts d’eucalyptus et quelques jolis petits villages, tous pourvus de nombreux horreos, certains en excellent état, visiblement restaurés et parfois transformés en petits appartements.

    Le parcours est très agréable même s’il monte et descend sans arrêt. Dans une descente assez raide, je rattrape une pèlerine qui marche avec précaution. On se salue, mais la discussion est difficile car elle ne parle que quelques mots d’anglais et d’espagnol. Je comprends qu’elle s’appelle Anna et qu’elle est ukrainienne. Voilà qui n’est pas courant.

    Je traverse un nouveau village qui s’appelle El Pito. Il est un peu spécial car un "indiano" qui avait particulièrement bien réussi en Amérique latine y a fait construire un magnifique palais, le palais Selgas agrémenté d’un superbe jardin à la française.

    J62 - El Pito - Palais Selgas

    Même l’église a, paraît-il, été construite avec ses deniers.


    J62 - El Pito - L'église

    C’est dans le grand jardin qui l’entoure que je m’arrête pour manger mon sandwich. C’est un endroit charmant avec des bancs éparpillés sous les incontournables eucalyptus. Je m’installe et me déchausse pour aérer mes pieds bien qu’ils ne m’aient pas fait trop mal ce matin.

    Anna arrive et vient s’installer avec moi. Nous reprenons notre difficile dialogue en mélangeant anglais, espagnol, ukrainien et russe, plus le langage des mains et nous parvenons à nous comprendre.

    Mais elle picore juste quelques raisins secs et quelques biscuits et repart bien avant moi. Je prends mon temps et m’allonge même pour une petite sieste. Pendant ce temps, mon pied se repose.

     

    Il me reste douze kilomètres pour arriver à l’étape du soir. Douze kilomètres qui paraissent longs par ces collines qui imposent toujours un trajet très accidenté dans un paysage où l’autoroute A8 est omniprésente. On passe au bord de l’océan près de Lamuño avant de s’enfoncer à nouveau dans les collines toujours couvertes d’eucalyptus.

    Nouvelle halte à Mumayor sur un petit banc providentiel. À nouveau, je me déchausse et laisse mes pieds se reposer un moment. Il est seize heures quand je repars et cela fait déjà huit heures que j’ai quitté l’hôtel ce matin à Piedrasblancas.

    Quelques centaines de mètres plus loin, je suis joyeusement interpellé par quatre personnes qui finissent leur repas sur une terrasse dominant la petite route où je passe. Ils m’invitent à les rejoindre et à participer à leurs agapes. Ma foi, je ne suis pas très vaillant cet après-midi et il ne me reste que trois ou quatre kilomètres. Je les rejoins. Ils sont très joyeux et en grande forme. Leur repas a dû être bien arrosé. Abrazos avec les deux gars et bisous avec les deux dames, voilà une bonne entrée en matière avant de grignoter une part de leur gâteau et de déguster leur délicieuse liqueur de châtaigne maison en répondant à leurs questions sur mon chemin. Ils sont curieux les riverains qui voient passer tout ce monde devant leur porte.

     J62 - Mumayor sur le chemin de Soto de Luiña - Petit moment sympa
    Quelle chance de bien parler espagnol, sinon je passerais à coté de moments sympathiques comme celui-ci !

     

    Encore une colline à franchir mais, de l’autre coté, la descente mène enfin à Soto de Luiña.

    À l’entrée du village, je me renseigne auprès de la Guardia Civil. Il faut passer au bar du village pour récupérer la clé de l’auberge municipale. J’y retrouve Gerald et Nadia qui font une pause avant de repartir vers le village suivant.

     J62 - Soto de Luiña - Gerald et Nadia
    Ils me déconseillent l’auberge infestée par les punaises. Je me suis fait piquer par ces parasites lors de mon premier pèlerinage et je n’ai pas envie de renouveler cette désagréable expérience. Merci pour l’info les amis.

    Je me dépêche d’aller à l’hôtel Valle, le seul du lieu. Heureusement qu’il y en a un dans ce petit village. J’y retrouve Anna et des Allemands, Charlotte, Ralph et Gisèle. Apparemment, tout le monde a fait comme moi. Content l’hôtelier !

    Je soigne mon ampoule qui va bien mieux et, à nouveau, bricole une installation pour faire sécher mon linge avec le sèche-cheveux. C’est très efficace.

    Puis, je rejoins les autres pèlerins dans la grande et confortable salle à manger. Évidemment, tout le monde parle du chemin. Ralph et Gisèle ont un guide très détaillé. Les Allemands font toujours bien les choses. Moi je n’ai que des photocopies de cartes peu précises et surtout, depuis Sebrayu, je n’ai aucune information sur les hébergements.

    C’est ainsi que je découvre que Luarca où j’avais pensé aller le lendemain est à trente-six kilomètres et non pas trente-deux car le parcours a été modifié. Ce ne serait pas raisonnable avec mon pied gauche malade et je décide de faire comme tout le monde et de m’arrêter à Cadavedo qui n’est qu’à vingt kilomètres. Une étape courte ne pourra que faciliter la guérison de mon pied.

    Ce problème me tracasse au point que je me réveille dans la nuit et n’arrive plus à m’endormir. Je rallume mon téléphone et cherche sur Internet où je trouve un listing des hébergements sur un site belge que je télécharge. C’est mieux que rien. Me vient aussi l’idée d’acheter leur guide aux Allemands qui vont s’arrêter. Je leur en parlerai au petit-déjeuner.

    En me rassurant, cette pensée me permet de me rendormir.

     

     

     

    J 63 - Jeudi 2 novembre. SOTO DE LUIÑAS - CADAVEDO
    Couvert                                                                                                                                                                      20 km

     

    Comme j’ai mal dormi, je me réveille en petite forme et descends prendre mon petit-déjeuner. Une pèlerine qui a dormi à l’auberge municipale vient s’installer avec moi. Elle est néerlandaise et s’appelle Wilma. Je la trouve bien jolie et agréable. Nous déjeunons ensemble et sympathisons bien vite. Elle aurait voulu marcher avec moi ce matin sur l’itinéraire que le patron de l’hôtel m’a montré sur une carte. Un itinéraire inédit qui passe par la côte. Mais il faut que j’attende Gisèle pour lui demander si elle veut bien me vendre son bouquin.

    Wilma s’en va sans moi. Dommage, elle me plait bien. J’espère que je la reverrai.

    Les Allemands arrivent enfin et je pose la question à Gisèle qui accepte ma proposition. Elle me donnera son guide ce soir après qu’elle ait terminé son parcours. Pour être sûr de les retrouver, je réserve à la Casa Carín, la maison d’hôtes où ils ont prévu d’aller à Cadavedo. Me voilà définitivement rassuré.

    Je quitte enfin l’hôtel et me lance sur l’itinéraire indiqué. Je ne suis pas pressé, je n’ai pas mal au pied et, bien que le ciel soit couvert, il fait très doux. Je marche en pensant à Wilma.

    Le chemin est agréable et bien balisé. Il s’enfonce dans les bois d’eucalyptus, monte et descend pour franchir les vallons et arrive à une jolie petite plage de graviers au débouché d’un ravin dont l’hôtelier m’a parlé, la playa del silencio. C'est là que je retrouve Wilma, assise sur les rochers, à contempler la mer. L’océan est très calme et gris comme le ciel. Elle a envie de se baigner, me dit-elle, et je lui raconte ma baignade de la semaine précédente. Mais le ciel gris et surtout la température bien fraîche de l’eau nous font hésiter. Finalement, nous repartons sans nous être déshabillés et encore moins trempés dans l’eau. S’il avait fait soleil, peut-être…

    J63 - Max sur la plage de Ballota
    Wilma marche vite et moi, je ne veux pas accélérer pour ménager mon pied. Je la laisse me distancer et je continue seul.

    De temps en temps, le chemin remonte sur les hauteurs et traverse quelques petits villages. Dans la traversée de l’un d’eux, Santa Marina, un bar ouvert me tend les bras et je m’y arrête pour boire un café et acheter un sandwich puis repars en profitant d’un bref rayon de soleil.

     

    Il est déjà plus de treize heures quand je fais halte sous un arbre pour manger ce sandwich et quelques pommes rouges qu’une dame m’a gentiment données en traversant le hameau précédent.

    J63 - Pause repas avant Cadavedo
    Devant moi, au-delà des champs et des bois, l’océan s’étale à l’infini, offrant un superbe paysage plein de sérénité que je ne me lasse pas d’admirer.

    J63 - La côte entre Ballota et Cadavedo
    Il est à peine quinze heures quand j’arrive à Cadavedo. Je me renseigne. La Casa Carín se trouve de l’autre coté du village à plus d’un kilomètre en pleine campagne. En marchant dans les rues, je regarde quelques magnifiques maisons sans doute appartenant à des indianos, car elles détonnent dans ce monde rural.

    Avant de quitter l’agglomération, je fais mes courses au petit supermarché local car notre hôte de ce soir ne fournit ni le dîner ni le petit-déjeuner.

    Au bord de la route, je passe devant l’auberge municipale qui n’a pas l’air bien terrible. De toute façon, mon choix est déjà fait pour ce soir.

     

    J’arrive à la chambre d’hôtes en même temps que la pluie annoncée par la météo. La Casa Carín est une très agréable maison de campagne. Un petit appartement de trois chambres avec une salle de bains et une grande cuisine nous est réservé. Deux chambres pour les Allemands et une pour moi.

    Vers dix-sept heures, Ralph, Gisèle et Charlotte arrivent. Eux aussi ont acheté à manger au supermarché et nous décidons de préparer un repas en commun. Gisèle s’attaque à une salade, Charlotte fait cuire des pâtes, je me lance dans une salade de fruits, Ralph met la table et ouvre les bouteilles de vin. Ils ont acheté deux bouteilles de rouge, une de blanc sec et une de blanc doux ! Ah ces Allemands !

    Un cinquième larron arrive un peu plus tard et se joint à nous, Franck, un jeune Allemand qui s’est blessé à la cheville et ne peut plus marcher.
    Nous faisons plus ample connaissance. Ralph et Gisèle ont soixante ans et habitent à Nüremberg tandis que Charlotte, vingt-quatre ans, est d’Aix-la-Chapelle.


     J63 - Cadavedo - Repas en commun à l'auberge avec 4 Allemands


    Nous passons une très bonne soirée bien sympathique que mes compagnons ont copieusement arrosée. Quant à moi, je suis content car j’ai le guide et, même s’il est en allemand et que je ne comprends pas grand-chose au texte, il est illustré de cartes plus précises et, surtout, les hébergements sont indiqués.

    Je vais pouvoir réorganiser mes étapes à partir de ces nouvelles données.

     

     

    J 64 - Vendredi 3 novembre. CADAVEDO - VILLAPEDRE
    Pluie                                                                                                                                                                           27 km

     

    La pluie a continué toute la nuit. Premier levé, je prépare le petit-déjeuner avec les ingrédients achetés la veille, dis au revoir à Ralph et Gisèle et me mets en route sous la pluie.

    Le pied ne me fait plus mal, pourvu que ça dure car je vais avoir encore les pieds mouillés si la pluie persiste.

    C’est une petite route qui file vers l’ouest sous ce ciel gris et qui, au bout de quelques kilomètres, rejoint la N 634. À l’intersection, une pancarte du chemin indique Barcia à sept kilomètres et, ironie, tout à coté, un panneau routier affiche six kilomètres seulement pour aller au même endroit. Sans hésitation, je prends la route qui me fait passer par Carroyas d’où on domine la belle plage de Cueva en contrebas. L’océan est toujours très calme et j’ai la chance qu’un rayon de soleil mette un coup de projecteur sur ce joli site au moment où je passe.

    J64 - Max près de Barcia
    Vers treize heures, j’arrive à Luarca après avoir passé la matinée à m’équiper et me déséquiper au gré des averses. Le chemin arrive par les hauteurs jusqu’à une sorte de balcon qui domine la ville. Un beau point de vue mis en valeur par un timide rayon de soleil qui perce les nuages. Ce magnifique petit port de pêche, ancien port baleinier, est niché dans une ría tortueuse où débouche le río Negro. Les chalutiers colorés et les bateaux de plaisance forment un ensemble multicolore qui tranche sur le bleu sombre de l’eau et les toits d’ardoise des maisons bordant le bassin.

     J64 - Luarca - Le port

    Par les petites rues en pente, je descends jusqu’au quai et traverse le bras de mer sous le soleil enfin revenu. De l’autre coté, c’est la grande place Alfonso X el Sabio plantée de palmiers et bordée par la mairie, les inévitables bars, les restaurants et l’office du tourisme installé dans une belle maison ancienne. J’y récupère un plan de la ville mais ils n’ont rien sur le chemin. J’aurais aimé un dépliant ou une brochure donnant des informations sur le chemin dans la traversée de la province comme j’avais obtenu au Pays basque et en Cantabrie.

    Luarca est une ville pittoresque parsemée de palais, de maisons blasonnées et de maisons d’indianos toujours originales. J’entre dans deux librairies pour essayer de trouver un guide sur le Camino del Norte mais je ressors bredouille. Tant pis, je me contenterai du guide en allemand de Gisèle.

    Il y a aussi plusieurs restaurants alléchants. J’en choisis un dans une petite rue piétonne tranquille qui propose un menu du jour raisonnable : potage asturien (pommes de terre et chou), steak frites et ananas.

    Pendant que je déjeune à la terrasse, une jolie femme d’une cinquantaine d’années vêtue d’une robe qui met sa belle silhouette en valeur passe devant moi. Comme elle tourne la tête dans ma direction, je lui dis bonjour et elle me gratifie d’un grand sourire qui me fait très plaisir. Une bien jolie femme. Dix minutes plus tard, elle repasse, le téléphone collé à l’oreille, et je peux tout à loisir admirer une nouvelle fois ses belles formes en me disant que j’aurais bien aimé engager la conversation avec elle.

     

    C’est avec l’image de cette belle inconnue dans la tête que je reprends le chemin qui monte par de petites rues en pente raide pour atteindre la campagne sur le plateau. Après le monde de la mer et de la pêche, je me retrouve sans transition dans celui de l’agriculture et de l’élevage avec ses petits villages, ses fermes et ses horreos. Un autre visage des Asturies.

    J64 - Horreo près de Barcia


    Le chemin semble s'étirer à l'infini dans ces paysages, seulement entrecoupé par la traversée du 
    rio Aboyo. Là, il descend en lacets en dessous d’un viaduc très aérien de l’autoroute A8, traverse en utilisant le pont de la N 634 avant de remonter sur le plateau de l’autre coté.

    J64 - Pont de l'autoroute A8 sur le rio Aboyo avant Villapedre
    L’éclaircie dont j’avais bénéficié à Luarca n’a pas duré bien longtemps et les averses intermittentes m’accompagnent à nouveau dans ce long cheminement.

    La petite route par laquelle j’arrive à Villapedre passe entre deux hôtels. Le téléphone est indiqué sur leur panneau publicitaire et je les appelle tous les deux pour comparer leurs prestations et leurs prix. Pas de grande différence entre les deux et même prix tout doux pour le pèlerin que je suis. Au feeling, je choisis celui d’en haut, l’hôtel Dinar. Une charmante hôtesse à l’accueil, une belle chambre confortable et chauffée ouvrant sur un grand balcon avec une belle vue sur l’océan mais ni dîner ni petit-déjeuner. Je vais devoir ressortir et je n’en ai pas trop envie, surtout que le plus proche restaurant est à un bon kilomètre de là. Tant pis. De toute façon, c’était la même chose chez le concurrent.

    Quand je sors de l’hôtel pour aller manger, la réceptionniste me propose très gentiment de m’amener en voiture et de venir me rechercher quand j’aurai fini. C’est vraiment très sympa de sa part et, bien évidemment, j’accepte.

    C’est un petit restaurant familial sans prétention, mais l’accueil est très agréable et le menu proposé suffit largement à apaiser ma faim. Certes, j’ai dû attendre un peu car les horaires des repas des pèlerins ne coïncident pas vraiment avec ceux des autochtones mais j’ai mis à profit ce laps de temps pour envoyer courriels et textos et mettre une publication sur ma page Facebook.

    Quand je reviens dans ma chambre, j’ai l’agréable surprise de découvrir sur mon lit un petit en-cas pour le lendemain, un sandwich, une banane, des biscuits et une canette de bière. Cette fille est vraiment très sympathique en plus d’être charmante. J’ai fait le bon choix.

    Le moral est bon mais les prochains jours risquent d'être difficiles car la météo annonce une semaine de pluie. Je suis très content car je n’ai pas eu mal au pied de la journée bien qu’ils aient été mouillés et je m’endors dans mon grand lit en pensant à la jolie femme de Luarca.

     

     

    J 65 - Samedi 4 novembre. VILLAPEDRE - TAPIA DE CASARIEGO
    Pluie                                                                                                                                                                           24 km

     

    En quittant l’hôtel, je laisse un mot de remerciement pour la jeune femme qui s’est si bien occupée de moi hier soir. J’ai vraiment apprécié son aide et son geste désintéressés.

     

    Je prends mon petit-déjeuner à un bar ouvert au bord de la N 634 à la sortie du village. Pendant quelques kilomètres, je marche le long de la route qui file tout droit, alors que le chemin fait des crochets tantôt à droite, tantôt à gauche puis je le suis pour finir d’arriver à Navia. Cette petite ville a toujours été un point de passage obligé pour les pèlerins car c’est là qu’ils pouvaient traverser en barque cette ría qui s’enfonce très profondément dans les terres. Aujourd’hui, c’est sur un affreux pont routier que je traverse sous la pluie qui s’est remise à tomber. Rien à voir dans cette ville. La seule chose que je remarque est un morceau de "poésie" un peu osée peint au pochoir sur un mur à la sortie de l’agglomération où il est écrit « cuando me hundo entre tus piernas, me rodea el paraíso ». Je vous laisserai le soin de traduire, ou pas…

    J65 - Navia - Poésie
    Douze kilomètres plus loin, j’ai traversé A Caridá presque sans m’en apercevoir tellement la pluie tombe dru. J’avais l’intention de m’y arrêter pour manger mais je n’ai rien vu qui ressemble de près ou de loin à un bar ou une boulangerie. Je sonne à une porte pour me renseigner. Je suis bien en train de sortir de la ville, le centre est bien derrière moi, mais on m’indique un bar-restaurant à coté d’une station-service, un kilomètre plus loin.

    Il tombe des cordes quand j’y arrive. La halte est vraiment indispensable et une fois à l’abri, je prends mon temps en espérant que la pluie se calme.

    Elle se calme mais ne s’arrête pas pour autant. Tant pis, j’aurais au moins mangé un plato combinado bien consistant et je me serais reposé une bonne heure.

     

    Quand j’arrive à Tapa de Casariego, il pleut toujours. La petite ville est construite au bord de l’océan qui est bien calme mais gris comme le ciel.

     J65 - Arrivée à Tapia de Casariego
    J’entre en ville par le bord de mer où se trouve l’auberge municipale qui est fermée. Allons bon !

    Je marche jusqu’au centre ville et me renseigne. Sur l’avenue de Galicia par laquelle le chemin sort de la ville, l’hôtel-restaurant La Ruta fait face à l’hôtel Puente de los Santos. Je choisis La Ruta à cause du restaurant. Avec cette pluie, je n’ai pas envie de ressortir pour aller manger quelque part. Mais on est samedi soir et, faute de personnel, on ne pourra me servir qu’un plato combinado« ¡ Perfecto ! ¡ Me queda muy bien ! », dis-je au patron qui a l’air désolé de ne pouvoir faire mieux.

    La chambre n’est pas bien grande et, à nouveau, j’emprunte un sèche-cheveux pour sécher mon linge malgré l’humidité et l’absence de chauffage.

    Pendant que l’engin souffle son air chaud sur mes petites affaires, je vais m’installer au bar bien éclairé et bien chauffé et commence la rédaction de ma page d’écriture quotidienne en sirotant mon habituelle caña con lemón. Cette boisson typiquement espagnole est similaire à notre demi panaché mais avec du soda au citron en lieu et place de la limonade. C’est très rafraîchissant, combinant l’amer de la bière au sucré et à l’acidulé du soda.

    Grâce au guide en allemand, je réorganise mes prochaines étapes jusqu’à Santiago qui n’est plus très loin maintenant en évitant les longues étapes et je suis content du résultat puisque la plus longue ne fait que vingt-six kilomètres.

    Le patron vient s’asseoir avec moi et nous discutons de la grande affaire du moment, la déclaration d’indépendance controversée de la Catalogne. Les journaux ne parlent que de ça et la télévision enchaîne les reportages en direct avec toujours les mêmes images sans intérêt qui reviennent en boucle. Il est contre comme semble l’être une grande majorité d’Espagnols.

     

    Vingt heures, l’heure du repas. J’attendais un plato combinado comme annoncé et c’est un véritable menu qui m’est servi : soupe, chipirones à l’asturienne, un quart de poulet, frites et glace. Un excellent repas même si ce n’est pas un monument de diététique.

    Quand je regagne ma chambre, grâce au sèche-cheveux qui a soufflé son air chaud, mon linge est parfaitement sec et la température dans la pièce est tout à fait agréable.

     

     

    J 66 - Dimanche 5 novembre. TAPIA DE CASARIEGO - GONDÁN
    Pluie                                                                                                                                                                           35 km

     

    C’est aujourd’hui que je vais entrer en Galice et quitter définitivement la côte pour entrer dans une zone de montagnes qu’il faut traverser pour atteindre la région de Santiago. La première partie sera maritime donc, et la deuxième montagnarde.

    Au départ de Tapia, le chemin suit la côte passant au bord de la grande plage de Tapia puis, plus loin, le long de celle de Peñarronda. L'océan est gris, comme le ciel qui se met à cracher des averses. La météo avait vu juste, la journée ne va pas être facile.

     J66 - Sur la plage de Peñarronda
    J’emprunte ensuite une série de petites routes qui me mènent à Figueras, dernière agglomération des Asturies et petit port de pêche sur la ría d’Eo.

    À l’entrée de la ville, une petite stèle porte les armoiries de la ville avec l’inscription « Un antiguo i heroico pasado gremial dió a Figueras su independencia actual. Año D 1776 », ce qui signifie « Un antique et héroïque évêque donna à Figueras son indépendance actuelle. Année du Seigneur 1776 ».

    J66 - Figueras - Armoiries de la ville
    De là, je gagne l’élégant pont autoroutier qui enjambe la large ría en profitant d’une providentielle éclaircie. C’est par ce pont que je traverse en utilisant le cheminement piéton aménagé à cet effet, bousculé par un vent violent.

    J66 - Le pont de los santos
    De l’autre coté, c’est la Galice qui m’accueille avec une nouvelle averse tandis que je marche pour rejoindre le centre de Ribadeo, première ville galicienne. J’arrive sur la jolie place de la Constitución, plantée de palmiers et bordée de beaux immeubles anciens.

    J66 - Ribadeo - Casa de los Morenos


    Je vais à l’office de tourisme en espérant y trouver une brochure sur le chemin en Galice mais le bureau est fermé. Je m’installe au bar voisin pour ma traditionnelle pause petit-déjeuner-bis et aussi pour me renseigner sur la suite du parcours. J’ai l’intention d’aller jusqu’à Vilela, un hameau à une dizaine de kilomètres où, d’après le guide allemand, se trouve un gîte municipal, mais le numéro de téléphone indiqué ne répond pas. J’en parle au barman qui me donne le téléphone d’un restaurant dans cette localité. La réponse n’est pas enthousiasmante : le gîte est fermé et il n’y a pas d’autre possibilité sur place.

    Que faire ? Rester à Ribadeo est la solution la plus sage mais elle ne me tente pas du tout.

    Quoi d’autre ? Je décide donc de marcher jusqu’à Vilela et là, j’aviserai. Mais avant je prends mes précautions. Je commande deux gros sandwiches au bar, un pour midi et l’autre pour le soir. Quoi qu’il arrive, j’aurai de quoi me nourrir. Pour dormir, on verra bien. Et déjà, mentalement, je me prépare à la possibilité de passer une nuit dehors. Il suffira de trouver un recoin à l’abri du vent et de la pluie.

    Je quitte Ribadeo sous une petite pluie fine par un chemin qui monte d’emblée dans les collines boisées. Très vite, les habituelles flèches jaunes sont complétées par les petites bornes portant la coquille Saint Jacques stylisée et le kilométrage restant pour arriver à Santiago. J’avais oublié que c’était la spécialité de la Galice. Ces bornes en granit sont placées aux carrefours pour indiquer la direction à suivre et le kilométrage restant est indiqué au mètre près. Ainsi, la première borne rencontrée porte le kilométrage 185,897.
    Difficile de faire plus précis.

      J66 - Chemin vers Vilalva - Borne 185 km


    Il n’est même pas quatorze heures quand j’arrive à Vilela. Effectivement, c’est un tout petit hameau, juste quelques maisons au bord de la route. Le gîte se trouve un kilomètre plus loin, tout à coté du restaurant où j’ai téléphoné ce matin. Je vais voir par curiosité. C’est hermétiquement fermé et une affiche apposée sur la porte indique les dates de fermeture : du 1° novembre au 31 mars. 
    À quelques jours près...

    Je consulte ma documentation allemande. Le prochain gîte se trouve à Gondán, quinze kilomètres plus loin. Ce n’est pas rien mais il n’est que quatorze heures. Je peux le faire. J’appelle le numéro de téléphone indiqué qui me rassure. Le gîte sera bien ouvert pour moi.

    Je démarre sans perdre de temps et décide de rester sur la petite route pour économiser un kilomètre.

     

    Mais je n’ai pas encore mangé, aussi je m’arrête devant la jolie petite église toute blanche du village d’A Ponte, Nuestra Señora dos Virtudes. Il paraît que, dans ce village, les habitants se sont battus contre les troupes de Napoléon avec un tel acharnement que les Français ont fini par laisser tomber.

    J66 - O Punto - L'église
    En attendant, je me pose sur un banc de pierre, adossé à l’église et protégé du vent pour grignoter mon sandwich. Pendant ma halte, passent Gerald et Nadia que je n’avais pas vus depuis plusieurs jours ainsi que deux autres jeunes qui passent sans me prêter attention.

    Le chemin monte sérieusement pour franchir une ligne de collines mais il est très agréable, alternant bois d’eucalyptus et pâturages où paissent des vaches et quelques chevaux. Des averses continuent d’arroser sporadiquement la campagne et moi avec mais je n’y fais pas trop attention, attentif à bien suivre le bon chemin. Ce n’est pas le jour de se tromper.

    Mes pieds vont bien, l’ampoule ne me fait plus mal du tout et la contracture se fait oublier. Je peux marcher à bonne allure malgré les dénivelées.

    J66 - Gondán - Paysage sous la pluie


    Dans une longue descente, les maisons de Gondán apparaissent enfin, éclairées par un rayon de soleil. Le temps a l’air de vouloir se lever. C’est encore plus petit que Vilela, quelques maisons éparpillées et, près de la petite route, au milieu d’un pré, une maison isolée avec quelques tables et bancs à l’extérieur. Ce ne peut être que là et c’est bien là. Comme promis, c’est ouvert. Il est dix-sept heures trente. J’ai marché trente-cinq kilomètres au lieu des vingt initialement prévus.

    On dirait une ancienne école. Le moins qu’on puisse dire, c’est que c’est très rustique. Une grande pièce au rez-de-chaussée avec des tables et un coin cuisine sommaire. Un escalier extérieur mène à l’étage aménagé en dortoir avec une dizaine de lits superposés. Les portes et fenêtres ne ferment pas et il fait presqu’aussi froid dedans que dehors. Les toilettes et la douche unique sont à l’extérieur mais heureusement, l’eau est chaude.

    Par contre, il n’y a pas de couvertures. Sans duvet, je ne vais pas passer une très bonne nuit mais ce sera toujours mieux que pas d’abri du tout, éventualité à laquelle je m’étais préparé.

    Je me dépêche de prendre ma douche tant que la température est acceptable mais je ne lave pas mes affaires qui n’auraient pas le temps de sécher. Comme je m’y attendais, mes chaussettes sont mouillées mais l’ampoule est guérie. Un souci de moins.

    Avant de m’installer, j’asperge prudemment le lit de produit anti-punaises, au cas où.

    Une heure plus tard, alors que la nuit tombe et que je m’apprêtais à passer la soirée et la nuit seul, arrivent quatre pèlerins. Il y a Marco, italien, Vera et Martina, allemandes, et Wilma. Quelle bonne surprise. Je suis ravi d’avoir de la compagnie et de revoir ma sympathique Hollandaise qui semble aussi contente que moi.

    Vera a le visage et le corps tout marqués de piqûres. Les punaises, sans doute à Soto de Luiña, et elle n’a rien fait depuis, donc elle les transporte avec elle et continue d’être piquée. Et elle les dissémine dans les hébergements où elle s’arrête. Au point où elle en est, il n’y a qu’une seule solution, il faut tout désinfecter. Elle vide son sac, enlève ses habits et j’asperge toutes ses affaires et le lit qu’elle a choisi avec ma bombe d’insecticide.

     

    Pendant ce temps, Marco a fait chauffer une pleine casserole de thé. Ça fait du bien de boire chaud car la pièce est froide et humide.

    Nous dînons tous ensemble en partageant ce que nous avons, c’est-à-dire pas grand-chose, mais c’est nettement plus sympathique ainsi.

    Nous montons tous à l’étage nous installer pour la nuit après avoir coincé la porte qui ne ferme pas avec une pierre. Les autres ont des sacs de couchage et ne s’inquiètent donc pas.

    J’enfile tous les habits dont je dispose, les deux T-shirts, les deux pantalons, le sweater, la polaire, la parka, le pantalon Goretex, les chaussettes de rechange puis je me glisse dans mon drap de couchage. Il est très fin mais la soie tient quand même un peu chaud. Et pour ne pas avoir froid aux pieds, je les rentre dans le sac à dos. Je ressemble à une momie. Ça amuse Wilma qui, avant de se coucher, vient me prendre en photo.

    J66 - Gondán - Nuit fraîche au refuge


    Avant de m’endormir, je réfléchis au planning des prochains jours qui est tout bouleversé par cette étape d’une longueur imprévue. Pour demain, j’ai le choix entre Mondoñedo trop près à seize kilomètres ou Gontán à trente-quatre. Gontán avec un T, à ne pas confondre avec Gondán avec un D où je me trouve. Il faudra donc que j’aille jusqu’à Gontán.

     

     

     

    J 67 - Lundi 6 novembre. GONDÁN - GONTÁN
    Beau temps                                                                                                                                                               34 km

     

    J’ai l’impression de ne pas avoir dormi, mais quand je me réveille avec un besoin pressant, je constate qu’il est cinq heures trente. C’est dur de se lever et de sortir dans le froid et le crachin.

    Finalement, nous nous levons deux heures plus tard avec les premières lueurs de l’aube. Il fait très froid et humide, le brouillard a envahi la vallée en contrebas mais, grande consolation, le ciel est dégagé.

    La toilette est rapide et un verre de thé à nouveau préparé par Marco tient lieu de petit-déjeuner. Le temps d’enlever mes affaires de rechange et de refaire mon sac et je quitte ce gîte en compagnie de Wilma pour aller prendre notre petit-déjeuner à San Xunto, le village suivant. Le ciel est bleu au-dessus de nous, mais nous marchons dans les nappes de brouillard qui se déplacent au gré du vent. Wilma est d’accord pour aller jusqu’à Gontán malgré les trente-quatre kilomètres. Avec seize kilomètres, Mondoñedo est bien trop près.

    J67 - Wilma (NL) sur le chemin vers Villanova de Lourenzá


    Mais à San Xunto, le bar annoncé et espéré est fermé et il faut marcher jusqu’à Lourenzá, cinq kilomètres plus loin pour avaler un café con leche y tostadas bien mérité.
    Une fois restaurés, nous pouvons aller admirer la belle église San Salvador à la façade de pur style baroque, surchargée de colonnes et de sculptures. On dit qu’elle servit de modèle pour celle de la cathédrale de Santiago. Le monastère bénédictin contigu est occupé par les bureaux d’une administration et ne se visite donc pas.

    J67 - Villanova de Lourenzá - Eglise San Salvador
    Wilma est très agréable et nous parlons tout le long du chemin. Elle est croyante et la religion est l’un de nos sujets de discussion. En sa compagnie, les kilomètres passent plus vite. À la sortie de la ville, Martina nous rejoint et nous continuons ensemble. Martina est toute menue et porte un sac assez gros. Et pourtant, elle marche depuis Cologne, ce qui représente plus de deux-mille-cinq-cents kilomètres.

     J67 - Avec Martina et Wilma sur le chemin vers Mondoñedo
    L’étape suivante, c’est Mondoñedo où nous nous arrêtons pour visiter la cathédrale Santa María de la Asunción, surnommée la cathédrale agenouillée en raison de sa faible hauteur, tout à fait inhabituelle pour un tel édifice.
     

    J67 - Mondoñedo - Cathédrale Nuestra Señora de l'Asumpción


    Elle date du 13° siècle et n’a pas vraiment d’unité architecturale, ayant été transformée au fil des siècles, mais on remarque sa belle rosace en façade et les deux tours plutôt baroques qui la dominent. À l’intérieur, la nef aux belles voûtes en ogive est toute illuminée et on ne peut qu’admirer le grand retable derrière le chœur et les magnifiques orgues accrochés des deux cotés de la nef. La visite est gratuite pour les pèlerins et un nouveau joli sello orne ma Créanciale.

    J67 - Mondoñedo - Cathédrale Nuestra Señora de l'Asumpción - La nef
    Dehors, sur la grande place du Seminario, nous retrouvons Anna l’Ukrainienne qui arrive à l’instant. Le ciel s’est couvert à nouveau et je me demande s’il ne va pas encore pleuvoir tellement il fait sombre.

    Je quitte la place pour retrouver les flèches jaunes et commence à marcher tranquillement vers la sortie de la ville. Au bout d’un moment, je m’inquiète de ne pas voir les filles arriver. Je m’arrête pour les attendre, envoie un texto à Wilma. Rien. Personne et pas de réponse. Tant pis, je continue tout seul. L’itinéraire suit une route qui monte sans arrêt dans les bois. Il n’y a que de la route et ça n’en finit pas de monter le long d’une vallée. En plus, ça ne correspond pas du tout à ma carte bien qu’il y ait un balisage. Il doit y avoir un autre itinéraire que les filles ont dû emprunter et qui est peut-être plus court. Trop tard pour faire demi-tour, je continue sur cette route interminable en pestant après mon erreur jusqu’au franchissement de la ligne de crête.

    De l’autre coté l’itinéraire quitte enfin cette route inintéressante pour s’engager sur une belle piste qui descend tranquillement dans un paysage plus dégagé et éclairé par le soleil qui a refait son apparition.

    J67 - Max - Arrivée à Gontán


    À un carrefour, ma piste rattrape une autre piste elle aussi signalée par les flèches jaunes. C’était donc bien ça, il y avait deux options possibles en quittant Mondoñedo.

    J’arrive finalement à Gontán et il est dix-sept heures quarante-cinq. C’est la première fois que j’arrive aussi tard à l’étape après presque neuf heures de marche.

    À l’entrée du village, je m’arrête à l’auberge municipale. Personne. Je me dis que Wilma et Martina ont dû continuer jusqu’à Abadán qui est à peine un kilomètre plus loin. Moi j’en ai assez pour aujourd’hui. Trente-quatre kilomètres, c’est une belle étape et j’ai un peu mal au pied. L’ampoule est guérie mais l’orteil est toujours un peu sensible.

     Je m’installe à la pension Feria au centre du village où la chambre dont je dispose est chauffée et je peux faire sécher mon linge et mes chaussures qui sont encore mouillées de la pluie de la veille.

    La patronne me prépare un sandwich chaud que j’arrose d’une caña con lemón en lisant le journal local et, le soir venu, j’apprécie de me coucher dans un grand lit, bien au chaud sous les couvertures.

     

     

    J 68 - Mardi 7 novembre. GONTÁN - VILALBA
    Couvert                                                                                                                                                                      20 km

     

    Quand j’ouvre les volets, je découvre qu’un brouillard épais enveloppe le village. On voit à peine les maisons de l’autre coté de la place. Je ne suis pas pressé ce matin avec juste vingt kilomètres à faire aussi je marche tranquillement pour ménager mon pied. 

    Quelques kilomètres plus loin, je suis surpris de voir arriver Wilma et Martina derrière moi alors que je les croyais loin devant. Hier, au départ de Mondoñedo, elles ont bien pris l’autre itinéraire passant par les crêtes à travers bois mais qui s’est avéré beaucoup plus dur et sans doute plus long. Elles sont arrivées tard à Gontán, bien après moi, et se sont arrêtées à l’auberge municipale. Si j’avais su, j’y serais resté d’autant qu’elles me disent qu’elle était bien confortable. Donc, hier, sans le savoir, j’ai fait le bon choix en empruntant cette route interminable.

    J68 - Avec Martina et Wilma sur le chemin vers Vilalba
    Nous finissons par nous séparer car elles ont prévu d’aller jusqu’à Baamonde qui se trouve à trente-sept kilomètres et elles allongent le pas.

    Le chemin est très agréable malgré le brouillard et le froid. Pour la première fois depuis la traversée de l’Aubrac, je mets les gants.

    J68 - Sur le chemin vers Vilalba 

    J68 - Sur le chemin vers Vilalba - Beaux chênes


    Dans les bois, je découvre l’auberge O Xistral, toute récente et très jolie. Je m’y arrête pour mon traditionnel petit-déjeuner-bis et j’y fais la connaissance de deux Espagnols d’à peu près mon âge, Pépé et Chema qui sont de la région et font souvent des randonnées ensemble.

    Plus loin, je revois Gerald et Nadia. Avec leurs étapes de quarante kilomètres, ils devraient être loin devant moi mais je les rencontre régulièrement depuis une semaine.


    J68 - Sur le chemin vers Vilalba - Ancien pont


    Alors que je marche sur une petite route, une voiture s’arrête à ma hauteur et la conductrice, une charmante jeune femme, baisse sa vitre. C’est la factrice qui fait sa tournée de hameaux en fermes isolées et qui s’est arrêtée pour bavarder un moment avec moi. On parle du chemin qu’elle aimerait faire, de son boulot qu’elle adore car il lui permet de discuter avec les gens. C’est vraiment très gentil et j’adore ce genre de rencontre. Avec sa permission, je la prends en photo pour garder un souvenir de ce bon moment.


    J68 - Sur le chemin vers Vilalba - Esther la factrice


    De rencontre en rencontre, bien que je marche seul, le temps passe vite et j’arrive très tôt à l’entrée de Vilalba. Le chemin rejoint la N 634 et traverse une petite zone commerciale.


    J68 - Arrivée à Vilalba par la RN 634
    Dès l’entrée en ville, le balisage est fait avec des coquilles Saint Jacques en bronze fixées au sol. Elles me guident vers le centre à travers des rues pavées en évitant soigneusement les grandes avenues de cette petite ville animée et active. Le centre, c’est une place dominée par une imposante tour, vestige d’un château féodal et aujourd’hui occupée par un hôtel de luxe de la chaîne Parador
    dont tous les établissements sont installés dans de magnifiques édifices historiques. Un judicieux moyen pour l’Espagne de rentabiliser la restauration de ses vieux monuments.

    J68 - Vilalba - Donjon du chateau des comtes d'Andrade 15° siècle

    En face, la sobre façade blanche de l’église Santa María lui fait un agréable contrepoint.

    L’auberge As Pedreiras est tout à coté, dans une rue en pente. C’est une belle auberge, moderne, neuve et très confortable. J’y retrouve Pépé et Chema, les deux Espagnols rencontrés ce matin dans les bois, puis Patricia, une Anglaise de mon âge et Anna l’Ukrainienne.

    Je vais faire mes courses en ville et, mes pas m’ayant entraîné devant l’échoppe d’un peluquero, je me fais couper les cheveux. De retour à l’auberge, il y a un locataire de plus dans notre chambre, Facundo, le jeune Argentin très agréable rencontré à Güemes et à Santillanas del Mar. Le soir, je l’entraîne avec moi au restaurant voisin déguster du pulpo a la gallego, une vraie gourmandise arrosée d’un petit vin blanc local délicieux.

    Une nouvelle soirée bien sympathique où j’ai appris quelques mots et quelques tournures particulières à l’Argentine en discutant avec lui. Les Sud-Américains parlent un Espagnol légèrement différent des habitants de l’Espagne et les Argentins utilisent des tournures bien spécifiques dérivées de l’Italien.

     

     

     

    J 69 - Mercredi 8 novembre. VILALBA - A LAGOA
    Beau temps puis pluie                                                                                                                                             30 km

     

    J’ai l’intention de respecter le planning des étapes que j’ai établi le 4 novembre. Je ferai donc halte à Baamonde qui n’est qu’à vingt kilomètres. Pas pressé, je vais déjeuner dans un bar voisin avant de revenir récupérer mon sac à l’auberge.

    Anna est prête et nous partons ensemble. J’ai tout mon temps et je peux ralentir pour marcher à son allure, ce qui ne pourra qu’être profitable à mon pied.

     

    Il fait aussi froid qu’hier mais sans le brouillard qui cachait le paysage. Nous marchons sous un beau ciel bleu sur un chemin très agréable qui serpente dans les bois. Depuis Abadín, il n’y a plus de montées ni de descentes et j’ai l’impression d’avoir franchi une ligne de crête et que le relief commence à s’abaisser doucement. Il n’y a plus de villages non plus, seulement de petits hameaux et des fermes isolées qui n’ont pas l’air bien riches. Partout, des horreos, certains bien vieillots, d’autres rénovés avec soin et avec goût.

    J69 - Sortie de Vilalba - Horreo
    Malgré l’obstacle de la langue, Anna et moi arrivons à communiquer dans un drôle de langage qui mélange son ukrainien natal, le russe qu’elle parle évidemment très bien et les quelques mots d’anglais et d’espagnol qu’elle a appris. Elle habite Kiev et travaille au ministère de la Défense. Pour venir faire le chemin, elle est passée par Bratislava où travaille sa fille et Madrid, puis elle a pris le train pour Irún. Elle est bien agréable et j’aime bien la musique de sa langue natale.

    J69 - Sur le chemin d'Alba - Anna (UA)
     

    En traversant Alba, minuscule village campagnard, je remarque l’original cimetière où les tombes ne sont pas comme chez nous. Tout le long de l’enceinte, sont empilées des "cases" dans lesquelles sont placés les cercueils. Le sommet est orné de grandes croix sculptées qui se détachent sur le ciel.

    J69 - Alba - Cimetière
    Il est à peine treize heures quand nous arrivons à Baamonde avec les premières averses. C’est vrai, nous avons un peu coupé par la N 634 quand, grâce aux cartes du bouquin allemand, j’ai vu que le chemin nous faisait faire des crochets d’un coté et de l’autre de cette route.

    Baamonde, c’est le seul village de la région, établi au carrefour de deux routes importantes. Le principal intérêt est la magnifique petite église Santiago qui date du 9° siècle. Construite en pierres grises, ses lignes très pures surmontées d’un simple clocher à peigne en font un petit bijou. Sur le parvis herbeux qui s’étend devant l’entrée, un très joli calvaire en granit dresse ses trois croix finement sculptées.

     J69 - Baamonde - Eglise Santiago 9° siècle et son calvaire


    Elle est aussi flanquée d'un châtaignier au tronc creux vieux de sept-cents ans devant lequel nous nous prenons en photo. À l’intérieur du tronc se trouve une chapelle miniature dédiée à la Vierge et protégée par une grille.

    J69 - Baamonde - Eglise Santiago - Le châtaignier vieux de 700 ans
    Tandis que nous marchons dans la rue principale, nous nous faisons racoler par un chauffeur de taxi qui nous propose ses services avec insistance. Nous l’envoyons promener un peu sèchement. Ça lui apprendra à ne pas savoir reconnaître les vrais pèlerins des autres.

    À la sortie du village, la station-service dispose d’une cafétéria très fréquentée à voir le nombre de voitures et de camions garés devant. Nous allons voir ce qu’ils proposent. Un menu "routier" aussi intéressant que les menus "peregrino" auxquels nous sommes habitués nous séduit.

    Tout en mangeant, nous discutons de la conduite à tenir. Nous avions prévu de nous arrêter là mais il est un peu trop tôt. L’hébergement suivant se trouve douze kilomètres plus loin, dans un lieu-dit appelé A Lagoa. Mon pied ne m’a pas fait mal aujourd’hui et, malgré les petites averses qui nous arrosent depuis une heure, nous décidons de continuer.

     

    Le long de la route que suit le chemin sur quelques kilomètres, on passe la borne des cent kilomètres. Plus que cent kilomètres pour arriver à Santiago. Déjà. Incroyable comme c’est vite passé. Puis, soudain, le chemin vire à gauche, quitte la route, franchit la voie ferrée puis la rivière Parga sur un pont très élégant et s’enfonce dans la forêt.

    J69 - San Albate - Le pont
    À partir de là, on marche sur un chemin magnifique qui avance au milieu de grands arbres. Chênes, bouleaux, châtaigniers, pins et les incontournables eucalyptus se mélangent harmonieusement.

    J69 - Chemin vers Toar
    Plus de hameaux, juste quelques rares maisons isolées flanquées d'horreos divers et variés.
      J69 - Toar - Horreo

    J69 - Toar - Horreo
    Pas une âme qui vive. Le néant.

    Quand il y a des champs, les bordures sont faites de dalles de granit dressées.

    J68 - Sur le chemin vers Vilalba - Murette en dalles de granit
    Le granit est omniprésent dans cette région, témoin cette magnifique table de pique-nique et ses bancs d’une solidité à toute épreuve.

     J69 - Aldar - Table de pique-nique en granit
    La marche est très agréable dans cet environnement sur un terrain qui a complètement oublié de monter et descendre.

     

    Dix-sept heures quarante-cinq. Au bord d’une petite route, l’auberge A Lagoa est là, à coté d’un bar-restaurant-épicerie. C’est une auberge récente et très bien aménagée. Pépé, Chema et Facundo qui sont partis ce matin avant nous sont déjà là et nous nous installons avec eux dans le petit dortoir d’une dizaine de lits.

    Nous décidons de nous préparer un repas avec quelques ingrédients achetés à l’épicerie dont deux bouteilles de vin rouge et de délicieux chipirones préparés par la patronne du restaurant.

     J69 - A Lagoa - Repas en commun - Pépé Chema Facundo Anna et Max
    La soirée avec ce duo d’Espagnols sympathiques et pleins d’humour et Facundo qui est lui aussi bien agréable est un vrai plaisir. Après le repas, nous allons continuer la soirée bien au chaud au bar où quelques habitants des fermes environnantes sont venus boire un verre et discuter en regardant la télévision.

    Nous ne sommes plus qu'à quatre-vingt-sept kilomètres du but.

    Jacopo, lui, est arrivé hier à Santiago et repartira pour Muxía le dix novembre. Il a donc cinq jours d’avance sur moi et, compte tenu de ce qu’il me dit de son programme, nous ne nous rencontrerons pas. Par contre, il m’attend chez lui en Italie.

     

     

    J 70 - Jeudi 9 novembre. A LAGOA - SOBRADO DOS MONXES
    Pluie                                                                                                                                                                           25 km

     

    Je pars devant avec Anna sous un crachin tenace qui ne fait qu'accentuer la rudesse de ce coin de terre. Le chemin traverse des paysages sauvages qui font un peu penser à la lande bretonne. Fougères rousses, ajoncs, bois de pins, chênes et eucalyptus. Même les petites églises isolées ressemblent à des enclos paroissiaux bretons.

    J70 - Mizra - Eglise


    J70 - Sur le chemin vers Braña

    Quelques maisons isolées par ci par là. L’impression d’être dans un autre monde ou hors du temps. Par moments, d’immenses affleurements de granit tiennent lieu de chemin, donnant l’impression de marcher sur une zone cimentée.

     

    Le crachin persiste et pour la pause nous nous arrêtons dans un abribus de tôle au bord d’une petite route pour nous protéger. Pépé, Chema et Facundo nous rejoignent et nous repartons tous ensemble.

    J70 - Carballoso - Pause à l'abri d'un abribus 

    J70 - Travesa - Rencontre


    Nous formons une bonne équipe. Malgré les difficultés de communication, Anna est bien intégrée et nous marchons tous à la même allure sur la petite route qui a maintenant remplacé le chemin. La petite route devient grande route, l’AC 934, qui nous mène au petit village de Mesón. À un arrêt de bus, nous rencontrons Wilma qui fait une pause. Elle est seule, Martina étant partie devant avec un autre groupe mais elle ne se joint pas à nous.

    À Mesón, nous découvrons un bar ouvert et entrons. Nous ne l’avions pas prévu, mais la tenancière, une vieille dame très gentille, nous propose le menu peregrino. Nous nous laissons tenter et nous installons. Et les plats défilent. D’abord une bonne soupe, puis des escalopes de veau accompagnées de frites. Et ce n’est pas fini. Des plats de côte de porc et du riz viennent compléter la série avant les glaces en dessert. Bien sûr, le vino tinto casero est servi à discrétion. Nous n’arrivons pas à finir malgré l’insistance de cette brave dame qui nous assène le coup de grâce en nous apportant le café et un digestif maison. Et tout ça pour seulement neuf euros.

    Heureusement, il ne reste que cinq à six kilomètres, moins par la route qui file tout droit.

    En arrivant à Sobrado dos Monxes, on passe près d’un lac qui a été créé par la communauté religieuse du monastère entre 1500 et 1530. Depuis presque cinq-cents ans, il stocke l’eau de plusieurs ruisseaux afin de permettre l’irrigation des champs et jardins en toutes saisons. Aujourd’hui, il sert de refuge écologique à de nombreuses espèces d’animaux, de la libellule à la loutre.

     J70 - Sobredo dos Monxes - Facundo Max Chema Pépé Anna au bord du lac
    Sobrado dos Monxes est née du grand monastère cistercien consacré à Saint Sauveur qui date du 10° siècle.

    Il a eu une histoire compliquée avec des hauts et des bas et fut même reconstruit entre 1954 et 1966 après avoir beaucoup souffert de la guerre civile espagnole. Le monastère accueille les pèlerins et nous y allons directement. Après être passé sous le porche d’entrée, on découvre la magnifique façade baroque de l’église, envahie de mousse. Toutes les pierres sont sculptées, formant des motifs géométriques du plus bel effet. Mais ce n’est pas entretenu et cette merveille est en bien mauvais état.

    J70 - Sobredo dos Monxes - Le monastère cistercien Sta María - L'entrée


     J70 - Sobredo dos Monxes - Le monastère cistercien Sta María - L'église
    Nous sommes accueillis par l’un des moines qui nous emmène à la chambre où sont hébergés les pèlerins. Elle donne sur l’un des grands cloîtres, celui des pèlerins. Les murs sont en pierres de taille, le sol constitué d’énormes dalles de granit. Elle est néanmoins chauffée par un gros radiateur électrique et des couvertures sont à disposition. Heureusement, car l’ensemble du monastère est glacial. Tous les lits sont pris car, en plus de nous cinq, il y a Wilma, Patricia, l’Anglaise qui était à Vilalba et plus tard arrive Pablo, un Colombien rencontré ce matin. C’est confortable et l’atmosphère y est étrange, feutrée, tranquille, sereine. Ce n’est pas un hébergement comme les autres.

    Tant qu'il fait encore jour, nous faisons le tour du cloître de los Peregrinos et ses beaux piliers, de celui dos Medallones avec ses nombreux portraits sculptés qui lui ont donné son nom, nous visitons la grande église et ses coupoles impressionnantes, ses magnifiques sculptures. C’est très beau mais tout est abandonnée, vide, et laisse une impression de malaise. Pourtant ce monastère est classé au patrimoine mondial de l’UNESCO.

    Après la visite, nous allons au bureau d’accueil pour les incontournables formalités administratives où nous faisons la connaissance de Max, le chat du monastère qui est visiblement chez lui et n’est que moyennement intéressé par ces formalités. Même dans un monastère, c’est lui le patron.

    J70 - Sobrado - Accueil du monastère

                                                J70 - Sobrado - Max le chat

    Nous assistons aux vêpres puis, après le repas en ville, nous allons à la prière du soir, les complies. Ces prières ont lieu à l’étage dans une chapelle chauffée où sont réunis une dizaine de moines dont trois jeunes. Elles obéissent à un rituel bien précis et visiblement parfaitement rodé. La pièce est agréable, bien décorée et éclairée. Les chants des frères du monastère accompagnés par la musique d’un orgue sont prenants. J’apprécie ce moment de calme et de sérénité, mais quelle vie pour ces hommes. Tous les jours la même chose, le calme, le silence, cette immobilité, cet immense monastère vide et glacé.

    J70 - Sobredo dos Monxes - Le monastère cistercien Sta María - Les complies dans la chapelle
    De retour dans notre chambre de pierre, je me glisse bien au chaud sous mes couvertures en me disant que c’était une belle étape et une excellente journée, clôturée en douceur par cette prière du soir et que j’apprécie de plus en plus la compagnie de Pépé, Chema, Facundo et Anna. 

     

     

    J 71 - Vendredi 10 novembre. SOBRADO DOS MONXES - ARZUA
    Couvert                                                                                                                                                                      24 km

     

    Nous partons tranquillement vers neuf heures, tous les cinq. On s’entend bien et nous avons réussi à trouver une cadence qui convient à tout le monde.

     J71 - Sobredo dos Monxes - Anna Max Pépé et Facundo à la borne 59,9


    Dernière photo du monastère avant de s’éloigner définitivement.

    L’itinéraire est quasiment rectiligne et n’est pas très plaisant avec un peu de chemins en sous-bois et beaucoup de route. Nous croisons un gars qui a ramassé un plein panier de champignons. Il ne sait pas ce que c’est mais il va quand même les manger. Inconscience ou témérité ?

    J71 - Sur le chemin vers Boimorto
    À Corridoiras, nous entrons boire un café dans un bar à un carrefour de route. Au mur, une originale variante du fameux tableau de la Cène de Leonard de Vinci où le Christ est remplacé par Marilyn Monroe et les apôtres par John Wayne, James Dean, Laurel et Hardy, Chaplin et d’autres acteurs américains célèbres.

    Boimorto nous accueille un peu plus tard. À l’entrée du village, une borne milliaire romaine se dresse devant la mairie. Ces bornes ne marquaient pas les distances mais étaient plus ou moins l’équivalent de nos panneaux indicateurs et servaient aussi à montrer la loyauté de la région envers l’empereur.

    J71 - Boimorto - Borne millaire romaine
    Dans ce même village, nous découvrons une variante d’itinéraire qui va directement à Lavacolla. Nous aimerions bien l’emprunter mais il y a vingt-sept kilomètres à parcourir sans aucun hébergement intermédiaire. Or, nous en avons déjà fait dix et il est presque midi. Ce ne serait pas raisonnable. Nous laissons tomber cette idée et continuons comme prévu vers Azrua.

    J71 - Sur le chemin vers Azrua
    Nous y arrivons tranquillement en début d’après-midi. C’est la ville où le Camino del Norte et le Camino Francés se rejoignent. L’ambiance est complètement différente. Le Camino Francés étant bien plus fréquenté que le Norte, il y a beaucoup de pèlerins et aussi un grand nombre d’hébergements. Nous allons à une auberge que connait Chema pour s’y être arrêté l’année précédente. C’est une auberge neuve et confortable, avec chauffage et couvertures.

    Pendant le repas, nous discutons de la suite du parcours. Il ne reste que trente-sept kilomètres pour atteindre Santiago. Mon idée initiale était, comme en 2013, d’aller à O Pedrouso qui n’est qu’à dix-huit kilomètres du but. Chema propose de marcher jusqu’à Lavacolla, petit village situé après l’aéroport à vingt-cinq kilomètres où il y a une unique petite auberge. Avec douze kilomètres restants le lendemain, ce serait plus facile d’arriver à la cathédrale avant la messe de midi. Nous acceptons tous son idée et nous réservons les places par sécurité.

    Aujourd’hui, c’était une étape dont le seul intérêt était de nous avoir fait avancer de vingt-quatre kilomètres.

    Il y a vraiment une excellente ambiance dans notre petite équipe improbable de quatre nationalités différentes.

     

     

    J 72 - Samedi 11 novembre. ARZUA - LAVACOLLA
    Couvert                                                                                                                                                                      25 km

     
    Ce sont les derniers kilomètres sous un ciel gris et triste. Nous quittons Arzua au point du jour après un petit-déjeuner pris dans un bar dans la rue.


     J72 - Départ d'Azrua vers O Pedrouso

    J’ai déjà parcouru ce chemin en 2013 mais je ne reconnais que quelques points par ci par là. Ce dont je me souviens et qui n’a pas changé, ce sont les immenses eucalyptus sous lesquels le chemin se glisse, en essayant de ne pas déranger.

    J72 - Chemin vers O Pedrouso - Dans les bois d'eucalyptus


    Pour beaucoup, cet avant-dernier tronçon du chemin se fait dans la joie d’en avoir presque terminé. Mais hélas pas pour tout le monde. Nous passons devant un mémorial tout simple pour Miguel Rios Lamas, pèlerin, décédé là le 10 septembre 2011 et devant une stèle placée à l’endroit où Guillermo Watt, lui aussi pèlerin, « a rendu son âme à Dieu le 25 août 1993 à l’âge de soixante-neuf ans, à une journée de marche de Santiago » précise le panneau. Je réalise que ce malheureux gars qui n’a pas pu aller jusqu’au bout de son rêve avait mon âge.

    J72 - Chemin vers O Pedrouso - Mémorial pour Miguel Rios Lamas
    J72 - Chemin vers O Pedrouso - Mémorial pour Guillermo Watt

    Nous ne sommes pas pressés. Nous faisons une longue pause déjeuner à O Pedrouso.
    C’est la dernière ville avant Santiago et le business du chemin est florissant. Il y a une belle et grande auberge municipale où je m’étais arrêté en 2013 et des auberges privées de plus en plus nombreuses qui se font une concurrence acharnée, témoin ces nombreuses affiches disposées au débouché du chemin à l’entrée de la ville.


    J72 - Arrivée à O Pedrouso - Publicité pour les auberges
    Quand nous en repartons, il est presque quinze heures. En 2013, ce tronçon du chemin, je l’avais parcouru à toute vitesse pour arriver à Santiago avant la messe des pèlerins de midi. Aujourd’hui, j’ai tout mon temps. Pépé, Chema et Facundo sont devant et je marche doucement, un peu pour attendre Anna qui traîne la jambe, beaucoup pour faire durer le plaisir. Je suis étonné d'avoir la gorge serrée. C’est déjà la fin de mon périple. Demain je serai arrivé.

    Le reste du parcours n'est pas des plus agréables bien qu'il traverse de nombreux bois d'eucalyptus car il longe presque tout le temps la N 547.

     J72 - Chemin vers O Pedrouso le long de la RN 547
    Il faut aussi
    contourner l'aéroport, ce qui impose un assez long détour. Je reconnais l’endroit où j’avais pris en photo Soledad et Mocha, les deux Sévillanes que j’avais rencontrées cette année là. Je refais la même photo cette fois-ci avec Anna et moi-même.

    J72 - Chemin vers Lavacolla - Montée vers l'aéroport
    On passe en contrebas du balisage lumineux du bout de piste. Dommage qu'il n'y ait pas eu un décollage quand je suis passé, j'aurais peut-être fait une belle photo.


    J72 - Chemin vers Lavacolla - Contournement de l'aéroport
    Le chemin retrouve à nouveau la N 547 près du raccordement à l’autoroute A 54. Une belle stèle se dresse là, peut-être pour détourner l’attention des pèlerins de la circulation automobile voisine…

     J72 - Balise sur le chemin vers Lavacolla

     
    Je retrouve très vite le goudron et, après être passé sous la route menant à l’aéroport, j’arrive à Lavacolla. Il est déjà plus de dix-sept heures. Nous avons bien pris notre temps ! Mes trois compagnons sont déjà arrivés et Pépé est revenu en arrière pour voir où nous étions passés Anna et moi et pour nous guider jusqu’à l’auberge. Nous sommes les seuls locataires. Ce n’était pas la peine de réserver mais nous ne pouvions pas savoir.

    Ah non, nous ne serons pas les seuls. Deux Coréennes arrivent et s’installent dans l’autre coin du dortoir.

     

    Comme le dîner n’est pas fourni et qu’il n’y a pas de restaurant dans ce petit village, nous allons nous préparer un petit repas sympa. Je vais parler aux deux Coréennes qui s’appellent Su et Sera et je les invite à se joindre à nous. Elles sont enchantées et nous allons faire les courses ensemble au petit supermarché de l’autre coté de la route. Ensuite, nous investissons la cuisine et les tâches se répartissent automatiquement : Su et Sera préparent du riz cantonnais (ou peut-être coréen mais il ressemble au cantonnais), Anna fait cuire des spaghettis, je fais la salade, Chema se lance dans une tortilla, Pépé s’occupe du vin et du pain et Facundo dispose les couverts.

    J72 - Lavacolla - Anna Chema Pépé Su et Sera


    J72 - Lavacolla - Su et Sera

     
    Quand tout est prêt, nous nous installons autour de la grande table. Des repas comme celui-ci valent tous les restaurants du monde. Les plats ne sont pas très raffinés mais c’est nous qui les avons préparés et surtout nous les mangeons dans une ambiance vraiment très chaude. Quel plaisir ! Voilà une soirée qui fait du bien et permet d’oublier que demain nous serons arrivés.




    J 73 - Dimanche 12 novembre. LAVACOLLA - SANTIAGO
    Couvert                                                                                                                                                                      12 km


    C'est le grand jour. En commençant à marcher, je réalise la contradiction de ce que je vis. Pendant soixante-douze jours j’ai marché avec la volonté d’arriver au bout en ayant surmonté les difficultés qui se présentaient. Je savourais le plaisir de m’en rapprocher chaque jour un peu plus. Et si je suis parti de plus loin c’est, inconsciemment peut-être, pour que ce plaisir dure plus longtemps.

    En approchant du but, je m’aperçois que ça n’a rien changé. Le moment crucial c’est maintenant. Je ne voudrais pas que ça finisse, j’ai avancé trop vite, et c’est trop tard pour faire quoi que ce soit.

    Je suis très heureux d’être arrivé jusque là et, en même temps, je regrette que ce soit bientôt fini.

    L’étape d’aujourd’hui, ce sont douze kilomètres sans intérêt surtout avec ce brouillard qui efface tout. Nous sommes quelques uns à marcher ce matin sur cette route.

    J73 - Sur le chemin vers Santiago


    Nous arrivons à Monte Gozo mais il n’y a rien à voir. Même le monument
    élevé en souvenir du pèlerinage du pape Jean-Paul II en 1989 est comme effacé par la brume.

    J73 - Monte Grosso - Le monument de la visite du pape Jean Paul II dans le brouillard
    À cause de travaux, l’itinéraire d’entrée en ville est dévié à travers des quartiers inconnus. Je ne sais pas où ils nous font passer, mais on ne voit pas le panneau d’entrée d’agglomération qui mérite bien une photo.

    Sans trop y prendre garde, je ralentis et me laisse distancer par mes compagnons de ces derniers jours, même Su et Sera qui marchent d’un bon pas, toutes joyeuses.

    J73 - Su et Sera marchant vers Santiago
    Je me remémore la frénésie et l’émotion qui m’avait envahi en 2013 quand j’avais vu le panneau
    « Catedral 4,7 kilomètres ». J’avais foncé pour arriver le plus vite possible. C’est paradoxal, mais aujourd’hui je marche sans hâte et sans émotion. Heureux d’arriver tout simplement.

    Les faubourgs n’en finissent pas. Comme nous sommes dimanche, les avenues et les rues sont presque vides et la circulation quasiment nulle. On passe devant le Palais des Congrès dans lequel se tient un congrès sur le chemin de Compostelle. Il y a des équipes de télévision mais pas une ne pense à filmer les premiers concernés par ce congrès, les pèlerins. Nous passons près d’eux, ignorés et invisibles.

    On arrive à la vieille ville par la Puerta del Camino et on emprunte les rues pavées étroites et sinueuses qui mènent à la cathédrale que l’on ne voit toujours pas. Pourtant, ce n’est plus très loin. Je reconnais les lieux d’autant que j’y suis revenu pendant l’été 2016 avec Hélène. Rua das Casas Reais, Praza Cervantes, puis la petite Praza de l’Imaculada sur laquelle ouvre la porte Nord de la cathédrale, celle qu’on appelle la porte du Paradis. Même pas cent mètres. Voici le passage voûté entre la cathédrale et le palais épiscopal et je débouche sur la grande place de l’Obradoiro, seul.

    Je me retrouve à nouveau face à l’immense et étonnante façade de la cathédrale et ses clochers tarabiscotés en grande partie cachés par un gigantesque échafaudage protégé par des filets bleus. Il me revient à l'esprit les derniers vers du poème vu un peu avant Figeac :
    "Et lorsque, seul parmi tant d'autres,
    tu apercevras au lointain,
    la cathédrale de l'apôtre,
    tu n'oublieras plus le chemin."
    C'est tout à fait vrai. Non, je n'oublierai plus le chemin.

    Et puis, surgis de nulle part, voici Pépé, Chema, Facundo, Anna, Su et Sera. On s’embrasse tous. Pépé et Chema sont blasés mais Anna et Facundo ont les larmes aux yeux.
    À ma grande surprise, alors que je me croyais endurci par mon premier pèlerinage, je sens l’émotion m’envahir moi aussi. C'est même bien plus fort que la première fois et je me mets à pleurer.

    Il est à peine onze heures. Comme nous avons de l’avance, nous allons au bureau des pèlerins pour obtenir la Compostela et déposer nos sacs en consigne. Les sacs à dos ne sont plus autorisés dans la cathédrale à cause des mesures de sécurité en vigueur.

     

    La Compostela est nouvelle. Si le texte en latin est le même, la présentation est plus moderne et plus colorée. De nouveau, ils transforment mon prénom en Maximilianus. Ça ne me plait pas mais ça ne sert à rien de râler. Puis nous revenons sur l’Obradoiro pour faire les indispensables photos souvenirs.

     J73 - Santiago - Sur la place de l'Obradoiro
    Nous entrons dans la cathédrale pour la messe par la porte des Praterias qui ouvre sur la petite place du même nom. C’est toujours prenant d’entrer dans cette église, il s’en dégage quelque chose. Il y a beaucoup de monde car nous sommes dimanche mais peu sont des pèlerins, ça se voit à la tenue des gens. Nous sommes dans le transept et je m’installe sur le soubassement d’un pilier qui me permet d’être surélevé et de mieux voir.

    J73 - Santiago - Messe des pélerins 

    J’ai les mêmes sensations qu’en 2013. La lumière des cierges et des grands lustres, la musique de l’orgue, la voix cristalline de la religieuse qui dirige les chants nous enveloppent. Je suis incroyablement bouleversé et je pleure pendant toute la messe sans pouvoir me retenir. Alors je pense à tous les miens, à mes amis et en particulier à celles et ceux qui ont besoin que l’on pense à eux. C’est pour eux que tout le long du chemin j’ai allumé des bougies dans toutes les églises où je suis entré. Alors maintenant que je suis là…

    La messe est aussi grandiose et toujours aussi émouvante, même sans le rituel du botafumeiro qui pend du plafond, immobile au croisement de la nef et du transept.

    J73 - Santiago - Cathédrale - Le botafumeiro
    À la fin de la messe, je vais saluer la statue de l’apôtre derrière l’autel. On est dans son dos et, comme le veut la coutume, j’appuie ma tête sur la sienne. Par ce geste, je suis sensé récupérer un peu de son énergie et de sa sagesse. Puis je descends dans la crypte en dessous où se trouvent
    les reliques du saint dans un coffre d’argent, bien protégé derrière une grille. Là, je dépose le petit papier que j’ai pris dans la cathédrale du Puy deux mois plus tôt et conservé avec moi pendant tout ce temps. La prière d’un ou d’une inconnue est maintenant là devant l’apôtre. Sera-t-elle exaucée pour autant ? Je n’en sais rien mais j’ai fait mon devoir de pèlerin.

    J73 - Santiago - Le salut à St Jacques
    À la sortie de la messe, deux jeunes femmes se précipitent dans mes bras. Ce sont Isabel et son amie Eva. J’avais rencontré Isabel lors de mon premier chemin en 2013 et elle est venue me dire bonjour depuis Ponferrada où elle habite. C'est trop gentil. Je suis très content de les voir mais ça ne fait que rajouter à mon émotion. Je les serre longuement dans mes bras en versant encore une larme.

    J73 - Santiago - Retrouvaille avec Isabel à la sortie de la messe

    Nous allons ensuite déjeuner tous ensemble dans un petit restaurant connu de Pépé et Chema. Au menu, pulpo a la gallego et piments doux frits arrosés d’un excellent vino casero. Ce repas est un pur moment de bonheur, une nourriture délicieuse et une ambiance fantastique en compagnie de mes amies et amis qui permettent d'oublier l'émotion. Que c’est bon d’être tous ensemble !

     

    Maintenant, il faut penser à se loger. Nous allons directement à l’auberge où j’avais dormi en 2013 en compagnie d’Elisabeth. Elle s’appelle maintenant Roots and Boots mais elle est toujours aussi agréable et confortable et surtout à courte distance du centre ville. Facundo, Anna et moi avons une chambre avec vue sur la cathédrale.

    Et puis, après avoir récupéré nos sacs à la consigne, vient le moment de la séparation. Ce sont d’abord Isabel et Eva qui repartent chez elles après de longues embrassades, puis c’est Pépé et Chema qu’un ami est venu récupérer en voiture. Heureusement, je suis encore avec Anna et Facundo.

     

    Demain je repars seul vers Muxía puis Finisterre, soit quatre jours de marche. La météo annonce le grand beau temps pour au moins quatre jours. Quelle aubaine !

     

     



    17 - DE SANTIAGO À MUXÍA ET AU CABO FINISTERRA

     

    En 2013, j’avais marché jusqu’au Cap Finisterre et j’avais vécu ces trois jours de marche supplémentaires comme un sursis, un bonus qui repoussait la fin du pèlerinage. Et j’avais regretté de ne pas être allé à Muxía.

    Au fait, vous savez ce qu’est Muxía ?

    Muxía, c’est un village où, selon la légende, s’était échouée la barque de pierre guidée par un ange qui avait ramené la dépouille de l’apôtre Jacques depuis la Palestine. Un sanctuaire a été construit sur le promontoire qui s’avance dans l’océan et ce lieu est considéré comme le bout du chemin de Saint Jacques.

    Les deux-tiers du trajet sont communs avec le chemin qui mène au Cap Finisterre, la fin de la terre, comme le croyaient les pèlerins d’autrefois. Je le connais et je sais où m’arrêter à chaque étape.

    Cette fois-ci, je n’ai pas ressenti la mélancolie, la tristesse même, qui avait succédé au plaisir immense et à l’exaltation qui m’avaient envahi pendant la messe. Pourtant mon émotion a été encore plus forte. Juste l’envie de repartir sur le chemin, d’autant que le beau temps s’est installé et devrait durer les 4 jours de mon périple.

     

     

    J 74 - Lundi 13 novembre. SANTIAGO - VILASERIO
    Beau temps                                                                                                                                                               33 km

     

    Après la journée éprouvante de la veille, c'est bon de repartir sur le chemin. Au moment du départ, Facundo et Anna viennent me dire au revoir. On est tous un peu émus. Les amitiés qui se nouent sur le chemin sont souvent fortes et durables, parfois malgré le peu de temps passé ensemble. Alors, pour nous qui avons vécu une semaine ensemble, jour et nuit, se quitter est un moment difficile.

    Après le petit-déjeuner pris dans un bar au coin de la rue, j'emprunte un chemin que j'avais déjà parcouru en 2013. Il fait grand beau. Dernière vision des tours de la cathédrale dans le soleil levant.

    J74 - Chemin vers Negreira - Dernier regard sur les tours de la cathédrale
    Puis, vingt kilomètres plus loin, je traverse le très beau pont de Maceira. Il date du 14° siècle et a dû être emprunté par un bon nombre de pèlerins en route vers le bout du monde. Sous le soleil, il est bien plus beau que dans le souvenir de mon précédent passage sous la pluie.

    J74 - Maceira - Le pont sur le rio Tambre


    J74 - Barca


    A treize heures, je suis à Negreira et m'arrête sur un banc ensoleillé dans le petit jardin public aménagé devant la jolie et sobre chapelle San Mauro. Les arbres commencent à perdre leurs feuilles qui virent tout doucement au jaune et au rouge. Alors que j’attaque le sandwich acheté au bar ce matin et la banane que je traîne dans mon sac depuis deux ou trois jours, une pèlerine qui passait sur le trottoir me voit et vient s'asseoir près de moi. C’est l’une des deux que j’ai doublées ce matin sur la route. Elle s'appelle Anna, est biélorusse et arrive à pied de Séville par le Camino de la Plata. Dix minutes plus tard, une autre fille arrive et nous rejoint. Elle s’appelle Ivana et est ukrainienne. Décidément, je suis abonné aux pays de l'Est ces temps-ci. Anna a une forte personnalité et parle beaucoup tandis qu’Ivana est plus réservée, plus douce, plus féminine.


    J74 - Negreira - Chapelle San Mauro


    J74 - Negreira - Avec Anna et Ivana
    Nous discutons un moment en grignotant nos en-cas puis je les quitte car j’ai encore beaucoup de kilomètres. Je devrais les revoir ces prochains jours car elles vont à Muxía comme moi. Pour économiser deux ou trois kilomètres, je reste sur la petite route qui m’amène directement à Vilaserio où je m'arrête comme en 2013. L’auberge n’a pas changé, et ce sont toujours les mêmes sympathiques propriétaires qui allument le chauffage à mon arrivée. Parfait, mon linge aura le temps de sécher.

    Un peu plus tard, arrive un couple de jeunes Allemands puis deux Italiens, Giovanni, que j’ai déjà rencontré plusieurs fois les jours précédents, et Matteo.

    Je vais passer la soirée au bar bien chauffé en discutant avec le patron du sujet qui concerne tous les Espagnols, l’indépendance de la Catalogne, puis je dîne avec Giovanni et Matteo.

     

     

    J 75 - Mardi 14 novembre. VILASERIO - DUMBRÍA
    Beau temps                                                                                                                                                               30 km

     

    Je démarre dans le froid matinal sous un magnifique ciel bleu. Le parcours se déroule dans la campagne galicienne en suivant parfois la route, parfois de larges chemins qui serpentent dans les champs. Je traverse le village d’As Maroñas qui semble endormi, puis débouche sur la grande route qui file vers Muros sur la côte atlantique. Je me souviens qu’il y a une boulangerie au bord de cette route où la propriétaire m’avait fait cadeau d’un croissant, certes de la veille, mais c’était un geste très gentil qui m’avait fait plaisir. La boulangerie s’est agrandie, il y a maintenant une petite épicerie et un bar, ce qui me permet d’acheter un sandwich et une banane pour midi et de boire un café avant de reprendre mon chemin.

     

    Je traverse d’autres petits villages aux maisons de granit. Il y a beaucoup d’horreos, tous en très bon état et de forme allongée. Ici, la région est bien plus cultivée et les bois d'eucalyptus sont moins présents.

    J75 - Bon Xesús - Horreo


     J75 - Sur le chemin vers Olveira
    Au passage, je m’arrête au joli cimetière de Crozón. J’ai déjà vu des cimetières agencés ainsi sur les dernières étapes avant Santiago mais celui-ci est vraiment très spécial, d’autant que le soleil met en valeur les nombreuses croix et le magnifique calvaire sculpté dans le granit.

     J75 - Crozón - Le cimetière
    À treize heures je suis à Olveiroa et m’arrête à l’auberge de pèlerins où je mange mon sandwich en compagnie de Giovanni. La serveuse me propose une assiette d’une délicieuse et bien chaude soupe aux choux que j’avale avec grand plaisir. Puis, je vais à l’horreo qui se dresse à la sortie du village pour refaire la même photo qu’en 2013. L’arbuste qui pousse à son pied a bien grandi et je dois changer mon angle de prise de vue. Mais l’horreo est toujours aussi beau.

     J75 - Olveira - Horreo

    C’est cinq kilomètres plus loin, au sommet de la colline, près de l’horrible usine sidérurgique que mon chemin se sépare de celui de Fisterra. Une double borne marque la bifurcation et les directions à suivre.

    J75 - L'Hospital - Bifurcation Fisterra Dumbría


    J75 - L'Hospital - Borne à la bifurcation des chemins vers Fisterra et Muxía
    Giovanni arrive là en même temps que moi. Lui file vers Fisterra avant d’aller à Muxía, le contraire de mon parcours. Nous nous reverrons donc après-demain sur le sentier de liaison entre les deux villages.

    À partir de là, le chemin descend dans les bois d'eucalyptus vers Dumbría qui n’est qu’à quelques kilomètres. Je ne sais pas où je vais dormir car je n’ai aucune information sur cette partie du chemin mais je ne m’inquiète pas. Peu avant l’entrée du village, je vois un grand bâtiment multicolore et ultramoderne un peu à l’écart de la route. Qu’est-ce que c’est ? En approchant, je découvre une grande coquille Saint-Jacques stylisée peinte sur l’une des façades. L’auberge municipale ? C’est bien ça. Le bâtiment est immense et sert en même temps de gymnase, de centre de loisirs et de maison de la culture.

    J’entre dans un vaste couloir qui dessert de grandes salles. Dans l’une d’elle, un cours de théâtre est en train de se dérouler. Dans le gymnase derrière, un match de hand-ball se joue entre deux équipes de filles et dans un autre hall, plusieurs jeunes participent à une séance de boxe.

    L’auberge est au fond, avec une grande cuisine très bien équipée, une salle à manger et plusieurs belles chambres de huit lits pourvues de couvertures. Il y a même une buanderie pour laver et sécher le linge. Un vrai palace.

    J'y fais la connaissance de Pierre, un Français originaire de Limoux qui arrive de Porto et d'Akim un Coréen peu loquace. Je m’installe bien confortablement dans ce bel endroit. En sortant de la douche, je découvre que le bâtiment est chauffé par le sol et, pour qu’elles sèchent plus rapidement, je dépose mes affaires à plat sur le carrelage du couloir.

    Une heure plus tard, voici Anna, la Biélorusse rencontrée hier à Negreira qui nous rejoint, toujours aussi bavarde et expansive.

    Pendant qu’Anna se prépare un repas végétarien, Pierre et moi décidons d’aller manger au village qui se trouve à quelques cinq-cents mètres. Nous trouvons immédiatement un petit bar qui nous sert un plato combinado qui suffit à apaiser notre faim. Pierre me raconte sa vie, sans doute amadoué par le fait que je suis originaire de la région de Limoux dans l’Aude où il habite depuis peu. Notre conversation dans le bar de ce village durera un moment abreuvée par une paire de cañas con lemón.

    Quand nous rentrons à l’auberge, Anna a pris autoritairement la direction du cours de théâtre qui se déroule dans la salle voisine. « J’étais actrice de cinéma à Minsk », nous raconte-t-elle plus tard. Tout s’explique...

    Et tout le groupe d’Espagnols obéit bien docilement aux instructions de leur nouveau professeur improvisé et ont l’air d’apprécier puisque le cours se terminera par des applaudissements.

     

     

    J 76 - Mercredi 15 novembre. DUMBRÍA - MUXÍA
    Beau temps                                                                                                                                                               22 km

     

    Comme d’habitude, je pars le premier, les autres n’étant pas encore prêts. Les vingt-deux kilomètres jusqu'à Muxía sont un régal dans le froid matinal puis sous un soleil de plus en plus chaud à travers la campagne galicienne, ses petits villages et ses innombrables horreos. Plusieurs jolies surprises agrémentent mon chemin.

    À Gixa, c’est un très beau calvaire finement sculpté qui se dresse devant le clocher construit à l’écart de la petite église du lieu.

    J76 - Grixa - Petit clocher
     

    À Trasufre, c’est un horreo dont la porte ouverte permet de voir les épis de maïs soigneusement rangés à l’intérieur.

    J76 - Trasufre - Horreo plein
    À Ozón, c’est un horreo en parfait état d’une longueur étonnante, au moins une cinquantaine de mètres.

    J76 - Ozón - Long horreo
    Finalement, après la chapelle San Roque de Moraime édifiée au milieu des pins au sommet d’une colline, l'océan apparaît enfin, magnifiquement bleu.

    J76 - Merexo - Apparition de la mer


    Puis le chemin descend et débouche sur le bord de mer et suit la plage jusqu’au village.


    J76 - Arrivée à Muxía
    Me voici à Muxía. L'auberge municipale est glacée et peu attirante, aussi je vais à Muxíamare, l’auberge privée que m'a conseillée Jacopo dans son dernier message. Elle est effectivement très bien et seulement trois lits sont déjà occupés. Je pose mes affaires sur un couchage libre et ressors immédiatement.


    J76 - Muxia - Restaurant du bord de mer
     

    Le temps d'un menu peregrino sur le bord de mer et je marche jusqu’au sanctuaire Nuestra Señora da Barca au bout des rochers. L’église est assez banale. En fait, elle est toute neuve car elle a été reconstruite à l’identique après avoir été en partie incendiée par la foudre deux ans plus tôt. Par contre, le site est magnifique. Les énormes vagues de l'océan s'écrasent sur les rochers de granit rouge à quelques mètres du fronton de l'église. On ne se lasse pas du spectacle et je reste un long moment assis dans les rochers à me remplir les yeux.

     J76 - Muxía - Le sanctuaire de la Virgen de la Barca
     

    J76 - Muxía - Les rochers au sanctuaire de la Virgen de la Barca

     
    Je vais jusqu’au sommet du Mont Corpiño qui domine la presqu’île. On ne voit pas le sanctuaire mais la vue est somptueuse sur le village de Muxía construit sur l’isthme reliant l’îlot à la terre, surtout à cette heure-ci, où le soleil est bas sur l’horizon.

    J76 - Muxía - Au monte Corpiño dominant le village


    En revenant vers le village, je passe devant des séchoirs en bois où sont accrochés des filets de congres. Ce gros poisson qui ressemble à la murène est pêché pour sa chair ferme et grasse mais je ne savais pas qu’il était ainsi mis à sécher au soleil et au vent. Les filets forment des espèces de sculptures modernes du plus bel effet.


     J76 - Muxía - Séchage des congres
    De retour à l'auberge, je retrouve Pierre, arrivé pendant mon absence, puis Wilma qui arrive assez tard et nous allons ensemble manger du poisson au petit restaurant conseillé par notre hospitalera. Le repas finit en beauté avec un digestif maison offert par le patron qui a apprécié notre bavardage dans sa langue.

    Ce n’est qu’à ce moment-là que je réalise que j'aurais dû rester au cap pour admirer le coucher de soleil. Je n'y ai absolument pas pensé. C’est bien dommage.

     

     

    J 77 - Jeudi 16 novembre. MUXÍA - FISTERRA
    Beau temps                                                                                                                                                               35 km

     

    C’est mon dernier jour de marche. J’ai décidé de partir tôt pour parcourir les vingt-neuf kilomètres qui me séparent de Fisterra par les montagnes couvertes d'eucalyptus car je veux avoir le temps de marcher ensuite jusqu’au cap, ce qui représente six kilomètres de plus. Je me lève donc à six heures et je vais déjeuner dans un bar sur le bord de mer. Je suis étonné de voir qu’il est plein de pèlerins à cette heure matinale puis je comprends en les voyant se précipiter vers le bus qui vient d’arriver. C’est le bus pour rentrer à Santiago.

     

    Il est à peine sept heures et il fait nuit noire quand je quitte Muxía par la petite route qui longe la mer vers le sud puis, après une épingle au fond d’une baie, s’élève à flanc de montagne. La vue sur l’océan est splendide. L’aube commence à pointer et on voit la Punta de la Barca et, plus loin le Cabo Vilán ponctué des feux de positions des nombreuses éoliennes, les lumières de Muxía et la silhouette du sanctuaire qui se détache sur le fond plus clair de l’océan.

     J77 - Départ de Muxía au petit matin vers Fisterra

    Au bout de quelques kilomètres, j’arrive à Lourido, un petit village où l’éclairage public est toujours allumé. Je ne vois aucune marque, ni flèches jaunes, ni bornes, ni carrés bleus. Ce n’est pas normal. La dernière borne que j’ai vue était dans l’épingle en bas de la colline, trois kilomètres en arrière.

    Je frappe à la porte d’une maison où il y a de la lumière et me renseigne. Eh oui, j’aurais dû quitter la route au virage du bas où le chemin bifurque pour grimper dans la montagne par une piste. J’ai bien vu la borne mais je n’ai pas compris qu’elle indiquait qu’il fallait tourner.

    C’est la deuxième fois que je fais cette erreur. Manque de concentration. Je pensais à autre chose et n’ai pas réfléchi que s’il y avait une borne, c’est qu’il y avait une bifurcation. Je ne le referai plus mais c’est trop tard pour ce pèlerinage.

    Ça m’ennuie beaucoup de redescendre car ça va allonger mon parcours de six kilomètres. Ce brave monsieur me dit que je peux continuer sur la route qui croise le chemin balisé un peu plus loin. Je préfère cette solution car je n’aime pas revenir en arrière.

    Mais la petite route n’en finit pas de monter et descendre dans les montagnes. Et ce n’est pas aussi simple qu’il y paraît car il y a des carrefours. Plusieurs fois je suis obligé de demander mon chemin dans la traversée des villages ou en arrêtant les rares voitures qui passent. Finalement, après un énième hameau au nom attrayant de Guisamonte, j’arrive enfin à l’endroit où le chemin croise la route et je suis soulagé de retrouver les flèches jaunes. N’ayant pas de carte, je ne sais pas par où je suis passé mais je suis sûr que j’ai perdu du temps et fait des kilomètres supplémentaires.

    J77 - Vilachón - J'ai retrouvé le chemin


    Je viens juste de commencer à marcher dans le sentier qui s’enfonce dans les bois quand je suis rattrapé par un jeune pèlerin. Il est français, s’appelle Vincent et habite Biarritz. Il est très sympathique, dynamique, enthousiaste. C’est un plaisir de marcher en sa compagnie et nous avançons ensemble jusqu’au petit village de Lires où je suis étonné de découvrir un bar qui propose tout ce qui intéresse le pèlerin, boissons, sandwichs, tampon et même plato combinado. À Muxía, on m’avait dit qu’il n’y avait aucun ravitaillement sur tout le parcours. Mais vu l’heure, je me contente d’un café con leche y tostadas qui tient lieu de petit-déjeuner-bis.

    Peu après, nous rattrapons Pierre qui est parti une heure après moi, ce qui me confirme que j’ai perdu du temps dans mon erreur matinale, mais peut-être pas tant que ça vu que je suis resté plus d’une demi-heure au bar de Lires. Il est très surpris de me voir arriver derrière lui et je lui raconte ma mésaventure.

    Le chemin continue dans les bois d’eucalyptus et de pins et c’est très agréable de marcher à l’ombre de ces grands arbres.

    J77 - Chemin dans les bois vers Fisterra
    De temps en temps, quand le chemin se rapproche de la côte, on découvre soudainement de belles plages sauvages où la houle de l’océan déferle en énormes rouleaux ou bien des falaises abruptes et déchiquetées où ces mêmes vagues s’écrasent dans de grands jaillissements d’écume.

     J77 - Chemin vers Fisterra
    Je fais la pause repas à Hermedesuxo, à un arrêt de bus où je peux m’asseoir confortablement au soleil. Je n’ai qu’un bout de pain, du tourón, une poire et une banane qui sont dans mon sac depuis deux jours. Les deux fruits ont pris des coups mais sont tout à fait comestibles. Un menu bizarre mais dont je me contente.

     

    L’itinéraire emprunte maintenant une petite route goudronnée et, peu après, j’arrive à un carrefour où je vois pour la première fois un panneau qui annonce le village de Fisterra, ma destination.

    J77 - Chemin vers Fisterra - Les derniers kiomètres
    Ces derniers kilomètres passent comme dans un rêve.

     

    Il est à peine quinze heures trente quand j’arrive à Fisterra par un chemin dans les collines d’où l’on domine l’immense plage de Langousteira que longe le chemin direct venant de Santiago. Je vais à l'auberge municipale où je récupère la Finistella, le certificat attestant de ma venue en ce lieu à pied, et m’installe dans l’un des dortoirs au premier étage. Il y a déjà pas mal de monde mais il est vrai que beaucoup viennent jusqu’ici en bus, ce qui explique l’affluence. Puis je pars faire le tour de ce joli village de pêcheurs. Dans le port, les bateaux de pêche aux couleurs vives s’harmonisent bien aux maisons colorées du front de mer. Les mouettes et les goélands survolent la petite rade en criant sans arrêt.

    J77 - Fisterra - Le calvaire à l'entrée de la ville
    J77 - Fisterra - Le port

    Sur son promontoire, le petit fortin monte toujours la garde.

    J77 - Fisterra - Le vieux fort

    Dix-
    sept heures. Je pars au Cap Finisterre voir le coucher de soleil en traversant le village par les ruelles qui grimpent au flanc de la colline vers l’église. Puis c’est la route goudronnée qui file le long de la côte rocheuse escarpée du promontoire, offrant un magnifique panorama sur la côte galicienne de l’autre coté de l’immense baie.

     

    Au bout, je retrouve Wilma et Vincent. Le spectacle est toujours aussi beau. Quelle chance d’avoir ce beau temps. Je fais les obligatoires photos souvenir avec Wilma à la borne zéro kilomètre et à la croix placée au bout du cap.

     J77 - Cap Finisterra - À la borne 0 km


     J77 - Cap Finisterra - Au bout du cap avec Wilma
    Très vite, c’est l’heure de se mettre en place pour assister au spectacle final. Le soleil se couche à 18h12 exactement. Pas question d’être en retard.

     J77 - Cap Finisterra - Le soleil se couche
    Nous avons droit à un coucher de soleil somptueux sur l’immensité de l’océan. Avec Vincent, Wilma 
    et quelques autres, nous regardons le soleil disparaître lentement derrière l’horizon et la nuit tomber doucement.


    J77 - Cap Finisterra - Coucher du soleil


    J77 - Cap Finisterra - Coucher du soleil

    Puis, le phare s’allume derrière nous et son faisceau commence à balayer l’horizon, à intervalles de cinq secondes.

    Y-a-t-il une meilleure manière de clôturer ce pèlerinage ?

    J77 - Cap Finisterra - La fin du voyage
    Cette fois-ci je ne suis pas triste. Je suis heureux, satisfait et fier aussi d’avoir réussi
    ce deuxième voyage vers la fin de la terre et d’avoir pour la deuxième fois réalisé mon rêve.

    Wilma, Vincent et moi revenons au village dans la nuit. Pas de mélancolie, pas de regret que ce soit fini, juste de la joie et le plaisir d’être ensemble. Je me remémore certains moments de ce long voyage qui m’a pourtant paru si court.

    J77 - Retour vers Fisterra - Eglise Notre Dame des Areas
     

    De retour à l’auberge, je vais prendre une douche bien méritée avant de ressortir dîner au bar d’en face où je retrouve Wilma et Pierre qui était lui aussi au phare mais que je n’ai pas vu.

     

    Voilà. Le voyage est fini. Un voyage très différent du précédent mais tout aussi merveilleux.

    Il ne me reste plus qu'à rentrer.

     

     

    J 78 - Vendredi 17 novembre et samedi 18 novembre. LE RETOUR

     

    Comme la première fois, je rentre en bus à Santiago. Le parcours a changé. Cette fois, le bus emprunte la route de la côte par Cee, Carnota et Muros avant de retrouver l’autopista pour Santiago.

    À peine arrivé, je me mets à la recherche d’une agence de voyages pour organiser mon retour. L’affaire est réglée en un quart d’heure. Avion le lendemain matin à huit heures dix pour Barcelone d’où je prendrai à treize heures vingt un TGV qui me déposera à Montpellier à seize heures dix-huit exactement.

    Maintenant, je peux retourner assister une nouvelle fois à la messe dans la cathédrale en espérant qu’aujourd’hui le botafumeiro sera de sortie. Mais non, pas de botafumeiro aujourd’hui non plus.

     

    J’ai la surprise d’y retrouver Johan et Ladislas qui viennent d’arriver. Ils étaient avec moi à Lamothe dans le Gers les trois et quatre octobre. Ils sont très heureux de me voir et nous allons déjeuner ensemble dans l’un des innombrables restaurants qui garnissent les rues piétonnes de la vieille ville. Ils me racontent qu’ils m’appelaient "Mad Max" et aussi qu’ils avaient trouvé la chaussette que j’avais perdue entre Aire-sur-l’Adour et Arzacq, qu’ils l’avaient ramassée et gardée avec eux pendant au moins une semaine en espérant me retrouver. Que voilà un geste sympathique.

    J’achète quelques souvenirs à ramener et aussi quelques cartes postales à envoyer à celles et ceux qui m’ont accueilli tout le long du parcours pour leur annoncer que je suis arrivé à bon port et les remercier de leur hospitalité et de leur contribution à mon succès.

    Le soir, je me fais un dernier petit plaisir en allant au restaurant manger du pulpo a la gallego accompagné de ces délicieux piments frits que Pépé et Chema m’ont fait découvrir.

     

    Dernière petite surprise agréable le lendemain matin. En quittant ma chambre sur la pointe des pieds à six heures du matin, je rencontre une jeune femme qui, comme moi, va prendre le bus pour l’aéroport. Nous marchons tous les deux jusqu’à la gare routière puis prenons notre petit-déjeuner ensemble à l'aéroport en attendant l’heure d’embarquement. Elle est finlandaise, s’appelle Maya et, en sa compagnie, le temps passe bien plus vite.

    Le reste du voyage se passe comme prévu avec une remarquable exactitude.

    Par le hublot de l’avion de Ryanair, je peux voir la chaîne des Pyrénées enneigée puis la Méditerranée scintiller sous le soleil en arrivant à Barcelone.

    Après avoir dit au revoir à Maya qui attend son avion pour Helsinki, je rejoins en train la grande gare Sants où j’ai largement le temps de déjeuner à la cafétéria avant d’embarquer dans le TGV qui me conduit en douceur et à l’heure à Montpellier.

    La boucle est bouclée.

     

    C’est maintenant le temps des souvenirs. 

    La Muxíastella
     

     La Compostella

     

     

     

     2 - CONCLUSION



    Ce pèlerinage a été encore plus intense que le premier, encore plus prenant et tout aussi agréable.

    Malgré un terrain bien plus difficile, malgré le froid et la pluie certains jours, malgré le mal au pied qui m’a parfois perturbé, j’ai pris un plaisir immense à marcher sur ce nouvel itinéraire qui est, de loin, bien mieux que celui que j’avais parcouru en 2013.

     

    Dans la partie française comme dans la partie espagnole, j’ai apprécié les magnifiques paysages traversés, les villages pittoresques et même les villes qui ont toutes quelque chose à offrir au pèlerin. Les parties désagréables comme les banlieues sans fin, les hideuses friches industrielles à la sortie de Bilbao ou les usines de Gijón et Vilarés ne sont que des épisodes que l’on accepte car ils font partie du chemin et permettent de toute façon de se rapprocher de l’objectif, la cathédrale où l’apôtre repose, là-bas, au bout de la Galice.

     

    Surtout, j’ai retrouvé cette ambiance si particulière, unique, ce partage et cette entraide avec les autres marcheurs, cette communion d’esprit qui nous rapproche tous, sans complexe ni arrière pensée. Comme celles et ceux rencontrés dans la partie française, Wilma, Anna, Pépé et Chema, Facundo, Isabel et Angeles, Martina, Liz, Domitille, Marc, Giza, Vincent, Pierre, Michela, Agnieszka, Moira, Anna et Ivana, Pablo, Pauli, Gerald et Nadia ont été mes compagnes et compagnons de marche et de sommeil, certains un jour ou deux voire quelques heures seulement, d’autres beaucoup plus longtemps. Ils font partie de mon chemin, tout comme les paysages que mes yeux ont admirés et les émotions que j’ai ressenties. Et certainement, je fais partie du leur.

    L’accueil reçu tout le long du parcours, les relations avec les habitants des villes et des villages traversés sont aussi une source de plaisir et de joie. Le mot pèlerin est magique. Il aplanit les difficultés et il ouvre toutes les portes.

    À Güemes, chez Ernesto, la cabaña del abuelo Peuto, j’ai passé la soirée et dormi dans la meilleure auberge qui soit, une auberge extraordinairement accueillante, où l’on se sent si bien en compagnie des autres pèlerins. Un endroit magique.

    À Cenarruza Ziorta et à Sobrado dos Monxes, chez les moines, j’ai retrouvé une atmosphère de tranquillité et de sérénité qui contrastait avec le froid glacial des énormes blocs de pierre qui nous entouraient.

    À Sebrayu et à Gondán, les deux refuges les plus rustiques et inconfortables que j’ai rencontrés, l’agréable et souriante présence de mes inattendues compagnes de ce soir-là a contribué à atténuer l’inconfort du lieu.

    Trois églises m'ont troublé sur le parcours. La petite église romane de Saint-Privat-d'Allier, celle de Pimbo puis la cathédrale de Bilbao. Une émotion, un trouble étrange m'a serré la gorge et fait monter les larmes aux yeux. Si je ne crois pas en la religion, je crois au magnétisme terrestre et je sais que les églises les plus anciennes ont été construites sur les restes de temples païens, eux-mêmes édifiés sur des sites soigneusement choisis où l'énergie tellurique remonte à la surface de la terre. Est-ce la bonne explication à ce que j’ai ressenti ?

     

    Après une telle expérience, ce n’est pas facile de rentrer et retrouver sa vie de tous les jours. Pendant deux mois et demi, j’ai vécu dans une agréable et si spéciale parenthèse. Je regrette qu’elle soit maintenant refermée, même si ce regret est atténué par la joie de retrouver ma femme, mes amis, mon chez moi et mon confort.

     

    J’ai calculé que j’ai parcouru environ deux-mille-cent kilomètres. Les pancartes ou bornes que l’on trouve tout le long du chemin annonçant des distances restantes de plusieurs centaines de kilomètres ne me faisaient aucun effet. Les chiffres sont tellement gros qu’ils paraissent irréels. Mille-huit-cent-soixante-quatre ou mille-cinq-cent-quarante-cinq kilomètres, quelle différence ? Par contre, la distance à parcourir chaque jour, ce sont des chiffres plus concrets. Vingt-cinq kilomètres ou trente-deux kilomètres, ce n’est pas du tout la même chose. Et je sais ce qu’ils représentent.

     

    Je pensais avoir beaucoup de mauvais temps le long de la côte atlantique. Certes, j’ai souffert de la pluie dans ce secteur mais pas autant que ce que je craignais. Et la saison choisie n’a pas eu non plus d’effet particulier. C’est en septembre dans le Massif Central, que j’ai eu le plus froid avec des températures avoisinant zéro degré le matin et à peine dix dans la journée. Mais dans l’ensemble, j’ai bénéficié de bonnes conditions : sur les soixante-dix-sept jours de marche, quarante-quatre se sont déroulés par beau temps, seulement seize dans la grisaille et dix-huit sous la pluie.

     

    Les moyens de communication d’aujourd’hui permettent de rester en permanence en contact avec famille et amis. L’accès à Internet à partir du téléphone m’a permis de tenir tout le monde informé de mon avancée par des courriels réguliers et des publications sur ma page Facebook. Les réponses reçues et les commentaires postés m’ont montré que beaucoup s’intéressaient à ma progression, certains et certaines me suivant quasiment jour par jour sur le chemin, peut-être une manière de participer à mes cotés à ce pèlerinage.

    Je voudrais remercier ici toutes celles et tous ceux qui m’ont encouragé pendant cette marche par leurs courriels, leurs textos, leurs commentaires et leurs appels téléphoniques, notamment Hélène, mon fils Matthieu, Yvonne, Michelle et Michelle, Bernard, Jean Claude, Monique, Alain, Michel, Anne-Marie et Sylvie.

    Et bien sûr, je me dois de remercier infiniment ma chère épouse Hélène de m’avoir laissé partir et vivre ce rêve une deuxième fois.

     

    Repartirai-je une troisième fois ?

    Ce ne sont pas les chemins qui manquent. J’ai bien un rêve dans la tête mais il restera sans doute un rêve. Par contre, le Camino del Sureste au départ d’Alicante ou le Camino de la Plata au départ de Séville sont des alternatives plus concrètes que j’aimerais parcourir…

     

    Cette jolie phrase vue sur le chemin en Espagne me paraît parfaitement résumer ce qu’est le chemin, un moment unique en dehors du temps : Nada más pido, el cielo arriba de mí, el camino bajo mis pies.

    Elle est pour toujours dans ma tête. 

     

     

    La Créanciale

    La Créanciale

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

      

     

     

     

     

     

     

    « CINQUE TERRELES WRC À LA NEIGE »

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  • Commentaires

    1
    Anne Marie Vergnaud
    Dimanche 31 Décembre 2017 à 10:20
    Magnifique récit
    J'ai voyagée
    Superbe, qu'elle santée!!
    Surprise que malgré les différents parcours des uns et des autres, vous vous retrouviez à un moment donnée
    Nous allons changer le proverbe par le suivant:
    Tous les chemins mènent à Compostelle.
    Bravo! Ficitations.
    Y
    En hora buena!!!!
    2
    Jean Antoine
    Jeudi 4 Janvier 2018 à 23:28

    Encore un beau récit de marche sur le chemin de Santiago, comme on dit en Espagne. Magnifiques photos qui embellissent le récit. Des rencontres authentiques et de belles émotions partagées, ou solitaires les jours de solitude. Si ce n'était le rude chemin et la météo "humide et douce", voila un récit qui me donnerait envie de repartir encore une fois, pour vivre ce temps plein, serein, simple et chaleureux humainement.

    Bravo et merci, Max, de nous faire partager cette expérience unique.

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