• EN SUIVANT LA VOIE LACTÉE

    C'est en 2013 que j'ai effectué ce pèlerinage à Saint Jacques de Compostelle dont je rêvais depuis très longtemps. Récit de ces 56 jours de marche pendant lesquels j'ai parcouru environ 1500 km, illustré de quelques unes des photos prises pendant ce long périple.

      

    La coquille St Jacques

     

    MON PÈLERINAGE À COMPOSTELLE
    DU 9 MARS AU 3 MAI 2013 

     

    Comme beaucoup, j’ai longtemps rêvé de faire le pèlerinage de Compostelle. J’aurais sans doute pu partir plus tôt en choisissant de le faire en plusieurs fois, un tronçon chaque année, mais mon idée était de le parcourir en entier et en une seule fois comme les pèlerins d’antan.
    La distance ne m’effrayait pas car mon métier de militaire dont dix années passées dans les Chasseurs Alpins, m’a entraîné à la marche, m’a appris à vivre dans la nature par tous les temps et à savoir trouver mon chemin en toutes circonstances.
    En fait, la difficulté principale est le temps disponible car il faut compter environ deux mois pour accomplir ce pèlerinage en entier. Il m’a donc fallu attendre la retraite…

    Plus le temps passait, plus j’entendais parler de ce Chemin qui devenait très à la mode.
    Chez mon libraire, j’ai découvert plus de deux mètres d’étagères pleines de livres et guides sur le Chemin.
    J’ai donc commencé à y penser sérieusement…
    En passant du rêve au projet puis à la réalité, j’ai pu m’apercevoir qu’il était complètement différent de l’idée que je m’en faisais. Je croyais qu’il ne s’agissait que d’une très longue randonnée.
    J’avais tort.
    Le Chemin de Saint-Jacques, ce n’est pas une simple randonnée. C’est bien plus que cela.

    Pourquoi suis-je donc parti ?

    Raisons religieuses ? Non.
    Exploit sportif ? Non.
    Défi personnel ? Oui sans doute mais pas seulement.
    Faut-il y voir une quête spirituelle, un besoin d’aller chercher mes limites ?
    Je ne le sais pas vraiment en fait. J’en avais tout simplement envie. 

    Qu’est-ce qui a déclenché mon départ ce samedi 9 mars 2013 ?
    En mai 2012, Michelle, voisine et amie, part faire un tronçon du chemin du Puy avec Rose-Marie et me demande si je veux bien les accompagner. Voilà une bonne occasion de voir ce qu'est ce chemin me dis-je et j’accepte.

    Nous partons de Cahors et marchons onze jours jusqu’à Orthez, environ trois-cents kilomètres. Ce parcours est pour moi une révélation. Je découvre ce qu’est vraiment le Chemin, l’ambiance à l’étape dans les gîtes lorsque on partage la même table et le même dortoir avec d’autres marcheurs, l’accueil reçu tout le long du parcours, les relations avec les autres. La marche en devient presque accessoire, bien que ce soient justement ces kilomètres parcourus par tous qui engendrent cette communion d’esprit, ce sens de l'entraide qui rapprochent les gens.
    Et c’est sans doute cette ambiance si particulière qui fait la différence avec la simple randonnée.
    Ce parcours me sert aussi d’entraînement. Je peux voir ce qui est indispensable dans le sac et ce qui est superflu, comment m’organiser pour la vie de tous les jours, comment se passent les hébergements.
    J’apprends beaucoup et je décide qu’il faut que je parte sur le Chemin sans trop attendre car j’ai remarqué aussi que les choses sont en train de changer avec l’apparition des chemins "clés en main" proposés par des agences de voyage avec réservations, transport des bagages et mini bus.

    Puis, en septembre 2012, je fais le chemin de Stevenson du Puy-en-Velay à Saint-Jean-du-Gard dans les mêmes conditions que le pèlerinage de Compostelle (le récit de cette marche peut être lu sur ce même blog). C’est en quelque sorte une répétition pour vérifier et confirmer ce que j’ai appris quatre mois plus tôt et définir précisément ce qu’il faut emporter, comment m’équiper et m’organiser. Cela a grandement facilité ma préparation et m’a évité de commettre quelques erreurs. Mes chaussures sont parfaites, souples et confortables. Quant à mon sac, il faut encore l’alléger de quelques kilos.

    La décision de partir étant prise, il ne reste qu’à décider de la date de départ et de l’itinéraire.

    Pour la date, je pense qu’il est important d’arriver à Santiago au plus tard début mai avant la période de grosse affluence pour éviter les soucis d’hébergement. Un départ début mars s’impose donc automatiquement. 

    Pour l’itinéraire, j’ai envie de faire le Chemin d’Arles bien qu’il soit moins pittoresque et moins fréquenté que celui du Puy. C’est le sentier de grande randonnée GR 653 qui a l'avantage de passer par Montpellier où je réside, mais qui présente deux inconvénients : d’abord il traverse les montagnes du Haut-Languedoc et franchit les Pyrénées au col du Somport à 1650 m d’altitude, ce qui entraîne un risque de neige au mois de mars, puis il fait un assez grand détour par Jaca avant de retrouver le Camino Francès à Puente la Reina.

    Je trace donc mon propre itinéraire qui évite le Haut-Languedoc et le Somport et qui court-circuite le détour par Jaca en rejoignant directement le Chemin du Puy avant les Pyrénées. De là, il ne restera qu’à suivre le Camino Francès 

    Dernière formalité qui scelle ma décision de partir, l’obtention de l’indispensable "créanciale", le passeport du pèlerin, auprès de l’accueil jacquaire de Montpellier.

    L'indispensable créanciale

     

    PRÉPARATIFS

      

    Je commence à préparer méticuleusement cet itinéraire, à définir les étapes en fonction des hébergements possibles et en essayant de limiter le kilométrage quotidien autour de vingt-cinq kilomètres. Dès le départ, j’ai écarté l’option autonomie complète avec tente et couchage afin de voyager le plus léger possible et pour ne pas me couper de l’ambiance du Chemin qui se vit dans les gîtes et albergues.
    Je trace le parcours en France sur des cartes au 1/100 000° que je photographie puis imprime, une feuille pour chaque jour. Ainsi, je n’ai pas besoin d’emporter les cartes entières et je peux chaque soir me débarrasser de la feuille devenue inutile.

    Pour les variantes personnelles, j’étudie l’itinéraire en détail, imprimant des morceaux de cartes à grande échelle, car sur ces tronçons où je vais couper au plus court, je ne trouverai aucun marquage pour me guider.
    Après Saint-Guilhem-le-Désert, je bifurquerai vers le Sud pour atteindre Béziers à travers les garrigues et les vignes de la plaine du Languedoc.
    De là, il me suffira de suivre plus ou moins le canal du Midi jusqu’à Carcassonne où je pourrai m’arrêter chez ma mère, puis jusqu’à Toulouse où je retrouverai le GR 653. Le Canal du Midi ayant un parcours assez sinueux, je repère des raccourcis partout où les méandres deviennent trop importants.
    Enfin, après Pau, je trouve un cheminement me permettant de passer en une seule étape de vingt-neuf kilomètres du GR 653 d’Artiguelouve au GR 65 de Navarrenx.
    Les sept-cents kilomètres sur le territoire français se matérialisent ainsi en six-cents grammes de papier.
    En Espagne, j'emprunterai le "Camino francés" et j’utiliserai le guide "Miam-Miam-Dodo" et la carte spécifique n°160 au 1/150000° éditée par Michelin, soit quatre-cents grammes supplémentaires. 

    Finalement, le parcours que j'ai étudié va suivre l’itinéraire suivant :
    Arles, Saint-Gilles, Montpellier, Saint-Guilhem-le-Désert, Béziers, Carcassonne, Toulouse, L’Isle-Jourdain, Auch, Marciac, Pau, Navarrenx, Saint-Jean-Pied-de-Port, passage en Espagne, Roncevaux, Pamplona, Estella, Logroño, Santo Domingo de la Calzada, Burgos, Frómista, Sahagún, León, Astorga, Ponferrada, Sarría et Santiago. De là, j’ai prévu de continuer jusqu'au cap Finisterre, ce qui représente trois jours de marche supplémentaires.

    Carte parcours en France

    Carte parcours en Espagne

     

    La préparation du sac est minutieuse car le poids est l'ennemi numéro un.
    D’abord j’achète un nouveau sac très léger (850 g pour 55 litres) ainsi qu’un drap de couchage en soie d’à peine 100 g pour remplacer celui en coton bien plus lourd. Je limite l’équipement que j’emporte : pas de sac de couchage, trousse de toilette, pharmacie et nécessaire de couture minimum, des tongs de plage ultra légères pour le soir, une parka Goretex, un blouson et un petit gilet polaires, un sur-pantalon en Goretex et un poncho pour la pluie, des gants en polaire, un chapeau pour le soleil, une  bouteille plastique de 50 cl en guise de gourde, un Opinel et un combiné cuillère-fourchette en polycarbonate, une mini lampe Maglite de 25 g, le chargeur pour le téléphone. Les affaires de rechange se résument à une paire de socquettes, un pantalon de randonnée léger, un slip et un T-shirt.

    Je pèse tout. J’ai l’obsession du poids, mais je réussis à avoir un sac qui atteint à peine 8,5 kg avec l’eau et le repas de midi.
    Le seul domaine où je ne lésine pas concerne l’appareil photo. Je pars avec mon reflex qui, avec le chargeur et l’étui, pèse 1,5 kg. Mais je ne le porte pas dans le sac et je ne veux pas faire d’impasse sur la qualité des photos.
    Je teste le sac plein en l’utilisant pour les marches d’entraînement et je modifie son agencement pour l’adapter parfaitement et dans les moindres détails, à l’usage que je vais en faire.

    Mon sac de seulement 8,5 kg

    Ensuite, je commence à m’entraîner à partir de la mi-février sur une distance de vingt-quatre kilomètres, avec le sac complet tel que je l’emporterai sur le Chemin, habillé et équipé comme je le serai. Je fais même un test sur trente-deux kilomètres. Ai-je trop forcé, ai-je marché trop vite ? Je ne sais pas. Au bout d’une semaine, je ressens une douleur au pied droit. Je suis effondré en pensant avoir une tendinite. Il s’agit en fait d’une contracture, certes douloureuse, mais qui ne devrait pas m’empêcher de partir, le médecin et l’ostéopathe m’affirmant tous deux que je serai rétabli pour le départ prévu le 6 mars.

    Mais ces petits soucis m’obligent à modifier mes plans et, en fin de compte, je pars le samedi 9 mars de Montpellier, sans avoir fait les trois premières étapes depuis Arles. L’essentiel est de partir.

     

    Dans les pages suivantes, je raconte ce pèlerinage depuis ce départ dans le doute le 9 mars jusqu’à l’arrivée dans la joie et l’émotion à Santiago le 30 avril, puis les trois jours supplémentaires jusqu’au Cap Finisterre qui m’ont permis de prolonger encore un peu ces moments de bonheur. Pour cela, j’ai utilisé le journal de marche que j’ai scrupuleusement tenu jour après jour. J’en ai amélioré l’écriture et j’y ai ajouté diverses informations sur les lieux que j'ai traversés pendant mon périple.

     

    La rédaction des lignes qui suivent m’a permis de revivre mes cinquante-six jours de marche grâce à la précision de ce que j’avais noté. Certains détails que je n’avais pas cru bon d’inscrire à l’époque me sont même revenus en mémoire. Cela a aussi ravivé mon envie de repartir pour revivre ces moments fantastiques.

     

     

     

    JOURNAL DE MARCHE

     

    LA PARTIE FRANÇAISE

     

    Pendant les quatre premiers jours, jusqu’à Béziers, je doutais de mon état physique. J’écoutais mon corps, en permanence à l’affût du moindre indice d’un problème. Pourtant je marchais sans être particulièrement fatigué à l’arrivée des étapes. J’avais retrouvé mes réflexes de randonnée, mon sens de l’orientation et de l’observation du terrain, mais mon plaisir était un peu gâché par la crainte de l’aggravation de la contracture au pied droit qui provoquait des élancements permanents.

    Les huit jours suivants, de Béziers à Toulouse, le long du canal du Midi, j’étais un peu plus rassuré car la douleur au pied droit ne me gênait pas vraiment pour marcher. J’avais parcouru sans problème de longues étapes dont une de trente-deux kilomètres sans que les choses ne s’aggravent. J’ai repris progressivement confiance.
    C’est sur cette partie que j’ai le plus souffert du froid, aggravé par un violent vent glacial qui me ralentissait et me fatiguait. Paradoxalement, je me suis régalé de marcher le long de ce magnifique ouvrage d’art et, peut-être pour cette raison, n’ai je pas trouvé lassante cette longue marche dans un environnement toujours semblable. 

    Après Toulouse et jusqu’à Saint-Jean-Pied-de-Port, les onze jours suivants, j’ai retrouvé pleine confiance en moi. Je n’avais aucun problème physique, même pas d’ampoules, et je marchais au rythme que je m'étais fixé, me sentant de mieux en mieux jusqu’à la disparition complète du mal au pied qui a été un immense soulagement.

      

    DE MONTPELLIER À BÉZIERS

      

    J 1. Samedi 9 mars - MONTPELLIER - ANIANE.  27 km.                                                                             Beau temps

    Comme les nuits précédentes , je n’ai pas bien dormi. Je pense sans arrêt aux détails de mon projet et je suis perturbé par cette contracture au pied. Aussi, je me demande si je vais être capable de parcourir cette distance. Bref, je suis stressé.

    Quand je me lève, on ne peut pas dire que c’est la grande forme. Le pied droit me lance toujours désagréablement. Le temps est gris après les intempéries des jours précédents et de la nuit mais il ne pleut plus. Alors, j’y vais ou je n’y vais pas ?

    Je me décide. Ce sera aujourd’hui le jour du grand départ.
    Le sac est prêt depuis longtemps. Il ne reste qu’à sortir du frigo le repas froid pour midi
    .
    Ce n’est rien de dire que je suis un peu tendu malgré ma préparation méticuleuse. 

    À 8h précises, je quitte l’appartement avec Hélène qui m’accompagne en bas de l’immeuble. Photos pour immortaliser cet instant, embrassades, puis je tourne résolument le dos à ma femme, à mon chez moi et à mes habitudes de vie et je me lance.
    Je commence à marcher avec une boule au creux de l’estomac. Ce n'est pas rien car je m’apprête à marcher pendant mille-cinq-cent kilomètres et surtout, je vais accomplir un rêve !

     J1 - Le grand départ devant l'immeuble

     

    Pour oublier mon angoisse irraisonnée, je marche en me remémorant l’itinéraire que j’ai reconnu quelques semaines plus tôt dans Montpellier puis Celleneuve et Juvignac. Ce n’est pas le tracé du GR 653 qui fait un grand détour par la petite ville de Grabels. Le mien coupe tout droit et va me faire gagner d’emblée une paire de kilomètres, ce qui n’est pas négligeable. Il emprunte la grande avenue de Lodève où la circulation est importante mais cela ne me dérange pas. Je ne vois pas et n'entends pas les voitures. Je suis dans mon monde.

     

    À Juvignac, mon itinéraire passe à travers une zone résidentielle et débouche brutalement dans la garrigue après un passage étroit, presque invisible, entre deux maisons. Ce n’est que là, en quittant la zone habitée que la boule au creux de l’estomac se dissipe et que je me détends enfin, sans doute parce que je me retrouve dans mon élément. J’ai bien mémorisé le raccourci qui rejoint directement Bel-Air, à travers vignes et garrigues, et je marche sans avoir besoin de consulter les cartes que j’ai imprimées. Au petit hameau de Bel-Air, je retrouve le marquage du GR 653 que je vais suivre jusqu’à Saint-Guilhem-le-Désert.

     

    J1 - Première pause après Bel Air

    Je suis à l’écoute de mon corps. Je guette la moindre douleur, la moindre sensation nouvelle, annonciatrice d’un problème. Rien d’autre que la douleur de la contracture au pied droit qui ne veut pas passer.
    Je me force à marcher lentement, le plus près possible des 4 km/h. 

    Le terrain est resté très mouillé après les fortes pluies des jours précédents, quelques gouttes tombent vers midi mais sans conséquence et il fait doux au point que je marche en T-shirt.

    J’arrive à Montarnaud. En entrant dans le village, je ne vois plus les marques de peinture du balisage. Je me fie à la carte qui me permet de retrouver le bon chemin après les dernières maisons. C’est bien là. Sur un pylône je repère les habituels traits rouge et blanc accompagnés d'une très discrète coquille Saint Jacques peinte en dessous.

    J1 - Montarnaud - Signalisation très discrète

    Je continue sur un agréable chemin qui grimpe dans une pinède puis serpente dans la garrigue sous un ciel qui se dégage lentement.

    Quand je m’arrête pour manger près du monument aux morts à l’entrée de La Boissière, le soleil a fait son apparition. Je prends mon temps, trop content de retrouver le ciel bleu, puis je reprends ma marche. À la sortie du village, j’emprunte une ancienne voie ferrée devenue voie verte qui m’amène à proximité d’Aniane. Sur ce tronçon particulièrement plat, j’avance de plusieurs kilomètres sans fatigue. Quand je quitte la voie, il ne reste qu’à franchir une petite colline boisée par un chemin qui grimpe tranquillement sous les pins et les chênes verts puis à redescendre dans la vallée de l’autre coté.

     J1 - Sur l'ancienne voie ferrée en direction d'Aniane


    Vers 16h, j’arrive à la chambre d’hôte où j’ai réservé. C’est une jolie maison dans les pins, environ un kilomètre avant le village. Je bavarde un moment avec la maîtresse de maison qui m'a proposé un café puis je m’installe dans la chambre qui m’est attribuée et effectue pour la première fois les gestes que je répéterai tous les jours suivants et qui deviendront ma routine pendant deux mois : douche, lessive, massage des pieds au Voltarène, rédaction de mon journal et annotation des photos prises pendant la journée.

    J1 - Aniane - Devant le gite

    Une fois prêt, je descends au village d’Aniane où j’ai le temps de parcourir les petites rues, de visiter l’église et le temple avant que le soleil ne se couche. Puis, je vais dîner dans le restaurant conseillé par mon hôte. Ce restaurant tenu par des Anglais est très agréable mais presque désert et j’y mange seul. Quand je ressors, la nuit est tombée depuis longtemps et c’est dans une obscurité totale que je remonte le kilomètre de route qui me ramène à mon logis d’un soir.
    Cette première étape s’est bien passée. J’ai écouté et surveillé mon corps toute la journée. Le pied droit me fait toujours mal mais aucune douleur nouvelle n’est apparue et la tension du matin a complètement disparu.
    Mes sentiments à la fin de cette première journée sont mitigés : c'est un mélange de satisfaction pour avoir accompli ce parcours pourtant sans aucune difficulté et de crainte qu’un problème physique ne m’oblige à m’arrêter. Pourtant je me suis bien préparé mais cette contracture a décidément bien miné mon moral. 

     

    J 2. Dimanche 10 mars - ANIANE - SAINT-ANDRÉ-DE-SANGONIS.  22 km.                                            Beau temps

    Pour cette première nuit sur le chemin, j’ai très bien dormi et j’ouvre les yeux avant même que le réveil ne sonne. Quand je démarre une heure plus tard, il fait froid mais le ciel est bleu avec juste quelques nuages. Après avoir traversé le village d’Aniane, je décide de ne pas suivre le balisage du GR qui fait un détour et je reste sur la route jusqu’au pont du Diable, économisant ainsi un bon kilomètre. C’est dimanche matin, il y a très peu de circulation et cela ne pose aucun problème.
    Le pont du Diable est magnifique sous le soleil. On trouve toujours la même légende partout où les hommes ont voulu construire un pont sur un site difficile : n’arrivant pas à finir le pont dans les temps, l’architecte fait appel au Diable pour l’aider. Celui-ci accepte en échange de l'âme du premier être vivant qui traversera le pont mais c'est un chien que l'architecte envoie sur le pont, et le diable est berné. En souvenir de cette transaction ratée, le pont porte toujours le nom du Malin.
     

    J2 - Le pont du Diable sur l'Hérault


    Je prends le temps de faire quelques photos avant de continuer mon chemin. La remontée vers Saint-Guilhem-le-Désert le long des gorges de l’Hérault est moins longue que je ne le craignais. Le sentier qui s'insinue entre route et rivière me fait découvrir les moulins fortifiés et submersibles construits au XII° siècle près de la résurgence de la Clamouse. J’étais passé si souvent en voiture sur cette route sans jamais n’avoir rien vu !

    J2 - Gorge de l'Hérault - Moulin fortifié submersible


    Arrivé au village de Saint-Guilhem, je remonte par la rue principale si pittoresque et bien tranquille en cette saison, je m’arrête au passage à la fontaine des pèlerins pour boire et emplir ma bouteille puis arrive sur la belle place et son majestueux platane plusieurs fois centenaire.


     J2 - St Guilhem le Désert - La place de la liberté


    Ce très joli village s’est développé autour de l’abbaye fondée en 804 dans ce vallon perdu de l’Infernet à l’écart de toute présence humaine. D’où le nom "Désert" qui fait référence à l’absence de vie humaine plutôt qu’à l’absence de végétation. Longtemps, l’abbaye a attiré de nombreux pèlerins car elle était connue pour posséder une relique de la vraie croix. Aujourd’hui, ce sont les hordes de touristes qui viennent admirer le village pittoresque et son site sauvage, ce qui lui vaut de faire partie des plus beaux villages de France. Autant dire qu’en plein été, la rue que je viens d’emprunter n’est qu’une succession de restaurants, boutiques de souvenirs et d’artisanats de toutes sortes. 

    Je connais bien le village pour y être venu de nombreuses fois soit pour le visiter soit pour démarrer des randonnées dans les magnifiques et spectaculaires montagnes qui l’encerclent de toutes parts. Mais d’habitude, j’y venais en voiture… À pied, l’impression n’est pas du tout la même. On perçoit bien davantage l’isolement des lieux dans cette gorge en cul-de-sac qui débouche sur la vallée encaissée de l’Hérault.

    J2 - St Guilhem le Désert - L'abbatiale de Gellone


    J2 - St Guilhem le Désert - Sur la place de la liberté


    Il est à peine 10h. Je m'assieds un moment au soleil au pied du platane avant d’entrer dans l’église où des religieuses préparent la grand-messe du dimanche. Il s’agit de faire apposer le premier tampon sur ma créanciale encore vierge.

    La religieuse qui travaille dans la sacristie me donne de suite satisfaction, puis me dit avec un charmant sourire : « Vous allez assister à la messe bien sûr… ». Que puis-je répondre d’autre que « Bien sûr, ma sœur !».

    Et c’est ainsi que j’ai assisté à la première messe de mon périple dans cette si belle église romane. Mais elle était glaciale et j’ai du enfiler polaire et parka pour résister à ce froid de loup jusqu’à la fin.

    Je voudrais ici faire une parenthèse sur l’aspect religieux du Chemin. Il est incontestable que le pèlerinage de Compostelle est fortement marqué par la religion catholique, même si la grande majorité des pèlerins d’aujourd’hui reconnaissent ne pas avoir de motivation religieuse. Qu’on le veuille ou non, la religion catholique est partie intégrante du Chemin, les calvaires, chapelles, églises, monastères et cathédrales qui jalonnent le parcours en étant les signes les plus visibles.
    Bien que non croyant, je pense que s’intégrer dans cette ambiance fait partie de l’esprit du Chemin. Cela se fait simplement en respectant certains rites, en assistant de temps en temps, quand l’occasion se présente, à une messe ou aux vêpres, obligations bien peu contraignantes. De plus, les messes sont généralement suivies d’une bénédiction des pèlerins, un moment empli d’une certaine émotion à laquelle la grande majorité des pèlerins assistent et où on se retrouve tous pour cette petite cérémonie qui contribue à la cohésion des marcheurs.

    En sortant de la messe vers midi, j’ai cédé à la facilité en mangeant une délicieuse omelette aux cèpes dans l’un des nombreux restaurants de la place avant de reprendre ma marche par la route. En effet, c’est à partir d’ici que j’ai tracé mon propre itinéraire qui va m’amener à Béziers. Je suis donc reparti vers le pont du Diable par la route que j’avais empruntée le matin au lieu de suivre le chemin balisé qui grimpe dans les montagnes dominant Saint-Guilhem pour rejoindre Arboras puis Lodève.
    Au parking de la grotte de Clamouse, je suis arrêté par un joyeux groupe de jeunes qui festoient près de leurs voitures. Ils ont une allure bien sympathique et me proposent de partager avec eux une immense pizza et les bouteilles posées à terre pour fêter le trentième anniversaire de l’une d’entre eux. Malgré l’omelette aux cèpes avalée au village, j’accepte et reste un moment à discuter avec eux. Evidemment, ils finissent par me demander où je vais dans cet attirail. Quand je leur annonce ma destination, ils sont enthousiasmés et me traitent avec encore plus de considération et j’ai carrément droit à un baiser de l’héroïne de la fête que j’accepte bien volontiers.

    J2 - Gorge de l'Hérault - Bon anniversaire

     
    Plus loin et plus tard dans l’après-midi, pendant que je marche sur la D4 en direction de Saint-André-de-Sangonis, toute l’équipe passe en voitures. Tous s’arrêtent pour me souhaiter bonne route et bon courage. Cette marque de sympathie me fait énormément plaisir. Je viens de vivre une première manifestation des avantages liés à la condition de pèlerin, l’un de ces petits riens qui contribuent à faire la différence avec une simple randonnée.

    Les derniers kilomètres sont perturbés par un violent orage qui crache une grosse mais heureusement brève averse accompagnée de tonnerre, m’obligeant à m’équiper rapidement pour éviter d’être trempé.

    En milieu d’après-midi, j’arrive à Saint-André-de-Sangonis chez mes amis Michel et Flo qui m’accueillent chaleureusement dans leur grande maison au cœur du village et chez qui je passe une très agréable soirée. Je les remercie encore de cet amical entracte sur le chemin.
    Ce n’est que le deuxième jour de marche mais j’ai déjà l’impression d’être parti depuis longtemps. Est-ce le signe que je suis mentalement déjà entré dans mon pèlerinage ? Que je commence à oublier tout le reste ?
    Je me sens bien moralement. Sur le plan physique, je ressens toujours des élancements dans le pied droit mais cela ne me gêne pas trop pour marcher et surtout, cela ne s’aggrave pas malgré tous les kilomètres sur le goudron qui est en général plus agressif pour les pieds que les chemins de terre.
    Aujourd’hui, j’ai beaucoup apprécié d’être traité en pèlerin, tant à Saint-Guilhem que sur la route avec le groupe de jeunes. Cette sympathie mêlée d’un peu de respect réchauffe le cœur et change de l’indifférence, voire de la méfiance, que l’on rencontre généralement en d’autres occasions.
    Mon moral est en hausse grâce à ces divers événements. Comme quoi, il ne faut pas grand-chose pour aller mieux. Ou parfois, au contraire, pour aller moins bien !

      

    J 3. Lundi 11 mars - SAINT-ANDRÉ-DE-SANGONIS - ROUJAN.  28 km.               Beau temps, quelques averses

    Ce lundi matin, je démarre dès 7h30 en même temps que Michel et Flo partent au travail. C’est une étape de vingt-huit kilomètres sur un itinéraire que j’ai tracé grâce aux cartes détaillées de l’IGN pour rejoindre le village de Roujan où se trouve une chambre d’hôte qui m’hébergera le soir. Il fait beau mais il y a beaucoup de nuages et du vent.
    Le trajet est agréable par des petites routes de campagne et des chemins au milieu des vignes et des vergers de pommiers en fleurs. En ayant suivi pratiquement une ligne droite, j’arrive au village d’Aspiran après avoir franchi l’autoroute A75. J’y achète à manger pour le repas de midi puis je reprends tranquillement ma route sous un chaud soleil. 

    J3 - Pommiers en fleurs entre Brignac et Aspiran

    J3 - Aspiran (34) - Pause au soleil

     
    Je coupe à nouveau par de petits chemins à travers les vignes pour éviter le grand détour que fait la route. Quand je retrouve la D128 un peu plus loin, la faim m’incite à m’arrêter pour manger et je m’assois sur une murette au soleil. À peine ai-je déballé mes affaires qu’il se met à pleuvoir soudainement. Je n’ai que le temps de me précipiter sous un abribus providentiel à vingt mètres de là. Pendant presque une heure, pluie, grêle et coups de tonnerre se déchaînent. Quand j’ai fini mon repas, l’orage est passé et c’est sous le soleil revenu que je reprends ma marche.

    J3 - Beau ciel près d'Aspiran


    J3 - Beau ciel près d'Aspiran

    Je galère dans un vallon en dessous du village de Fontes car le raccourci que je comptais prendre pour éviter une grande boucle de la route est barré. Pendant presqu’un kilomètre, je dois progresser à travers vignes, bois et garrigues puis traverser le lit du ruisseau encombré de broussailles et heureusement à sec mais je retrouve un terrain plus facile au-delà.

     J3 - Neffiès et la croix de Ribaute

     
    Je marche bien mais je me force à ralentir car j’ai toujours mal au pied droit.
    Il y a plusieurs orages qui avancent de l’Ouest, nuages noirs d’où descendent des rideaux de pluie bien visibles. J’en évite un premier mais pas le suivant qui me prend en plein découvert au milieu des vignes à deux kilomètres à peine de l’arrivée. En quelques secondes, c’est un véritable déluge qui s’abat sur moi. J’ai juste le temps d’enfiler le poncho mais ça ne suffit pas tellement l’averse est violente. Je dois courir m’abriter derrière une vieille grange et attendre que ça se calme pour terminer l’étape.

    J3 - Orage entre Neffiès et Roujan

     
    À Roujan, le gîte se trouve dans une grande maison de maître à l’entrée du village. Il est prévu pour accueillir des groupes et est bien aménagé : au rez-de-chaussée, une grande pièce séjour - salle à manger et une cuisine très bien équipée. Au premier étage, plusieurs chambres vastes et confortables. Comme je suis seul, je peux étaler mes affaires mouillées un peu partout pour les faire sécher plus facilement.
    Ici non plus, le dîner n’est pas prévu et je marche jusqu’au centre du village où je fais les courses en vue du lendemain et dîne d’un kebab tout à fait correct.
    Je suis encore tout seul mais je m’y attendais surtout que je ne suis même pas sur l’itinéraire du pèlerinage. Compte tenu de la saison, je ne pense pas trouver d’autres pèlerins avant Toulouse. Ce n’est pas trop grave pendant la marche, mais c’est plus gênant le soir à l’étape.
    Je suis content de ma journée : j’ai pu parcourir l’itinéraire que j’avais tracé sans difficulté et j’ai résisté sans dommage aux grosses averses. Le mal au pied lancinant me perturbe mais ne m’empêche pas de marcher à l’allure que je me suis fixée. Je peux continuer ma route.

      

    J 4. Mardi 12 mars - ROUJAN - BÉZIERS.  23 km.                                                                             Beau temps, vent

    L’étape de ce mardi est courte, seulement vingt-trois kilomètres mais l’un de mes raccourcis m’oblige à franchir la rivière Lène, et j’appréhende un peu la traversée des faubourgs de Béziers. Le ciel est encore bien chargé quand je quitte le gîte mais il ne pleut pas et c’est là l’essentiel.

    D’emblée, je me trompe de route dans Roujan mais je m’en aperçois très vite ce qui ne me fait pas perdre de temps. Je traverse Margon dominé par son château, Abeilhan, puis arrive à Bassan où je trouve de suite l’ancienne voie ferrée devenue route qui va m’amener directement aux portes de Béziers. Un peu avant, j’ai pu traverser la Lène à gué facilement et sans me mouiller les pieds.

    J4 - Chateau de Margon


    Je m’arrête pour manger un kilomètre plus loin, au soleil et à l’abri du vent. Il fait bon et je savoure cette douce chaleur, confortablement allongé dans l’herbe à l’écart de la route ce qui me vaut de m’assoupir quelques instants, petite parenthèse agréable et très reposante.

    J4 - Pause casse-croute après Abeilhan

     
    Le ciel se dégage de plus en plus et c’est sous un beau soleil mais avec un vent fort et froid que j’arrive sans difficulté au centre de Béziers après une assez longue traversée des faubourgs. Pourtant la ville n’est pas très grande même si elle s’est beaucoup étendue depuis la triste époque des guerres cathares où la ville fut mise à sac et sa population massacrée en juillet 1209 par les Croisés de Simon de Montfort. « Tuez les tous, Dieu reconnaîtra les siens ! » aurait dit Arnaud Amaury, à un de ses sbires qui lui demandait comment reconnaître les fidèles des hérétiques.

    J4 - Béziers - Devant la cathédrale St Nazaire

    Je parcours la vieille ville jusqu’à la magnifique cathédrale gothique Saint-Nazaire. De la terrasse devant l’église, on domine un immense panorama sur la plaine couverte de vignes, sur l’Orb et le canal du Midi et sur les Pyrénées enneigées dans le lointain.

    J4 - Béziers - Panorama vers l'W de la terrasse  de la cathédrale St Nazaire


    Mais pour avoir un nouveau tampon sur ma créanciale, je ne trouve personne à la cathédrale et je dois m’adresser à la mairie où une secrétaire appose fort complaisamment le visa demandé.

    L’hôtel où j’ai réservé est situé près de la gare dans un quartier très coloré mais il est correct. La chambre un peu vieillotte est confortable et le repas est bon. Pour une fois, je n’ai pas besoin de sortir pour aller manger quelque part. Je me couche content de ma journée, peu fatigué et sans avoir trop mal aux pieds. Néanmoins, comme chaque soir, je les masse longuement au Voltaren.

      

     

    DE BÉZIERS À TOULOUSE

       

    J 5. Mercredi 13 mars - BÉZIERS - CAPESTANG.  20 km.                                              Temps gris, vent fort, froid

    Bien reposé, je ne pars qu’à 8h pour cette étape courte, la toute première le long du canal du Midi. J’attendais ce moment avec impatience car je suis un passionné du canal.
    De l’hôtel, je rejoins facilement le pont-canal sur l’Orb qui a été construit bien plus tard, évitant ainsi le croisement délicat avec ce petit fleuve côtier capricieux.

    Il fait très froid surtout à cause du vent violent qui souffle de face.  La parka Goretex est efficace et me protège bien le corps mais le visage et les oreilles sont à découvert.
     

    J5 - Départ de Béziers - Sur le pont canal sur l'Orb


    Après avoir traversé le pont, je longe le canal jusqu’à l’escalier d’écluses de Fonséranes. J’admire les huit écluses qui permettent au canal de descendre de vingt-cinq mètres jusqu’au niveau de l’Orb. Riquet était un génie.
     

    J5 - Béziers - Les écluses de Fonsérannes sur le canal du Midi

     
    Si ce n’était ce vent violent, le parcours serait très agréable. Arrivé à Colombiers, je rentre dans le village faire les courses et m’offrir un chocolat chaud car ce vent glacial est fatiguant. La rue que j’emprunte pour aller du canal au centre du village s’appelle la rue des retraités ! Tout un programme !

    J5 - Sur le canal du Midi entre Béziers et Colombiers

    J5 - Colombiers - Une rue qui me va bien

     
    Il y a aussi une énorme grue et une équipe en train d’abattre les magnifiques platanes qui font la beauté du canal du Midi et si judicieusement plantés par Paul Riquet. En effet, ils font de l’ombre et limitent ainsi l’évaporation, leurs racines consolident les berges et leurs feuilles qui ne pourrissent pas dans l’eau tapissent le fond d’une couche imperméable diminuant les infiltrations. Riquet était vraiment un génie et avait pensé à tout. Malheureusement, ces arbres magnifiques sont atteints par le chancre coloré, une sorte de champignon qui les ronge de l’intérieur et contre lequel on ne sait pas lutter. Ils sont abattus pour tenter d’enrayer la propagation de ce parasite.
    Je repars le long du canal jusqu’au fameux tunnel de Malpas, le lieu où Riquet a bravé l’interdiction du Roi en ignorant son messager et en travaillant d’arrache pied jour et nuit pour terminer le tunnel avant la venue d’un ordre plus impérieux.

     J5 - Canal du Midi - Devant l'entrée du tunnel de Malpas

    À cet endroit, je quitte le canal qui fait beaucoup de détours pour emprunter une ancienne voie ferrée plus directe jusqu’à Capestang et qui passe au pied de la colline de l’oppidum romain d’Ensérune. Une route goudronnée la suit ce qui me facilite la tâche. Je fais la pause repas au soleil dans les vignes adossé à une cabane qui me protège de ce vent glacial, face à un joli panorama sur l’ancien étang asséché de Montady et sur Béziers dans le lointain.
     

     J5 - Pause repas près de la D11 entre Malpas et Capestang


    Ce matin, tout en marchant le long du canal, j’ai téléphoné à mon ami Jean Claude de Vinassan pour lui demander de venir me porter un bonnet de laine à l’étape du soir, car je n’en ai pas pris, pensant ne pas en avoir besoin. C'est la seule erreur que j'ai commise dans la préparation de mon équipement.
    Après la traversée de la D11, la petite route et l’ancienne voie ferrée disparaissent, m’obligeant à continuer à travers vignes et vergers jusqu’à ce que je rattrape à nouveau le canal une paire de kilomètres avant Capestang. J’arrive très vite au village et je rejoins la chambre d’hôte où je suis hébergé ce soir. Encore un endroit bien agréable où je suis accueilli très gentiment avec un bon café chaud et des gâteaux, ce que j’apprécie tout particulièrement après avoir passé toute la journée dans ce froid glacial.

    Après les taches obligatoires de chaque jour, je vais visiter l’originale collégiale Saint-Etienne dont seul le chœur a pu être construit au XIII° siècle, la peste noire ayant interrompu le chantier.

    J5 - Capestang - La collégiale St Etienne


    Je me mets aussi à la recherche du curé pour faire tamponner ma créanciale. Un passant m’indique une maison où je trouve effectivement l’inespéré ecclésiastique qui me donne satisfaction avant de très vite retourner à sa réunion avec plusieurs femmes du village. Il ne me reste qu’à effectuer mes courses pour le lendemain avant de retourner au chaud attendre le rendez-vous avec Jean-Claude. Nous discutons un long moment dans l’un des cafés du village. Il me questionne sur mon projet car, comme beaucoup de gens, il est intrigué que je me sois lancé dans une telle aventure.

    Plus tard, au restaurant "Le relais bleu" où je prends mon repas une nouvelle fois en solitaire, j’essaie sans succès de trouver un hébergement à Marseillette pour le 15 mars, deux jours plus tard, ce qui commence à me tracasser.
    À part ce souci, l’étape a été très bonne et cette première journée le long du canal m’a bien plu.
    C’est la première fois que je vais parcourir sur presque toute sa longueur ce remarquable ouvrage. Je connais presque par cœur les péripéties de sa construction, les points remarquables de son parcours et la vie de son créateur Paul Riquet. Pendant les prochains jours, je vais enfin avoir l’occasion de découvrir tous ces sites dont parlent les livres que j’ai lus.

      

    J 6. Jeudi 14 mars - CAPESTANG - OLONZAC.  32 km.                                                 Beau temps, vent fort, froid

    C’est une longue étape qui m’attend aujourd’hui. Je n’ai pas pu trouver d’hébergement avant Olonzac et malgré les raccourcis que j’ai prévus d’emprunter, ce sont trente-deux kilomètres qu’il va falloir parcourir.
    L’hôtesse me donne du pain et une grosse part de gâteau quand je pars à 7h30. J’apprécie beaucoup ce geste très gentil probablement dû une fois de plus à ma condition de pèlerin.

    Le vent est toujours aussi fort et aussi froid mais il y a du soleil qui joue à cache-cache avec les nuages et j’ai maintenant un bonnet pour affronter le vent du Nord.
    Mon premier raccourci qui évite les zigzags du canal à la sortie de Capestang emprunte des chemins à travers les vignes et me permet de retrouver la voie d’eau quelques kilomètres plus loin où les platanes ont déjà été coupés et ce n’est pas beau du tout. Je croise deux jeunes Italiennes bien emmitouflées qui font le canal à pied de Toulouse à Sète. Ce sont les premiers marcheurs que je rencontre depuis mon départ. Ce n’est pas que la solitude me pèse mais ce serait quand même plus sympathique si je rencontrais plus de monde. 

     J6 - Canal du Midi - Au départ de Capestang le 14 mars matin

      
    Il y a aussi le problème de l’hébergement à trouver pour le lendemain soir. Je décide de m’arrêter au village d’Argeliers où je vais bientôt arriver pour demander de l’aide. À la mairie, j’utilise la phrase miracle apprise de Rose-Marie en mai 2012 : « Je suis un pèlerin qui marche vers Saint-Jacques de Compostelle ». En général, cette entrée en matière aplanit toutes les difficultés et ouvre toutes les portes. C’est à nouveau le cas ici. Le chef de la police municipale me trouve sur Internet une chambre d’hôte à Capendu, à seulement trois kilomètres de Marseillette, et me laisse téléphoner pour réserver. L’affaire est réglée avec un bon café en prime. Rose-Marie m’a appris aussi une autre phrase importante qui caractérise parfaitement ce que doit être l’état d’esprit du pèlerin : «Le touriste exige mais le pèlerin remercie». J’y penserai souvent tout le long de mon parcours.

    J6 - Canal du Midi - Pont d'Argeliers
     

    À Argeliers, mon itinéraire quitte le canal du Midi qui fait une grande boucle vers le Sud. Je repars par un chemin dans les collines qui m’amène au-dessus de Bize-Minervois. Là haut, je ne trouve pas le sentier repéré sur les images satellites de Google Earth qui aurait dû me permettre de rejoindre facilement la route une centaine de mètres en contrebas et je suis obligé d’emprunter une trace de sanglier nettement moins pratique, bien plus touffue, mais quelques minutes plus tard, je débouche des taillis sur la route et finis d'arriver au village.
    À Bize-Minervois, je fais la pause repas sur un banc au bord de la Cesse, bien abrité du vent qui ne faiblit pas. Il n’y a pas de bistrot dans ce village et je dois faire l’impasse sur le café.

    Je reprends ma marche, arrive à Mailhac et emprunte un nouveau raccourci cette fois-ci sans aucun problème. Je commence à avoir sérieusement mal au pied et je m’arrête un long moment sous un abri pour chevaux où je m'allonge sur des bottes de paille en grignotant un morceau de pain.

    J6 - Mailhac - L'église

     J6 - Mailhac - Pause à l'abri du vent glacial au cimetière


    Cet arrêt prolongé me fait du bien, le mal au pied se calme un peu. Je me remets en route.
    Je passe Oupia et je marche toujours. Il ne reste plus que trois kilomètres jusqu’à Olonzac.

    Une grosse averse de neige m’oblige à m’équiper mais elle ne dure heureusement pas longtemps. J’arrive enfin à bon port peu après 17h. J’ai marché pendant neuf heures et demie, pauses comprises.
    Je fais tamponner ma créanciale à la mairie et rejoins la chambre d’hôte.
    C’est une belle maison de maître tenue par un jeune couple très sympathique. La chambre est magnifique, bien chauffée, et je savoure une longue douche chaude. Le dîner avec mes hôtes est lui aussi à la hauteur de l’ensemble. J’apprécie de pouvoir discuter avec eux après les dîners en solitaire des jours précédents.
    De retour dans ma chambre, tout en rédigeant mon journal, je fais le point. Une bonne journée en fin de compte malgré la longueur et la difficulté de l’étape. J’ai tenu et mon pied ne me fait pas plus mal que d’habitude.
    Je suis rassuré et c’est de là que j’envoie mon premier courriel à la famille et aux amis annonçant mon départ vers Compostelle. J’avais prévu de le faire à Montpellier mais étant donné mon état d’esprit à ce moment-là, je n’avais pas osé, craignant d’être obligé de renoncer lamentablement au bout de quelques jours.

      

    J 7. Vendredi 15 mars - OLONZAC - MARSEILLETTE - CAPENDU.  23 km.            Beau temps, vent fort et froid

    Après la longue étape de la veille, les vingt-trois kilomètres du jour paraissent une simple formalité, d’autant que le temps reste beau et que le soleil m’accompagne toute la journée.
    Je perds du temps à Homps en étant obligé de faire un long détour jusqu’à la route principale pour acheter la nourriture de midi au seul supermarché ouvert à cette heure. J’aurais dû faire mes courses la veille à Olonzac avant de rejoindre le gîte. Je me promets de ne plus faire cette erreur.

    J7 - Le long du canal du Midi vers La Redorte

     J7 - Canal du Midi - A l'écluse de Fonfile avant Marseillette


    Les berges du canal sont agréables mais le vent est aussi fort et aussi froid que la veille. Je marche avec la parka, le bonnet et les gants. Il est midi quand je m’arrête à l’écluse de l’Aiguille décorée "d’œuvres d’art" de plus ou moins bon goût. Mais j’y suis à l’abri du vent derrière une haie et au soleil. Le chien de l’éclusier vient me saluer, intéressé par le parfum de ma tranche de fromage de tête et s’installe avec moi. Je partage mon repas avec lui. Je suis tellement bien que je fais une petite sieste, allongé au soleil à coté du chien qui sommeille lui aussi paisiblement, satisfait des morceaux que je lui ai donnés.
    J’arrive assez vite à Marseillette. Là je dois quitter les berges du canal pour emprunter une petite départementale sur trois kilomètres jusqu’à Capendu. Lâchement, je tente de faire de l’auto-stop mais Saint-Jacques ne l’entend pas de cette oreille. Aucune voiture ne s’arrête et c’est à pied que j’arriverai à la chambre d’hôte bien agréable où j’ai réservé depuis Argeliers la veille.

    L’hôte ne proposant pas le repas du soir, je dîne encore une fois tout seul d’une tartiflette bien consistante au snack voisin et me couche rassuré pour le lendemain. À la télé du restaurant, j’ai pu regarder la météo qui annonce beau temps et surtout températures en hausse pour le lendemain. Il serait temps.
    J’ai eu raison d’éviter le parcours par les montagnes du Haut Languedoc où le froid doit être bien pire. Heureusement, il y a le soleil qui compense un peu ces températures quasi sibériennes.

      

    J 8. Samedi 16 mars - CAPENDU - CARCASSONNE.  24 km.                                     Beau temps, vent fort et froid

    La nuit a été bonne et j’ai pris le petit-déjeuner en compagnie de mon hôte qui me questionne longuement sur le Chemin. Au moment de partir, il me donne du pain pour la route, peut-être un peu impressionné par ce qui m’attend.

    Le ciel est voilé et le vent, toujours aussi froid, a changé de sens. Il souffle maintenant de l’Est. Je l’aurai donc dans le dos, ce qui est bien moins désagréable. Il y a de la gelée blanche dans les champs le long de la petite route qui me ramène à Marseillette. Là je prends le temps de faire le tour des deux hauts lieux du village, le café où la chanteuse Olivia Ruiz a passé son enfance et la jolie chapelle Saint-André du XII° siècle. Hélas tous les deux sont fermés et je n'ai plus qu'à reprendre ma marche le long du canal.

    J8 - Marseillette - Le bistrot d'Olivia Ruiz

    J8 - Marseillette - L'église St André du XII°


    J8 - Au bord du canal du Midi avant Trèbes

    J8 - Canal du Midi - A l'écluse de Trèbes

    J’arrive très vite à Trèbes. Le port est défiguré par l’absence des platanes qui ont déjà été abattus. J’achète mon repas de midi chez les commerçants de la rue principale, traverse l’Aude et marche jusqu’à la N113 que je longe sur un petit kilomètre, court passage désagréable car il y a beaucoup de circulation.

    J8 - Trèbes au bord de l'Aude

    J’emprunte ensuite la petite route de Berriac qui va m’amener directement à la si fameuse cité de Carcassonne. La route traverse des lotissements de petites maisons. Je guette l’apparition des fameuses tours, un peu comme Charles Trenet au passage à niveau de Barbaira.
     

    J8 - Les tours de la Cité de Carcassonne vues de Berriac

     

    Elles apparaissent enfin à l’horizon, coiffées de leurs toits pointus construits par Viollet-le-Duc lors de sa restauration controversée du monument au XIX° siècle. Ces toits couverts d’ardoises à la mode des châteaux du Nord de la France contrastent avec les toits plats en tuiles romanes que l’on trouve sur tous les autres châteaux de la région. Ils sont l’erreur la plus visible et la plus flagrante de l’architecte. Néanmoins, ces travaux ont permis de sauver la plus grande forteresse moyenâgeuse d’Europe qui était en bien triste état quand Napoléon III approuva sa remise en état en 1853. Aujourd’hui, elle est classée au patrimoine mondial de l’Unesco, tout comme le canal du Midi qui traverse la ville, faisant de Carcassonne l’un des rares sites doublement inscrit à ce patrimoine.
    Le passage du canal à Carcassonne a une histoire. Pour la construction du canal, Paul Riquet imposait une participation financière aux villes qu’il desservait et qui allaient profiter de son passage. A l’inverse de Castelnaudary qui avait immédiatement accepté, les consuls carcassonnais avait refusé de verser les cent-mille livres demandées. Aussi, le tracé initial du canal contournait largement la ville par le Nord en utilisant la vallée du Fresquel qui se jette dans l’Aude quelques kilomètres plus loin. Les autorités de la ville s’aperçurent assez vite de leur erreur en voyant l’économie locale stagner tandis que celle de Castelnaudary toute proche et concurrente se développait. Un accord fut donc trouvé et un nouveau tracé permit de faire passer le canal dans la ville et d'aménager un port fluvial qui participa au renouveau de Carcassonne.

    C’est une étape importante pour moi car cela fait une semaine que je marche sans avoir eu le moindre problème. J’ai franchi un cap. Je suis vraiment content d’être arrivé jusque là et je l’annonce par textos à tout le monde, et en particulier à Bruno, mon ostéopathe qui m’a soigné avant le départ.
    Et puis, bien sûr, Carcassonne est ma ville natale où j’ai passé une partie de ma jeunesse. Je connais tous les recoins de la Cité et de la ville basse.

     J8 - Carcassonne - Devant la porte narbonnaise à la Cité

     
    J’arrive enfin devant la Porte Narbonnaise, traverse le faux pont-levis qui enjambe les lices entre les deux enceintes et remonte la rue principale et ses magasins de souvenirs, déjà encombrée de touristes malgré la saison et le froid. Avant toute chose, je trouve un coin tranquille et abrité pour manger mon repas. Je vais ensuite à la basilique Saint-Nazaire pour faire apposer le tampon sur ma créanciale mais à cette heure, je ne trouve personne.

    J8 - Cité de Carcassonne - Basilique St Nazaire

    Le magasin de souvenirs voisin m’indique aimablement où trouver les religieuses qui s’occupent de l’église. Très gentiment, l’une d’entre elles tamponne mon précieux document. Cette fois-ci il n’y a pas de messe et je peux repartir l’esprit tranquille boire un café face à l’entrée du château comtal.
     

     J8 - Cité de Carcassonne - L'entrée du château comtal


    J’ai beau parfaitement connaitre tous ces lieux, je ne me lasse pas de les admirer. Je prends même le temps de parcourir encore un peu les rues de la Cité que je quitte par la pittoresque Porte d’Aude dominant la ville nouvelle.

    J8 - Cité de Carcassonne - La ville basse vue de la Porte d'Aude

    Je descends jusqu’au Pont Vieux que j’emprunte pour traverser l’Aude.
    J'y découvre avec étonnement le balisage d'un chemin de Compostelle, le chemin du Piémont vers Mirepoix, Saint-Bertrand-de-Cominges, Lourdes et Saint-Jean-Pied-de-Port.

    Carcassonne - Balisage à l'entrée du Pont Vieux

    De là, je rejoins les boulevards et traverse la ville jusque chez ma mère où j’arrive sans me presser en milieu d’après-midi.
    Elle est évidemment ravie de me voir, même si elle se fait beaucoup de souci pour cette entreprise qui lui parait folle. J’essaie de lui expliquer qu’il n’y a rien de difficile ni de dangereux mais rien n’y fait. Une mère reste une mère. D’être chez elle ne me dispense pas de la routine habituelle. Je commence à être bien rodé maintenant.

    Je téléphone au petit hôtel de Villepinte où j’ai prévu de m’arrêter le lendemain pour confirmer ma venue. Mauvaise surprise, le gérant m’annonce que l’hôtel est fermé le dimanche soir mais il m'indique une chambre d’hôte située dans un domaine, trois kilomètres après le village et en dehors de mon itinéraire. Heureusement, ils acceptent de me recevoir.
    Le soir, je vais boire l’apéritif chez les parents de ma belle-sœur qui fêtent tout à la fois les 60 ans de mon frère et les 80 du beau père.

      

    J 9. Dimanche 17 mars - CARCASSONNE - VILLEPINTE.  27 km.                                                   Temps gris, pluie

    Le temps est couvert quand je quitte la maison de ma mère à 8h mais il ne pleut pas. Pas encore…
    J’achète mon pain chez le boulanger du quartier puis rejoins le canal par l’itinéraire que je connais très bien.

    En effet, c’est celui que j’emprunte habituellement pour mon footing matinal quand je séjourne à Carcassonne mais cette fois-ci, pour la première fois, je dépasse l’écluse de Ladouce. Dans le village de Caux, je quitte les berges du canal qui fait de longs détours pour rejoindre la D33 et la suivre jusqu’à Villesèquelande.

     J9 - Canal du Midi - Près de Caux

    J9 - Canal du Midi - Le pont de Sauzens


    Arrivé là, je décide de continuer sur la route jusqu’à ce qu’elle croise le canal, cinq kilomètres plus loin, ce qui raccourcit quelque peu mon chemin. C’est dimanche matin et il n’y a pas trop de circulation, néanmoins par prudence, je marche dans les champs qui la bordent partout où c’est possible. Dans ce secteur, les vignes du Languedoc, laissent lentement la place à des champs de maïs, de tournesol et de céréales. Je suis content de retrouver la tranquillité du chemin de halage après une heure de marche le long de cette route.
    C’est peu après ma pause repas qu’il commence à pleuvoir et ça ne s’arrêtera plus jusqu’au soir.

    Parvenu à Villepinte, ma destination finale, je prends l’itinéraire qui m’a été indiqué pour rejoindre le domaine Saint-Joly où je suis attendu. Sous la pluie, le chemin parait bien plus long que les trois kilomètres annoncés, au point que je pense m’être trompé. Mais non, c’est bien là. C’est une magnifique bâtisse, remarquablement restaurée dans un parc planté de pins parasols centenaires, comme une île au milieu d’une mer de vignes. Je suis accueilli par une charmante dame qui s’avère être belge. Je n’ose pas entrer dans son beau salon dans l’état où je suis et je laisse mes vêtements de pluie et mes chaussures dehors sous l’auvent. L’intérieur est à la hauteur de l’extérieur, ma chambre est très confortable et superbement décorée, la salle de bain est une merveille qui semble sortie tout droit du magazine "Maisons" et le repas avec mes hôtes un délice malgré son apparente simplicité.
    Ces Belges sont incroyables. Ils ont tout abandonné dans leur pays pour venir acheter et aménager ce domaine et ouvrir cette chambre d’hôte de luxe dans une région qui n’est pas précisément touristique. C’est fait avec beaucoup de goût et énormément de travail. Et ça marche car, me disent-ils avec une certaine fierté, c’est complet de début mai à fin octobre. Mais ce soir je suis le seul client et je passe une très bonne soirée en leur compagnie. Après le repas, profitant de l’accès à Internet, je prends le temps d’envoyer le deuxième épisode de mes aventures. Avant de m’endormir dans mon lit "king size", je me pose juste la question « combien va me coûter cet hébergement magnifique ?»

    J9 - Villepinte - Ma chambre au Domaine de St Joly

     

      

    J 10. Lundi 18 mars - VILLEPINTE - AVIGNONNET-LAURAGAIS.  29 km.            Beau temps puis grisaille et vent

    Il me coûte quatre-vingt-onze euros tout compris, de loin le record de mon périple. Et pourtant, mes hôtes ont eu la gentillesse de me faire un rabais de cinquante pour cent sans que je ne demande rien, sans doute encore un effet positif de ma condition de pèlerin.
    Au réveil, la pluie de la veille a fait place à un beau ciel bleu. Au loin, les sommets des Pyrénées enneigées scintillent au soleil. C’est ce beau panorama que je découvre en marchant sur le chemin qui descend directement au canal, me faisant économiser deux kilomètres, ce qui est d’autant plus intéressant que l’étape d’aujourd’hui en totalise vingt-neuf.

    J10 - Villepinte - Panorama sur les Pyrénées en quittant le domaine de St Joly

      

    À Castelnaudary, après avoir franchi l’escalier d’écluses de Saint Roch, je vais faire mes courses au centre ville très animé car c’est jour de marché. J’achète pour midi mais aussi pour le soir car le prochain gîte, isolé dans la campagne, m’a prévenu qu’il ne propose pas le dîner. Il faut donc que je le prévois.

     J10 - Canal du Midi - Ecluse quadruple St Roch à Castelnaudary

    Quand je repars le long du canal en direction du seuil de Naurouze, le vent s’est remis à souffler accompagné de gouttes de pluie. Je trouve un coin de talus bien abrité du vent pour manger et me reposer. De nouveau, je fais une petite sieste de trente minutes bien au chaud dans ma parka que je ne quitte pas quand je reprends le chemin.
    Le seuil de Naurouze. Encore un site remarquable du canal que j’attendais de voir. L’écluse de l’océan, celle de la Méditerranée remplacée aujourd’hui par une vanne automatique, le grand bassin octogonal en partie comblé, le bief de partage, et l’arrivée de la Rigole qui amène l’eau recueillie dans les torrents de la Montagne Noire jusqu’au point le plus haut du canal du Midi, tous ces témoins parfaitement préservés du génie de Paul Riquet n’attendent que ma visite. Je fais consciencieusement le tour de tous les sites avant de continuer ma route vers l’Ouest face à ce vent particulièrement pénible. Je suis fatigué, j’ai mal à la jambe et au pied. En plus du vent, il y a le vacarme de l’autoroute qui longe le canal à une centaine de mètres.
     

     J10 - Canal du Midi - Seuil de Naurouze - L'écluse de l'Océan

    J10 - Canal du Midi - Seuil de Naurouze - Arrivée de la Rigole

    Heureusement, je ne suis plus très loin. Je passe sous la voie ferrée et l’autoroute A61 et je parcours les derniers kilomètres jusqu’à l’écluse d’Emborel où mon hôtesse doit venir me récupérer.
    Aujourd’hui, j’en ai un peu marre. Il est plus de 16h30 quand j’arrive au point de rendez-vous. La dame qui m’héberge ce soir arrive pour m’emmener chez elle. Chez elle, c’est une ferme à plusieurs kilomètres au Sud du canal, dans les collines. La route me parait bien longue et je lui demande si elle aura la gentillesse de me ramener à mon point de départ le lendemain matin. À mon grand soulagement, elle accepte.

    La chambre est confortable. Bien sûr, ce n’est pas le luxe de la veille mais je préfère ainsi et c’est bien moins cher. Après les formalités de chaque soir, je fais chauffer le repas acheté le matin à Castelnaudary.
    La journée a été longue et pénible. Est-ce dû au vent ? Au froid ? Au mal au pied ? Aux trois combinés ?
    Je surveille toujours mon corps. Une nouvelle douleur en haut de la cuisse est apparue aujourd’hui. Elle a disparu après une pause et n’est pas revenue. Je n’ai pas la grande forme car je suis de nouveau inquiet de ma condition physique. Nous verrons bien demain après une bonne nuit de sommeil.

      

    J 11. Mardi 19 mars - AVIGNONNET-LAURAGAIS - DONNEVILLE.  27 km.                                              Beau temps

    Au réveil, je suis satisfait de voir qu’il fait beau et que le vent est tombé. Je suis bien reposé et je me sens bien. Le retour du soleil contribue lui aussi à l’amélioration de mon moral.
    L’hôtesse me redescend comme promis à l’écluse d’Emborel et je reprends ma marche le long du canal.

    Très vite, j’enlève mon gilet et marche en T-shirt, ce qui ne m’était pas arrivé depuis huit jours.

    J11 - Canal du Midi - Ecluse d'Encassans

    Dommage que l’autoroute longe encore le canal. Malheureusement, cela va être ainsi quasiment jusqu’à Toulouse. Ce grondement continu est pénible.
    Pendant longtemps, tout en marchant, je surveille d’un œil la circulation intense sur l’autoroute. Je guette le passage d’un camion du transporteur Labatut que j’aimerais prendre en photo. Mais c’est au moment où j’ai relâché mon attention qu’il en passe un. Je suis surpris et n’ai pas le temps de faire la photo qui m’intéressait tant. Et je n’en verrai pas d’autre ! En fait, cela n’a aucune importance. Il s’agissait probablement d’un moyen d’occuper mon attention pendant ces interminables kilomètres peu agréables.

    En passant à hauteur de Gardouch, je m’éloigne du canal pour aller boire un café au bar du village et faire les courses.

     

    J11 - Canal du Midi - Péniches près de Gardouch

    J11 - Canal du Midi - Ecluse de Gardouch

     
    Puis, pour éviter de revenir en arrière, j’emprunte la D16 pendant quelques kilomètres pour retrouver le canal un peu plus loin à l’écluse suivante, celle de Laval.

    J11 - La D16 à la sortie de Gardouch
     

    Après avoir croisé l’autoroute A66, je m’arrête pour manger à la jolie écluse de Négra agrémentée d’une chapelle et, plus intéressant pour moi, d’une table de pique-nique au soleil. Il fait bon et je reste là un assez long moment car j’y suis bien. Yvonne qui suit ma progression sur Internet répond à mon texto signalant ma position par un surprenant «Je te vois devant la chapelle !». Elle a remarqué la chapelle sur les images satellites ! 

     

     J11 - Canal du Midi - Pause repas à l'écluse de Negra
     

    Je continue tranquillement ma marche le long du canal presque rectiligne sur ce versant atlantique jusqu’à Donneville, l’étape d’aujourd’hui.

    J11 - Canal du Midi - Pont d'Aigues Vives

    Le village est à flanc de colline, le gîte est tout à coté de l’église Saint-Pierre et Saint-Paul avec son clocher-mur en briques typique de la région.

    J11 - Donneville - L'église St Pierre et St Paul 12°

    Depuis le pont sur le canal, il suffit de suivre le fléchage qui m’emmène directement à la bonne maison. L’hôtesse est agréable et m’accueille chaudement. Je loge dans une roulotte rigolote installée au fond de son jardin et décorée pour des enfants. C’est sympathique et confortable. En attendant l'heure du dîner, je monte voir cette jolie église du XII° siècle et continue jusqu’au sommet de la colline admirer le panorama sur la large vallée de l’Hers qui descend vers Toulouse.
    Le repas est agrémenté d’une discussion fort agréable avec mes hôtes d’un soir. C’est quand même mieux de ne pas être seul. Vivement les vrais gîtes du Chemin et les discussions avec les autres pèlerins.

    Je me couche tôt après avoir soigneusement massé mes pieds car j’ai toujours mal. Décidément, cette contracture ne veut pas passer.

     J11 - Donneville - Mon hôte et ma chambre


     

    J 12. Mercredi 20 mars - DONNEVILLE - TOULOUSE.  22 km.                          Temps variable, averses. Vent fort

    Aujourd’hui va s’achever la première partie de mon trajet. J’arrive au bout du canal du Midi.
    L’étape est courte, vingt-deux kilomètres seulement, et je ne suis donc pas pressé.

    Le temps est couvert et le vent souffle de nouveau assez fort. La pluie a eu la bonne idée de tomber pendant la nuit et de s'arrêter au matin. Après les courses au village, je reprends le bord du canal. Ici les ponts sont en briques, ce qui leur donne un cachet original. Quelques averses sans gravité me tiennent en alerte toute la journée et m’obligent à m’équiper et me déséquiper à plusieurs reprises.
     

    J12 - Canal du Midi - Pont de Painpertuzat

    Au fil des kilomètres, on voit que la grande ville approche : les joggers, cyclistes et rameurs sont de plus en plus nombreux, des kyrielles de péniches habitées sont amarrées aux rives et les premiers tags sont apparus sur les ponts et les palissades.

    J12 - Canal du Midi - Castanet - Péniches amarrées


    J12 - Canal du Midi - Rameurs près de Ramonville St Agne

    J12 - Canal du Midi - Ramonville St Agne

    Je m’arrête pour manger sur un banc près du complexe aérospatial aux portes de la ville. Après le passage au-dessus de l’A620, je quitte le canal pour couper à travers la ville. Je passe au Grand-Rond, à la cathédrale Saint-Etienne où j’essaie vainement d’obtenir mon tampon, je traverse la place Esquirol, emprunte la rue de Metz et arrive au gîte dans la vieille ville, rue Lakanal. Ce gîte est au troisième étage d’une grande et vieille maison près du couvent des Augustins. Il est tenu par un hospitalier solitaire et je suis le seul pèlerin. Le gîte est un peu rustique avec les WC et la douche à l’extérieur, mais il est propre. Les mesures contre les punaises sont drastiques.
    Bien que Toulouse soit une grande ville, l’entrée dans l’agglomération a été rapide et, somme toute, agréable grâce au canal qui m’a permis d’arriver très près du centre en évitant faubourgs et zones industrielles. Comme il est tôt, j'ai le temps de ressortir pour aller jusqu'à la basilique Saint-Sernin faire apposer le tampon sur la créanciale.

    Je dîne en tête à tête avec mon hôte et me couche assez tôt. Je soigne mon pied toujours douloureux. Demain est une journée de repos et la météo annonce du beau temps.
    J’espère que cela fera du bien à mon pied. À l’exception de cette douleur, tout va bien. Je suis en bonne forme.

     

    J 13. Jeudi 21 mars - Journée de repos à TOULOUSE.                                                                             Beau temps

    Dans mon planning, j’ai prudemment prévu de marquer un arrêt d’une journée tous les quinze jours. Toulouse est le premier de ces arrêts, les suivants étant prévus à Pamplona puis à León.
    Je profite bien de ce beau soleil pour visiter la ville rose qui mérite bien son appellation : les berges de la Garonne et ses ponts, l'hôpital Saint-Jacques, la basilique Saint-Sernin considérée comme la plus belle et la plus grande église romane d’Europe, les ponts jumeaux où le canal du Midi rejoint la Garonne, le canal de Brienne, la place du Capitole, la magnifique salle des Illustres dans la mairie, la halle aux grains, le musée des Augustins et même la rue Jacques Labatut, célèbre peintre et sculpteur local.

    J12 - Toulouse - Le Capitole

    J12 - Toulouse - Le Capitole - Salle des Illustres

    J12 - Toulouse - Basilique St Sernin

     J13 - Toulouse - Les ponts jumeaux

    J13 - Toulouse - Le début du canal du Midi

     

    J13 - Toulouse - Rue des frères Lion et la halle au grain


    J13 - Toulouse - Rue Labatut


    À midi, je mange à la terrasse ensoleillée d'un petit restaurant italien. En regardant autour de moi, j’ai la sensation de connaître cet endroit. Ce n’est qu’en voyant le nom de la rue, Porte Sardane, que je découvre que je suis à vingt mètres à peine du premier appartement de ma fille Lisa à Toulouse où j’étais bien sûr venu plusieurs fois. Quelle coïncidence !

    Finalement, je rentre au gîte après avoir fait mes courses pour le lendemain mais je ressors aussitôt pour aller à nouveau aux ponts jumeaux refaire des photos qui seront plus jolies avec le soleil couchant. Je reviens tranquillement par les quais de la Garonne où beaucoup de gens profitent des derniers rayons du soleil.
    Pour une journée de repos, j’aurais finalement beaucoup marché !
     

    J13 - Toulouse - Les quais de la Garonne

    J13 - Toulouse - Le Pont Neuf sur la Garonne


    Au gîte, un autre pèlerin est là : Jacques qui vient d’Arles en ayant suivi le GR 653. Il arrive en bus de Baziège car la clé du gîte communal où il pensait dormir était introuvable. Je suis content de rencontrer enfin un autre pèlerin mais le courant ne passe pas très bien avec celui-ci. Il est assez hautain, un peu prétentieux et me saoule avec les immenses qualités de son GPS qui ne l’a pourtant pas empêché de se perdre et de tourner en rond dans une forêt quelques jours plus tôt. Mais je me garde bien de le contrer. Inutile de déclencher une discussion qui ne servirait de toute façon à rien. Sur l’ordinateur du responsable du gîte, j’envoie le troisième épisode de mon récit avant de me coucher.
    Par ce moyen, je peux ainsi tenir informé toute la famille et mes amis de mon avancée. Je leur avais annoncé que je procéderais ainsi chaque fois que je pourrais trouver un accès à Internet car mon téléphone portable tout simple ne me permet pas cette facilité.

    En plus de ces courriels plus ou moins réguliers, tout en marchant, j’envoie des textos à Hélène et à notre amie Yvonne pour qu’elles suivent plus en détail ma progression. Très souvent, Yvonne me répond en m’indiquant les curiosités que je vais trouver au cours de l’étape, informations qu’elle est allé chercher sur Internet et qui me permettent de ne pas rater quelques jolies petites églises et autres lieux intéressants. Une façon de me tenir compagnie aussi. C’est aussi évidemment l’occasion de prendre des nouvelles d'Hélène et de toute la famille, ce qui me permet de marcher l’esprit plus libre. J’ai une épouse au top, habituée à gérer seule la maison car elle a dû plusieurs fois se débrouiller pendant mes absences professionnelles parfois assez longues. Maintenant les choses sont plus simples car il n’y a plus à s’occuper des enfants.
    Cela fait treize jours que je marche. À part cette douleur au pied qui ne passe toujours pas malgré mes massages au Voltaren matin et soir, je suis en grande forme. Mon moral est revenu au beau fixe. Je ne suis plus aussi anxieux de mon état physique que je ne l’étais au début et je peux mieux apprécier les jours et les kilomètres qui passent.
    Je repense au ruban de plusieurs mètres constitué de photocopies de cartes collées les unes aux autres et affiché dans notre chambre à Montpellier sur lequel est tracé l'intégralité du parcours et que nous avons baptisée le serpent. Toulouse était le premier objectif à atteindre et me paraissait bien lointain…
    Et bien voilà j’y suis et demain je repars pour entamer le deuxième tronçon jusqu’à la frontière espagnole.

    Compostelle - "Le serpent"

     

      

     

    DE TOULOUSE À SAINT-JEAN-PIED-DE-PORT
    ET RONCESVALLES

      

    J 14. Vendredi 22 mars - TOULOUSE - LÉGUEVIN.  23 km.                                                                       Beau temps

    Malgré son faible kilométrage, j'ai un à-priori pour cette étape car je pense que je vais probablement marcher toute la journée en ville. En effet Léguevin où j’ai prévu de m’arrêter est dans la grande banlieue ouest de Toulouse. Le GR 653 contourne l’aéroport de Blagnac par le Nord avant de redescendre à Léguevin, ce qui fait un long détour de plusieurs kilomètres. J’avais donc tracé un itinéraire plus direct passant au sud de l’aéroport par les communes de Colomiers et Pibrac. Dès le pont sur la Garonne franchi, je découvre que cet itinéraire est en fait balisé avec des coquilles Saint-Jacques.

    J14 - Toulouse - Panneau du chemin à l'entrée du Pont Neuf


    Toulouse - Marquage du chemin à l'hopital St Jacques


    Je ne suis donc pas le seul à avoir pensé à ce raccourci qui s’avère bien plus agréable que je ne le pensais.
    En effet, à part les deux premiers kilomètres pour quitter le centre ville et un bon kilomètre le long d'une grande avenue saturée d'autos du coté de l’hôpital de Purpan, le reste du parcours emprunte des rues tranquilles, des zones résidentielles et des petites routes de campagne quasi désertes. À midi je suis arrivé au joli village de Pibrac et je fais la pause repas sur l'esplanade ensoleillée plantée de magnifiques cèdres qui s'allonge devant la basilique Sainte Germaine. La matinée est passée sans que je m’en aperçoive.

    J14 - 22 mars - Le chemin à la sortie de Toulouse

    J14 - Colomiers - Moulin à vent près de l'A620

    J14 - Colomiers - La mairie


     J14 - Pibrac - Basilique Ste Germaine

     
    Avant de repartir, je prends le temps d’aller voir les reliques de la sainte à l’intérieur de l’église. Quelle triste vie a eu cette fille née malade et handicapée en 1579. Sa mère meurt alors qu’elle est encore très jeune et, après le remariage de son père, elle doit subir les humiliations et mauvais traitements de sa marâtre qui l’oblige à dormir dans un appentis, isolée de la vie familiale. Son seul répit, garder les troupeaux dans les champs où elle pouvait librement prier et réciter son chapelet. Elle donnait le peu de pain qu’elle avait aux pauvres et allait à la messe tous les jours. Un matin de 1601, son père la trouva morte dans le réduit où on l’obligeait à dormir. Elle avait 22 ans. Elle fut enterrée dans l’église de Pibrac où, quarante ans plus tard, on découvrit que son corps était resté intact. Divers miracles de son vivant et après sa mort furent rapportés mais elle ne fut canonisée qu’en 1867.

     J14 - Pibrac - Basilique Ste Germaine - Devant les reliques de la sainte

    J14 - Petite pause entre Pibrac et Léguevin


    Après cette pause culturo-religieuse un peu triste, je reprends ma marche. Il ne me reste plus que huit kilomètres en longeant la D24 pour atteindre Léguevin où j’arrive vers 15h. Le gîte est fermé et le numéro de téléphone que j’ai ne répond pas. À la mairie, ils ne savent rien mais tamponnent ma créanciale. Enfin vers 17h, alors que je commençais à chercher une solution de rechange, Marie-José la responsable m’appelle enfin et m’indique comment récupérer la clé du gîte. Elle était chez le médecin et avait simplement oublié de rallumer son portable. Ouf ! Le gîte communal est idéalement situé dans une vieille maison au centre du village. Il comprend une grande cuisine très bien équipée et un immense salon au rez-de-chaussée tandis que plusieurs grandes chambres et les sanitaires occupent l’étage. Je n’ai que l’embarras du choix pour choisir ma place car, comme les jours précédents, je suis seul et je mange encore seul au petit restaurant voisin où je suis le seul client.
    En fin de compte, malgré mes craintes, l’étape a été agréable et ensoleillée. Toulouse était la plus grande ville de mon parcours et sa traversée n’a pas été pénible. C’est encourageant pour la suite.

      

    J 15. Samedi 23 mars - LÉGUEVIN - LE-GRANGÉ.  27 km.                                           Temps gris puis beau temps

    La cuisine est équipée d'une cafetière électrique et je peux donc me faire un vrai café. Il y a du beurre et de la confiture dans le frigo et je suis allé acheter une baguette toute chaude à la boulangerie voisine. Je savoure un excellent petit-déjeuner très réconfortant avant une longue journée de marche, petite compensation à ma solitude, puis je quitte le village pour emprunter le parcours historique qui utilise de petites routes agréables sans circulation serpentant dans un paysage vallonné.

    J15 - Sur la route entre Léguevin et Pujaudran

    J15 - Marquage sur la route entre Léguevin et Pujoudran

     

     J15 - Sur la route vers L'Isle Jourdain

    J’arrive à L’Isle-Jourdain à midi dans l’animation d’un jour de marché. J’y fais mes courses pour deux jours et reprends mon chemin. À la sortie de la ville, j’emprunte le raccourci repéré la veille sur la grande carte au 1/25 000° affichée dans le gîte et qui me fait économiser un bon kilomètre.
    Encore un raccourci ! En effet, je suis toujours à l’affut des possibilités de couper au plus court et je ne marche jamais en suivant les marques aveuglément. J’ai la chance de savoir lire une carte et d’être capable de m’orienter sans avoir besoin d’aucun repère et j’en profite.

    Ceci me donne l’occasion d’un petit aparté sur le tracé des chemins de Compostelle en France. Ces chemins utilisent les sentiers de randonnée balisés par la Fédération Française (FFR). Ils cherchent plutôt à emmener les marcheurs sur des sites intéressants en utilisant des itinéraires agréables et pittoresques et en évitant autant que faire se peut les routes goudronnées. De ce fait, assez souvent, ils font des détours justement pour éviter ces routes ou bien pour faire passer les randonneurs par un village où ils pourront se ravitailler.
    Il y a donc de multiples occasions de trouver des itinéraires plus courts à condition d’avoir une cartographie appropriée et de savoir s’en servir.
    Juste avant de franchir une voie ferrée, je m’arrête pour manger près d’un ancien passage à niveau. C’est à ce moment que mon ami Alain m’appelle après avoir appris par hasard mon départ. Je lui donne des nouvelles et note son adresse courriel pour le rendre destinataire de mes prochains messages.
    Après la grisaille matinale, le soleil a percé les nuages et il va m'accompagner jusqu'au soir. L’itinéraire emprunte maintenant des chemins de terre un peu boueux mais bien plus agréables que la route. J’arrive finalement à un joli panneau jaune vif annonçant le gîte du Grangé. Il y a un croquis expliquant comment y arriver car il se situe à un bon kilomètre à l’écart du chemin. L’itinéraire à travers champs m’amène à une ancienne ferme complètement isolée dans la campagne. Il est environ 17h quand j’y arrive. Les hôtes allemands sont sympathiques et le gîte est joliment aménagé et très confortable.

    J15 - Le petit banc avant Grangé

    J15 - Le panneau du gite de Grangé

    En fin de soirée, alors que je pensais me retrouver tout seul une nouvelle fois, arrivent cinq jeunes femmes qui font un circuit de randonnée à cheval, ce qui contribue à rendre la soirée bien plus agréable que celle de la veille. Elles sont passionnées par les chevaux et me décrivent leur plaisir à chevaucher dans la campagne tandis que, bien évidemment je leur parle de mon cheminement vers cette lointaine Galice. Mais je ne suis pas pour autant attiré par l’équitation. Le temps qu’elles ont passé à s’occuper de leur monture avant de venir s’installer au gîte m’a paru interminable et je me remémore ma seule et unique désastreuse expérience en la matière en Camargue au milieu d’une manade de taureaux.
    Depuis L’Isle-Jourdain, je marche dans le Gers, département réputé pour sa bonne chère et le repas de ce soir, sans être sophistiqué, lui fait tout à fait honneur. 

     

    J 16. Dimanche 24 mars - LE-GRANGÉ - AUCH.  32 km.                                                                            Beau temps

    Malgré les soins apportés au découpage du parcours, je n’ai pas pu éviter cette longue étape de trente-deux kilomètres pour rejoindre Auch car je n’ai trouvé aucun hébergement intermédiaire. Pour compenser un peu la longueur de l’étape, je démarre dès 7h30. Comme hier la grisaille du matin se lève rapidement et laisse la place au soleil. C’est une belle journée et le parcours est agréable par de petites routes de campagne et des chemins qui traversent de jolis villages et serpentent dans un terrain assez vallonné.

    J16 - Paysage du Gers près de Gimont

     J16 - Sur la route de Gimont

    À midi je m’arrête pour manger à L’Isle-Arne près du monument aux morts. Encore une fois, je me laisse aller à une petite sieste réparatrice sur la pelouse. Même si elle ne dure pas très longtemps, j’ai la sensation d’être bien reposé quand j’ouvre à nouveau les yeux.
    J’ai parcouru dix-sept kilomètres et il en reste quinze. Il fait chaud, la route ou le chemin monte et descend sans arrêt car l’itinéraire est perpendiculaire au sens d’écoulement des rivières et ruisseaux qui descendent des Pyrénées. Peu après Lussan, je quitte le GR pour suivre une petite route qui file directement vers Auch. C’est moins agréable de marcher sur le goudron mais le tracé que suit le sentier balisé fait trop de détours.

     J16 - L'Isle Arne - La chapelle

    Les derniers kilomètres sont interminables mais j’arrive finalement en vue de la ville dominée par le double clocher de la cathédrale.

    J16 - Arrivée à Auch

    L’hôtel de Paris est à l’entrée, ce qui m’arrange bien. C’est un hôtel un peu vieillot et au confort succinct, l’accueil est un peu froid mais je m’en accommode tout à fait. Une fois installé, je vais dîner au restaurant chinois juste en face qui propose un menu à sept euros. Que peut demander de plus un pèlerin affamé ?
    Mais une fois de plus, c’est encore une soirée en solitaire. J’ai tout le temps de rédiger mon journal, annoter les photos prises, réfléchir à l’étape du lendemain et faire le point sur l’étape écoulée. C’était une bonne journée qui s’est bien passée malgré la distance. Le paysage agréable et le beau temps y sont sans doute pour beaucoup. Je suis plus fatigué que les jours précédents mais mon pied ne me fait pas plus mal que d’habitude. Je commence à reprendre confiance et je m’endors l’esprit tranquille. 

     

    J 17. Lundi 25 mars - AUCH - L’ISLE-DE-NOÉ.  21 km.                                                                   Temps gris et pluie

    Au réveil, après la longue étape de la veille, mes jambes sont un peu raides mais heureusement cela passe assez rapidement. Le temps a changé, le ciel est gris sombre et sent la pluie. Je monte dans la vieille ville jusqu’à la basilique Sainte Marie qui domine la ville de toute sa masse mais ne peux pas la visiter pour cause de travaux.

    J17 - Auch - La place de la République et la cathédrale


    Pour faire mes courses, je ne trouve rien d’ouvert dans le centre et suis obligé de faire un long détour jusqu’à un supermarché Lidl à la périphérie de la ville. Puis je file vers ma destination du jour, Isle-de-Noé, à seulement vingt-et-un kilomètres. J’ai décidé de ne pas suivre le GR 653 qui fait encore beaucoup de détours et de rester sur la route tout le long.

    Vers 10h, il commence à pleuvoir. Marcher au bord de la route sous la pluie avec les voitures qui passent tout près en soulevant gerbes d’eau et embruns n'est pas très agréable mais au moins il n’y a pas de boue.
    En milieu de journée, j’arrive au village de Barran et sa jolie église au clocher torsadé en même temps qu’un rayon de soleil que j’apprécie tout particulièrement. J’en profite pour m’arrêter sur la place et manger le sandwich acheté le matin. J'ai vérifié. Il n’y a que soixante-cinq clochers torsadés dans toute la France. Certains ont été construits par des maîtres-charpentiers et sont de véritables prouesses architecturales. D’autres, parait-il, se seraient torsadés sous le poids de la toiture à cause d’une charpente mal faite. Celui-ci me parait trop régulier pour faire partie de la deuxième catégorie.

     

     J17 - Barrau - L'église et son clocher torsadé

    J17 - Barrau - Pause sur la place

    Près de l’entrée de l’église se dresse le monument aux morts. Je parcours la liste des morts des deux guerres mondiales et trouve un Labatut, ce qui n’est pas étonnant, ce nom étant originaire du sud-ouest.
    Avec une étape aussi courte, il est à peine 15h quand j’arrive au gîte à la sortie de l’Isle-de-Noé. Il est aménagé dans un ancien restaurant tenu par Edna, une anglaise qui m’offre café et gâteaux et me loge dans une chambre pour moi seul à l’étage. C’est assez grand mais pas très bien tenu et la grisaille n’arrange pas les choses. Le gîte aurait bien besoin d’un grand nettoyage et de quelques réparations mais Edna attend peut-être les beaux jours à moins qu’elle ne soit tout simplement dépassée. Quelle vie peut bien mener cette femme dans la cinquantaine, seule dans ce petit village perdu avec cette immense maison sur les bras.

    En tout cas, elle me laisse expédier le quatrième épisode de mon récit par courriel. C’est un peu laborieux, son ordinateur est très lent et se plante assez souvent sans parler du clavier anglo-saxon où tout est inversé.
    Le téléphone portable ne passe pas dans le village et il faut avancer jusqu’au pont sur la Baïse pour avoir la liaison. J'en profite pour aller voir le château du XVIII° siècle qui qui se dresse tout près de là. Il abrite aujourd’hui un centre permanent pour l’environnement et derrière cette imposante bâtisse s’étend un immense parc aux arbres majestueux.

    Un peu plus tard arrive Jacques, le pèlerin rencontré à Toulouse. Je pensais ne plus le revoir celui-là.
    La soirée à trois est quand même agréable. Nous discutons avec Edna en mélangeant français et anglais et le repas pris sur la table basse, tout britannique qu’il soit, est excellent.
    Encore une étape parcourue sans difficulté malgré la pluie qui ne m’a pas trop gêné. Je crois que je m’habitue à la supporter d’autant que l’efficacité de mon matériel me permet de marcher sans être mouillé. Le fait de savoir que le soir, je dormirai à l’abri est tout de même bien rassurant. 

     

    J 18. Mardi 26 mars - L’ISLE-DE-NOÉ - MARCIAC.  29 km.                                                                         Temps gris

    Le petit-déjeuner est à la hauteur de la réputation des anglais dans ce domaine : œufs au plat, bacon, tomate. Il faut bien cela pour affronter une nouvelle longue étape dans la grisaille qui ne veut décidément pas se lever.
    Je pars seul à 8h, Jacques n’étant pas encore prêt, et cela me convient très bien. Il a beaucoup plu pendant la nuit. Comme hier, j’ai décidé de rester sur la route, plus directe que le GR, et qui m’évitera de patauger dans la boue des chemins.

    J18 - Ciel chargé au départ de L'Isle de Noé


    Je traverse le petit village de Montesquiou. À l’entrée, une halte pèlerin est aménagée et il y a un panneau qui indique cinq-cent-quarante kilomètres depuis Arles et neuf-cent-trente-cinq jusqu’à Compostelle. Je ne sais pas si c’est bon pour le moral du pèlerin de découvrir ces chiffres. Il n’en reste que neuf-cent-trente-cinq ou encore neuf-cent-trente-cinq ? Cruel dilemme. Bien que disposant de l’information sur mon tableau de marche, je ne regarde pas, me contentant du kilométrage à parcourir à chaque étape.

    J18 - Montesquieu - Halte pélerin


    À l’autre bout du village, dominant la plaine, le chemin passe sous une belle porte fortifiée du XII° siècle.
    Il se met à pleuvoir mais ça ne dure pas et il y aura même quelques rayons de soleil. Je passe Pouylebon où j’emprunte un nouveau raccourci à travers champs avant de m’arrêter pour manger près de l’église de Saint-Christaud. Il ne reste que neuf kilomètres pour arriver à l'étape, aussi je ralentis encore un peu plus l'allure pour ménager mon pied. Au passage, j’admire un joli et original château d’eau entièrement peint d’un paysage sur lequel figurent deux pèlerins "modernes" avec sac à dos, coquille et bourdon.

     J18 - Route de Marciac - Le chateau d'eau


    Dans la descente vers Marciac, je profite d’un rayon de soleil pour faire une halte dans un champ. Pendant que je me repose, je vois arriver Jacques qui a lui aussi suivi la route et nous finissons l’étape ensemble.
    J’ai réservé à l’hôtel des Comtes de Pardiac. Il a une belle allure, propose des chambres confortables et se trouve sur la place centrale où tout est regroupé, la mairie, les commerces et l’office de tourisme où je fais tamponner ma créanciale. Jacques prend une chambre au même hôtel et nous allons dîner ensemble dans une pizzeria elle aussi située sur la place.
    J’ai bien marché aujourd’hui, sans difficulté et sans fatigue, comme si j’avais franchi un cap. La douleur au pied semble s’atténuer. Déjà dix-huit jours de marche. J’ai à la fois l’impression que c’est très long et que c’est passé très vite. En réfléchissant à l’étape écoulée, je me rends compte d’un changement dans ma façon de voir les choses : au début, quand je marchais le long d’une route, je me considérais comme un intrus sur ce ruban de bitume en principe réservé aux voitures et pas tellement prévu pour les marcheurs. Maintenant, je n’ai plus du tout cette sensation. Cette route, c’est le chemin qui mène à Compostelle, j’y suis chez moi et m’y sens parfaitement à l’aise. Ce sont les voitures qui sont déplacées. Étonnant revirement d’attitude.

     

    J 19. Mercredi 27 mars - MARCIAC - ARRIAGOSSE.  26 km.                                                                      Temps gris

    En payant mon dû, je demande si l’hôtel fait une réduction aux pèlerins. Le gérant me précise qu’il accorde une réduction aux groupes qui font le chemin par l’intermédiaire d’une agence qui organise à l’avance hébergement et transport des bagages mais n’en fait pas aux solitaires comme moi. Je lui en fais le reproche car il favorise ceux qui font le chemin dans des conditions confortables en s’offrant les services d’une agence et pénalise les vrais pèlerins qui marchent seuls et en portant leur barda. Hélas, mes arguments ne le font pas changer d’avis.
    Je marche seul, sous un ciel toujours gris le long d’une petite route qui m’amène à Maubourguet où j’arrive vers midi. Le bourg est construit sur les berges de l’Adour que je franchis sur un pont fleuri. Il a un gros débit, sans doute gonflé par les pluies de ces derniers jours. Je me souviens avoir traversé ce même fleuve dix mois plus tôt, à Aire-sur-l’Adour lors de ma marche sur le Chemin du Puy en compagnie de Michelle et Rose-Marie.

    J19 - Panneaux à l'entrée de Maubourguet

    J'ai mon repas dans le sac mais à la sortie de l’agglomération, pour je ne sais quelle raison, je suis attiré par un petit restaurant. J’entre. Il n’y a personne, je suis le seul client. Je demande s'il est possible de manger quelque chose rapidement. Le patron me propose un reste du couscous de la veille au soir. C’est un gars sympathique d’origine berbère et ancien officier de l'Armée Française qui me raconte sa guerre d'Algérie et comment il a connu sa femme institutrice là-bas à l'époque. Moi je lui parle de mon pèlerinage et finalement je passe un moment bien agréable. Quant au couscous, il est délicieux !

    Je repars avec un rayon de soleil, toujours par la route en direction de l’Ouest.

    J19 - Fléchage du chemin à Maubourguet


    En préparant mon itinéraire, j’ai remarqué que j’allais passer près d’un
    village qui porte mon nom, Labatut. J’ai donc prévu de faire un détour pour le traverser. Je ne pouvais évidemment pas rater cette occasion.

    J19 - Arrivée à Labatut

    Arrivé sur place, je constate qu’il s’agit plus d’un hameau que d’un village mais il y a tout de même une mairie dont la porte est close. Je me renseigne pour trouver le maire car je veux un tampon du village sur ma créanciale. Cela me coûte une bonne heure mais je finis par rencontrer l’édile qui s’occupe d’un centre équestre. Il appose bien volontiers le tampon de son centre sur mon document et me renseigne sur le chemin le plus court pour rejoindre directement Arriagosse, ma destination du jour, autre petit hameau perdu aux limites du Gers. L’itinéraire qu’il m’indique emprunte des chemins de terre qui ne figurent pas sur ma carte. J’ai dû faire une erreur quelque part car je me retrouve sur un chemin dans les bois filant dans une direction qui ne me paraît pas la bonne.
    Je sors ma boussole pour m’en assurer. Je partais bien dans une mauvaise direction. J’abandonne le chemin pour rejoindre la lisière où je peux me repérer plus facilement. De là, il ne me reste qu’à marcher un bon kilomètre à travers champs pour arriver au pont sur le Louat. Arriagosse est juste de l’autre coté.

    La chambre d’hôte où je m’arrête pour la nuit est aménagée dans une belle maison restaurée avec goût où je dispose d’une grande chambre chichement éclairée. Du coup, je m’installe sur la terrasse pour écrire mon journal car il fait bon et on y voit nettement mieux. Le dîner avec mes hôtes me permet surtout de parler avec eux. Ils sont agriculteurs et font de l’élevage de veaux pour la boucherie et cultivent du tournesol dont les graines sont expédiées aux Pays-Bas pour y être replantées. Je découvre ainsi que l’agriculture est devenue extrêmement spécialisée.

    Encore une bonne journée et une bonne soirée. Ce soir, je suis particulièrement content d’avoir réussi à obtenir ce tampon du village de Labatut.

     J19 - Le gite à Arriagosse


    J 20. Jeudi 28 mars - ARRIAGOSSE - MORLAÀS.  24 km.                                                               Temps gris, pluie

    Hélas, au petit matin, je découvre un ciel très bas et très gris. Je démarre sous une pluie fine qui se transforme en crachin tenace. L’itinéraire continue à monter et descendre dans les collines où alternent bois et prairies. Je viens de quitter le département du Gers pour celui des Pyrénées-Atlantiques qui m’accueille avec ce temps exécrable.
    Ce matin, je marche sur le GR car, pour une fois, c’est lui qui prend les raccourcis. Je passe Momy, Anoye, Abère, petits villages perdus dans la campagne et il pleut toujours.


     J20 - Sur le chemin vers Momy

    À Momy, je m’abrite sous l’auvent de la mairie pour une petite pause.
    À Abère, c’est dans une grange ouverte que je mange mon repas de midi à l’abri du vent et de la pluie.

    Je continue paisiblement ma route et arrive finalement à Morlaàs où la pluie finit par s’arrêter. Avant de rejoindre l’hôtel, je fais tamponner ma créanciale à l’office du tourisme, je visite l'église romane Sainte-Foy et son magnifique tympan et fais mes courses pour le lendemain. Pas question de refaire l’erreur d’Olonzac.

     Morlaas - L'église Ste Foy - Le tympan


    Morlaas - L'église Ste Foy - Détails du tympan

     
    Chez le boucher, je pose des questions sur la chasse à la palombe car j’ai vu des installations dans les bois que je suppose être des palombières et je voudrais savoir comment ça se passe. Je ne pouvais pas mieux tomber que sur ce passionné qui m’explique tout dans le détail. Je suis maintenant devenu un vrai spécialiste de la chose.

    J20 - Palombière dans les bois avant Lucarré


    L’hôtel "Chez-Curon" est un peu excentré mais est confortable, sauf que le chauffage dans ma chambre ne marche pas bien et je suis obligé de demander au patron de venir purger le radiateur. 
    Il le fait de bonne grâce ce qui nous donne l’occasion de bavarder tranquillement en satisfaisant sa curiosité. Décidément ce chemin intrigue beaucoup les gens.

    Le soir venu, je dîne au restaurant voisin d’un menu à douze euros comprenant une délicieuse garbure, la soupe de légumes locale. J’y retrouve Jacques qui a pris une chambre dans un autre hôtel et nous dînons ensemble. Décidément, à chaque étape, je pense ne plus le revoir et il réapparaît miraculeusement. Bien que je n’apprécie pas particulièrement sa compagnie, je m’en accommode car il est plus agréable de pouvoir discuter avec quelqu’un que de manger seul comme j’ai eu trop souvent l’occasion de le faire.

      

    J 21. Vendredi 29 mars - MORLAÀS - ARTIGUELOUVE.  21 km.                                                              Beau temps

    Les jours se suivent et ne se ressemblent pas. Lorsque je quitte Morlaàs, il y a encore beaucoup de nuages mais des lambeaux de ciel bleu laissent espérer une amélioration. Effectivement, en cours de matinée le ciel se dégage complètement et c’est sous un beau soleil que je parcourrai cette étape.

    J21 - En route vers Pau

    L'itinéraire passe dans la banlieue nord de Pau. Une fois de plus, je n’ai pas suivi l’itinéraire officiel qui zigzague au nord de la ville mais j’ai à la place emprunté le boulevard de la Paix, longue avenue est - ouest qui doit me conduire directement à Lescar. Arrivé vers le milieu, je me décide à profiter du beau temps et de la brièveté de l’étape pour faire le détour par le centre de Pau.

    J21 - Chat aux aguets à l'entrée de Pau

    J’arrive sur le célèbre boulevard des Pyrénées où je peux admirer le magnifique panorama sur les montagnes enneigées. Le temps est parfaitement clair, ce qui est assez rare, et on reconnait bien, entre autres sommets, le Pic du Midi de Bigorre et le Pic du Midi d'Ossau. Je pense au vieux dicton local qui dit que quand on voit bien les Pyrénées, c’est qu’il va pleuvoir !

    J21 - Pau - Boulevard des Pyrénées

     Pau - Sur le boulevard des Pyrénées


    Je mange mon repas sur un banc au soleil face à ce paysage qui me conforte dans ma décision d’avoir fait ce long détour. Le château du bon roi Henri est en travaux mais ce n’est pas grave car je l’ai déjà visité l’été dernier avec Hélène. Je bois mon café à une terrasse ensoleillée emplie de citadins normaux. Cela fait une impression bizarre, comme si nous n’étions pas dans le même monde. Ça doit être ça. J’évolue dans un monde parallèle qui n’a que très peu de connexions avec l’"autre" monde. Nous partageons les mêmes lieux mais ne les percevons pas de la même manière. Cette terrasse de café en est un parfait exemple. Je regarde ces gens comme à travers une fenêtre. Pourtant, tout comme moi ils sont attablés là et boivent leur café avant de retourner à leur travail. Comment me perçoivent-ils ? Me voient-ils seulement ? Non, ils ne doivent probablement pas prêter attention à ma présence malgré mes vêtements différents des leurs. Mon impression est à sens unique.

    Après cette bien agréable pause, je rejoins Lescar et sa belle cathédrale où un curé très accueillant tamponne ma créanciale. Je ne peux m’empêcher de remarquer qu’il n’y a pas souvent d’ecclésiastique présent dans les églises où je suis passé pour demander le petit visa habituel. J’en ai trouvé un à Capestang, à la basilique Saint-Sernin de Toulouse, ici, et j’ai eu affaire à des religieuses à Saint-Guilhem et à Carcassonne, c’est tout. Le reste du temps, c’est auprès des hébergements ou des mairies que j’ai obtenu la preuve de mon passage.
    Je reprends ensuite l'itinéraire normal pour rejoindre Artiguelouve où j’ai prévu de m’arrêter. Il n’est pas très agréable, traverse une zone industrielle, longe voies ferrées et rocades et emprunte les bords du Gave légèrement en crue. Le temps qui s’est couvert à nouveau n’arrange pas les choses. Le proverbe local s’est bien vérifié. Les anciens connaissaient bien leur affaire.

    On pourra penser que je suis obnubilé par la météo. C’est que le temps qu’il fait prend une importance toute particulière quand on passe toute la journée dehors sans possibilité de s’abriter. Alors on s’y intéresse forcément.

     

     J21 - Lescar - Passage souterrain sous la rocade ouest

    Le gîte se situe deux kilomètres environ avant le village d’Artiguelouve et à l’écart du chemin. En y arrivant, je tombe sur une magnifique réplique d’une ancienne Morgan à 3 roues équipée d’un moteur de moto Honda 1100. Le gérant est un passionné de voitures anciennes. Sous un hangar, protégées par des bâches, je découvre une Lotus Seven, une Morgan 4/4 et une MGB, de belles voitures anglaises des années 50 et 60, toutes en parfait état.
     

     J21 - Artiguelouve - L'une des voitures du propriétaire du gite

    Le gîte ne propose pas le repas du soir et je dois aussi acheter à manger pour le lendemain. Je dois donc aller à Artiguelouve. Bien que l’étape n’ait pas été très longue, je n’ai pas tellement envie de marcher encore les quatre kilomètres aller-retour, d’autant qu’il s’est remis à pleuvoir. Heureusement, le gérant me prête fort gentiment son vélo et je peux ainsi faire mes courses et acheter une pizza pour mon dîner en moins de temps qu’il n’en faut pour l’écrire. Pour les gens habitués à faire les courses en voiture, le vélo peut paraître lent et fatiguant mais pour moi qui depuis trois semaines n’avance qu’au rythme paisible de mes pas, c’est formidablement rapide !
    Pendant mon absence, Jacques est lui aussi arrivé à ce gîte. Nous avons une chambre chacun, ce qui limite les possibilités de discussion. De toute façon, demain nos itinéraires vont diverger définitivement car lui continue vers le col du Somport et Jaca.


     

    J 22. Samedi 30 mars - ARTIGUELOUVE - NAVARRENX.  29 km.                                                                        Pluie

    Le dicton des anciens disait vrai et la météo qui prévoyait du mauvais temps pour le week-end ne s’était pas trompée non plus. Il a plu toute la nuit et au matin, le ciel est encore très chargé avec un fort vent d’ouest.
    L'étape d’aujourd’hui est un peu spéciale. En effet, je quitte le Chemin d'Arles qui continue plein Sud vers Oloron-Sainte-Marie et le col du Somport. Je vais marcher vers le sud-ouest pour rejoindre à Navarrenx le Chemin du Puy que j’emprunterai les jours suivants vers Saint-Jean-Pied-de-Port et le col de Roncevaux.

    Entre Artiguelouve et Navarrenx, vingt-neuf kilomètres d'un itinéraire que j'ai soigneusement tracé avant le départ grâce aux cartes et aux photos aériennes disponibles sur le site de l'IGN. J’ai imprimé ces photos et les ai assemblées en un long ruban de papier que je déroule au fil des kilomètres. Ce parcours emprunte essentiellement des petites routes et des chemins de terre mais il coupe aussi parfois à travers champs ou à travers bois quand les axes s’écartent trop du trajet le plus court. Aussi je me demande si tous les raccourcis que j’ai prévus seront praticables.
    Malgré la pluie qui ne me lâche pas, tout se passe bien.
    Pour le premier raccourci de quelques centaines de mètres à travers bois, je trouve un sentier qui me facilite la tâche. Le deuxième, qui monte de la ferme La Benjamine à la maison Habarnet passe à travers champs sur environ un kilomètre et ne semble pas présenter de difficulté. Mais, arrivé presque au bout, je suis arrêté par une barrière de barbelés avec des panneaux "Propriété privée" tous les dix mètres. Le message est clair. Mais je n’ai vraiment pas envie de redescendre et de faire le long détour que j’ai voulu éviter. Je décide donc de franchir la clôture et de continuer en contournant la ferme le long de la lisière d’un bois. Sans avoir été vu, je rejoins le chemin d’accès à la maison tout près de l’entrée de la propriété. Mais une dame est là en train de fermer le portail. J’hésite un instant sur la conduite à tenir, rester dissimulé en attendant qu’elle parte ou y aller franchement. Finalement, je descends sur le chemin et marche jusqu’à elle. Elle est surprise de me voir arriver de l'intérieur de la propriété mais ma bonne allure, mes explications et mes excuses suffisent à l’amadouer et nous nous quittons bons amis. Encore un bienfait de ma condition de pèlerin.
    Je voudrais préciser ici que malgré mes conditions de vie et malgré le mauvais temps, je mets un point d’honneur à être toujours propre, rasé et correctement habillé. Même mon sac à dos est bien fait sans rien qui pendouille et la coquille Saint-Jacques cousue sur le rabat est bien en évidence. C’est sans doute en partie dû à mon passé de militaire mais je tiens beaucoup à ressembler à un pèlerin et à ne pas avoir l’air d’un vagabond. Cela facilite grandement les choses en particulier dans ce type de situation.

    J22 - Sur la route de Lucq de Béarn pendant une courte accalmie


    À Lucq-de-Béarn, où je fais la pause repas devant l’église du village, je suis accueilli par un timide rayon de soleil puis, à partir de là, les averses vont commencer à s’espacer. Mon troisième long raccourci passe sans problème bien que le chemin soit en partie inondé par le ruisseau qu’il longe. J’arrive à Navarrenx en fin d’après-midi, fais les courses au passage au Carrefour-Market local puis je rejoins le gîte dans la rue principale.

    J22 - Navarreinx - Les remparts

     
    Je suis particulièrement ravi de cette étape : j'ai pu suivre l’itinéraire que j’avais tracé sans aucun souci, je ne suis pas mouillé malgré la journée entière sous la pluie et surtout le mal au pied qui m’handicapait depuis le départ a fini par disparaître.
    À Navarrenx, enfin, il y a quelques pèlerins, le Chemin du Puy étant bien plus fréquenté que celui d'Arles. Au gîte, il y a Cornelia, une Berlinoise qui fait un tronçon organisé par une agence de voyage allemande et avec qui je dîne en bavardant en anglais. D’autres pèlerins sont installés au gîte municipal où j’aurais pu aller mais j’avais réservé par téléphone à cet endroit depuis longtemps et je n’ai pas voulu me désister.
    Fini le GR 653, demain, je vais suivre le GR 65 qui étire ses marques rouge et blanche depuis Genève et Le-Puy-en-Velay jusqu’en Espagne.

    À Navarrenx, je suis aussi arrivé au pays basque, et ça se voit : Les drapeaux d’Euskal Herria aux croix verte et blanche sur fond rouge flottent fièrement au vent un peu partout.

    J22 - Navarreinx - Drapeau basque



    J 23. Dimanche 31 mars - NAVARRENX - UHART-MIXE.  30 km.                                                               Beau temps

    Cette nuit, on est passé à l’heure d’été, ce qui implique de se lever une heure plus tôt. Je ne pars qu’à 8h, mais c’est en fait 7h pour mon organisme. Il pleut quand je débouche dans la rue mais heureusement, ce n’est qu’une averse qui ne durera pas. Très vite, au fil des heures, le temps se lève et c'est finalement sous un ciel bleu et un chaud soleil que je marche les trente kilomètres jusqu'à Uhart-Mixe dans la campagne basque avec ses fermes pimpantes et ses panneaux indicateurs écrits dans cette langue si étrange.
    Mais ça ne s’est pas fait tout seul.

    Par les rues désertes, je gagne la porte d’Espagne percée dans les remparts construits par Vauban. En contrebas, le Gave d’Oloron est en crue et charrie des eaux boueuses.

    Navarreinx - La porte d'Espagne

     J23 - Navarreinx - Le pont sur le Gave

    Après le pont, j’ai décidé de prendre la route au lieu de suivre le GR 65 qui fait un large détour par le Nord. Huit kilomètres plus loin, à la fin de mon raccourci, à l’endroit même où le GR croise la départementale que j'ai empruntée, je commets une erreur grossière et continue sur la route malgré les panneaux indicateurs et le balisage rouge et blanc du GR qui m’indiquaient très clairement de tourner à gauche.

    Pourtant, j'ai fait une halte assez longue sous l'abri installé là par la petite usine de conserves voisine qui proposait à prix réduit aux pèlerins tout l'assortiment de pâtés et foie gras de leur gamme.

    J23 - Halte pélerin sur la route de Aroue

    J23 - Halte pélerin sur la route de Aroue

    Je ne m’en aperçois qu’au bout d’un kilomètre, ce qui m’oblige à parcourir deux kilomètres supplémentaires. Je suis furieux. Faire une erreur pareille, en plus un jour où l’étape est longue ! Je me mets à marcher à toute vitesse pour rattraper le temps perdu en fulminant. Plus loin, je découvre un raccourci qui me fait gagner un kilomètre, ce qui apaise ma colère mais je continue à marcher vite.


    Je traverse le joli village d’Aroue dont les maisons blanches et rouges resplendissent sous le soleil. Un peu plus loin, je commence à avoir mal aux pieds et je crains d’avoir des ampoules en marchant aussi vite sur la route et avec cette chaleur. Comme il est déjà 13h, je m’arrête pour manger. Je profite de la pause pour me déchausser et rafraîchir mes pieds dans l’eau froide d’un ruisseau. Il n’y a pas d’ampoule mais la plante des deux pieds est bien échauffée. Je repars plus lentement dans ce joli paysage ensoleillé dominé par les Pyrénées encore bien enneigées. La vue de toute cette neige m’amène à me demander si je pourrai les franchir par le chemin de la montagne.

     J23 - A Aroue

    J23 - Sur la route de Uhart Mixe
     

    Il est 16h quand j’arrive à la Halte de l'Escargot, un joli gîte très agréable en face de l'église d’Uhart-Mixe. L’accueil est particulièrement sympathique et chaleureux.

    Pendant que ma lessive sèche au soleil, je peux savourer un demi panaché bien frais à la terrasse avant d’envoyer le cinquième épisode du récit par Internet. J’examine à nouveau mes pieds. Il n’y a pas d’ampoule. Cela aurait été dommage d’en attraper aussi bêtement après avoir marché près de sept-cents kilomètres sans problème.
    Le dîner est excellent, notre hôte est un vrai hospitalier qui se met en quatre pour nous faire plaisir.
    Ce soir, je suis vraiment très content. Après une belle étape sous le soleil, le repas avec d’autres pèlerins est particulièrement plaisant. Il y a là Lionel qui arrive d'Angers, Klaus, un Allemand qui arrive de Cologne, et Marijke une Néerlandaise qui vient du Puy, ainsi qu’un couple de Français parti de Cahors qui terminera son périple demain à Saint-Jean-Pied-de-Port.

    J23 - Uhart Mixe - Repas au gite L'escargot- Notre hôte, un couple français, moi, Klaus, Marijke et Lionel



    J 24. Lundi 1° avril - UHART-MIXE - SAINT-JEAN-PIED-DE-PORT.  30 km.                                                          Pluie

    Il a commencé à pleuvoir pendant la nuit et il pleut toujours quand je me lève à 6h30. Je suis le seul à m’être levé si tôt. Mon hôte est déjà debout, m’a préparé un super petit-déjeuner et me donne un demi-pain pour la route. C’est vraiment un gîte très sympathique.
    Quel contraste avec le grand beau temps et la chaleur d’hier. C’est une pluie régulière qui va durer toute la journée. Etant donné ce temps exécrable, je décide de marcher le long la D933, bien qu’elle soit assez importante, mais nous sommes le Lundi de Pâques et il ne devrait pas y avoir beaucoup de circulation. J’économiserai ainsi plusieurs kilomètres car le GR 65 serpente le long de la vallée, passant plusieurs fois d’un versant à l’autre, et j’éviterai ainsi de patauger dans les chemins boueux.

    Je fais une première halte dans un bar à Larceveau pour boire un chocolat chaud à l’abri. Cela fait du bien d’être un peu au sec. Il pleut toujours autant et le temps n’a pas l’air de vouloir se lever. Tous les autres clients sont des hommes habillés de vêtements d’allure militaire qui parlent en basque. Ils parlent probablement de chasse mais cette langue est totalement hermétique.

    J24 - Sur la route de St Jean Pied de Port - Calvaire de Galzetarurn

     
    Alors que j’ai repris ma marche sous cette pluie tenace, je reçois un texto d’Hélène. Ce n’est pas le premier, j’en reçois plusieurs par jour, mais celui-ci me surprend. Elle m’écrit avoir appris par un voisin bien introduit auprès de la municipalité de Montpellier que le maire a décidé de faire raser les trois immeubles de notre résidence car ils "défigurent" la ville ! Et il lui conseille de vendre très vite avant que la nouvelle ne s’ébruite. Brutalement, je dois quitter le monde tranquille du chemin pour replonger dans celui de la vie normale et ses problèmes divers et variés. À mon «Ce n’est pas possible ! », elle répond qu’Edmée, une voisine toujours bien informée est elle aussi au courant et a déjà contacté une agence. «Il ne manquait plus que ça ! » est la seule réponse qui me vienne à l’esprit. Mon inquiétude ne durera heureusement que le temps de recevoir le texto suivant me rappelant la date du jour ! Nous sommes le 1° avril et j’avais complètement oublié ce petit détail… Soulagé, il ne me reste plus qu’à revenir dans mon monde qui se réduit aujourd’hui à une route détrempée où quelques rares voitures passent en chuintant, et aux bourrasques de pluie qui me cinglent. Pendant tout cet échange, je ne me suis pas arrêté, j’ai continué de marcher, tête baissée. De toute façon, il n’y a rien à voir. Le paysage est occulté par les rideaux de pluie et les lambeaux de brume et mon regard ne dépasse pas les champs inondés qui bordent la route où se succèdent d’innombrables flaques d’eau que je ne prends plus la peine d’éviter.

    J24 - Sur la route de St Jean Pied de Port - Ruisseau en crue près de Lacarre

    Je m’arrête à nouveau à midi pour mon repas. Pour être au sec je m’installe sous le porche de l’église de Lescarre mais je ne traîne pas car, une fois immobile, le froid me gagne. Tout est fermé, il n’y a personne dans les rues et, comme je l’avais pensé, très peu de voitures circulent sur la route.

    J24 - Près de St Jean Pied de Port - Ferme basque et montagne


    Malgré mes craintes suite à mes excès de vitesse de la veille, je n’ai pas mal aux pieds. Ils sont restés secs malgré la pluie incessante, la membrane Goretex de mes chaussures ayant résisté à tous ces kilomètres. Le sac est un peu humide mais ce n’est finalement pas grand-chose par rapport à toute la pluie qui est tombée sans interruption pendant la journée entière. À Saint-Jean-le-Vieux, deux kilomètres avant l’arrivée, je quitte la route pour suivre le balisage et entrer dans la vieille ville de Saint-Jean-Pied-de-Port par la Porte Saint-Jacques percée dans les remparts en belles pierres roses puis emprunter la rue de la citadelle comme les pèlerins d’autrefois.

     

    J24 - St Jean Pied de Port - A la Porte St Jacques

    On arrive de suite au bureau d’accueil des pèlerins judicieusement placé au début de la rue. Cet accueil me rappelle l’association à laquelle j’appartiens à Montpellier, l’accueil des villes françaises (AVF). Il est tenu par trois dames bénévoles qui m’accueillent chaleureusement en m’offrant café et gâteaux. Il faut dire que je suis le premier "vrai" pèlerin qu’elles reçoivent. Tous les autres ont débarqué du train pour démarrer de là le lendemain.

    J24 - St Jean Pied de Port - Accueil des pélerins


    Mais elles m’annoncent aussi une mauvaise nouvelle : comme je le craignais, les Pyrénées sont encore bien enneigées et le chemin de la montagne est fortement déconseillé car il y a eu un mort la semaine précédente. Bien logiquement, les autorités n’ont pas envie de voir ce chiffre augmenter. Tant pis, je prendrai la route d’hiver bien moins intéressante.
    Je me laisse chouchouter un moment, puis je ressors pour rejoindre le gîte "L’esprit du chemin" juste en face, tenu par un couple de Néerlandais très hospitaliers. La pluie s’est finalement calmée. 

    J24 - St Jean Pied de Port - Le gite L'esprit du chemin rue de la citadelle

    Après m’être installé, je vais visiter cette ville pittoresque et très touristique : le vieux pont sur la Nive, les remparts, l’église du bout du pont, et la citadelle qui domine toute la vallée.

    J24 - St Jean Pied de Port - Rue de la Citadelle


    J24 - St Jean Pied de Port - Le vieux pont sur la Nive


    J24 - St Jean Pied de Port - La rue et la Porte d'Espagne

     

    J24 - St Jean Pied de Port - Panorama depuis la citadelle


    À mon retour, je rencontre Klaus et Marijke qui viennent d’arriver pleins de boue car eux ont suivis le chemin balisé.
    Le dîner tous ensemble est particulièrement sympathique.
    Quand tout le monde est installé, notre hôte demande à chacun de se présenter brièvement. Je m’aperçois ainsi que je suis le seul Français parmi la vingtaine d'Allemands, Néerlandais, Américains, Italiennes et Coréennes. À part Marijke, Klaus et moi, tous viennent d’arriver par le train pour parcourir tout ou partie du Camino Francès. C’est une soirée très agréable qui, malgré tout, se termine tôt car l’étape du lendemain est importante.

    St Jean Pied de Port - Le gite L'esprit du chemin - La tablée


    Je partage la chambre avec Armelle, une Nantaise qui finit sa semaine de service à l’accueil où je suis passé tout à l’heure. La chambre n’est pas chauffée et je dors tout habillé car les couvertures sont un peu légères.

     
     

    J 25. Mardi 2 avril - SAINT-JEAN-PIED-DE-PORT - RONCESVALLES.  25 km.                                                   Pluie

    J’ai bourré mes chaussures de journaux hier soir pour absorber l'humidité qui avait fini par s'infiltrer, et ce matin elles sont à peu près sèches.
    Aujourd’hui je franchis les Pyrénées, épreuve redoutée par beaucoup de pèlerins, surtout par ceux qui démarrent de Saint-Jean. Mais cette traversée ne m’impressionne pas car le dénivelé n’est finalement pas très important et surtout, après trois semaines ininterrompues de marche, je suis maintenant bien entraîné.

    C’est aussi un repère important car je suis arrivé au bout de la partie française de mon chemin, à peu près à la moitié du parcours. Cela paraissait tellement loin quand j’ai démarré de Montpellier que je n’osais même pas penser que j’arriverais jusqu’ici. Je me contentais de vivre mes étapes au jour le jour, attentif à respecter la cadence que je m’étais fixée et à ne pas marcher trop vite.
    En même temps, ces vingt-cinq jours de marche sont passés tellement vite. Et demain, je marcherai en Espagne. Je suis vraiment heureux ce matin d’entamer cette étape décisive.
    Je pars au lever du jour sous un ciel gris et des averses mais c’est déjà mieux que la pluie incessante de la veille. Mon fils Matthieu m’envoie un texto d’encouragement car il s’est souvenu que je franchis les Pyrénées aujourd’hui. 

     J25 - St Jean Pied de Port - Départ à l'aube - Porte d'Espagne

    Dans le respect des consignes, je prends sagement l’itinéraire qui suit la D933. C’est moins agréable mais aussi plus facile car le col d’Ibañeta où je vais passer ne culmine qu’à 1070 m au lieu des 1430 de l’autre itinéraire, ce qui ne représente que huit-cents mètres de dénivelé environ. En fait, on emprunte des petites routes à flanc de montagne plus ou moins parallèles à la route principale en fond de vallée puis, après le village espagnol de Valcarlos, c’est un chemin qui grimpe à travers bois pour éviter les lacets de la route.

    J25 - Valcarlos Luzaide, 1° village espagnol

    J25 - Sur la route entre Valcarlos et Ibaneta

    La ligne frontière est assez bizarre ici. Au lieu de longer la crête comme sur pratiquement toute la longueur des Pyrénées, elle descend dans la vallée et suit la Nive pendant plusieurs kilomètres. Sur une rive, on marche en France et sur l’autre on est en Espagne. Les commerçants espagnols ont compris tout l’intérêt de cette bizarrerie et un peu avant Valcarlos, sur la rive espagnole, a été construit un grand centre commercial où l’on trouve bien moins chers qu’en France tabac, alcool, parfums et autres produits électroniques. Un pont tout neuf relie ce centre à la route principale qui, elle, est en France.

    Peu avant cet endroit, je remarque que je peux économiser quelques centaines de mètres de côte en rejoignant la route principale et je m’y engage. Mais du coup, je n’ai pas vu une autre possibilité de raccourci bien plus intéressante qui m’aurait évité une descente et une montée assez raides pour traverser la vallée. Tant pis pour moi.
    La pluie se remet à tomber alors que je marche sur le sentier dans la forêt. Je rattrape plusieurs pèlerins qui marchent lentement. Il y a quatre Irlandaises protégées par des ponchos aux couleurs fluo et un jeune Américain qui s’accroche à mes pas. Il vient de Floride pour parcourir le Camino Francès après avoir été enthousiasmé par le film "The way" qui présente à la sauce américaine un pèlerinage sur le Chemin. 

    J25 - Sur le chemin vers le col d'Ibaneta

    Je décide d’attendre d’être arrivé à la route pour faire la pause repas en espérant y trouver un abri. Quand nous atteignons le bitume dans une grande épingle, il y a bien une maison forestière mais elle est soigneusement verrouillée sans même un auvent où nous pourrions nous abriter. Nous nous y arrêtons quand même mais la pause repas est rapide car la pluie ne donne pas envie de s’éterniser et je ne mange que la moitié du gros sandwich donné par le gîte ce matin.

    Au moment où nous repartons, les quatre jeunes Coréennes qui étaient à l’auberge la veille arrivent par la route. Elles semblent un peu perdues car elles allaient continuer sur la route et ses nombreux lacets. Nous leur indiquons le bon chemin qui rejoint directement le col. Cela ne doit pas être évident pour elles de déchiffrer notre écriture et les inscriptions des panneaux.

    J25 - Sur le chemin vers le col d'Ibañeta

    Le sommet n’est plus très loin, l’Américain et moi arrivons au col vers 14h suivis de près par les Irlandaises et accueillis par un bref rayon de soleil.
    C’est ici qu’a eu lieu en 778 la fameuse bataille de l’arrière-garde de Charlemagne où Roland a perdu la vie. La légende reprise par nos cours d’histoire nous a toujours dit que Roland s’était battu contre les Maures mais la vérité moins glorieuse est qu’il a été attaqué par les Vascons qui voulaient se débarrasser de ces envahisseurs étrangers qui venaient de détruire quelques jours auparavant les remparts de Pampelune. Le monument commémorant ces combats est bien là mais l’épée de fer représentant Durandal a disparu, sans doute volée par quelque imbécile collectionneur ! 


    J25 - Au col d'Ibañeta

    Il y a aussi une chapelle à l’allure très moderne qui n’a pas grand intérêt si ce n’est d’avoir succédé à celle dont la cloche guidait les pèlerins dans la brume et la nuit depuis sa construction en 1071.
    Me voici vraiment arrivé en Espagne. Les brefs passages de la matinée dans la vallée selon le coté de la rivière où je marchais ne comptent pas. J’annonce la nouvelle de mon arrivée au col par texto à Hélène, Yvonne et Michelle et entame la descente étonnamment courte. En dix minutes à peine je suis arrivé au monastère de Roncevaux (Roncesvalles pour les Espagnols) en même temps que les Irlandaises.

    Il a un air particulièrement sinistre dans ce fond de vallon où les bosquets de hêtres poussent leurs branches décharnées vers un ciel où courent des nuages sombres. Le rayon de soleil du col est oublié. Il n’y a pas de couleurs. Tout parait gris à l’exception des plaques de neige d’un blanc sale qui subsistent encore le long des lisières et dans les recoins orientés au nord.

    J25 - Roncesvalles

    J25 - Arrivée à Roncesvalles


    À part ce massif édifice religieux aux allures de forteresse, il n’y a pas beaucoup de bâtiment dans ce haut lieu mythique qui a vu passer l'armée de Charlemagne et plus tard celle de Napoléon : quelques hôtels ou auberges, la Real Collégiale, la chapelle Saint Augustin, à peine une dizaine de maisons.

    J25 - Roncesvalles - La Real Collegiale


    Au monastère, ma créanciale s’orne du joli tampon du lieu mais je vais m’installer à l’hôtel Casa-Sabrina, tout à coté, qui ne dispose que de quelques chambres, où j’ai judicieusement réservé l’avant-veille, le "Miam-Miam-Dodo" précisant que le monastère ne dispose pas de couverture.

    Il y a une grande salle très animée au rez-de-chaussée car c’est là que tous les pèlerins peuvent venir boire et manger. Un peu plus tard, Klaus arrive seul car Marijke s’est arrêtée à Saint-Jean-Pied-de-Port et je lui propose le deuxième lit de ma chambre qu’il accepte avec plaisir.
    Une fois installés, nous descendons dans la grande salle du bar où nous retrouvons les Irlandaises qui sont venues boire un verre et nous invitent à nous joindre à elles. Elles ont démarré à Saint-Jean-Pied-de-Port pour un court périple organisé par une agence. Les étapes sont calées à l’avance, toutes les réservations sont faites, les affaires sont transportées par un véhicule, elles n’ont plus qu’à marcher avec un tout petit sac à dos.
    C’est une toute autre manière de faire le Chemin, moins rustique, plus facile et sans surprise. Certes, tout le monde n’a pas le temps de faire le parcours en entier ou la volonté de se couper de ses habitudes et du confort dans lequel nous baignons mais je trouve que cette manière de faire enlève une grande partie du charme et même de l’intérêt du pèlerinage.

    Elles sont assez impressionnées d’apprendre d’où Klaus et moi avons démarré.
    Il ne reste plus qu’à passer à table. La salle à manger est pleine et on y parle dans toutes les langues. Quel contraste avec les premières semaines où j'étais obligé de manger seul. Il n’y a évidemment qu’un menu unique mais il est accompagné d’une bouteille de bon vin espagnol que tout le monde apprécie. En plus, il délie les langues et facilite même la compréhension de celles qu’on ne parle pas !
    Après le dîner, nous allons tous à la Real Collégiale assister à la messe suivie de la bénédiction des pèlerins. L’église est magnifique avec les éclairages, elle est chauffée (je pense à la messe glaciale de Saint-Guilhem-le-Désert !) et pleine de pèlerins. L’un des officiants cite les pays d’origine de tous ceux qui sont arrivés ce soir et la longueur de la liste est assez impressionnante malgré la basse saison. La messe est courte et la bénédiction émouvante. Un grand moment intense même pour le non croyant que je suis.

    Roncesvalles - La Real Collégiale

     
    Combien de pèlerins m’ont précédé dans cette église depuis les débuts du pèlerinage ? Des centaines de milliers sûrement, peut-être même des millions. Même Charlemagne a assisté à la messe à cet endroit !
    Ce genre de réflexion me laisse un peu rêveur. Je crois que c’est ce genre de chose qui donne son aura au Chemin de Compostelle et attire autant de gens aujourd’hui.
    Ce soir, je suis vraiment enchanté. L’étape a été très facile malgré la pluie. Je l’ai parcourue avec plaisir bien que cet itinéraire ne soit pas joli, sans aucune échappée sur les Pyrénées, empruntant la route serpentant en fond de vallée et des petits chemins en sous-bois. J’aurais préféré passer par le vrai chemin, celui qu'on appelle la route Napoléon, mais on ne peut pas aller contre les éléments. Ce sera pour une autre fois.
    Et pour couronner cette journée cruciale, la soirée en compagnie de ces nombreux pèlerins a été excellente.

    De retour dans la chambre, j’ai tout le temps de réfléchir à mon avancée.
    La partie française de ce pèlerinage est terminée et les vingt-cinq étapes se sont bien passées. Il y a bien eu quelques moments difficiles, le froid intense entre Béziers et Carcassonne, les longues et pénibles étapes de trente-deux kilomètres entre Capestang et Olonzac, puis entre Le-Grangé et Auch, les quelques jours de pluie incessante.
    Mais la seule chose que je n'ai pas aimé pendant la partie française, c'est d’avoir été seul le soir aux étapes, de n’avoir eu personne avec qui partager l’expérience de la journée et discuter du chemin. Heureusement, il y a eu de temps en temps des repas sympathiques avec mes hôtes d’un jour, mais ce n’est pas tout à fait la même chose. Les deux jours précédents et surtout ce soir, j’ai retrouvé ce qui fait tout le charme du Chemin, les autres pèlerins.
    Je n’ai aucun problème sur le plan physique, le corps s’étant bien habitué à cette nouvelle vie. La contracture au pied droit qui me faisait souffrir depuis le départ s’est enfin évaporée depuis quelques jours et c’est un grand soulagement.
    Je vais pouvoir maintenant savourer la partie espagnole du parcours, le fameux "Camino Francès".



     

    LA PARTIE ESPAGNOLE

      

    Le trajet en Espagne se déroule dans une toute autre ambiance que pour la partie française.
    D’abord et surtout, je ne suis plus seul. Il y a suffisamment de monde pour que ce soit agréable, mais ce n’est pas la redoutable cohue des mois d’été.

    Ensuite, l’accueil reçu partout est toujours cordial. Il n’est pas rare d’être salué d’un sympathique "buen camino" par un anonyme passant dans la traversée d’une ville ou par un agriculteur travaillant dans son champ. Les hospitaleros qui tiennent les albergues sont partout aimables et arrangeants. Bref, une ambiance positive améliorée encore par ma bonne connaissance de l’anglais et de l’espagnol qui me permet d’engager la conversation avec tout le monde.
    Enfin, le chemin est bien tracé, bien aménagé, particulièrement bien signalé, y compris dans la traversée des villes, et les albergues sont faciles à trouver. C’est un plaisir que de marcher en Espagne malgré les quelques faubourgs à traverser et les kilomètres le long de certains grands axes routiers. 

    Cela me donne l’occasion de faire un commentaire sur la manière différente dont le chemin est traité en France et en Espagne.
    En France, l’itinéraire emprunte des chemins de grande randonnée tracés par des gens qui n’avaient pas forcément les mêmes préoccupations que les pèlerins. Ils évitent le plus possible les routes goudronnées, préférant les petits chemins et les paysages agréables mais imposant de ce fait des détours qui n’arrangent pas le pèlerin. J'en ai déjà parlé.

    Le tracé du chemin en Espagne respecte tant que faire se peut le parcours historique. Or, autrefois, les pèlerins marchaient sur les chemins reliant villes et villages entre eux. Ces chemins sont devenus aujourd’hui les routes goudronnées où circulent voitures et camions. C’est pour cela que le Camino Francès les longe sur certains tronçons parfois assez longs, privilégiant l’exactitude de l’itinéraire au détriment de son agrément.

    Quant aux hébergements, ils sont propres, bien agencés et bien tenus. Ils sont même parfois très confortables, conservant malgré tout des prix modiques et seuls deux parmi ceux où j’ai dormi laissaient à désirer. Les grands dortoirs sont rares car ils sont souvent aménagés en chambres de quatre à six lits et on s’habitue assez vite à leur relatif manque d’intimité.
    On mange bien partout et les "menus peregrinos" à huit ou dix euros, incluant une bouteille de vin, bien que proposant souvent les mêmes plats, sont bien suffisants pour nourrir un pèlerin affamé.

    De Roncesvalles (Roncevaux) à Los Arcos, pendant les six premiers jours en Espagne, je conserverai le rythme que j’avais prévu avant le départ et je respecterai mon planning. Ce sera en quelque sorte ma phase d’initiation au Camino Francès où je ne suis pas encore libéré des habitudes prises en France.

    De Los Arcos à Santiago, j’oublierai mon planning et je marcherai sans me préoccuper de réserver les hébergements, ce qui me donnera une grande souplesse, vivant au jour le jour, dans la plus parfaite sérénité et entouré de pèlerins qui contribueront grandement à enrichir mon plaisir. En même temps, ma forme physique s’améliorera de plus en plus me permettant de parcourir sans effort particulier des étapes de trente à trente-cinq kilomètres au lieu des vingt-cinq que j’avais prévus, au point d’arriver à Santiago avec huit jours d’avance sur le planning initial.

    Enfin, la dernière partie, de Santiago au Cap Finisterre, constituera pour moi une sorte de sursis après l’accomplissement du pèlerinage et l’émotion intense de l’arrivée à la basilique avec mes compagnes et compagnons de route.

      

     

    DE RONCESVALLES À LOS ARCOS

      

    J 26. Mercredi 3 avril - RONCESVALLES - ZUBIRI.  22 km.                                                                       Beau temps 

    Aujourd’hui, je vais parcourir ma première étape en Espagne. Elle est courte, vingt-deux kilomètres, et j’ai la chance de le faire avec le beau temps. La température est largement en dessous de zéro, il ne faut pas oublier que nous sommes à plus de 900 m d’altitude. D’ailleurs il reste des plaques de neige dans les parties encore à l’ombre. Dès les premiers pas, on ne peut pas rater le grand panneau routier qui annonce froidement Santiago de Compostela à sept-cent-quatre-vingt-dix kilomètres. Tout le monde est ainsi prévenu !

    J26 - Au départ de Roncesvalles - Plus que 790 km

    Je pars seul mais je ne suis plus tout seul à marcher sur le chemin : il y a les Irlandaises et les Coréennes déjà vues hier et bien d’autres, la plupart ayant démarré la veille à Saint-Jean, quelques autres ce matin de Roncesvalles.
    Le chemin est très agréable, parfaitement indiqué par des flèches de peinture jaune, traverse de beaux
    paysages de montagne, des pâturages, des forêts de sapins et de jolis villages encore déserts à cette heure.

    J26 - Traversée de Burguete

     
    Je suis un peu excité de commencer à marcher en Espagne, tous mes sens sont en éveil pour apprécier ces moments. Même le froid intense me ravit.

    J26 - Arrivée à Espinal

     
    J26 - A la sortie d'Espinal


    Au bout d’un moment, je rattrape deux sœurs espagnoles originaires d’Andalousie avec qui le courant passe immédiatement et nous continuons ensemble. Elles sont très agréables et particulièrement décontractées. Nous parlons en espagnol bien que Virginia parle bien le français, ce qui me permet de rafraîchir mon vocabulaire et de me réhabituer à quelques subtilités grammaticales que j’avais un peu oubliées. Grâce à leur aide, je retrouve très vite les bonnes tournures de phrase qui font le charme de la langue de Cervantès.

    J26 - Avec Christina et Virginia après Espinal


    Nous faisons une petite halte café au village d’Espinal puis plus tard, nous prenons notre repas sur un coin d’herbe ensoleillé où je finis le sandwich à l’omelette donné par le gîte "l’esprit du chemin" la veille à Saint-Jean-Pied-de-Port. Sur ce tronçon, nous passons près d’un mémorial dressé à la mémoire d’un pèlerin japonais mort pendant son pèlerinage en août 2002 à l’âge de soixante-quatre ans. Ce mémorial est tout en bois et les pèlerins qui passent rajoutent branches et pignes de pin. Il y a même un panneau demandant dans plusieurs langues de ne pas mettre de pierre, probablement un rite lié à la religion de l’intéressé. Je ne peux m’empêcher de penser à ce gars de mon âge qui venait de l’autre bout du monde pour marcher sur le chemin et qui y a trouvé la mort dès le premier ou le deuxième jour au lieu de la joie d’accomplir un rêve. La destinée est vraiment bizarre.

     J26 - Mémorial pour un pélerin mort après Biskarreta

    J26 - Mémorial pour un pélerin mort après Biskarreta


    Le chemin grimpe dans les bois jusqu’à un col, le puerto de Erro, pour passer de la vallée de l’Urrobi à celle de l’Arga. Toujours à travers bois, il redescend au village de Zubiri et son pont romain que nous franchissons.

    J26 - Zubiri - Le pont romain


    Avec Cristina et Virginia, nous allons à l’auberge que j’avais repérée sur le guide. Elle est propre et agréable, propose repas du soir et petit-déjeuner et nous nous y installons. L'accès à Internet est gratuit et je peux envoyer le sixième épisode de mon récit.

    À 18h, nous allons à la messe dans la jolie petite église du lieu. Le curé parait très vieux et semble sur le point de s’écrouler à chaque instant. À un certain moment de l’office, il ne se rappelle plus le nom du nouveau pape Francisco et bégaie quelques secondes avant que le nom ne lui revienne, ce qui déclenche chez Cristina un fou-rire contagieux… Pratiquement tous les pèlerins de l’auberge sont là dont les Coréennes rencontrées la veille. Je remarque qu’elles vont communier. Elles sont donc catholiques croyantes et pratiquantes. Je n’imaginais pas que la religion catholique était présente dans ce lointain pays. La messe évidemment dite en espagnol, est brève et suivie comme toujours de la bénédiction des pèlerins. Après l’office, le curé nous invite dans la sacristie où il propose le "sello" de son église que je m’empresse de faire apposer sur ma créanciale, par-dessus celui de l’auberge que j’ai déjà, ce qui amuse beaucoup ce brave curé à l’esprit bien éveillé.
    Comme chaque soir, la rédaction de mon journal de marche est l’occasion de faire le bilan de l’étape. Cette première journée au sud des Pyrénées a été une très belle journée. Le premier contact avec l'Espagne est plus que positif grâce au temps ensoleillé dont nous avons bénéficié, à la qualité du chemin, aux paysages traversés et à la plaisante compagnie de mes amies andalouses. Je découvre aussi ma première auberge espagnole et l’impression est bonne à tous points de vue, accueil, confort, propreté, nourriture et tarifs imbattables (cinq euros la nuit et neuf euros le très copieux repas ).

      

    J 27. Jeudi 4 avril - ZUBIRI - PAMPLONA.  20 km.                                                                                                 Pluie

    Les jours se suivent mais ne se ressemblent pas. Il fait gris lorsque je démarre le matin toujours en compagnie de Cristina et Virginia. Le chemin est agréable à part un passage d’un kilomètre le long d’une horrible usine de manganèse. Il longe la rivière Arga par des chemins un peu boueux et traverse de petits villages pimpants. Il y a plusieurs autres pèlerins dont les quatre Coréennes mais les gens marchent assez dispersés et on a souvent l’impression d’être seul.

     J27 - Christina et Virginia sur le chemin de Osteritz à l'usine de manganèse sous la pluie

    J27 - Petite pause à Irotz

     

    Les coréennes à Irotz - Cine, Laura et Gloria


    Très vite, il se met à pleuvoir, ce qui n’arrange pas l’état du chemin. À Zabaldika, nous faisons un petit détour pour aller voir l’église du XIII° siècle qui domine la vallée. Elle est ouverte, gérée par des religieuses qui apposent leur cachet sur nos créanciales, nous font visiter et nous font grimper au clocher où nous sommes invités à faire tinter la cloche, la plus vieille de Navarre, parait-il…
    Elles n’oublient pas non plus de nous inviter à laisser notre petite obole.

    J27 - Zabaldika - L'église du 13°

     
    Au détour d’un virage, nous découvrons un immense panorama sur la plaine où est construite Pamplona. Pour l’atteindre, il faut passer sous une autoroute où les voitures soulèvent des nuages d’embruns, puis grimper une colline avant de redescendre vers la petite ville de Villava et son joli pont sur l’Arga que nous traversons.

     Passage sous l'autoroute près d'Attarabia

     

     J27 - Burlatta - Pont sur l'Arga

     
    De l’autre coté du pont s’élève une église à laquelle est accolée une auberge de pèlerins. Mais ce n’est pas là que nous avons prévu de nous arrêter. Il faut traverser Villava, qui est un faubourg de Pamplona, toujours sous la pluie, et marcher encore. L’arrivée en ville est bien mieux que ce que je craignais. Pas de zone industrielle ni d’avenue encombrée de voitures mais de la verdure et des petites rues tranquilles où le parcours est très bien signalé. En plus des habituelles flèches jaunes, de grands carrés bleus arborant la coquille Saint-Jacques stylisée sont peints sur les trottoirs. L’entrée en ville se fait par un parc le long du río Arga que nous franchissons une nouvelle fois par le pont Santa-Magdalena puis il faut longer des fortifications qui ressemblent beaucoup à ce que construisait Vauban en France. Le balisage nous guide vers la porte de France par laquelle nous entrons dans la ville forte.

    J27 - Burlatta - Marquage du chemin vers Pamplona

     
    J27 - Arrivée à Pamplona - Porte de France

     
    De là, par des petites rues pavées et absolument désertes, nous arrivons à la cathédrale à la façade un peu fade. L’albergue Jésus y María est située à cinquante mètres de là dans l’église Saint Saturnin désaffectée.
    Les dortoirs sont installés dans les ailes de la nef et cela donne à cet endroit une ambiance particulière qui me plait bien. Des lits superposés y sont alignés de chaque coté. L’agencement est tel qu’on n’a pas l’impression qu’il y a autant de places. A l’accueil, il faut présenter sa créanciale. Le cachet du lieu n’y est apposé qu’après avoir payé son écot puis le responsable attribue à chacun un numéro de lit.

    J27 - Pamplona - Christina et Virginia au gite Jesus y Maria


    Ici comme dans beaucoup de dortoirs, on ne choisit pas ses voisins de lit et l’intimité y est toute relative. À ma droite et au-dessus, dorment trois des Irlandaises de Roncesvalles et à ma gauche les Andalouses. Il faut se changer, faire sa toilette, des gestes habituellement faits à l’abri des regards des autres. Pourtant mon métier m’a habitué à la vie en collectivité mais nous étions entre hommes, ce qui change complètement l’ambiance. Je ne suis pas tout à fait à l’aise quand je dois me déshabiller près d’elles et je perçois que ce sentiment est aussi partagé par mes voisines. Je veille à ne pas les regarder pendant qu’elles se déshabillent à moins d'un mètre de moi tout comme elles doivent éviter de le faire elles aussi. Cette situation se renouvellera au fil des jours et je m’habituerai assez rapidement à cette promiscuité imposée ainsi que la plupart des jeunes femmes que je côtoie régulièrement. Au fil des jours, la gêne ressentie s’estompe et on ne craint plus de se retrouver ensemble car une relation de confiance réciproque s’est établie. Je crois même que cela nous rapproche un peu plus encore et renforce les liens qui nous unissent, un peu comme si nous avions surmonté une épreuve commune. Il n’y a aucune ambiguïté dans nos rapports au point que certaines ne craindront pas de dormir seule avec moi dans une chambre quand les circonstances l’exigeront.
    Je ne sais pas si celui qui n’a pas connu ce genre de situation peut comprendre que les choses puissent se passer ainsi. C’est peut-être cette facilité, cette simplicité qui contribue à rendre le Chemin si fort, si intense.

     

     
    Une fois installés, douchés, lessive faite, nous ressortons pour aller visiter la cathédrale et le cloître qui passe pour être le plus beau d’Espagne et où se tient une très belle exposition sur l’évolution de l’Occident. Si l’extérieur de la cathédrale est quelconque, par contre l’intérieur est magnifique avec notamment le mausolée en marbre blanc du roi de Navarre Charles III le Noble et son épouse Éléonore.

    J27 - Pamplona - La cathédrale - Tombeaux des rois de Navarre


    Ensuite nous partons à l’aventure dans la ville. Pampelune qui s’appelle Iruña en basque, est mondialement connue pour sa feria de San Firmin et son spectaculaire lâcher de taureaux dans les rues. Sur une place, il y a un monument commémorant cet événement. C’est une statue de bronze représentant en grandeur réelle plusieurs jeunes gens courant devant un groupe de taureaux.

    J27 - Pamplona - Monument à San Firmin

    J28 - Pamplona - Plaza  Castillo


    Mes deux amies ont une petite idée en tête, me faire déguster mon premier chocolate espagnol. Nous trouvons assez rapidement l’endroit idoine et je peux savourer en leur compagnie ce délicieux breuvage. Pour celles et ceux qui n’en ont jamais goûté, c’est une boisson tellement onctueuse qu’on a l’impression de boire du chocolat fondu et cela n’a rien à voir avec ce qu’on peut trouver en France.
    Il fait à peine 7° quand je ressors dîner dans un petit restaurant voisin sans mes compagnes qui grignotent quelque chose de bio. La ville s’est métamorphosée : les rues grouillent de monde et les bars sont bondés. Les Espagnols aiment vivre dehors, ça se voit. Les gens discutent, rient en buvant des "cervezas" ou des verres de vin et en grignotant les fameuses "tapas".

    Je rentre me coucher tôt. Le dortoir est calme, bien que la plupart des pèlerins ne dorment pas encore.
    On discute un moment à voix basse avec Cris et Virginia avant de s’endormir.
    Demain, je perds mes deux copines car elles vont continuer et moi pas. J’espère que je les reverrai car elles sont très agréables. 

     

    J 28. Vendredi 5 avril - Journée de repos à PAMPLONA.                                Temps gris, froid et averses de neige

    Bien que ne ressentant pas de fatigue particulière, je respecte mon planning initial et je prends la journée de repos prévue dans cette ville. Je suis quand même obligé de me lever et de quitter l’auberge comme tout le monde. Je laisse mon sac en consigne et pars avec Cris et Virginia. Nous déjeunons dans une cafétéria que j’avais repérée la veille au soir dans une rue voisine. Je les accompagne ensuite jusqu’aux abords de l’université. Il fait froid et il y a des averses de neige. En revenant vers le centre ville, je visite la citadelle très bien restaurée. On se croirait vraiment dans un ouvrage construit par Vauban.
    Je fais mes achats, me fais couper les cheveux et, pour trois euros, j’achète une carte SIM espagnole dans une boutique Movistar. Elle me servira à téléphoner pour réserver des hébergements sur le parcours espagnol sans faire exploser mon forfait français. Et même à envoyer des textos en France car je découvre que cela me reviendra moins cher qu’avec mon téléphone français.
    Un peu plus tard, je rencontre Klaus qui logeait dans une petite pension et nous buvons un café ensemble avant qu’il ne parte prendre un train pour rentrer en Allemagne. Profitant des éclaircies, je parcours la ville sans me presser. Je découvre sur une place une statue à la gloire d’Ignace de Loyola qui s’est illustré en 1521 dans la défense de la ville assiégée par les troupes franco-navarraises. C’est lui qui a exhorté les défenseurs à continuer à se battre bien que submergés par le nombre et qui a empêché la ville d’être prise. Il aura les deux jambes brisées par un boulet de canon mais il survivra malgré des séquelles importantes. Après cet épisode guerrier, il changera complètement de vie, fera des études approfondies et se tournera vers la religion. Il fondera plus tard l’ordre des Jésuites. Quel destin étonnant !

    J28 - Pamplona - Plaza  et statue Ignace de Loyola

    Dans le même quartier, je tombe par hasard sur un magasin d’articles de montagne et j’achète une nouvelle cape de pluie pour remplacer l’ancienne qui commençait à laisser passer l’eau puis je déjeune de délicieux poivrons farcis à la morue avant de retourner m’installer à l’albergue.
    Aujourd’hui mes voisins sont portoricains, néerlandais, canadiens et américains.

    Je ressors dîner dans un bar à tapas voisin où je me nourris de spécialités locales et m’abreuve de cidre tout en discutant avec les autres clients qui m’accueillent comme si j’étais des leurs. C’est vraiment une ambiance sympathique. Ici, les gens sont habitués aux pèlerins et je n’ai pas l’impression ressentie à Pau une semaine plus tôt de ne pas être dans le même monde.
    Quand je rentre à l’albergue, le froid est vif. Contraste avec la chaleur du bar ou véritable coup de froid ?  

     

    J 29. Samedi 6 avril - PAMPLONA - PUENTE-LA-REINA.  24 km.                                           Neige puis beau temps

    Réveillé dès 6h30 par mes bruyants voisins portoricains, je n’ai pas d’autre choix que de me lever. Je quitte l’albergue alors qu’il est à peine 7h pour aller prendre mon petit-déjeuner au bar d’en face. Peu de pèlerins sont déjà partis. Quand je sors dans la rue il fait encore nuit et je découvre qu’il neige à gros flocons. La température est de moins 2°. Ce n’était donc pas le contraste avec l’ambiance du bar qui m’avait frappé hier soir.
    Devant le bar, une jeune femme est en train d’essayer de rouler une cigarette sous la neige ! Pour l’avoir vue passer dans le dortoir ce matin, je sais qu’elle est pèlerin.

    Neige ou pas neige, il faut repartir sur le chemin.
    Petit-déjeuner pris, j’endosse mon sac et me lance dans la traversée d’une ville encore déserte et complètement transformée par la neige. L’éclairage public est toujours allumé et donne un aspect féerique aux rues et avenues.

    J29 - Pamplona - La ville sous la neige au matin
     

     J29 - Pamplona - Départ sous la neige vers Sizur Minor

    Pour avoir accompagné Cristina et Virginia la veille, je connais le chemin jusqu’à la citadelle et le parc de la Vuelta de Castilla. L’itinéraire bien marqué par les habituelles flèches jaunes emprunte d’abord de grandes avenues, longe la cité universitaire, puis franchit une petite rivière et monte en direction du village de Cizur Menor et sa commanderie des Templiers qui accueille des pèlerins encore aujourd’hui.
    Au delà, plus on avance en rase campagne, plus la couche de neige s’épaissit. Je fais une halte rapide à Zariguieri, juste le temps de grignoter quelques biscuits mais je ne m’éternise pas car j’ai froid. La nouvelle cape est bien étanche mais elle empêche la parka Goretex que je porte dessous de bien fonctionner et je suis mouillé par la condensation. Je repars en n’utilisant la cape que pour protéger le sac à dos sans la fermer et ça va beaucoup mieux, le Goretex peut faire son travail.

    J29 - Zariquiegui

    Je continue de marcher dans une neige de plus en plus épaisse au point de cacher en partie le sentier. Par endroit, seules les traces laissées par ceux qui sont déjà passés permettent de suivre le bon itinéraire. Le chemin monte régulièrement vers l'Alto del Perdón, petite chaîne de collines qui culminent à 770 m d’altitude. On entend le grondement sourd et lancinant d’éoliennes qui restent invisibles, cachées par les nuages bas et gris.
     

    J29 - Martha sur le chemin vers Zariquiegui

    En arrivant au sommet de la colline, il n’y a pas loin de vingt centimètres de neige et le brouillard épais dissimule le panorama. Même les toutes proches statues métalliques représentant des pèlerins en route vers Saint Jacques semblent entourées de coton. Je demande à un gars qui se trouve là de me photographier devant ce célèbre monument du Chemin qui marque le sommet du col, puis nous repartons ensemble dans la descente très piégeuse, pleine de cailloux qui roulent, cachés par la couche de neige.

    J29 - Passage au Alto del Perdon

    Ce gars d’environ cinquante ans habite Pamplona et il fait sa séance de sport hebdomadaire en marchant jusqu’à Muruzabal et retour ce qui représente un parcours de quarante kilomètres. Tout doucement, les chutes de neige se calment et quand nous arrivons à Muruzabal il ne neige plus. Bien que j’aie le pique nique dans le sac, je vais manger avec lui au petit restaurant du village. Avec ce que nous venons d’endurer, une tortilla chaude est bien meilleure qu’un sandwich froid.

    J29 - Chemin d'Uterga à Muruzabal

     
    En sortant du restaurant, nous découvrons avec plaisir que le soleil est revenu. Quel contraste avec le temps du matin ! Pendant que mon éphémère compagnon repart vers Pamplona, je quitte l’itinéraire balisé pour rejoindre le chemin aragonais, à deux kilomètres de là. Le but de ce détour est d’aller voir la fameuse et étrange église Santa María d’Eunate. L’hypothèse la plus sérieuse est qu’il s’agit d’une église appartenant à l’ordre des Templiers en raison du cloître de forme octogonale qui l’entoure, tandis que l’église elle-même est de forme pentagonale. Malheureusement, elle est fermée et je ne peux pas la visiter mais son aspect extérieur est intéressant et je ne regrette pas d’être venu jusque là. Compte tenu du temps de ce matin, j'estime avoir eu beaucoup de chance de l’avoir vue sous le soleil.

    J29 - Santa Maria de Eunate

    De là, il ne me reste qu’à suivre le camino aragonés tout aussi bien balisé que l’autre, qui rejoint directement Obaños. Dans ce village, je rencontre un mariage à la sortie de l’église et, à nouveau, en voyant tous ces gens bien habillés j’ai le sentiment que deux mondes bien différents viennent de se rencontrer, le mien, celui du chemin et le leur, le monde normal. Mais aujourd'hui, heureusement, il n’y a pas de barrière entre les deux. Toute la noce me salue et me souhaite bon chemin et nous faisons quelques photos ensemble pour célébrer ce grand moment.

    J29 - Obarros - Mariage

    Puis je continue jusqu’à Puente-la-Reina qui n’est distant que de quelques kilomètres en compagnie d’une jeune Italienne qui s’est trouvée là quand j’ai quitté la noce. Elle s’appelle Minnie, a vingt-quatre ans et habite Brescia, une ville qui me fait penser à la fameuse course automobile des Mille Miglia qui se courait de 1927 à 1957. Elle marche seule depuis Saint-Jean-Pied-de-Port et a bien l’intention d’aller jusqu’au bout. Comme moi, malgré le soleil revenu, elle est toujours engoncée dans ses vêtements de pluie, ce qui ne nous empêche pas de nous prendre en photo devant un original monument en métal rouillé qui représente un pèlerin stylisé.

     J29 - Obarros - Le monument à la jonction des chemins

    Puente-la-Reina est un haut lieu du Chemin car c’est à partir de là que tous les Chemins vers Compostelle n’en forment plus qu’un seul. À l’entrée de la ville, un discret petit monument rappelle ce fait.

    J29 - Puente la Reina - Jonction des chemins


    Sur les conseils de Virginia qui est passée la veille, je m’arrête à la première albergue, juste à l’entrée de la ville. Si j’avais suivi l’avis du "Miam-Miam-Dodo", je n’aurais pas choisi cet endroit car le guide n’en dit pas du bien en raison de sa position sous un hôtel. En fait, il est très bien agencé et confortable. Virginia avait raison.

    Après m’être installé et avoir mis à sécher mes affaires mouillées, je vais marcher dans la ville malgré le temps qui est à nouveau couvert et froid : je visite l’église del Crucifijo bien sombre, celle de Santiago, belle, chaude et silencieuse, et je parcours la rectiligne calle Mayor jusqu’au très élégant pont médiéval sur le río Arga qui a donné son nom à la ville.

    J29 - Puente la Reina - Calle Mayor et église Santiago


     J29 - Puente la Reina - Le pont
     

    Tout le monde est resté bien au chaud à l’auberge car je ne rencontre aucun pèlerin. On les distingue facilement de la population locale à leurs vêtements de randonnée peu seyants, mais surtout ils portent en général aux pieds des sandales légères ou des claquettes qui détonnent par ces températures hivernales. En chaussettes avec mes tongs de plage, je suis moi aussi particulièrement identifiable ! Mais ici sur le chemin, l’élégance passe bien après le confort et la légèreté du sac.
    Pendant mon absence, d’autres pèlerins sont arrivés. Certains ont l’air d’avoir été éprouvés par les chutes de neige et le froid. Il y a des chaussures et des vêtements en train de sécher un peu partout.
    Le dîner est servi aux pèlerins dans la salle à manger de l’hôtel avant les clients "normaux". Mes voisins de table sont danois, anglais, américains, autrichiens et australiens. Anglais de rigueur pour les conversations qui vont bon train, aidées en cela par l’excellent vin de Rioja servi en abondance.
    Le dortoir est divisé en chambres de quatre lits et je partage l’une de ces chambres avec une Anglaise, Alisson, une Danoise, Janette, et une Autrichienne, Julia, avec qui le courant passe bien. Il faut encore se déshabiller au milieu des filles mais je le fais avec un peu plus de décontraction que l’avant-veille. Elles non plus n’ont pas l’air de s’inquiéter de ma présence que je m’efforce de faire la plus discrète possible.
    Ce soir, je suis vraiment content. C’était une très belle étape, peut-être la plus belle de mon périple. Je me suis régalé de marcher avec cette neige.  

     

    J 30. Dimanche 7 avril - PUENTE-LA-REINA - ESTELLA.  23 km                                                      Beau temps froid

    Le temps est toujours gris et froid lorsque je démarre le matin. Après avoir à nouveau suivi la calle Mayor, je traverse le fameux pont qui fut construit sur l’ordre de la reine Elvira au XI° siècle pour que les pèlerins en marche vers Compostelle puissent traverser facilement la rivière en évitant de se faire dévaliser par les faux passeurs en barques.
     

    J30 - Puente la Reina - Départ du chemin de l'autre coté du pont

    De l’autre coté, je salue un couple de Néerlandais qui avaient dormi à coté de moi à Pamplona, mais je continue seul. Le chemin est dévié pour cause d’éboulement, mais le nouvel itinéraire le long de l’autoroute A12 est parfaitement bien marqué.

    J30 - Puente la Reina - Panneau sur l'autoroute A 12

    J30 - Fontaine à l'entrée de Maneru

    Le temps se lève assez rapidement et le soleil revenu embellit les paysages, en particulier le village de Cirauquí aux maisons blanches serrées autour de son église au sommet d’une colline dominant la campagne. Les rues qui mènent à la plaza Mayor grimpent raides mais arrivé là, on est récompensé par de belles façades armoriées et des arcades sous lesquelles passe le chemin.

    J30 - Cirauqui
     

     J30 - Façade à Cirauqui


    À la sortie, je retrouve Julia qui a fait une pause face à un beau panorama. Son gros sac protégé par une housse bleu vif se voit de loin. Elle marche avec deux bâtons comme beaucoup de pèlerins tandis que je n’en utilise pas. Nous repartons ensemble sur l’ancienne chaussée romaine qui nous emmène à un vieux pont en dos d’âne enjambant la petite rivière où serpente un maigre filet d’eau. Tout en marchant, elle me raconte sa vie et notamment, qu’elle a l’intention de se marier le 10 mai à Innsbruck, juste après être rentrée de ce pèlerinage, et me pose de nombreuses questions sur la vie en couple. Comment fait-on pour s’habituer l’un à l’autre et rester ensemble ? Il est vrai que c’est une question importante et je m’efforce de lui donner une réponse. Intéressante discussion qui m’oblige à réfléchir sur mon propre mariage qui dure depuis trente-sept ans.

    La marche est agréable sur ce chemin qui avance à travers champs, montant et descendant des collines, passant sur de vieux ponts romains et traversant des villages pittoresques comme Lorca dont la plupart des maisons sont fleuries et parfois décorées de coquilles Saint-Jacques.

    J30 - Pont médieval avant Lorca
     

    J30 - Pont médieval à Villatuerta

    J30 - Avec Julia à Lorca

    A l’entrée du village, un chien loup fait tranquillement la sieste sur sa niche et ne daigne pas se déranger à notre passage. Pas un aboiement, pas un mouvement. Rien. Tout juste ouvre-t-il brièvement un œil pour regarder à qui il a à faire.

     J30 - Sieste canine à l'entrée de  Lorca

    Sur une colline se dresse la chapelle San Miguel qui date du XI° siècle et qui a visiblement été restaurée. L’intérieur est très austère, il n’y a qu’un simple autel de pierre recouvert de nombreux papiers. Ce sont des vœux ou des prières écrits en diverses langues et déposés là par les pèlerins qui nous ont précédés.

    J30 - Villatuerta - Chapelle San Miguel

    J30 - Villatuerta - John à la chapelle San Miguel


    Nous nous arrêtons pour manger sur un trottoir à l’abri du vent à l’entrée de Villatuerta. Estella n’est plus très loin. En compagnie de Rafael, un Espagnol très sympathique que nous venons de rattraper, nous lavons nos chaussures boueuses à une belle fontaine à l’entrée de la ville avant de rejoindre l’albergue municipale.


     J30 - Rafael lave ses chaussures à la fontaine à l'entrée d'Estrella

    La ville est assez triste sous le ciel redevenu gris. En plus tout est fermé car c’est dimanche.

    J30 - Estrella - Pont médiéval

    Je vais manger au petit restaurant basque indiqué par le gérant de l’albergue. Une grosse Anglaise vient s’installer à ma table. Elle s’avère peu intéressante mais je fais ma BA de pèlerin et la supporte le temps du repas. J’aurais préféré la compagnie de Julia qui, malheureusement, est partie retrouver des coreligionnaires.
    Aujourd’hui, l’étape était belle, agréable et facile et j’ai passé une très bonne journée. 
     

     

    J 31. Lundi 8 avril - ESTELLA - LOS ARCOS.  21 km                                                                     Beau temps, vent froid

    Je pars dès 7h30 car, comme souvent, l’auberge municipale ne sert pas le petit-déjeuner. Faute de trouver un bar ouvert sur ma route, je me restaure à la cafétéria d'une station-service à la sortie de la ville. Le temps est à nouveau beau mais il y a un désagréable vent froid qui souffle de face.

    J31 - Après Estrella apparait le monastère d'Irache

    L'événement du jour est le passage à la fontaine de vin du monastère d'Irache, bien connue de tous les pèlerins passés, présents et futurs. Perpétuant la tradition tout en faisant sa publicité, la bodega située tout à coté du monastère qui accueillait déjà les pèlerins en l’an 1000, a installé au bord du chemin une fontaine qui donne gratuitement de l’eau et du vin.

    Monastère d'Irache

    Quand j’arrive, il n’y a pas de vin et une bonne vingtaine de pèlerins attendent. Comme indiqué sur un panneau, je vais aux bureaux de la cave faire tamponner ma créanciale et en profite pour leur signaler le problème. À mon retour, la fontaine a été mise en route, le vin et l’eau coulent. Il n’y a personne devant le robinet d’eau, tout le monde fait la queue au robinet de vin.


     J31 - Monastère d'Irache - La queue à la fontaine de vin

    C’est l’occasion de faire des photos souvenirs avec tout le monde. J’en fais avec les Coréennes que je côtoie depuis le franchissement des Pyrénées. C’est la première fois que je parle avec elles car elles sont très réservées. Peut-être est-ce aussi le problème de la langue. Je trinque aussi avec l’Espagnole déjà vue en train de rouler ses cigarettes au départ de Pamplona. Elle s’appelle Isabel et est bien plus sympathique qu’elle ne paraissait au premier abord. Elle est drôlement vêtue, porte un bandeau bleu dans les cheveux, un piercing à la lèvre, des babioles sont accrochées à son sac à dos et elle marche avec un long bâton sur lequel chaque soir elle trace le parcours effectué et ajoute un dessin qui résume l’étape. Je fais aussi la connaissance d'Adelia, sympathique brésilienne partie de Saint-Jean-Pied-de-Port.
    Malgré les apparences, tout le monde boit avec modération. Ici ce ne sont pas les alcootests de la maréchaussée que les gens craignent mais plutôt les kilomètres qui restent à faire pour finir l’étape.

    J31 - Avec les Coréennes au monastère d'Irache

     J31 - Monastère d'Irache - Dégustation du vin avec Isabel

    Après cet intermède bien agréable, il faut reprendre le chemin qui, après avoir franchi en souterrain la grande route voisine,  avance au milieu des vignes et des bosquets.

    J31 - Le chemin vers Azqueta


    Lors d’une pause à Azqueta, deux jolis chats viennent me voir, intéressés par mes biscuits. Je ne dois pas être le premier pèlerin à m’arrêter sur ce banc et ils ne se font pas prier pour accepter ma nourriture.
    Plus loin je m’arrête à l’originale fontaine des Moros, un petit bâtiment de style gothique perdue dans les collines. L’eau y est remarquablement claire et fraîche. J’y rencontre une Tchèque qui est en train de fureter dans les rochers autour de la fontaine. Elle m’explique qu’elle participe à une chasse au trésor organisée tout le long du chemin. Étonnant.

    J31 - La fontaine des Moros à Villamayor Monjardín

    J31 - Isabel à la fontaine à l'entrée de Villamayor Monjardin

    Je passe Villamayor de Monjardín dominé par les ruines de son château du X° siècle sans m’arrêter pour visiter son église romane. Au-delà, le chemin s’enfonce dans une zone absolument vide de toute habitation. Sur plus de dix kilomètres, il n’y a que des champs encadrés par deux lignes de collines et piquetés de loin en loin d’une bergerie en ruine. Une chaîne de montagnes enneigées barre l’horizon au Nord. C’est sur ce tronçon désertique que je retrouve Isabel et nous marchons ensemble le reste de l’étape.

    J31 - Isabel sur le chemin vers Los Arcos

    C’est une fille très gentille et j’apprécie sa compagnie et sa conversation. Elle aussi me raconte sa vie et ses soucis tout comme l’avait fait Julia la veille. Elle a trente ans, a fini ses études et n'aime pas son travail monotone. Elle ne semble pas avoir de petit ami et est partie sur le Chemin un peu par dépit. Elle est originaire d’un village au Nord de Ponferrada où elle s’ennuie un peu. Nous bavardons en espagnol ce qui me convient tout à fait car cela me permet de continuer à améliorer mon niveau. Pour la pause repas, il faut s’abriter du vent glacial dans les ruines d’une cabane avant de reprendre notre marche jusqu’à Los Arcos. Nous nous arrêtons à l’entrée du village car Isabel a mal au genou, ce qui la ralentit mais elle veut continuer jusqu’au village suivant, Torres del Rio. J’utilise ma pharmacie pour bander son genou douloureux et, pendant qu’elle repart en boitant un peu, je rejoins l'albergue Casa Abuela au centre de l’agglomération.

    J31 - Arrivée à Los Arcos


    Il y a deux chambres bien chauffées de huit lits à l’étage. J’en partage une avec mes compagnes Coréennes, un Australien à l’accent terrifiant et un Français Philippe. Dans l'autre chambre logent des Mexicaines et des Philippines. Une véritable tour de Babel comme la plupart de ces auberges de pèlerins.

    Los Arcos est une petite ville animée avec des remparts, une grande place à arcades et de nombreuses façades armoriées. Mais le joyau de la ville, c’est l’église de l’Assomption, de construction romane transformée à l’époque baroque, à la décoration très chargée et qui s’enorgueillit d’un superbe retable gothique du XV° siècle et d’un magnifique orgue monumental.

    J31 - L'église de Los Arcos


    Les orgues de l'église de Los Arcos


    J31 - Armoiries sur le mur de l'église de Los Arcos

     
    Le soir, avec Philippe, les Coréennes et Jakob, le jeune Danois déjà rencontré à Puente-la-Reina, nous allons dîner au restaurant indiqué par notre hospitalero. Sans doute un peu grâce au bon vin servi à volonté, Jakob se montre bien plus loquace que la fois précédente. Il est psychologue spécialisé dans les enfants autistes. C’est un gars très agréable et très intéressant. Les quatre Coréennes s’apprivoisent elles aussi. Elles s’appellent Sofia, Jane, Ciné et Gloria. Ce sont des prénoms qu’elles se sont donnés car les vrais sont imprononçables pour nos langues occidentales. Ciné est elle aussi psychologue pour enfants. Quant à Philippe, il est marié et vit en Allemagne où il travaillait dans une société d’électroménager et vient juste de prendre sa retraite. À part Philippe et moi, tout ce petit monde est jeune, à peine la trentaine.
    Nous mangeons un excellent plato compuesto et nous passons une très bonne soirée que nous clôturons par une photo de nous tous prise par l’aubergiste.

     J31 - Diner à Los Arcos - Philippe, Jakob, Laura, Jane, Cine et Gloria

    En rentrant, le patron de l’albergue me laisse utiliser Internet et j’en profite pour envoyer le septième épisode de mon récit. Voilà un mois que je suis parti. Le moral est au plus haut et j’ai la grande forme physique. C’est vraiment un enchantement de marcher sur ce chemin et les conditions météo pas toujours favorables n’altèrent pas mon plaisir. Et une soirée sympathique comme celle-ci ne fait que renforcer mon envie de continuer.

     

     

    DE LOS ARCOS À SANTIAGO

      

    Dans ce récit, j’ai divisé le parcours espagnol en deux parties, car à partir de Los Arcos, je n’ai plus respecté le planning établi à l’avance, même si certaines étapes m’avaient paru bien courtes. En fait je suivais le découpage préconisé par la plupart des guides sans chercher à faire mieux. Au-delà de Los Arcos, les documents que j’avais consultés proposaient des étapes très inégales, certaines de vingt kilomètres à peine et d’autres de trente-cinq et plus et j’avais voulu atténuer ces différences en découpant différemment le parcours, sans penser que les trente-et-un jours de marche déjà effectués me permettraient de parcourir des étapes plus longues sans fatigue. C’est à partir de Los Arcos que j’ai pris conscience de cette amélioration de mes capacités et que je n’ai plus tenu compte de la planification établie.

      

    J 32. Mardi 9 avril - LOS ARCOS - LOGROÑO.  29 km                                                                      Beau temps, vent

    J’avais prévu d’aller seulement jusqu’à Viana à dix-huit kilomètres de là. N’ayant pas besoin de me presser, je quitte l’auberge un peu plus tard que d’habitude et je pars sous un ciel un peu couvert et avec un vent assez fort. Je marche un moment avec un couple de Canadiens puis, à l’occasion d’une pause à Samsol, je retrouve Jane et Gloria, deux des Coréennes. Depuis notre repas en commun la veille au soir, elles sont bien moins réservées et discutent plus librement. J’en profite pour aborder le sujet de la religion en Corée. Je suis étonné d’apprendre que le christianisme est l'une des deux religions dominantes du pays avec le bouddhisme, le confucianisme ne concernant qu’une petite minorité. Il y a néanmoins beaucoup plus de protestants que de catholiques. J’imaginais plutôt que la plupart des gens pratiquaient les religions traditionnelles de l’Extrême Orient. Mes compagnes tout comme leurs deux amies sont catholiques et pratiquantes. Elles vont régulièrement aux offices qui sont proposés aux pèlerins et en général communient. Elles font donc partie des peu nombreux pèlerins qui font le pèlerinage pour des raisons religieuses. Il faut vraiment avoir la foi (et aussi les moyens) pour venir de l’autre bout du monde effectuer un pèlerinage à pied de huit-cent kilomètres. Elles ont bien plus de mérite que moi, d’autant qu’elles sont loin d’avoir mon entraînement sans parler du dépaysement total et de l’obstacle de la langue.
    Nous marchons ensemble tranquillement dans des paysages vallonnés et agréables. Je leur fais découvrir le thym et le romarin qui poussent partout dans cette région au climat méditerranéen et nous nous arrêtons plusieurs fois pour manger des amandes cueillies ou ramassées le long du chemin.

    J32 - Chemin vers Sansol au départ de Los Arcos
     

    J32 - Gloria et Cine sur le chemin entre Sansol et Viana

    J32 - Sur le chemin entre Sansol et Viana


    Assez rapidement, je m’aperçois que je vais arriver très tôt à Viana malgré notre allure modeste, aussi je décide de laisser mes amies de ce jour pour continuer jusqu’à Logroño, dix
    kilomètres plus loin. Au moment de se quitter, elles m’offrent un petit éventail pour me remercier de ma compagnie. C’est vraiment très gentil. Ces filles sont adorables et me font presque regretter de les laisser là. On s’embrasse et je file devant.
    Effectivement, bien avant midi, je suis arrivé à Viana où je prends le temps de visiter l’imposante église devant laquelle se trouve la pierre tombale d’un Cesar Borgia, généralissime des armées de Navarre et pontificales, tué au combat près de là en 1507. Puis je mange mon repas sur une petite place avant de continuer en direction de Logroño.

    J32 - Viana - Ayuntamiento

    J32 - Viana - Eglise Santa Maria - Pierre tombale des Borghia

    J32 - Viana - Pause repas

    Malgré la tentation d’emprunter la route, j’ai suivi sagement le chemin balisé qui amène les pèlerins à la jolie église Santa María de las Cuevas, isolée dans une peupleraie au bord d’une ancienne zone marécageuse aujourd’hui asséchée. Pour atteindre l’entrée de Logroño, il faut franchir tout un réseau d’autoroutes de ceinture et quelques zones artisanales.

    J32 - Sur le chemin de Viana à Logrono


    Je mets deux heures pour parcourir les dix
    kilomètres depuis Viana et il est à peine 15h quand j’arrive au bord de l’Ebre. Juste avant le pont franchissant le fleuve, ligne de séparation entre la province de Navarre et celle de Rioja, je rattrape Laura et Katia, deux des jeunes Irlandaises de Roncesvalles et Pamplona. C’est leur dernière étape, elles rentrent au pays le lendemain et reprendront leur pèlerinage l’année suivante. Nous faisons quelques photos souvenirs au bord du fleuve. Elles vont à l’auberge municipale tandis que j’ai choisi une albergue privée voisine.

    J32 - Passage au dessus de la N111 sur le chemin de Viana à Logrono - Au fond Viana

    J32 - Arrivée à Logrono
     

     J32 - Arrivée à Logroño - Le pont de pierre sur l'Ebre


    Un peu plus tard, alors que je viens de prendre ma douche, je les vois à la réception car l’autre auberge ne leur a pas convenu. Elles ont un problème avec le gérant car le billet de vingt euros posé sur le comptoir pour régler leur séjour a disparu mystérieusement et elles me demandent mon aide pour régler ce différent aggravé par la barrière de la langue. Devant mes questions directes en espagnol, le gérant qui est un jeune gars change d’attitude. Il a perdu sa nonchalance un peu méprisante vis-à-vis des deux jeunes femmes. Il est maintenant sur la défensive. Voyant qu’il y a une caméra de surveillance au plafond qui filme l’entrée et le comptoir, j’exige de voir la vidéo. La caméra ne filme pas mais prend une photo toutes les cinq secondes. Sur une image, on voit le billet posé sur le comptoir, sur la suivante, il n’y est plus mais on ne voit pas comment il a disparu. Le problème n’est pas résolu. Je menace alors de faire appel à la Guardia Civil et tout s’arrange comme par magie. C’est beau l’autorité de la force publique quand même ! Pour leur faire oublier ce petit souci, j’emmène Laura et Katia boire un chocolate con churros, délicieuse gourmandise que mes amies andalouses m'avaient faite découvrir à Pamplona. Sur le trajet, nous passons dans des rues commerçantes où se succèdent Zara, Mango, Desigual et autres boutiques typiquement féminines. Mes compagnes s’aperçoivent que les prix sont bien plus bas que ceux pratiqués dans leur pays et ne veulent pas laisser passer une si belle occasion. En sortant de la chocolatería, je les laisse à leur shopping pendant que je vais visiter de mon coté les églises de la ville non sans nous être donné rendez-vous pour la soirée.

     J32 - Logrono - Cathédrale Santa Maria Redonda

    Quand elles reviennent à l’auberge, elles ont les bras chargés de sacs aux couleurs de ces marques espagnoles à la mode. Heureusement qu’elles ne marchent plus ! Je me demande où elles vont mettre tout ça pour leur voyage retour car leurs sacs à dos paraissent déjà bien pleins.

    J32 - Logrono - Laura et Katie (IRL)


    Sur les indications de l’hospitalero, nous sortons pour aller dîner dans des bars à tapas en compagnie d’une Australienne et d’un Espagnol qui font le pèlerinage à vélo. Nous passons une soirée très agréable bien que tout à fait raisonnable puisque nous sommes de retour à l’auberge dès 21h30, rassasiés de ces petits plats si typiques. L’étape du lendemain est longue. Le repos pris n’est plus à prendre.

     

    J 33. Mercredi 10 avril - LOGROÑO - NÁJERA.  31 km                                                                               Beau temps

    Je quitte l’auberge dès 7h et vais prendre mon petit-déjeuner dans une cafétéria voisine. Distrait, je pars en oubliant de payer et la serveuse me rattrape sur le trottoir pour réclamer son dû ! Honte à moi ! Je ne risquais pas de passer inaperçu, j’étais le seul client à cette heure matinale !
    La traversée de la ville est parfaitement signalée. Impossible de se tromper de chemin.

    J33 - Logrono - Signalisation dans les rues

    Je croise un employé de bureau en costume, attaché-case à la main, qui me salue d’un souriant et sympathique "buen camino peregrino !" et qui prend le temps de discuter quelques minutes avec moi. Voilà quelque chose qui fait vraiment plaisir.
    La sortie de la ville est très agréable à travers un grand parc de loisirs aménagé autour d’un lac de barrage. Les deux cyclistes d’hier soir me doublent en me saluant mais je marche seul en faisant attention de ne pas aller trop vite. Après un court passage désagréable entre l’autoroute A12 et une zone artisanale, le chemin serpente dans un paysage de collines plantées de vignes. Nous sommes maintenant dans la province du Rioja réputée pour ses vignobles qui produisent des vins fameux qui titrent 14° et parfois plus.

    J33 - Sur le chemin entre Logrono et Navarette

     

     J33 - Dans les vignobles vers Nájera

    Je m’arrête pour boire un café con leche à Navarrete, beau village qui domine la plaine couverte de vignes. Juste avant, le chemin passe près des ruines d’un ancien hôpital de Saint-Jean-d’Acre où les pèlerins étaient soignés au Moyen-âge. Mais il ne reste vraiment pas grand-chose de cet édifice. Seul a subsisté le portail d’entrée de style roman qui se trouve maintenant à l’entrée du cimetière de la ville, grâce aux mains expertes et pieuses d’un maçon local. A la sortie, c’est un nid de cigognes installé sur la cheminée d’une usine désaffectée qui attire mon attention. Il est occupé par un couple d’oiseaux adultes et au moins deux petits. Ça claquette et craquette à tout va et je regarde leur manège pendant un moment. Les cigognes sont des oiseaux qui attirent la sympathie.

    J33 - Navarette

    J33 - Navarette - Calle Mayor


    Quelques kilomètres plus loin on franchit un petit col, l’Alto de San Antón. C’est là que je choisis de m’arrêter pour le repas car il y a des tables en béton qui me permettent de m’installer confortablement tout en admirant un beau panorama sur les vignobles de la région. De nombreux pèlerins passent, des groupes nouveaux que je n'avais jamais vus auparavant.

    J’apprends avec étonnement que, dans cette région, notre Du Guesclin national fut battu en 1367 lors d’une bataille contre l’Anglais Pierre le Cruel, allié du Prince Noir. J’ignorais qu’il était venu guerroyer jusque dans ces parages.
    Au milieu des vignes, je rattrape Janette, la Danoise qui était avec moi à l’auberge de Puente-la-Reina et je finis l’étape avec elle. Un peu avant la ville, sur le mur d’enceinte d’une entreprise industrielle, un joli poème à la gloire du Chemin a été peint. Il commence ainsi :
                « Polvo, barro, sol y lluvia »                               « Poussière, boue, soleil et pluie »
                « Es Camino de Santiago »                               « C’est le Chemin de Santiago »
                « Millares de peregrinos »                                  « Des milliers de pèlerins »
                « Y mas de un millar de años »                          « Et plus d’un millier d’années ».
    Il continue pendant sept strophes que je prends le temps de lire en entier. Ces vers me plaisent beaucoup et pour ne pas les oublier, je photographie ce bout de palissade transformé par la poésie. Qui a bien pu écrire ces vers ?

    J33 - Poeme sur le chemin vers Nájera

    Nájera est une drôle de ville. Elle est assez étendue mais le centre est comme tassé au pied des falaises de l’autre coté de la rivière Najarilla. Elle fut pendant un temps la capitale de la Navarre et c’est ici que furent frappées les premières monnaies connues de la Reconquista.
    J’accompagne Janette à l'auberge municipale tandis que j'ai prévu de dormir dans une albergue privée voisine qui propose des chambres pour deux pas chères. Mais en voyant l’entassement des lits dans le dortoir de quatre-vingt-dix places, Janette préfère venir avec moi. Il est à peine 15h et nous avons tout le temps de visiter le très beau monastère Santa María Real. Selon la légende, en 1044, le roi de Navarre Don Garcia chassant la colombe trouva l’oiseau dans une grotte, en paix avec le faucon qui la poursuivait, en adoration devant une statue de la Vierge. Il n’en fallut pas plus pour que le roi fonde le monastère sur ce site. Il ne reste rien de cette époque, néanmoins on peut admirer dans l’église le magnifique tombeau de la reine Blanche de Navarre, petite fille du Cid, qui mourut en donnant naissance au futur roi de Castille Alphonse VIII ainsi que le très beau sépulcre d’un chevalier de Biscaye, Don Diego Lopez de Haro.

     J33 - Nájera - Monastère Santa Maria Real - Le cloitre

    J33 - Najera - Monastère Santa Maria Real - Chapelle St Jacques


    Après cette intéressante visite, nous allons nous promener au bord de la Najarilla où d’autres pèlerins sont déjà installés aux terrasses des bars qui s’alignent sur les berges. Nous les imitons et savourons une caña con lemón bien méritée pendant que nos petites affaires sèchent au soleil à la fenêtre de notre chambre.
    Janette me raconte qu’elle a prévu que son mari et sa fille viennent la rejoindre à son arrivée à Santiago et qu’ils l’accompagnent jusqu’au Cap Finisterra pour partager un peu de son expérience du chemin.
    La journée s’est bien passée et je réalise que j'ai parcouru cette étape de plus de trente kilomètres sans difficulté et sans fatigue particulière. Quel progrès par rapport aux premières semaines où j'ai souffert pour faire les trente-deux kilomètres de Capestang - Olonzac et de Grangé - Auch.
    De retour à l'auberge, nous rencontrons Philippe, le Français de la veille qui vient d’arriver.

    Le soir nous allons dîner dans une bodega voisine. Il y a Philippe, Janette, Kelvin l’Australien, Suzy et sa sœur dont je n’ai pas retenu le prénom, toutes deux Portoricaines. Encore une soirée internationale et très agréable.
    L’ambiance du Chemin est vraiment extraordinaire depuis que je suis en Espagne. J’apprécie beaucoup ces rencontres avec tous ces pèlerins de tant de pays différents, la facilité avec laquelle on lie connaissance, les discussions décontractées, les relations franches et saines.
    Le soir, en me déshabillant dans la chambre que je partage avec Janette, je me rappelle mon inconfort quelques jours plus tôt dans la même situation avec les Andalouses et les Irlandaises. Ce soir, je suis tout à fait à l’aise et visiblement Janette aussi, bien que nous soyons seuls tous les deux. C’est bien plus sympathique ainsi.

    Certains pourront se faire des idées en lisant ce récit où je fréquente beaucoup de jeunes femmes. D’abord, il faut savoir qu’il y a plus de femmes que d’hommes sur le Chemin. À mon avis, le rapport est de 70 % et il est donc normal d’en rencontrer beaucoup. Ensuite, il ne faut pas fantasmer sur les rapports établis avec elles, même quand on partage la même chambre pour la nuit. Je ne dis pas que les aventures n’arrivent jamais mais ce n’est certainement pas la règle. En ce qui me concerne, j’ai toujours considéré qu’avant d’être de jeunes femmes, elles étaient des compagnes du Chemin et il n’y a eu aucune équivoque dans nos relations. Je suis persuadé que c’est justement à cause de mon attitude respectueuse et sans arrière-pensée que toutes celles que j’ai rencontrées et côtoyées n’ont jamais cherché à m’éviter quand je les ai retrouvées un peu plus tard. Au contraire, ce sont elles qui sont souvent venues vers moi, preuve qu’elles appréciaient ma compagnie. 

     

    J 34. Jeudi 11 avril - NÁJERA - SANTO DOMINGO DE LA CALZADA.  22 km                                          Beau temps

    Ce matin, pour la deuxième fois je ne pars pas tout seul. Janette n’étant pas encore prête, c’est avec Philippe que je démarre à 8h. Nous passons devant le monastère que nous avons visité hier, magnifique sous les projecteurs. L’étape est courte avec seulement vingt-deux kilomètres jusqu’à Santo Domingo de la Calzada.
     

    J34 - Nájera - Le monastère Santa Maria Real au départ le mati

    Il fait beau et le chemin avance dans d’immenses paysages où les vignes laissent progressivement la place aux céréales. Tous les kilomètres, une belle borne érigée par la province du Rioja, annonce la distance restante jusqu’à Saint-Jacques. À la sortie de Nájera, il y en a cinq-cent-quatre-vingt.

    J34 - Sur le chemin d'Azofra, panneau kilométrique 578

    J34 - Paysage sur le chemin après Azofra

    En fin de matinée, nous arrivons au village de Cirueña qui n’est qu’à six kilomètres de l’arrivée. À proximité, aux portes d’un beau terrain de golf, le chemin passe par de grands lotissements de maisons individuelles et de petits immeubles neufs de standing. On marche dans des rues impeccables, des jardins publics bien arrangés mais il n’y a pas une seule voiture garée, tout est vide, inhabité, et cela donne une désagréable impression de ville fantôme, témoignage de la crise qui touche le pays et dont on nous parle tant. Mais en voir les conséquences en direct a un effet plus profond que d’en regarder les images à la télévision.

    J34 - Ciruena - Lotissements vides

     

    J34 - Le chemin après Azofra


    Au vieux village voisin, seul endroit habité, nous nous arrêtons dans un bar pour boire notre traditionnel café con leche. En repartant, nous passons sur une petite place ensoleillée et bien abritée du vent froid qui souffle toujours. L’endroit est parfait pour la pause repas et nous mangeons à cet endroit agréable les quelques provisions achetées à Nájera.

    Depuis que je marche en Espagne, mon repas de midi est en général composé de pain avec un morceau de chorizo, parfois accompagné d’une tomate ou d'un avocat et d’une pomme ou d’une banane pour dessert. Je me suis adapté sans difficulté aux ressources locales. J’ai redécouvert par exemple le lait caillé de brebis, un savoureux dessert que ma grand-tante me servait sucré et mélangé avec un peu de café quand j’étais gamin.
    Pendant le parcours en France, j’avais pris l’habitude de manger une tranche de fromage de tête, un menu que Pierre m’avait fait découvrir pendant notre marche sur le chemin de Stevenson en septembre 2012. En fait, malgré la dépense physique des kilomètres parcourus, on mange peu dans la journée. Seul le repas du soir est assez consistant. En principe, toutes les conditions sont réunies pour ne pas prendre des kilos.

    Après cet arrêt, nous sommes vite arrivés à Santo Domingo de la Calzada qui donne une bonne impression de ville active. À l’entrée de l’agglomération, le chemin passe devant une série d’ateliers où se préparent et se mettent en sacs des pommes de terre cultivées dans les champs environnants. Il y a même une sorte de foire agricole à l’entrée de l’agglomération avec ce qui semble être des démonstrations de tracteurs et autres engins. L’endroit est en tout cas très animé.

    J34 - Arrivée à Santo Domingo de la Calzada - Philippe

    Cette petite ville porte le nom d’un moine bénédictin du XI° siècle qui, après une vie pleine de péripéties, vint établir un ermitage sur les bords de la rivière Oja. Touché par les difficultés des pèlerins pour traverser cette rivière, et, en quelque sorte, ingénieur des Ponts et Chaussées avant l’heure, il construisit un pont puis une hôtellerie et une route au profit des pèlerins pour lesquels il travailla le reste de sa longue vie. En effet, il mourut à plus de quatre-vingt-dix ans.
    Toute l’histoire de ces régions que nous traversons est intimement liée au pèlerinage de Compostelle et de nombreux villages portent un nom directement lié au Chemin qui a permis le développement économique et y contribue encore aujourd’hui. Il y a beaucoup de Calzada (la chaussée), Calzadilla, Camino, etc.

    J’ai suivi l’idée de Philippe de prendre une chambre pour deux dans une petite pension au lieu d’aller dormir dans le dortoir de l’albergue municipale.
    Mais l’endroit est un peu tristounet et, en fin de compte, j'aurais préféré l’inconfort et le manque d’intimité tout relatifs de l’albergue.

    Il se met à pleuvoir quand je sors pour aller visiter la ville. Je vais d’abord voir la cathédrale célèbre pour la poule et le coq blancs qui y sont gardés en permanence derrière une grille destinée à empêcher les pèlerins d’aujourd’hui d’arracher aux volatiles une plume en guise de relique ! Ces deux gallinacées commémorent un surprenant "miracle" qui aurait eu lieu au Moyen-âge. Ce "miracle" mérite bien d’être raconté ici :

    Un jeune pèlerin qui accompagnait ses parents avait été injustement pendu pour vol par la faute d’une servante jalouse. Au retour de Compostelle, les parents entendirent leur fils leur dire du haut du gibet qu’il vivait car Saint Jacques le protégeait. Ils se précipitèrent alors chez le juge qui avait condamné leur fils pour lui annoncer la nouvelle. Celui-ci qui était en train de manger deux volailles rôties leur répondit avec ironie « il est vivant aussi vrai que ce coq et cette poule vont se mettre à chanter ». Et, miraculeusement, les deux oiseaux se mirent à chanter. Le juge fit alors dépendre le jeune homme et le remplaça aussitôt par la servante fautive.

    J34 - Sto Domingo de la Calzada - Le coq et la poule à l'intérieur de la cathédrale Sto Domingo

    Je remarque que la justice de cette époque ne s’embarrassait pas de demi-mesures et que dans ce genre d’histoire, il y a souvent une malheureuse servante qui porte la responsabilité de l’affaire. Sans doute, une manifestation de la misogynie ambiante du Moyen Age.
    Outre ses hôtes ailés, la cathédrale renferme le mausolée en albâtre du saint, un maître-autel Renaissance et de nombreuses chapelles. Agrandie, fortifiée, transformée, les styles roman et gothique s’y côtoient, formant un ensemble assez composite. Bizarrement, son clocher baroque se dresse à l’écart du reste de l’édifice. Je visite aussi la petite église San Francisco plus intime juste en face ainsi que la plaza Mayor et ses belles arcades. Sur la place devant l’entrée de la cathédrale, l’ancien hôpital construit par le saint est aujourd’hui un hôtel de luxe de la chaîne Parador, dont tous les établissements sont installés dans de magnifiques édifices historiques. Un judicieux moyen pour l’Espagne de rentabiliser la restauration de ses vieux monuments.

    J34 - Santo Domingo de la Calzada - Cathédrale - Le choeur


    Je me balade un moment dans les rues où je rencontre Isabel, Rafael et quelques autres qui m’invitent à aller boire un chocolat avec eux. Ils logent à l’auberge municipale et je me dis que j’aurais dû faire comme eux. Quand le soleil réapparaît enfin après le passage de l’averse, je vais refaire toutes les photos de l’église et de la plaza Mayor, bien plus belles sous le soleil.

    J34 - Santo Domingo de la Calzada - Plaza Mayor

    Je m’entends bien avec Philippe et nous marchons au même rythme, ce qui est essentiel pour pouvoir continuer ensemble. Il a démarré à Saint-Jean-Pied-de-Port un jour après moi après avoir parcouru le tronçon français depuis Le Puy l’année précédente.
    Nous allons dîner dans un petit restaurant en ville car celui de la pension n’ouvre qu’à 21h. En Espagne, les horaires habituels des repas ne sont pas bien compatibles avec le rythme des pèlerins. Quand les Espagnols passent à table aux environs de 22h, nous sommes souvent déjà couchés. Heureusement pour nous, certains établissements se sont adaptés aux mœurs des marcheurs. 

     

    J 35. Vendredi 12 avril - SANTO DOMINGO DE LA CALZADA - VILLAMBISTIA.  30 km                Beau temps, vent

    Nous ne passons pas une bonne nuit dans cette pension car nous sommes réveillés vers 2h du matin par des voisins bruyants. Au matin, Philippe et moi prenons notre petit-déjeuner sur l’avenue dans une cafétéria qui a ouvert exprès pour nous et partons ensemble pour le deuxième jour avec du beau temps mais le même vent froid de face que la veille. Le soleil vient de se lever quand nous franchissons le pont sur le río Oja. Isabel et Rafael sont juste devant nous.

    J35 - Santo Domingo de la Calzada - Sortie de la ville par le pont sur le rio Oja


    J35 - Sur le chemin vers Grañon

    J35 - Passage sous la N120 sur le chemin vers Granon

    Dans la traversée du village de Grañon où nous faisons une halte, nous faisons la connaissance de Franck, un Australien très repérable car il est vêtu d’une veste camouflée au bariolage si particulier de l’armée de son pays et porte un énorme sac à dos assorti. Il nous apprend qu’il est aumônier militaire, toujours en activité. Il souffre car son sac est bien trop lourd et il l’allège au fil des étapes en envoyant les affaires inutiles en poste restante à Santiago.

     J35 - Grañon - Franck, l'aumonier australien


    J35 - Après Granon le chemin passe en Castille Leon

    Comme je l’ai déjà précisé, en Espagne, le Chemin de Compostelle respecte au mieux l’itinéraire historique, ce qui l’amène à suivre souvent les grands axes routiers qui sont les descendants des chemins de l’époque. Le tronçon que nous abordons en est un exemple parfait. Pendant pratiquement toute la journée, nous allons marcher sur le chemin qui longe interminablement la N120 encombrée de camions.

    J35 - Isabel sur le chemin le long de la N120 vers Redecilla del Camino

    Ce n’est pas aussi désagréable que ce que l’on pourrait penser. On oublie assez vite ce voisinage bruyant. Le plus important est que chaque pas nous rapproche du but et Philippe et moi avançons à une bonne cadence. Un peu avant le village de Belorado, nous économisons un bon kilomètre en restant le long de la N120 au lieu de faire un détour par un village sans intérêt, détour qui n’a d’autre but que d’éloigner un moment les pèlerins de la route. Nous arrivons vers 13h à Belorado, un assez gros bourg. Nous y faisons nos courses et déjeunons sur la place centrale qui, comme partout, s’appelle Mayor. Il y a plusieurs nids de cigognes habités sur les clochers des deux églises, l’ermitage de Santa María de Belén à l’entrée au pied des falaises, et l’église Santa María qui donne sur la plaza Mayor. Les gens du cru n’y font pas attention mais pour nous, c’est un spectacle original dont on ne se lasse pas, surtout quand il y a des petits dans le nid comme ici.

    J35 - Belorado - Eglise Santa Maria et nids de cigognes

     J35 - Belorado - Pause repas sur la place

    Il est bien trop tôt pour s’arrêter là comme le font plusieurs pèlerins, et nous décidons de continuer jusqu’à l’hébergement suivant situé dans le minuscule village de Villambistia, sept kilomètres plus loin. Cela fera une étape de trente kilomètres mais Philippe et moi sommes en bonne forme, pas fatigués, et n’avons pas mal aux pieds.
    Les sept kilomètres sont parcourus en bavardant dans ce paysage agricole très bucolique.
    Pour une fois, le chemin ne longe pas la route nationale qui est pourtant toujours là.

    De l’autre coté de la vallée, nous remarquons le sanctuaire de la Virgen de la Peña creusé dans la montagne et dont les murs clairs sont illuminés par les rayons du soleil couchant. C’est un joli spectacle qui donne envie d’aller voir de plus près mais depuis le chemin, il n’est pas possible d’y parvenir car il y a la rivière à traverser. Pour cela, il faudrait revenir plusieurs kilomètres en arrière jusqu’à Belorado.

    Villambistia, c’est presque un hameau un peu à l’écart de l’omniprésente N120. Il y a une petite auberge de quatorze places seulement où nous rencontrons quatre Français que nous n’avions encore jamais vus. Nous retrouvons aussi Isabel, Serene, Rafael et John qui arrivent un peu après nous. Cela fait plaisir de retrouver nos amis et nous nous racontons nos aventures de la journée en installant nos affaires sur les lits du petit dortoir.

    En fin de soirée, la gérante de l’auberge refuse une Américaine solitaire qui arrive à la nuit tombante. On ne comprend pas pourquoi car il y a encore de la place. Mais, une demi-heure plus tard, elle accepte un nouveau retardataire. Peut-être avait-il réservé sinon pourquoi l'avoir accepté et pas la précédente?
    Une fois n’est pas coutume, nous dînons avec les Français. Il y a une ambiance très sympathique dans le petit bar qui gère le gîte. Il faut dire que nous sommes une dizaine de pèlerins qui nous côtoyons pour la plupart depuis longtemps et les conversations en français, en anglais et en espagnol vont bon train, le polyglottisme étant favorisé par le bon vin de Rioja servi sans retenue comme dans presque toutes les auberges.

      

    J 36. Samedi 13 avril - VILLAMBISTIA - CARDAÑUELA RIOPICO.  30 km                                      Beau temps, vent

    La nuit a été bonne et nous sommes réveillés tôt. Dès 7h, Philippe et moi sommes partis parmi les premiers alors que le jour se lève à peine. Nous avons démarré si tôt car le petit-déjeuner n’est servi qu’à partir de 8h30, bien trop tard à notre goût, et il faut marcher quelques kilomètres jusqu’à Espinosa del Camino, le village suivant, pour pouvoir prendre notre petit-déjeuner dans un bar ouvert où nous retrouvons les Français de la veille.
     

    J36 - Auberge à Espinosa
     

    J36 - Petit déjeuner au bar à Espinosa
     

    Ce n’est pas la première fois que je quitte l’auberge où j’ai passé la nuit sans attendre le petit-déjeuner servi bien trop tard. Même si on n’en a pas vraiment l’intention, on est souvent réveillé par l’agitation provoquée par les lève-tôt dans le dortoir. Il n’y a rien d’autre à faire que de se lever à son tour et se préparer ce qui ne demande pas beaucoup de temps. Pour profiter du petit-déjeuner proposé, il faudrait patienter pendant une bonne heure voire plus, ce qu’aucun pèlerin ne fait. Je me demande si ce n’est pas volontaire...
    Ce matin encore, le chemin est agréable, il fait toujours beau et le vent a nettement faibli bien qu’il soit toujours aussi froid que les jours précédents.

    J36 - Arrivée à Villafranca Montes de Oca


    Nous traversons Villafranca Montes de Oca puis franchissons cette chaîne de collines qui culmine à 1100 m. Dans la montée facile et agréable dans les bois, la piste passe près de la fontaine de Mojapán citée par Aymery Picaud dans son guide du pèlerin écrit en 1140. Par contre la traversée de ce mouvement de terrain par une piste rectiligne interminable nous parait bien pénible. Le seul point d’intérêt est un monument élevé sur un site où un charnier datant de la guerre civile a été découvert lors des travaux de construction de la grande route voisine. Au Moyen-âge, ces lieux avaient une sinistre réputation car il n’y avait pas de chemin pour franchir les collines et ces bois étaient hantés par les loups et les brigands.
    De l’autre coté de la colline, le chemin arrive au petit village de San Juan de Ortega et sa belle église romane du XII° siècle contenant le tombeau du saint éponyme. Il avait bâti l’église lui-même pour accomplir un vœu après avoir fait le pèlerinage de Jérusalem et avoir travaillé à la continuation de l’œuvre de Santo Domingo de la Calzada au profit des pèlerins. A l’intérieur, se trouvent en fait deux tombeaux : l’un est une simple dalle de pierre dans la crypte, tandis que l’autre, mausolée de marbre blanc situé à la croisée de la nef et du transept, est une petite merveille de l’art funéraire qu’un de ses riches amis lui avait destiné. Mais au moment de sa mort Juan de Ortega préféra la pierre nue et le tombeau sculpté à sa gloire resta vide. Belle leçon d’humilité. Nous prenons le temps de visiter ce bel édifice en pierre dorée et le très joli cloître de marbre rose avant de reprendre notre marche.

    J36 - San Juan de Ortega


    Plus loin sur le chemin, nous trouvons une spirale de pierres tracée au sol par les pèlerins qui nous ont précédés. Chaque nouveau passant ajoute quelques cailloux au bout de la ligne et la spirale s’agrandit ainsi indéfiniment. C’est à cet endroit que nous rencontrons Elisabeth, une jeune Autrichienne qui marche seule, bien reconnaissable à ses cheveux coupés très courts un peu à la diable et teints en rouge.
     

    J36 - Première rencontre avec Elisabeth sur le chemin d'Agés

    Nous arrivons ensemble à Agès où nous nous arrêtons pour déjeuner d’un "plato compuesto" à la terrasse de la taverne du lieu en regardant de nouveau le manège des cigognes sur le clocher.

    J36 - Agés - Nids de cigognes sur le clocher


    Après le repas, je vais faire un tour dans le village et je rencontre au détour d’une rue une vieille dame bien alerte malgré ses quatre-vingt-treize ans qui se promène elle aussi, appuyée sur sa canne. Elle est toute heureuse de discuter avec moi de la vie du village et du pèlerinage. Elle est très étonnée de voir tous ces gens traverser à pied son village et elle me demande même : « Ils vous payent pour faire ça ? ». Elle est encore plus étonnée d’apprendre que non, on ne nous paye pas ! Puis, elle me dit : «Tengo que regresar a casa si no van a buscarme» (il faut que je rentre sinon ils vont me chercher).

    Elisabeth nous accompagne encore un moment mais nous marchons bien plus vite qu’elle et ne tardons pas à la distancer inexorablement. Bien qu’elle ne s’en plaigne pas, elle doit avoir des ampoules car elle boitillait légèrement en repartant d’Agès.
    Quelques kilomètres plus loin, Atapuerca est un site néolithique très connu en Espagne et on peut y voir plusieurs menhirs à proximité de la route. On passe aussi tout près d’un des ponts construit par Juan de Ortega. Il n’est plus utilisé mais il est toujours là. Nous retrouvons Franck, l’aumônier australien et son sac à dos encore impressionnant malgré les allègements effectués.

    J36 - Menhirs à Atapuerca


    La plupart des pèlerins font étape dans ce village. Il est encore tôt et nous décidons de pousser jusqu’à Cardeñuela Riopico, sept kilomètres plus loin. Cela fera une nouvelle étape de trente kilomètres, mais il n’en restera que quinze pour arriver à Burgos, nous laissant ainsi suffisamment de temps pour visiter.

    Avant, il faut franchir les Monts Matagrande, petite chaîne de collines de 1080 m d’altitude bordée par un camp militaire d’où on a une très belle vue sur la plaine où est construite la ville de Burgos. D’ailleurs, au sommet, un panneau le précise avec fierté : «Depuis que le pèlerin a dominé à Burgete les monts de Navarre et a vu les vastes étendues d’Espagne, il n’a pas joui d’une vue plus belle que celle-ci».

    J36 - Au sommet de Matagrande 1078m

    Il y a aussi une autre spirale de pierres bien plus grande que la précédente. Nous y ajoutons notre contribution minérale avant de redescendre le versant ouest vers notre destination finale. Nous traçons notre propre itinéraire au plus court sans tenir compte du balisage mais il n’y a pas de risque de se tromper dans cet environnement de collines dénudées où rien n’arrête le regard jusqu’aux montagnes qui barrent l’horizon au sud et au nord.
    Au village, il n’y a qu’une minuscule et rustique auberge municipale de dix places où la douche est froide et où nous faisons sécher notre linge accroché dans les buissons. Nous prenons notre repas au bar local en compagnie d’un autre couple de Français et d’un Belge, les seuls autres clients. Pour une fois, les conversations peuvent se faire en français. Nos compagnons nous racontent leur long périple depuis Saint-Jean-Pied-de-Port. Ils font de toutes petites étapes et mettront beaucoup de temps à arriver au bout. Chacun avance au rythme qui lui convient.

    J36 - A l'auberge de Cardenuela Riopico



    J 37. Dimanche 14 avril - CARDAÑUELA RIOPICO - RABÉ DE LAS CALZADAS. 
    28 km                       Beau temps

    Je me réveille à 7h30, ce qui ne m’était pas arrivé depuis longtemps. C’est l’avantage d’être dans un petit gîte où nous ne sommes que cinq. Le petit-déjeuner au bar local est un peu chaotique, le tenancier n’ayant visiblement pas l’habitude d’en servir, et nous devons mettre nous même la main à la pâte.

    Philippe et moi marchons avec le Belge sous un ciel parfaitement bleu. Une nouvelle magnifique journée commence. Pour entrer dans Burgos, il y a le choix entre deux itinéraires, par la zone industrielle ou le long de la rivière. Nous choisissons la deuxième solution bien qu’elle soit légèrement plus longue. Le chemin contourne l’aéroport pour rejoindre Castañares mais nous perdons le balisage dans le village et nous improvisons en suivant plus ou moins la N120. Elle est quand même bien utile cette route ! Nous longeons une longue avenue, traversons quelques zones assez tristes avant d’arriver en ville sans avoir vu la rivière. À 9h45, nous passons le panneau d’entrée d’agglomération.

     J37 - Dimanche 14 avril - Arrivée à Burgos

    Burgos c’est un repère de plus sur mon avancée. Je suis très content d’être arrivé jusque là. Je suis en super forme et j’ai surtout un moral radieux. Qu’elle est loin l’incertitude des premiers jours de marche, là-bas dans les plaines du Languedoc !
    Le trajet en ville n’en finit pas. Nous faisons une petite halte croissant dans une pâtisserie, manière de rompre un peu la monotonie du trajet. Après les faubourgs nous arrivons dans le centre où les avenues sont plus larges, la circulation plus intense et les immeubles plus cossus.

     J37 - Dans les faubourgs de Burgos - Philippe et Christophe

    Finalement nous débouchons sur la plaza del Rey San Fernando après avoir remonté une longue rue très touristique où s’alignent restaurants, bars et boutiques de souvenirs. Nous voici enfin devant la magnifique cathédrale Santa María, réputée la plus belle cathédrale gothique d’Europe. C’est effectivement une pure merveille. L’immense place qui la borde sur un coté permet d’avoir suffisamment de recul pour l’admirer dans son ensemble. Nous restons un moment là assis sur un banc à la contempler. Mais très vite, l’œil se perd dans la multitude de détails qui la composent et il faut se décider à aller voir l’intérieur. La visite est gratuite pour les pèlerins et il y a même une consigne où nous pouvons laisser nos sacs. C’est aussi là que nous faisons tamponner nos créanciales. Comme la foule des touristes, nous pénétrons dans l’immense nef bien éclairée par de grands et beaux vitraux et passons presque trois heures à admirer les dentelles de pierre, les dix-sept chapelles toutes plus rutilantes les unes que les autres, le déambulatoire, le cloître. À la croisée de la nef et du transept, on ne peut que s’arrêter devant la tombe en marbre rouge de Rodrigo Diaz de Bivár, autrement dit le Cid Campeador et celle de Chimène. On est presque étonné de découvrir qu’ils ont réellement existé, que ce n’est pas seulement une belle histoire admirablement racontée par Corneille. Les nombreux vers si fameux appris pendant notre scolarité resurgissent du fond de notre mémoire.

     J37 - Burgos - Plaza Santa Maria

     J37 - Burgos - La cathédrale Santa María

    J37 - Burgos - La cathédrale Santa Maria - L'entrée et son tympan


    J37 - Burgos - La cathédrale Santa Maria - La tombe du Cid

    J37 - Burgos - Dans la cathédrale Santa Maria - Le cloitre

    Dans le musée, une étonnante statue en bois polychrome de Saint Jacques en matamore terrassant deux sarrasins attire le regard. Il y a des merveilles partout.

    Burgos - La cathédrale - Statue de Santiago matamoro


    Trois heures plus tard, nous ressortons sur la grande place ensoleillée et faisons le tour du vaste édifice avant de quitter finalement les lieux en empruntant la monumentale porte Santa María superbement décorée de fresques en marbre blanc.

    J37 - Burgos - La porte Santa Maria

    Elle donne sur une large avenue au bord du río Arlazón où nous rencontrons Franck l’Australien qui arrive à l’instant. Il tient bien le coup malgré le poids exagéré de son sac à dos.
    Nous nous installons ensuite au soleil dans un petit parc tranquille au bord de la rivière pour manger notre repas. Une fois de plus, il est un peu tôt pour faire étape dans cette ville. Après avoir consulté nos cartes, nous décidons de continuer notre route jusqu’à Rabé de las Calzadas, douze kilomètres plus loin. Cela fera une étape de vingt-huit kilomètres, ce qui est tout à fait à notre portée. Quant à notre compagnon belge, il nous a abandonné à la cathédrale.

    Le temps est magnifique, c’est la première journée de vrai beau temps et il fait même chaud.
    Le long de la rivière, nous passons devant la statue de Santo Domingo qui a tant fait pour le chemin.

    J37 - Burgos - Statue de St Domingo au bord de l'Arlanzon

    La sortie de la ville n’est pas très agréable. L’itinéraire longe une interminable avenue, traverse des lotissements en construction et serpente au milieu de plusieurs autoroutes qui s’entrecroisent et franchissent la rivière sur des viaducs. Sur le pilier de l’un d’entre eux, nous découvrons une originale peinture murale qui salue les pèlerins passant à cet endroit. Le long du Chemin, même les tagueurs pensent à nous !

    J37 - Sur le chemin vers Tardajos sous l'A231

    J37 - Chemin vers Tardajos sous l'A231- Tags du chemin
     

    J37 - Tardajos - Monument au chemin à l'entrée du village
     

    À Rabé de las Calzadas, petit village isolé au milieu des champs, l’auberge est sur la place en face de l’église.
    Grâce au soleil et au vent, mes affaires que je viens de laver sèchent en un clin d’œil accrochées à une grille. Près de l’église, nous remarquons que les branches des platanes sont greffées entre elles, d’un arbre à l’autre, formant un toit ombragé sans doute très agréable au plus fort de la chaleur de l’été.

    J37 - Rabe de las Calzadas

    Rabe de las Calzadas - Les arbres soudés

     
    Pour le dîner, nous retrouvons la bonne ambiance habituelle des auberges. Il y a des Canadiens, des Italiens, des Belges et Janette qui vient d’arriver avec les pieds en piteux état et à qui je passe quelques uns de mes pansements Compeed dont je n’ai pas encore eu besoin.
    Une excellente journée que nous avons beaucoup appréciée. 

     

    J 38. Lundi 15 avril - RABÉ DE LAS CALZADAS - CASTROJERÍZ.  27 km                                               Beau temps

    À 6h précises, nous sommes réveillés par Big Ben. À l’église de ce village, le tintement des cloches est remplacé par un enregistrement du carillon de Big Ben diffusé par haut parleur ! C’est assez surréaliste !
    Du coup, comme la plupart des pèlerins, Philippe et moi sommes debout bien plus tôt que d’habitude et nous démarrons alors qu’il fait à peine jour. Comme nous faisons des étapes bien plus longues que celles prévues par les guides, nous rattrapons chaque jour de nouveaux marcheurs. Ce matin, les nouvelles têtes sont des Français et un couple de Finlandais.
     

     J38 - Départ de Rabe de las Calzadas vers Hornillo del Camino

    Aujourd’hui, nous commençons la traversée de la Meseta qui s’étend sur plus de deux-cents kilomètres jusqu’aux monts de León. C’est un plateau qui s’élève entre 800 et 900 m d’altitude, balayé par les vents. Il est caractérisé par d'immenses paysages de champs de céréales aux horizons infinis, d'innombrables éoliennes tournant sur toutes les ondulations de terrain et de petits villages très pauvres nichés dans les creux. À cette époque de l’année, les champs sont agréablement verts mais en plein été ou à l’automne après les moissons, avec le chaume grillé par le soleil et la chaleur implacable, ces paysages doivent avoir des airs de Sahara.

    J38 - Philippe sur le chemin vers Hornillo del Camino

    J38 - Sur le chemin vers Hontanas


    C’est une belle et agréable étape. Le chemin ondule au milieu des champs où toutes les nuances de vert alternent à perte de vue. Nous découvrons tout à coup le petit village de Hontanas construit dans un vallon, serré autour de son église au clocher en mauvais état. Le chemin rejoint la rue principale où se regroupe toute la vie du village : bars, restaurants, auberges, épiceries et boulangerie. Quand un village a la chance de se situer sur le Chemin, le pèlerin est la ressource principale. Nous y faisons une brève halte pour une pause café con leche y croissant.

     J38 - Arrivée à Hontanas

    Pendant que nous dégustons notre café au lait, deux Françaises nous demandent notre aide. Elles marchent en tirant leur sac posé sur une sorte de traîneau à deux roues en tubes d’aluminium dont le "Miam-Miam-Dodo" fait la publicité. Les fixations de leur engin se desserrent avec les vibrations et les secousses et ces dames ont déjà perdu plusieurs vis. Elles ont essayé de le rafistoler avec de la ficelle et du scotch mais évidemment ça ne résiste pas. Elles n’ont aucune pièce de rechange et n’ont même pas emporté d’outil pour réparer. Leur cas est désespéré. Sans outil et sans les vis manquantes, nous ne pouvons rien faire pour les aider et devons les abandonner à leur sort.
    Nous reprenons notre marche le long de la route qui suit le fond de la vallée du Garbanzuelo (le petit pois chiche) en direction de Castrojeriz où nous avons prévu de faire étape.

    J38 - Sur la route de Castrojeriz

     
    À quelques kilomètres de là, la route passe à travers les ruines du monastère de San Antón. Ce monastère date de 1145, date à laquelle le roi Alphonse VI le confia aux Antonins qui soignaient le "feu de Saint-Antoine", une gangrène douloureuse qui sévissait en Europe au XI° siècle. Nous décidons de nous arrêter là pour manger notre repas de midi au soleil à l’écart de la route. La température est printanière et nous prenons notre temps.

    J38 - Arrivée aux ruines du couvent San Anton avant Castrojeríz

    Nous arrivons à Castrojeríz en tout début d’après-midi bien que nous ayons quand même marché vingt-sept kilomètres. C’est un gros village au pied d'une colline dominée par les ruines d'un château.

    J38 - Arrivée à Castrojeríz - Le chateau et l'église Santa Clara


    J38 - Arrivée à Castrojeriz - L'église Santa Clara


    C’est peut-être l’heure de la sieste car le village est totalement désert. Nous ne voyons personne en parcourant les rues jusqu’à l’auberge San Estéban qui est à la sortie du village un peu en hauteur. Elle est toute récente et bénéficie d’une grande terrasse qui offre une belle vue sur les toits du village et les champs au-delà. Il y a un grand dortoir où nous choisissons des matelas par terre plus confortables que les lits aux sommiers fatigués. 
    Avec une vingtaine de personnes qui occupent les lieux, l’auberge est loin d’être pleine. À part Jakob et Janette toujours là malgré ses pieds pleins d'ampoules, il n’y a que des gens que nous n’avons jamais vus auparavant. C’est assez étonnant car nous rencontrons peu de pèlerins pendant que nous marchons au point parfois d’avoir l’impression d’être seuls.
    Nous avons une bonne partie de l’après-midi devant nous. C’est l’occasion de ranger tranquillement nos affaires, de profiter du soleil et du vent pour faire une grande lessive et d’aller arpenter les rues du village, chaussés de nos tongs qui nous identifient immédiatement comme pèlerins. Il y a trois églises dans ce village fondé par les Goths en 760 mais nous n’allons pas les visiter. Pendant notre promenade, nous découvrons une statue érigée "en hommage à ceux qui, depuis 1000 ans, donnent forme et esprit au Chemin".

    Castrojeriz - Statue de Santiago

    De retour à l'auberge, bien qu’Internet soit payant, j’envoie le huitième épisode de mon récit. Tout le linge étendu sur les balustrades a bien séché grâce au soleil et au vent. Il n'y a plus qu'à le récupérer.

    J38 - Castrojeríz - L'albergue municipale

    C’est ma première journée de marche sur la Meseta. J’ai bien aimé marcher à travers ces grands espaces, sous ce ciel immense. Non, ce n’est pas le calvaire dont j’ai entendu parler, en cette saison en tout cas. En été, c’est sans doute une autre histoire. On marche sans contrainte, l’esprit peut vagabonder à sa guise, oublier même le chemin car il n’y a aucun risque de se tromper tellement l’itinéraire est évident et le marquage omniprésent.
    Il n’y a rien de particulier à voir, les paysages ne varient pas et ne recèlent rien de pittoresque, mais il en émane une espèce de pureté, une beauté absolue, abstraite. C’est en tout cas ce que j’ai ressenti et il est possible que d’autres ne perçoivent pas la même chose, auquel cas ils vont détester ce tronçon du chemin et peut-être carrément le sauter en prenant le bus de Burgos jusqu’à León comme le font certains.

    J’ai deux jours d’avance sur mon planning initial, je suis en forme, je n’ai mal nulle part et n’ai toujours pas d’ampoules. Plus le temps passe, plus je savoure ce voyage infini et ma créanciale se remplit tout doucement de tampons variés, tous plus beaux les uns que les autres. Chaque village, chaque auberge, chaque paroisse et même des particuliers qui installent un étal de ravitaillement au bord du Chemin s’évertuent à proposer un sello original qui va se démarquer par rapport à ceux de ses voisins, sympathique compétition dont bénéficient les pèlerins.
    J'espère simplement que le beau temps va continuer car c'est un vrai plaisir de marcher dans ces conditions.

    Le soir venu, nous allons dîner avec Jakob et Janette dans un restaurant qui porte un nom français, "Le pressoir".
    L’énorme poutre de chêne et son contrepoids en pierre forment un assez joli cadre.
    Malheureusement le repas n’est pas à la hauteur. C’est bien la première fois que cette mésaventure nous arrive. On ne s’y éternise pas et rejoignons tranquillement l’auberge par les rues du village. On n’y croise que quelques chats maigres qui attendent peut-être la fermeture du restaurant pour aller se nourrir dans ses poubelles. 

     

    J 39. Mardi 16 avril - CASTROJERIZ - POBLACIÓN DE CAMPOS.  28 km                                                Beau temps

     Comme les jours précédents, nous sommes réveillés tôt par l’agitation dans le dortoir. Philippe et moi partons à l’aube mais nous ne sommes pas les premiers. D’autres ont démarré bien plus tôt et nous les voyons, minuscules silhouettes éclairés par le soleil qui vient de faire son apparition, dans la longue côte qui nous attend à deux kilomètres du village, tandis que nous marchons dans la plaine encore dans l’ombre au milieu des champs couverts de gelée blanche. De loin, cette côte parait impressionnante mais elle n’est pas si terrible que ça et nous la gravissons facilement et rapidement sous les premiers rayons du soleil, puis le chemin s’étire interminablement dans les champs sur le plateau de Mosterales jusqu’au pont d’Itero sur le río Pisuerga. Ce río matérialise la frontière entre les anciennes provinces de Castille et de León aujourd’hui réunies en une seule entité territoriale. C’est un beau pont aux onze arches romanes construit au début du XII° siècle sur ordre d’Alphonse VI. Ses arches se reflètent dans l’eau calme de la rivière créant un joli tableau à la symétrie parfaite.

    J39 - Peu après Castrojeriz sur la chaussée romaine vers Itero


    J39 - Sur le chemin vers Itero

    J39 - Pont d'Itero sur le rio Pisuerga

     J39 - A la sortie du pont d'Itero sur le rio Pisuerga

    J39 - Stand de ravitaillement sur le chemin vers Itero


    A
    près le pont, au lieu de suivre le fléchage qui va vers le village d’Itero, nous restons sur la route, ce qui nous fait gagner encore un petit kilomètre. À Boadillo del Camino, huit kilomètres plus loin, nous retrouvons le chemin balisé qui, à la sortie du village rejoint et longe les berges du canal de Castille.

    J39 - Boadillo del Camino - Nids de cigognes sur le clocher

     J39 - Philippe au bord du canal de Castille en direction de Frómista

    Ce canal a été construit entre 1753 et 1849 pour permettre de transporter la production agricole de la Castille vers les ports de la côte cantabrique. Mais il a été construit trop tard. Très vite concurrencé par le chemin de fer, il périclite. Aujourd’hui, il ne sert plus qu’à l’irrigation des terres et ses chemins de halage procurent d’agréables itinéraires de randonnée dont nous profitons.
    La marche le long de ce canal à l’ombre des peupliers ne dure que quelques kilomètres jusqu’à l’entrée de Frómista et son spectaculaire escalier d’écluses ovales construites en une jolie pierre dorée qui resplendit sous le soleil. 
    La similitude avec le canal du Midi est frappante.

     J39 - Les écluses de Frómista sur le canal de Castille

    À Frómista, nous nous arrêtons un moment pour boire un café à l’ombre providentielle de la terrasse d’un bar. Nous avions pique niqué peu de temps auparavant sur les berges du canal. Je profite de cette halte pour visiter la très jolie église romane San Martín à trois nefs d’une pureté étonnante.

     J39 - Frómista - Eglise San Martin construite en 1066

    Fromista - Eglise San Martin

    Après cette pause très appréciée car il fait chaud sous le soleil, nous marchons encore quatre kilomètres le long de la route jusqu’au petit village de Población de Campos. Le long de cet axe, le marquage du chemin est omniprésent, presque exagéré, à croire qu'ils ont peur que les pèlerins se perdent !

    J39 - Sur la P980 en direction de Poblacion del Campo

    J39 - Marquage renforcé sur la P980 en direction de Poblacion del Camino


    Il n’y a qu’une seule auberge et elle n’est pas terrible mais par contre l’hôtel voisin tout neuf nous offre le confort d’une chambre double pour trente-et-un euros, repas compris avec un accueil très chaleureux en prime.

    Nous nous y installons donc, ravis du confort proposé. Philippe et moi profitons de la machine à laver mise à notre disposition pour faire une grande lessive commune de toutes nos affaires que nous faisons sécher au soleil sur la pelouse du jardin de l’hôtel. Un peu plus tard, Janette arrive en compagnie d’Alisson, une Anglaise qui habite en France, à Theys près de Grenoble et qui souffre elle aussi de nombreuses ampoules aux deux pieds.
    Bien sur, nous prenons aussi le temps de savourer une caña con lemón bien fraîche sur la terrasse de l’hôtel tout en préparant l’étape du lendemain. Cette boisson typiquement espagnole est similaire à notre demi panaché mais avec du soda au citron en lieu et place de la limonade. Elle est devenue une tradition à l’arrivée de chaque étape. C’est très rafraîchissant, combinant l’amer de la bière au sucré et à l’acidulé du soda. L’après-midi s’écoule tranquillement entre nos habituelles tâches ménagères et une promenade dans le village lui aussi doté des ruines d’un château féodal, et nous savourons ces moments de détente qui reposent le corps et l’esprit.

    J39 - L'église de Poblacion del Camino

    Pause caña con lemón à l'albergue de Poblacion de Campos

    Le soir, nous profitons d’un excellent et copieux dîner avec Janette et Alisson, Franck l’Australien, deux Françaises et un Espagnol qui paye sa tournée de digestif après qu’Imaculada, la patronne aux seins énormes, nous en ait offert une première. L’ambiance est comme d’habitude très animée au cours de ce repas en commun. 

     

    J 40. Mercredi 17 avril - POBLACIÓN DE CAMPOS - CALZADILLA DE LA CUEZA.  34 km                    Beau temps

     Ce matin, nous partons à quatre, Philippe, Janette, Alisson et moi. Il fait un temps magnifique et la fraîcheur matinale est idéale pour marcher. Le chemin avance tantôt au milieu des champs, tantôt au bord de la rivière, mais assez vite il rejoint la route et nous marchons à nouveau le long de la N120 jusqu’à Carión de Los Condes.

    J40 - Alisson (GB) et Janette (DK) sur le chemin vers Carion de los Condes


    J40 - Arrivée à Carion de los Condes


    Arrivés à la ville qui a des airs d’oasis au milieu de cette immensité vide, nous faisons nos habituelles courses et j’expédie à la maison par la poste un colis contenant mon blouson polaire et le bonnet de Jean-Claude. Un allègement d’un kilo mais qui me coûte quand même vingt-trois euros.
    Nous nous arrêtons pour manger à la sortie de la ville sur une aire de pique nique à l’ombre de peupliers puis il faut se lancer dans l’interminable ligne droite de dix-sept kilomètres qui mène à Calzadilla de la Cueza. Le chemin suit l’ancienne voie romaine qui va jusqu’à León. Alisson fatiguée reste en arrière, Janette tient le coup mais perd du temps à changer de chaussettes régulièrement à cause de ses ampoules et nous finissons par la distancer. 
    On n’en voit pas la fin. La piste s’allonge devant nous sans aucun repère permettant de mesurer notre avancée. Et puis, juste derrière une ondulation de terrain, le village apparaît soudainement, à deux-cents mètres à peine. Enfin !

     J40 - Philippe sur l'interminable chemin vers Calzadilla de la Cueza

     J40 - Sur l'interminable chemin vers Calzadilla de la Cueza

    Philippe arrive enfin à Calzadilla de la Cueza


    Il est presque 17h quand Philippe et moi arrivons à l’albergue à l’entrée du village. Il y a du monde mais il reste beaucoup de places libres. Philippe prend encore une chambre au petit hôtel voisin mais je reste au dortoir. Janette arrive alors que j’ai déjà fait ma lessive. Je l’aide à soigner ses ampoules. Elle en a plein les pieds, au talon, à chaque orteil, sous la plante. Elle doit vraiment souffrir mais elle avance toujours. Je passe une bonne demi-heure à soigner l’un de ses pieds pendant qu’elle s’occupe de l’autre. Je perce chaque ampoule avec une aiguille et un morceau de fil que je laisse en place dans l’ampoule pour l’empêcher de se refermer et laisser le liquide s’écouler. A chaque fois, il faut désinfecter l’aiguille et le fil et cela prend du temps.

    J40 - Calzadilla de la Cuesta - Les pieds de Janette


    Vers 18h, Alisson fait elle aussi son apparition. Ces filles ont une volonté extraordinaire.

    Le dîner est à nouveau très sympathique car il est pris en commun au restaurant de l’hôtel et il y a une bonne ambiance. L’Espagnol de la veille est ravi car il a rencontré de nombreux compatriotes. Il veut à nouveau payer une tournée de digestif mais ce soir il n’a pas de succès.
    L’étape d’aujourd’hui a été dure. Trente-quatre kilomètres c’est long surtout quand une bonne partie du chemin est sans intérêt et qu’il faut marcher sous un chaud soleil.
    Je me masse bien les pieds car ce soir ils me font un peu mal. 

     

    J 41. Jeudi 18 avril - CALZADILLA DE LA CUEZA - CALZADA DEL COTO.  26 km                                      Beau temps

     Nous partons avec Philippe sans les filles longues à démarrer car il faut du temps pour soigner les ampoules. Il fait froid au lever du jour et je garde le gilet polaire jusqu’à Sahagún où nous arrivons à midi après une pause petit-déjeuner bis à Moratinos. Après ce village, l’itinéraire suit de près l’omniprésente N120.

    J41 - Sur le chemin vers Sahagún au bord de la N120

    Souvent j'écris que nous avons marché le long de la route. Nous marchons en fait sur un large chemin spécialement tracé pour les pèlerins et qui longe la route en toute sécurité à plusieurs mètres de distance. L’aménagement du Chemin en Espagne est remarquable. Il a pu être réalisé grâce à un financement européen et aussi grâce à des subventions de l’Unesco, le Chemin de Compostelle ayant été classé au patrimoine mondial.
    A Sahagún, nous faisons les courses pour le lendemain et nous déjeunons d’une tortilla, d’une tarte aux pommes et d’un café au lait avant de reprendre notre route.

    J41 - Sur le chemin vers Sahagun au bord de la N120

    J41 - Sahagun


    J41 - Sahagún - Pont sur le rio Cea

     J41 - Troupeau de moutons à la sortie de Sahagun

    Après cette petite ville, deux chemins sont possibles, l'un le long de la N120, l'autre par l'ancienne voie romaine. Klaus m’avait conseillé de prendre la voie romaine, aussi j’ai choisi cette option, ce qui implique de passer par le tout petit village de Calzada del Coto où j'ai prévu de faire étape.
    À la sortie de Sahagún, je reconnais devant moi les sacs à dos de Cristina et Virginia. Quand elles s’arrêtent à la bifurcation entre les deux itinéraires, je vais les embrasser avant de continuer vers Calzada tandis qu’elles empruntent l’autre itinéraire le long de la N120 vers Bercianos. Nous nous apercevons que tous les pèlerins adoptent cette dernière variante, sans doute parce qu’elle est recommandée par les guides. Il n’y aura donc pas beaucoup de monde sur celle que j’ai choisie.

    À Calzada del Coto où nous arrivons vers 15h, il y a un petit refuge très succinct, non gardé et gratuit mais équipé malgré tout de lits avec couvertures, du chauffage, d’une douche avec eau chaude et de sanitaires. Je décide d’y rester tandis que Philippe qui aime bien son confort, préfère continuer jusqu’à Calzadilla de los Hermanos, neuf kilomètres plus loin, soit un total de trente-cinq kilomètres. Les vingt-six d’aujourd’hui me suffisent, il ne faut pas trop tirer sur la corde.
    Je vais faire un tour dans ce village pas si minuscule qu’il en a l’air. Il y a un bar où je pourrai manger le soir et une petite épicerie qui ouvre à 17h, les deux endroits indispensables à la vie du pèlerin. Quand je reviens au refuge après ma reconnaissance, un Allemand et un couple d’Autrichiens sont arrivés. Nous profitons tous les quatre de la tranquillité et des derniers rayons de soleil puis nous allons manger ensemble au bar près de l’église. Ici aussi le dîner est copieux et très agréable. 
    Les conversations entre pèlerins pourraient sans doute faire l’objet d’une étude. Elles tournent toujours autour du même sujet mais elles se renouvellent sans cesse et le flot de paroles ne tarit jamais, alimenté par l’influence sournoise du vin servi comme toujours abondamment. Ce soir, petite variante, l’allemand s’est un peu mélangé à l’anglais mais cela n’a pas changé grand chose au débit. À la fin du repas, la jeune patronne à la coiffure moderne et originale, nous offre un digestif local que nous dégustons avec plaisir.
    Il ne nous reste plus qu’à rejoindre notre refuge où nous trouvons une température bien confortable grâce au chauffage que nous avions laissé allumé avant de partir.
    Je suis content d’avoir revu mes deux amies andalouses. À travers nos échanges de textos je pouvais suivre leur avance mais je ne pensais pas réussir à les rattraper aussi rapidement. Je me demandais même si j’y arriverais. Depuis qu'elles m'ont quitté à Pamplona, je leur ai repris une journée entière de marche. 

     

     

    J 42. Vendredi 19 avril - CALZADA DEL COTO - MANZILLAS DE LAS MULAS.  33 km                           Beau temps

    J’ai très bien dormi grâce à la tiédeur des lieux et au fait d’avoir posé le matelas par terre car le sommier était très fatigué. Je me lève à 6h30 en évitant de réveiller mes compagnons de la nuit, et je pars alors que le jour se lève à peine en mangeant le gâteau et la banane achetés la veille. Le ciel est clair mais il fait très froid et je garderai la parka une bonne partie de la matinée. Pour la première fois depuis huit jours, je marche seul. Je m’étais bien habitué à la compagnie de Philippe et il me manque un peu.

    J42 - Départ à l'aube de Calzada del Coto

    J’arrive rapidement à Calzadilla de los Hermanos et je m’aperçois que je marche trop vite. Il ne s’agit pas de recommencer l’erreur commise après Navarrenx et je m’arrête un moment à la sortie du village pour boire et grignoter un morceau de pain. J’avais espéré trouver un bar ouvert pour boire un café mais il n’y en a pas. Je repars plus lentement pour les dix-huit kilomètres qui me séparent de Reliegos.
    Le chemin emprunte l’ancienne voie romaine Trojana dont les pavés d’origine sont toujours visibles en beaucoup d’endroits et il parait d’autant plus long qu’il est rigoureusement rectiligne et avance dans un paysage absolument plat. Rien n’arrête le regard, pas même un arbre. Il faut marcher dans cet immense espace en laissant l’esprit vagabonder à sa guise.

     J42 - Sur la voie romaine vers Reliegos

    J42 - Au bout de la voie romaine - Reliegos, Mansilla de las Mulas et les Monts du Leon

    En arrivant au village de Reliegos peu après 13 h, c’est un peu comme si je redescendais sur terre. Je retrouve des maisons, des gens, des arbres, des voitures.
    Je déjeune sur un banc en compagnie d’un groupe de Montpelliérains qui ont démarré de Burgos, bois un café au bar du village puis je repars sans attendre car je veux continuer jusqu’à Manzillas de las Mulas quelques kilomètres plus loin. 
    Ces quelques kilomètres le long de la route sont avalés en un clin d’œil. À l’entrée du village, je découvre l’auberge privée Jardín del Camino, jolie et confortable et je m’installe.

    J42 - Sur la route entre Reliegos et Mansilla de las Mulas

    Mes deux amies Cristina et Virginia arrivent un moment plus tard. Nous allons faire les courses en ville puis profitons du soleil dans le grand jardin de l’auberge en bavardant avec tout le monde. Le soir, le dîner avec un groupe d’Espagnols est très animé. Il y a un boute-en-train dans l’équipe qui enchaîne les plaisanteries et les jeux de mots. Heureusement je parle suffisamment bien la langue pour pouvoir apprécier. Bien que très différente de la soirée de la veille et de celle de l’avant-veille, celle-ci est tout aussi sympathique et caractéristique de l’ambiance du chemin que j’apprécie tant. Et ce soir, le plaisir est rehaussé par les retrouvailles avec mes deux charmantes et très dynamiques copines andalouses.

    J42 - A Mansilla de las Mulas

     
    L’étape d’aujourd’hui a été longue et un peu monotone mais, malgré les trente-trois kilomètres, je l’ai parcourue sans fatigue excessive, presque sans m’en apercevoir. C’est une étape typique de la Meseta où il n’y a rien à voir, où il faut juste continuer à avancer en "déconnectant" le cerveau.

    Je constate que je marche bien mieux qu’au début de mon pèlerinage. Les quarante-deux jours de marche ont un effet positif sur mes performances sans compter que depuis que je me suis débarrassé de mon blouson polaire mon sac ne pèse plus que sept kilos.

     

    J 43. Samedi 20 avril - MANZILLAS DE LAS MULAS - LA VIRGEN DEL CAMINO.  27 km                        Beau temps

    Mes compagnons de dortoir ne sont pas pressés. Quand je me lève à 7h, personne n’a encore bougé. Je me prépare sans bruit, descends prendre mon petit-déjeuner au bar et pars sous un ciel d’un bleu parfait. Mais la température n’est que de moins 2°.
    Au bout de quelques kilomètres, je rattrape Janette qui a dormi dans une autre auberge du village. Nous marchons ensemble jusqu’à la grande ville de León après une pause petit-déjeuner-bis à Arcahueja.

    L’entrée en ville n’est pas très longue ni désagréable comme cela avait été le cas à Burgos. Néanmoins, il faut quand même marcher un long moment près d'une autoroute heureusement peu fréquentée ce samedi matin.

     J43 - Le long de la N 601 vers León

    J43 - Le long de la N 601 vers Leon


    À l’entrée de la ville, nous franchissons le río Torio sur un vieux pont. Le fléchage nous guide ensuite à travers les rues piétonnes de la vieille ville jusqu’à la belle place Santa María del Camino toute pavée où je laisse Janette à l’auberge municipale car elle veut se reposer une journée entière pour soigner ses pieds. Je continue mon chemin tout seul vers le centre ville.

     J43 - León - Janette sur la plaza Santa Maria del Camino

    Dans mon planning initial, j’avais prudemment prévu de prendre une journée de repos tous les quinze jours. Je l’avais fait à Toulouse puis à Pamplona et le troisième arrêt était prévu à León. Comme je me sens en super forme et ne souffre de rien, je décide de ne pas marquer cette journée de repos. D’ailleurs, comme il est très tôt, j’ai l’intention de continuer au-delà de la ville pour aller dormir quelques kilomètres plus loin, à La Virgen del Camino. En attendant, je vais prendre le temps de visiter les monuments de cette ville vieille de deux mille ans qui est née en l’an 70 comme camp romain de la Légion VII. Elle en a gardé le nom, déformé à travers les âges et les péripéties de son histoire agitée.
    Je commence par la cathédrale, une autre merveille gothique construite à partir de 1203. Normalement, on ne peut pas la visiter en raison des travaux en cours mais je profite d’un mariage pour me glisser à l’intérieur. Elle est très lumineuse grâce à ses nombreuses fenêtres et ses immenses vitraux. Puis, je fais le tour des anciens remparts, admire le palais de los Guzmanes puis pénètre dans la magnifique basilique San Isidro de style roman. On peut y admirer un panthéon où reposent vingt-trois rois et reines d’Espagne, seul vestige de la construction initiale, ainsi que le tympan de la Puerta del Cordero (porte de l’agneau) représentant le sacrifice d’Abraham. C’est aussi dans cette église que Chimène a épousé le Cid.

    J43 - León - La cathédrale

    J43 - Leon - Mariage devant la cathédrale


     J43 - León - Palais de los Guzmanes

     
     J43 - León - Les murs de la ville - Los cubos
     

     J43 - León - Basilique San Isidoro

    J43 - Leon - Nid de cigognes Plaza San Isidoro


    Après la phase culturelle, il faut penser à la logistique. J’achète quelques cartes postales que je rédige en déjeunant dans une cafétéria, je fais mes courses, retire de l’argent et recharge ma carte téléphonique puis je reprends mon chemin vers La Virgen del Camino. Devant l’ancien couvent San Marcos devenu hôtel Parador, il y a une concentration de Ferraris. Une trentaine de machines toutes plus belles les unes que les autres sont garées sur l’immense place au bord du río Bernesga. Visiblement ceux-là ne connaissent pas la crise qui sévit pourtant dans toute l’Espagne.

     J43 - León - Concentration Ferrari devant l'ancien couvent San Marcos

    J43 - Leon - Pont sur le rio Bernesga

    Le chemin jusqu’à La Virgen n’est pas très agréable et en parait d’autant plus long. Il passe devant de drôles de constructions enterrées que je n’identifie pas de suite. J'apprendrai plus tard qu’il s’agit de bodegas, des caves à vin familiales dans lesquelles autrefois les gens fabriquaient et conservaient leur propre vin.

    J43 - Anciennes bodegas ou caves à vin à la sortie de León

    J43 - Arrivée à La Virgen del Camino


    L’auberge municipale où je m’arrête est installée dans un parc près du centre. 
    Elle est toute neuve, bien agencée et très bien tenue.
    Une fois le rituel quotidien expédié, je vais dans le grand salon discuter avec Jakob que je n’avais pas revu depuis Castrojeriz et qui me donne des nouvelles de Philippe, pas très loin devant. Quatre Français sont installés à la table voisine. Ils sont équipés d’un ordinateur portable sur lequel ils pianotent en discutant à haute voix de leurs problèmes de réservation d’hébergement. Ignorant que je suis français, ils me demandent un renseignement en anglais. Je leur répond dans la même langue, ce qui fait rigoler Jakob. Ils sont partis mais ils sont accompagnés par un monospace garé à l’extérieur dans lequel ils récupèrent des gros sacs et des valises. Un moment plus tard, arrivent Serene la Canadienne et Rafael qui se joignent à notre conversation. Je dois être le seul à avoir choisi de passer par la voie romaine car tous ceux à qui j’en parle ont pris l’autre itinéraire, pas plus attrayant et sans doute moins agréable encore à cause de sa proximité avec la grande route.

    Sur les conseils de l’hospitalero, je pars en ville envoyer le neuvième épisode de mon récit à partir d’un cybercafé plus économique que l’Internet payant de l’auberge avant de retrouver mes compagnons dans un bar voisin pour dîner. Nous sommes installés sous la télé qui retransmet un match de foot du championnat espagnol qui passionne les clients du bar. C’est donc assez bruyant mais nous arrivons quand même à discuter. Serene est une fille marrante qui sait mettre une très bonne ambiance et, comme toujours, le repas spécial pèlerin est simple, bon et abondant.
    De retour à l’auberge, je me couche en pensant que je suis désormais en avance de quatre jours sur mon planning initial et que ma forme est toujours resplendissante. 

     

    J 44. Dimanche 21 avril - LA VIRGEN DEL CAMINO - SANTIBAÑEZ DE VALDEIGLESIAS.  31 km       Beau temps

    Aujourd’hui encore, le ciel est parfaitement bleu et, à cette heure matinale, il fait un froid piquant tout à fait adapté à la marche. J’ai décidé de prendre l’itinéraire qui longe la route plutôt que celui qui passe par les collines. Je traverse le village de Valverde de la Virgen où le clocher de l’église est envahi de nids de cigognes. Les oiseaux craquettent à qui mieux mieux tout en nourrissant les petits affamés. C’est un spectacle très agréable que je ne me lasse pas d’admirer une nouvelle fois.

    J44 - Valverde de la Virgen - Nids de cigognes sur le clocher

    Dans ce même village, je passe devant une maison devant laquelle le propriétaire a installé un petit étal qui propose gratuitement de l’eau, des biscuits, des friandises et un tampon aux pèlerins de passage. J’apprécie beaucoup ces attentions qui font tout le charme du Chemin.

     J44 - Valverde de la Virgen - Hospitalité

    J44 - Valverde de la Virgen - Marquage du chemin


    Mon parcours est agrémenté d’une halte repas au milieu des champs suivie d’une halte café à Hospital de Órbigo où je suis charmé par Marina, la jolie serveuse du bar au sourire lumineux.


    J44 - Hospital del Orbigo - Marina, la serveuse du bar

    Après le magnifique pont romain à vingt arches sur le río Órbigo, l’itinéraire s’éloigne de la route et s’enfonce dans les collines pour arriver à Santibañez de Valdeiglesias, minuscule village très campagnard perdu dans les champs.

    J44 - Fontaine sur le chemin après Villarez del Orbigo


    J44 - Arrivée à Santa Ibanez de Valdeiglesias


    L’auberge paroissiale est simple et bénéficie d’un beau jardin plein de cerisiers en fleurs où sont installés les sanitaires. La porte est ouverte et il y a une pancarte «Peregrino, passa y accomodate», ce que je fais. À peine à l’intérieur, je tombe nez à nez avec une jeune femme que je salue. Il me faut deux ou trois secondes pour réaliser qu’elle n'a qu'une petite serviette jetée sur l’épaule, revenant visiblement de la douche. Pas plus perturbée que ça, elle répond à mon bonjour. Pèlerin mais gentleman, pour lui laisser le temps de s’habiller, je vais faire un petit tour dans le village où il n’y a strictement rien à voir. À mon retour, je peux m’installer dans la chambre et accomplir le rituel quotidien. J’ai ensuite tout le temps de faire plus ample connaissance avec ma nouvelle compagne du jour en buvant en sa compagnie mon habituelle caña con lemón dans ce jardin paradisiaque. Elle est espagnole et s’appelle Eva.

    J44 - Eva dans le jardin de l'auberge de Santa Ibanez de Valdeiglesias


    Nous sommes les seuls pèlerins jusqu’à ce qu’une Hollandaise arrive au moment du repas. Mais dès que le soleil est parti, ce petit paradis devient enfer car il fait très froid dans cette vieille maison en pierre sans chauffage, ce qui gâche un peu l'excellent dîner préparé par  notre hospitalero 
    italien.
    La nuit est glaciale et, pour la troisième fois depuis mon départ, je dors tout habillé enfoui sous deux couvertures. 

     

     

    J 45. Lundi 22 avril - SANTIBAÑEZ DE VALDEIGLESIAS - RABANAL DEL CAMINO.  33 km                Beau temps

     Malgré le froid, j’ai quand même très bien dormi. Les champs sont couverts de gelée blanche quand je pars au lever du jour sans avoir déjeuné car l’hospitalero ne le sert pas avant 8h30. Pour compenser, je grignote les quelques biscuits qui me restent. La Hollandaise est partie un peu avant moi. Quant à Eva, elle dort encore. Un peu plus tard, je m’arrête pour admirer un magnifique lever de soleil qui illumine la campagne de ses rayons orangés.

    J45 - Lever du soleil sur Santa Ibanez de Valdeiglesias

    À la Mojada de Ventura, simple bâtisse en ruine au bord du chemin, j'ai la surprise de découvrir un étal qui propose tout ce qu’il faut pour déjeuner. Il y a même un sello particulier original et très joli que je m’empresse d’apposer sur ma créanciale. Ce stand est tenu par un jeune Espagnol qui me dit vivre là seul toute l’année sans eau courante ni électricité pour s’occuper des pèlerins de passage. Je ne sais pas s’il dit la vérité mais je profite de cette manne providentielle tout comme la Hollandaise qui s’est elle aussi arrêtée. C’est aussi un "donativo", c’est-à-dire un endroit où, en échange du service proposé, on donne ce qu’on veut ou, plus exactement, ce qu’on peut, permettant ainsi aux plus démunis de manger et dormir sans bourse délier, tandis que ceux qui ont les moyens compensent en payant le prix normal voire en donnant plus. Cette bonne pratique qui date du Moyen-âge se perpétue encore aujourd’hui et certaines auberges et restaurants précisent que leur prestation est "donativo".
     

    J45 - Stand de ravitaillement bienvenu à la Majada de Ventura

    Après cette pause particulièrement bienvenue, la Hollandaise et moi repartons ensemble. Nous arrivons enfin au bout de la Meseta et les montagnes enneigées qui se rapprochaient lentement depuis plusieurs jours, sont maintenant à notre portée et demain il faudra les franchir. Nous marchons jusqu’à la croix en granit de Santo Toribo érigée sur un promontoire d’où l’on a une belle vue sur la vallée du río Tuerto et la ville d’Astorga.
    Le socle de la statue est couvert de pierres probablement déposées là par les pèlerins qui nous ont précédés. C’est une habitude très courante chez les pèlerins de déposer des pierres un peu partout…

    J45 - A la croix Toribio avant Astorga

     J45 - Sur le chemin d'Astorga

    Nous descendons à Santo Justo de la Vega, traversons le río Tuerto sur encore un autre pont romain et remontons sur la plateforme rocheuse où est construite la ville d’Astorga, très animée. L’itinéraire nous amène sur la belle Plaza Mayor et son pittoresque hôtel de ville baroque aux deux tours carrées. Elle est occupée par un marché où se mêlent les marchands de fruits et légumes, de vêtements et d’articles de bazar.

    J45 - Astorga - L'ayuntamiento

    Les flèches jaunes du balisage nous entraînent ensuite vers la cathédrale dont les portes sont closes. Tout à coté on ne peut pas rater le palais épiscopal construit par Gaudí, dans son style délirant si caractéristique. Malheureusement, lui aussi est fermé. Dommage, j’aurais bien voulu le visiter et voir le fameux ascenseur néo-gothique.

    J45 - Astorga - La cathédrale

    J45 - Astorga - Le palais Gaudí

    Après l’indispensable ravitaillement, nous reprenons notre marche. À partir d’ici, l’itinéraire emprunte une petite route qui monte doucement mais surement vers les hauteurs de la chaîne de montagne qui barre l’horizon.

    J45 - Après Astorga sur la route del Ganso


    Nous continuons ensemble jusqu’à Santa Catalina, minuscule village où la Hollandaise décide de s’arrêter mais comme il n’est pas encore midi, je continue de marcher. Il y a plusieurs villages avec des hébergements et je n’ai pas encore décidé dans lequel je m’arrêterai pour la nuit.

    Tandis que j’avance d’un bon pas sur cette petite route, je suis rattrapé par une jeune femme très mince portant un sac à dos assez volumineux. D’habitude, c’est plutôt moi qui rattrape les autres !

     J45 - Martha à la sortie de Santa Catalina sur la route del Ganso

    On se salue, on discute, on sympathise et finalement on continue ensemble. Elle s’appelle Martha, elle a trente-deux ans, elle est Autrichienne, habite Vienne et a démarré à Saint-Jean-Pied-de-Port.
    Nous nous arrêtons pour manger au bord de la route un peu avant El Ganso où j’avais initialement pensé faire étape. En fin de compte, nous continuons jusqu’à Rabanal del Camino, joli village aux maisons de granit qui se trouve à 1150 m d’altitude. C’est le dernier hébergement avant le col qui franchit cette chaîne de montagne. Au centre du village face à l’église, l’auberge Gaucelmo nous séduit car elle est jolie, propre et bien aménagée. J’y rencontre enfin Chloé, une jeune Française bien agréable qui marche depuis Grenoble et dont j’avais entendu parler depuis longtemps. Plusieurs fois déjà, quand je me présentais comme Français, on m’avait demandé si je la connaissais et je suis content de faire enfin sa connaissance. Son sac à dos s’orne d’un drapeau tibétain affichant ainsi clairement ses opinions sur la manière dont la Chine traite ce territoire.
    En prenant ma douche, je m’aperçois que je me suis fait piquer par des bestioles, sans doute la nuit dernière à l’auberge de Santibañez. Punaises ? Puces ? J’asperge consciencieusement toutes mes affaires avec la bombe insecticide que je transporte depuis Montpellier. Il ne s’agit pas de disséminer ce parasite dans les autres auberges.

    L'auberge étant tenue par des Anglais, nous avons droit à la pause thé à 17h, un moment très agréable avec tous les autres pèlerins de l’auberge où, comme lors du dîner à Saint-Jean-Pied-de-Port, chacun se présente, ce qui facilite le démarrage des conversations. Un frère du monastère voisin qui parle parfaitement anglais et français s’est joint à nous. Il nous explique qu’il ne reste que trois moines dans ce monastère et que lui-même vient d’un monastère allemand qui leur apporte son aide et détache en permanence un frère auprès d’eux. Il est très sympathique mais il n’est pas venu pour rien et nous invite à aller assister aux offices du soir dans l’église du village.

    J45 - Rabanal del Camino - Vêpres dans la vieille église du 12°

    À l’heure dite, nous allons tous ensemble assister aux vêpres. L’église est glaciale et en assez mauvais état. À la fin de la cérémonie, il est temps de passer des nourritures spirituelles à celles du corps et nous allons dîner de l’habituel menu peregrino à l’unique restaurant bien chauffé du village. Comme nous sommes tous installés à la même grande table, les discussions où se mélangent anglais, français et espagnol sont animées. Après ce bon moment, nous replongeons à nouveau dans le froid de cette vieille église du XIII° siècle pour écouter les complies et surtout recevoir la bénédiction des pèlerins. L’officiant fait participer l’assistance en demandant de lire le texte dans les différentes langues présentes. Chloé s’est proposée pour le français et Martha pour l’allemand. La prière du soir n’est pas très longue, les chants à voix basse des frères du monastère sont envoûtants. J’apprécie ce moment de calme, de sérénité, pour ne pas dire de grâce et j’ai la très nette impression que tout le monde a ressenti la même chose car nous rejoignons le dortoir quasiment en silence. Chloé qui dort dans le lit voisin du mien me confirme cette sensation, pourtant elle n’est pas plus croyante que moi.
    Il fait très froid à l’extérieur mais la température dans le dortoir, peut-être par contraste, est agréablement tiède malgré l’absence de chauffage.


     

    J 46. Mardi 23 avril - RABANAL DEL CAMINO - PONFERRADA.  32 km                                                  Beau temps

    Il n’y a eu qu’un seul ronfleur et il s’est arrêté très vite après un démarrage spectaculaire qui a fait rire tout le dortoir. La nuit a été bonne. En me levant j’examine soigneusement mon corps. Je ne trouve pas de nouvelles piqûres. Le traitement insecticide d’hier soir a donc été efficace. Je pars seul et profite du spectacle magnifique du lever du soleil sur les montagnes. Une nouvelle belle journée ensoleillée s’annonce.

    J46 - Départ de Rabanal del Camino au lever du jour


    Le chemin monte tranquillement jusqu’à la Cruz de Ferro, col situé à 1504 m d’altitude où la tradition veut que chaque pèlerin abandonne une pierre ou un objet qu’il transporte depuis le départ. J’y retrouve tout le monde car c’est un des hauts lieux du Chemin et la pause photo y est quasi obligatoire. Pourtant la fameuse croix de fer est très décevante. Elle est toute petite et piquée au sommet d’un poteau en bois de quatre ou cinq mètres de haut dont la base disparaît sous l’amoncellement de pierres et divers objets laissés là par les milliers de pèlerins qui nous ont précédés. Que fait cette croix presque ridicule à cet endroit ? On dit qu’elle est le dernier des quatre cents pieux que les villages des vallées s’engageaient à maintenir en place dans la montagne pour guider les pèlerins quand les chutes de neige effaçaient le chemin.

     J46 - Avec Chloe à la Cruz de Ferro

     J46 - Avec Rafael et Serene à la Cruz de Ferro

    Après avoir sacrifié à la tradition, je repars dans ce paysage qui ressemble beaucoup aux Cévennes avec des montagnes arrondies, des châtaigniers, des genêts, des bruyères, du schiste, des petits villages aux maisons de pierres. Quel agréable changement après les immensités plates des jours précédents. Dans la descente caillouteuse, je rattrape Rafael et Serene avant de m’arrêter pour manger dans l’herbe, un peu après le petit village d’El Acebo (qui veut dire le houx). Martha m’y rejoint et fait la pause avec moi.

    Rafael et Serene sur le chemin descendant vers El Acebo et Molinaseca

    J46 - Rafael à l'entrée d'Acebo


    J46 - Martha photographie les mimosas à Acebo
     

    Ensuite nous repartons ensemble dans la longue et pénible descente jusqu’à Molinaseca. L’air était agréablement frais au passage du col ce matin, mais la chaleur grandit au fur et à mesure que nous descendons. Au village, à seulement 580 m d’altitude, il fait vraiment chaud. Nous traversons le très élégant pont romain pour entrer dans l’agglomération qui s'est convertie au business du pèlerin. Les bars, restaurants et albergues s'alignent dans la rue principale.

    J46 - Molinaseca - Calle Real

    Juste en contrebas, au bord du río Boeza, nous découvrons la terrasse ombragée d’un bar où pas mal de monde savoure une boisson fraîche devant le spectacle des eaux claires et bouillonnantes du torrent. Nous ne résistons pas à la tentation et allons nous installer à l’ombre d’un parasol. Il y a même des gens en maillot de bain qui bronzent au soleil. C’est vraiment un endroit enchanteur où nous serions bien restés plus longtemps mais il reste encore huit kilomètres jusqu’à la ville de Ponferrada, notre étape du jour. Nous restons sur la route pour éviter un détour par un petit village sans intérêt. Malgré ce raccourci, ces derniers kilomètres paraissent longs car il fait chaud sous le soleil. Après les températures négatives du matin, la température dépasse maintenant les 25°.

    J46 - Molinaseca - Pause bien méritée au bord du rio Meruelo

    Martha est vraiment endurante. Nous marchons à bonne allure car nous avons doublé tout le monde dans la descente et elle n’a jamais faibli malgré son gabarit poids plume et son gros sac à dos.

    J46 - Arrivée à Ponferrada


    À Ponferrada, il y a une grande auberge neuve disposant de deux cents places, heureusement réparties en chambres de quatre ou six lits. Martha et moi en partageons une avec deux Françaises.

    Plus tard arrivent Serene, Chloé et nous rencontrons même Gloria et Jane les Coréennes qui nous disent avoir pris un bus de Burgos à León pour rattraper leur retard en sautant la Meseta. Comme elles ne marchent pas vite, elles n’ont pas le choix si elles veulent arriver à Santiago avant la date de leur vol retour.
    Une fois installés, Martha, Serene et moi partons visiter cette assez jolie ville connue surtout pour son château des Templiers et ses belles tours crénelées, avant de retrouver Rafael qui est originaire du lieu pour un dîner typique au restaurant, ce qui nous change bien agréablement des habituels menus peregrinos.

    J46 - Ponferrada - Les murs du château des Templiers

    Nous discutons très librement tout le long du repas. Serene est toujours aussi boute-en-train, Martha est une fille tranquille très agréable et Rafael nous explique qu’il a perdu son travail dans l’immobilier et s’apprête à partir en Colombie où il espère avoir plus d’opportunités. Ils sont curieux de mon métier de militaire qu’ils ne connaissent absolument pas, ce qui est le cas de la plupart des gens, en Espagne comme en France.

    Nous avons bien mangé et passé une très bonne soirée et déambulons un moment dans les rues animées avant de rentrer dormir à l’auberge. 

     

     

    J 47. Mercredi 24 avril - PONFERRADA - TRABADELO.  31 km                                                               Beau temps

    Bien que situé administrativement dans la province de León, Ponferrada fait partie d’une autre région bien différente par ses paysages, son habitat et ses gens. Nous sommes dans le Bierzo qui est en quelque sorte une antichambre de la Galice où les paysages sont beaucoup plus verts.
    Martha est partie devant sans petit-déjeuner pendant que j’ai pris le mien dans un bar sur la place en face de l’auberge. Je quitte Ponferrada par un itinéraire repéré la veille sur le plan de la ville. C’est un bon raccourci. Il emprunte une avenue filant tout droit vers Camponaraya, ce qui fait une économie de plus de deux kilomètres par rapport à l’itinéraire balisé du chemin. J’ai mal aux jambes, sans doute la conséquence de la longue descente de la veille. Je marche plus lentement et je fais une pause petit-déjeuner bis à la sortie de Camponaraya à la terrasse ensoleillée d’une bodega puis encore une autre à Cacabelos.

    J47 - Cacabelos - Eglise

    J47 - Sur le chemin vers Villafranca del Bierzo

    Une fois sorti de l’agglomération, l’itinéraire emprunte des chemins et des petites routes dans un paysage très différent, à travers une campagne vallonnée, plantée de vignes et dominée par des montagnes assez élevées.

    J47 - Paysage sur le chemin de Villafranca del Biezo

    Un peu avant Villafranca del Bierzo, le pèlerin est salué par une fresque murale très sympathique sur une cabane en bordure de vigne et après ce petit clin d’œil amical, on arrive en face du château des Marquis qui a perdu ses tours pendant la guerre d’indépendance contre les troupes de Napoléon.

     J47 - Arrivée à Villafranca del Biezo

    J47 - Villafranca del Bierzo - Chateau des marquis

    J47 - Villafranca del Bierzo - Chateau des marquis - Cadran solaire

    La ville est née du Chemin de Compostelle en 1070 et elle a été la capitale de l’éphémère province du Bierzo de 1822 à 1833. Elle est construite au confluent de deux rivières, la Valcarce et la Burbia, à l’endroit où elles débouchent des montagnes. Les témoignages du passé abondent et le balisage zigzague dans la ville pour les montrer aux pèlerins. 

    Comme il est l’heure idéale, je m’arrête sur la magnifique Plaza Mayor pour prendre mon repas à la terrasse d’un restaurant. Au menu, côtes d’agneau, calmars et flan à un prix défiant toute concurrence. Serene vient me rejoindre. Elle est partie avant moi de Ponferrada mais a suivi le chemin balisé. Je repars seul car elle doit attendre l’ouverture de la pharmacie du lieu pour faire soigner ses pieds. Elle aussi souffre de plusieurs ampoules et j’apprécie d’en être préservé.
    Il fait un temps magnifique. Le thermomètre de la pharmacie indique 31°.

    J47 - Villafranca del Biezo - Pont sur le rio Valderca


    En traversant le très joli pont sur le río Burbia, je retrouve Gloria qui, malgré la chaleur, marche avec anorak, capuchon, foulard et gants pour se protéger du soleil ! Comme la plupart des Asiatiques, elle fait tout ce qu’il faut pour conserver son teint d’ivoire. On avance un moment ensemble jusqu’au village de Pereje où je la quitte pour continuer jusqu’au village suivant, Trabadelo, quatre longs kilomètres plus loin. J’ai pris l’itinéraire qui longe la N6 au fond de la vallée encaissée du Valcarce que l’autoroute A6 remonte de tunnels en viaducs passant au dessus de la route et du chemin.

     J47 - Chemin le long de la N6 dans la vallée de Valderca

    J47 - Chemin le long de la N6 dans la vallée de Valderca sous l'A6

    Trabadelo est maintenant un petit village très tranquille depuis que la déviation de la grande route a éloigné la circulation. Il n’y a pas encore beaucoup de monde à l’auberge municipale située dans l’unique rue et, comme convenu, je garde deux places pour Serene et pour Martha qui a pris le sentier de la montagne, plus long, plus difficile mais plus joli.

     J47 - Glycines devant l'auberge de Trabadelo


    À peine installé, chacun se précipite au bar de l’auberge pour savourer une boisson fraîche bien méritée après cette étape où tout le monde a souffert de la chaleur. C’était quand même une longue étape de trente-et-un kilomètres. Le soir, je vais dîner avec Serene au restaurant situé de l’autre coté de la route. Martha n’a pas voulu venir avec nous. Nous parlons beaucoup pendant ce repas en tête à tête. Je fais vraiment connaissance avec cette fille agréable et courageuse que je côtoie depuis plusieurs jours. De nationalité canadienne mais originaire de Singapour, sous ses airs décontractés et son envie permanente de faire la fête, elle cache un grand sérieux. Tout juste âgée de trente-quatre ans, c’est une chercheuse qui étudie le système nerveux dans un institut canadien et assiste à des congrès sur le sujet dans le monde entier. Nous ramenons à l’auberge la bouteille de vin blanc que nous n’avons pas finie pour en faire profiter nos voisins de chambre.

     J47 - Trabadelo - Serene

     

     

    J 48. Jeudi 25 avril - TRABADELO - FONFRíA.  33 km                                                                               Beau temps

    Aujourd’hui, c’est une étape montagneuse redoutée des pèlerins car le chemin grimpe jusqu’au fameux village d’O Cebreiro à 1330 m d’altitude, soit huit-cents mètres de dénivelé. Encore un haut lieu (dans tous les sens du terme) du Chemin. Je quitte l’auberge dans la nuit dès 6h30 sans petit-déjeuner et seul en grignotant un bout de pain qui restait au fond de mon sac mais je sais qu’il y a une cafétéria ouverte trois kilomètres plus loin. J’en ressors quand Martha arrive et nous continuons ensemble jusqu’à Las Herreríos.

    J48 - Route vers Ruitelon sous les viaducs de l'A6

    À partir de là, l’itinéraire quitte la vallée principale où passent les grands axes de communications et s’enfonce dans un paysage de montagnes couvertes de bruyères roses et violettes. Il traverse plusieurs hameaux isolés et paisibles pour aboutir au village d’O Cebreiro sur la crête.

    J48 - Montée vers O Cebreiro - La Fabia


     J48 - Montée vers O Cebreiro - Sur le chemin au dessus de La Fabi

    Dès que ça commence à monter sérieusement, Martha me distance irrésistiblement et je continue seul. Dans la montée, je passe la borne marquant le changement de province. Elle est taguée dans toutes les langues de ceux qui sont passés avant moi dont bien évidemment du français. Je marche dorénavant en Galice qui personnalise le Chemin avec des petites bornes en béton indiquant tous les cinq-cents mètres la distance restante jusqu’à Santiago, en une sorte de lent compte à rebours. À cet endroit, dans la montée vers O Cebreiro, il ne me reste plus que cent-cinquante-deux kilomètres à parcourir.

     J48 - Montée vers O Cebreiro - Borne de passage en Galice

    Le chemin monte régulièrement, avec des vues magnifiques sur les montagnes couvertes de bruyères en fleurs.

    J48 - Montée vers O Cebreiro - Montagnes couvertes de bruyères

    Le village d’O Cebreiro où j’arrive peu après 11h est très typique avec ses maisons de pierres à toits de chaumes (les pallozas) ou d’ardoises, mais il est très fréquenté car il y a une route qui y mène les touristes motorisés. Aussi il n’y a que des magasins de souvenirs et des bars. Seule, l’église Santa María la Real construite au XI° siècle toute en pierre claire mérite le coup d’œil par son style roman très sobre.

    J48 - O Cebreiro

    J48 - O Cebreiro - L'église

    Je ne m’éternise pas et continue jusqu’au village suivant, Linares, où j’ai décidé de faire mes courses pour manger. J’y retrouve Martha qui a eu la même idée et nous mangeons ensemble au soleil ce que nous venons d’acheter.
    J’avais pensé m’arrêter à Hospital de la Condesa mais comme il est encore tôt quand j’y arrive, je continue jusqu’à Fonfría, soit une étape de trente-trois kilomètres que j’ai parcourue facilement malgré la dénivelée.

     J48 - Pause repas à Linares avec Martha

    Fonfría est un tout petit village situé lui aussi à 1300 m d’altitude car depuis O Cebreiro, le chemin suit une longue ligne de crête orientée est-ouest offrant des vues splendides sur toute la région environnante.

    J48 - L'église de Fonfria


    Contrastant avec la taille du village, il y a une grande auberge confortable où je rencontre deux frères néerlandais, un Japonais, une nouvelle Coréenne puis Chloé arrive elle aussi un long moment plus tard. Par contre, j’ai perdu Martha qui a dû continuer jusqu’au village suivant. La borne en face de l’auberge indique Santiago à cent-trente-neuf kilomètres. Je me rapproche tout doucement du but. Jusqu’à présent, je ne regardais jamais combien il restait de kilomètres mais depuis ce matin, je ne peux éviter de lire le chiffre sur les bornes qui se succèdent tous les cinq-cents mètres. Cela en devient presque une obsession.

    C’est d’ici que j’envoie le dixième épisode de mon récit à partir de l’ordinateur du patron de l’auberge.
    Le dîner en compagnie de Chloé et des deux Néerlandais est servi par un serveur cubain dynamique et accompagné d’une musique latino entraînante.
    Cela fait dix-huit jours sans pluie et c’est le onzième jour d’affilée avec un grand beau temps. 

     

    J 49. Vendredi 26 avril - FONFRíA - BARBADELO.  35 km                                                                          Temps gris

     J’ai parlé trop vite hier ! Le brouillard épais qui m’accueille au réveil est assez surprenant, et rappelle brutalement que Fonfría est un village de montagne. Le brouillard enveloppe tout. On ne voit même pas le clocher de l’église. Le chemin qui descend à travers bois et champs donne l’impression d’avancer dans un tunnel de coton.
     

    J49 - Départ de Fonfria dans le brouillard vers Sarría

    Un peu plus loin, je me trouve soudain face à trois gros chiens loups qui ont surgi du brouillard comme des fantômes. Ils ne sont pas agressifs, n’aboient pas, et m’accompagnent jusqu’à une ferme dont les bâtiments apparaissent lentement au fur et à mesure de mon avance. En général, je n’ai pas peur des chiens mais la façon dont ceux-ci se sont soudain trouvés devant moi m’a surpris. Ce ne sont pas les premiers chiens que je rencontre sur le chemin. En général, ils restent assez indifférents au passage des pèlerins bien qu'ils réagissent parfois bruyamment dès qu’on entre dans leur territoire.

    J49 - Comité d'accueil à Biduelo


    À Triacastela, je m’arrête pour mon désormais traditionnel petit-déjeuner-bis. À partir de là, je prends l’itinéraire historique qui remonte sur les hauteurs pour passer par San Xil et Pintín, au lieu de faire le détour par Samos. Le marquage n’est pas très clair et le parcours ne correspond pas exactement au croquis dont je dispose mais j’arrive à trouver mon chemin dans ce dédale de petits chemins creux. La région est belle, très verte et il y a beaucoup de genêts et de bruyères en fleurs. Si le brouillard s’est un peu levé, par contre le ciel reste très couvert.

    J49 - Bruyères en fleurs sur la route entre San Xil et Montan

    J49 - As Passantes

    Je rattrape une Argentine très sympathique, Lina, avec qui je marche jusqu’à Sarría. Elle fait partie d’un groupe venu de son pays pour faire la fin du parcours. Le Chemin de Compostelle est connu dans le monde entier et c’est assez étonnant de voir des gens venus de l’autre bout de la Terre pour le parcourir même partiellement. C’était déjà le cas des Coréennes, des Australiens, Japonais, Philippins, Américains et Canadiens que j’ai rencontrés pour ne parler que des plus exotiques. Lina porte un sac à dos minuscule. Le reste de ses affaires est transporté par Mochilla Express (mochilla veut dire sac à dos), une société spécialisée dont on voit les camionnettes et minibus circuler le long du parcours. Beaucoup de ceux qui font le pèlerinage par tronçons et ceux qui ne font que la fin du parcours ont souvent recours à leurs services.

     J49 - Lina sur le chemin vers Furela -

    Pour la pause repas, j’ai opté pour un plato compuesto pris dans le bar d’un petit village. Il y a des bars partout, même dans les endroits les plus reculés. Le pèlerinage a créé un vrai business tout le long du parcours dont tous les habitants s'efforcent de tirer partie. Avec le nombre de pèlerins affamés et assoiffés qui passent, ce doit être rentable.  L’intérêt est qu’il n’y a plus besoin de transporter le repas dans son sac tant on rencontre de lieux où manger à petit prix le long du chemin. Cela fait quelques centaines de grammes de moins à porter.
    En début d’après-midi, je laisse Lina à Sarría où elle retrouve les autres membres de son groupe et je continue jusqu’au hameau de Barbadelo, quatre kilomètres plus loin. Le vent s’est levé et il fait à nouveau froid.

    Peu avant d'arriver à Barbadelo, le chemin traverse la voie ferrée. Les feux rouges clignotent quand j'arrive et, prudemment, j'attends le passage du train avant de traverser.

    J49 - Après Sarria passage à niveau sur le chemin vers Barbadelo


    À Barbadelo, je m’arrête à l’unique hébergement existant, l’auberge privée Casa Carmen, après une étape de trente-cinq kilomètres au profil descendant parcourue facilement. L’auberge est très agréable. Il y a un seul autre gars avec moi au dortoir, Berndt, un Allemand de Rostock au gabarit impressionnant. Il est pilote de chasse dans l’armée de l’air allemande. Il a connu l’époque de l’Allemagne de l’Est et me parle avec affection du Mig 29 Fulcrum sur lequel, me dit-il, il a longtemps volé avant la réunification.
    Il y a d’autres clients dont deux couples de Français qui logent dans les chambres. A voir leurs vêtements élégants, on devine qu’ils sont eux aussi des clients de Mochilla Express. Ce soir, je mange tout seul car Berndt dîne avec une compatriote et je n’ai pas voulu m’immiscer dans leur tête à tête.
    Plus que cent-dix kilomètres. J’ai sept jours d’avance sur le planning initial qui prévoyait de courtes étapes alors que depuis plusieurs jours j’enchaîne les tronçons de plus de trente kilomètres. Mon dîner en solitaire m’a un peu attristé. Je m’étais tellement bien habitué aux grandes tables où les conversations se croisent dans tous les sens ou aux repas en tête à tête avec une compagne ou un compagnon d’étape.

     

     

    J 50. Samedi 27 avril - BARBADELO - VENTAS DE NERÓN.  29 km                                      Temps gris. Neige, froid


    J50 - Départ de Barbadelo au petit jour en direction de Portomarin


    Ce matin je suis parti en oubliant mes lunettes dans la chambre. Heureusement, je m’en suis aperçu au bout de quelques centaines de mètres. C’est la première fois depuis le départ que j’oublie quelque chose.
    Une fois de plus, on ne sert pas de petit-déjeuner avant huit heures dans cette auberge. Berndt me rattrape au bout d’une paire de kilomètres et nous marchons ensemble jusqu’à A Brea où nous trouvons enfin un bar ouvert pour nous restaurer avec une double ration de tostadas.

    J50 - Berndt (D) dans la traversée du village de Ferreiros

    Je repars seul car Berndt perd du temps à soigner ses ampoules. Je me rends compte que c’est un énorme avantage de ne pas en souffrir. La qualité des chaussures et des chaussettes est primordiale mais je crois qu’il faut aussi ne pas marcher au-delà de ses capacités, ni trop vite ni trop longtemps. Beaucoup l’oublient et le payent et je pense que c’est le cas pour Berndt comme cela l’était pour Janette et d'autres.

    J50 - Max sur le chemin vers Ferreiros

     
    Le chemin est toujours aussi agréable. Il emprunte des chemins creux qui longent des prés, traversent des bois de chênes et de châtaigniers, il monte et descend dans une campagne ressemblant à la Lozère ou à la Bretagne, avec des hameaux aux maisons de pierre et toits d'ardoise, et beaucoup de petites fermes isolées où on cultive le maïs et élève quelques vaches et qui ne donnent pas une impression de richesse.

    J50 - Le chemin vers Villacha


    J50 - A Laxe

    J50 - Borne kilomètre 98 sur le chemin vers Villacha

    J50 - A Villacha

    J50 - Ravitaillement sur le chemin vers Villacha


    Je rencontre les premiers horreos, grenier à maïs typiques de la région, en pierre, bois ou briques, posés sur des pilotis. Ils servaient à faire sécher la récolte tout en empêchant les rongeurs de l’atteindre.

    J50 - A la sortie de Ferreiros

    J50 - Grenier à maïs ou horreo à Villacha

    Le chemin descend régulièrement pour atteindre la vallée du Miño transformé en lac par un barrage situé en aval. En traversant sur le grand pont qui enjambe les eaux grises, j’essaie sans succès de distinguer le vieux village et la chapelle Santa María de las Nieves engloutis sous les eaux dont parlent les guides touristiques.

    J50 - Arrivée à Portomarin et traversée du rio Mino

    De l’autre coté du pont, la petite ville de Portomarín a été reconstruite sur un promontoire. Après y avoir fait mes courses pour mon repas de midi, je vais voir l’étrange église forteresse romane San Juán construite par les frères de Saint-Jean-de-Jérusalem au XIII° siècle. Elle aussi a été reconstruite pierre par pierre à cet endroit après la mise en eau du barrage en 1952.

     J50 - Portomarín - L'église San Juán

    Le temps est toujours gris, pluvieux et froid avec de temps en temps de surprenantes éclaircies. Les premiers flocons de neige me surprennent quand je quitte la ville. Quelques kilomètres plus loin, je m’arrête pour manger dans un bois de pins où je suis un peu abrité des averses de neige qui continuent à alterner avec de courtes périodes ensoleillées. Le vent glacial n’incite pas à admirer trop longtemps un magnifique horreo au fronton sculpté près duquel passe le chemin.

    J50 - Signalisation pour les voitures sur la route vers Hospital da Cruz

      
     J50 - Horreo à Tóxibo sur la route vers Hospital da Cruz


     J50 - Paysage breton près de Gonzar sur la route vers Hospital da Cruz


    J50 - Borne kilomètre 80 sur la route vers Hospital da Cruz


    J’hésite sur l’endroit où m’arrêter pour la nuit car plusieurs petits villages se suivent, espacés de quelques kilomètres. Finalement, je choisis de dormir à Ventas de Nerón, soit une étape de vingt-neuf kilomètres. C’est un petit hameau à 700 m d’altitude mais l’unique auberge est confortable et propose le dîner et le petit-déjeuner. Il y a un dortoir d’une vingtaine de lits où je m’installe et deux ou trois chambres individuelles. J’ai étendu mon linge à l’extérieur mais il a du mal à sécher avec ces averses de neige qui ne cessent pas. Quand je m’aperçois que les radiateurs du dortoir sont chauds, je me dépêche d'y poser mes affaires. À l’heure du repas, tout est sec.
    Berndt arrive finalement et me donne des nouvelles de Serene arrêtée au village précédent.

    À part nous deux, les autres clients sont un couple d’Américains qui dorment dans une chambre, et quatre Portugais qui parlent fort et rigolent beaucoup.
    Le dîner avec Berndt et les Américains est sympathique et la nourriture d’excellente qualité comme toujours.

    La borne à l'entrée du village indique soixante-dix-sept kilomètres. Seulement soixante-dix-sept kilomètres. 

     

    J 51. Dimanche 28 avril - VENTAS DE NERÓN - BOENTE.  33 km                                        Temps gris. Neige, froid

     Les Portugais qui avaient sans doute un peu forcé sur les bouteilles de vin, ont discuté jusqu’à 1h du matin et l’un d’entre eux a ronflé comme une locomotive, ce qui ne m’a pas empêché de bien dormir et je me suis réveillé tout seul à 6h30. Dehors, tout est blanc car la neige a continué de tomber pendant la nuit. Petit-déjeuner pris, je me lance sur l’itinéraire par un froid piquant. Il n’y a pas beaucoup de neige au sol, à peine un centimètre, mais elle continue de tomber tandis que je marche dans la campagne transfigurée par ce voile immaculé.

     
    J51 - Borne 76,5 km sous la neige sur la route de Ligonde
     

    Il neige toujours quand je traverse Ligonde et son magnifique calvaire de granit sculpté dressé sous un immense chêne. C'est sans doute le plus beau calvaire de tout le Chemin.

    J51 - Très beau calvaire à Ligonde


    J51 - Berndt sous la neige dans la traversée de Ligonde


    Plus loin, enfin, quelques rayons de soleil parviennent à percer les nuages bas qui filent poussés par le vent glacial. Le paysage en est tout illuminé et éclaboussé de jaune par les ajoncs en fleurs.

    J51 - Croisement de la LU 3301 et du chemin vers Eirexe

    J51 - Borne kilomètre 71,5 sous la neige sur la route de Lestedo

    J51 - Traversée de San Xiao del Camino

    Je m’arrête pour le petit-déjeuner-bis dans le petit village de  Palas del Rei. On est beaucoup plus bas et la neige a disparu.
    Avec Berndt qui m'a de nouveau rejoint, nous nous arrêtons pour déjeuner à O Coto d’une originale tarte au thon et d’une tarte aux amandes, spécialité de la région. Puis, comme la veille, je repars seul car Berndt perd toujours beaucoup de temps à soigner ses ampoules.

    Je décide de ne pas m’arrêter à Melide et de continuer jusqu’à Boente, cinq kilomètres plus loin.
    Melide est une petite ville très animée. C’est jour de marché et il y a beaucoup de monde dans les rues. Les gens ne font pas attention aux pèlerins car ici il y en a trop qui passent tous les jours. Finis les salutations et gestes sympathiques que j’avais appréciés au début du Camino.

    J51 - Eglise à Melide

    Après la ville, le chemin traverse de grands bois d’eucalyptus et pendant plusieurs kilomètres on marche sous ces arbres magnifiques enveloppé par cette agréable senteur.

    J51 - Groupe de coréennes sur le chemin vers Boente
     

     J51 - Bois d'eucalyptus entre Melide et Boente

    J51 - Traversée d'un pont romain à Laboreiro


     J51 - Arrivée à Boente


    À Boente je vais à l’auberge vantée sur des affichettes collées un peu partout le long du chemin. J’aurais dû me méfier de cet excès de publicité. C’est une erreur ! J’y suis le seul client. Le patron est un original à grosse barbe, collectionneur de vieux appareils photos et râleur. Il a une dent contre l’autre auberge installée dans le village depuis peu et qui, située avant la sienne, reçoit le flot de pèlerins. Son bâtiment n’est pas chauffé et le toit des sanitaires est une simple plaque de plastique ondulée translucide. Autant dire qu’on ne traîne pas pour se rhabiller en sortant de la douche. Avant de dîner, j’envoie le onzième épisode de mon récit. Pour couronner le tout, le dîner est moyen et je mange en tremblant de froid tellement la température est basse.

    Aujourd’hui, j’ai parcouru trente-trois kilomètres et c’est la dixième étape de plus de trente kilomètres presque d’affilée. J’ai vraiment une forme exceptionnelle et ce village n’est plus qu'à quarante-sept kilomètres de Santiago.
    Depuis deux jours il y a beaucoup plus de monde sur le Chemin. La raison en est que, après avoir passé Sarría, je suis entré dans les cent derniers kilomètres avant Santiago. C’est le minimum requis pour obtenir la Compostela et les nombreux pèlerins que je double ne vont parcourir, en fait, que ce tronçon. C’est particulièrement vrai pour les Espagnols qui obtiennent des points supplémentaires aux examens s’ils présentent le précieux document.

    L’histoire raconte que l’on distingue les vrais pèlerins des autres à leur remarque en passant devant les bornes kilométriques. Ceux qui ont démarré à Sarría disent « Encore cinquante kilomètres ! », tandis que ceux qui viennent de loin disent « Plus que cinquante kilomètres! ».

    J51 - Groupe d'espagnoles sur le chemin vers Salceda


    Je mentionne tous les jours le kilométrage restant, pourtant je ne suis pas impatient de toucher au but, juste satisfait d’être arrivé jusque là sans problème et en prenant du plaisir à cette longue marche. S’il n’y avait pas les bornes pour marteler ce compte à rebours, je ne m’en préoccuperais pas. 

     

    J 52. Lundi 29 avril - BOENTE - O PEDROUSO.  30 km                                                                     Beau temps, vent

    Il faisait si froid la veille au soir dans la chambre que, pour la quatrième fois depuis le départ, je ne me suis pas déshabillé et j’ai dormi sous trois couvertures. C’est le réveil qui m’a fait ouvrir les yeux à 7h, ce qui ne m’était jamais arrivé depuis que je marche en Espagne. Il faut dire qu’étant tout seul dans cette grande maison, je n’ai pas été dérangé par des bruits intempestifs. Je quitte au plus vite cet endroit glacial et vais déjeuner à l’autre auberge qui est chauffée et bien plus agréable. Je comprends pourquoi la majorité des pèlerins la choisissent. J’aurais vraiment dû faire de même. Hier soir je n’ai pas été assez circonspect.
    Mais c’est trop tard, ce qui est fait est fait.

    Il fait beau mais il y a toujours ce vent du Nord glacé qui fait chuter la température.
    J’ai décidé de marcher jusqu’à O Pedrouso, petite ville située à moins de vingt kilomètres de Santiago. Ainsi, la dernière étape sera courte et je pourrai arriver tôt pour assister à la grand-messe.
    Jusqu’à Azrua où je fais mes courses, je ne vois quasiment personne. Au-delà, par contre, je rencontre à nouveau les groupes déjà vus la veille dont une dizaine de Français qui alternent trajets à pied et trajets en bus !

    J52 - Groupe de coréennes sur le chemin vers Salceda


    Je m’arrête pour manger à Salceda sur une agréable aire de pique nique ensoleillée près de la N547, puis je marche encore un peu pour trouver un bar où boire un café.

    J52 - Pause pique nique à Salceda

    Le chemin traverse toujours des bois d’eucalyptus qui semblent être l’essence préférée dans cette région. C’est vraiment très agréable de marcher dans cette atmosphère parfumée.
    Malgré les trente kilomètres de l’étape, j’arrive à O Pedrouso en début d’après-midi.

    Si j’avais regardé les panneaux publicitaires à l’entrée de la ville, j’aurais pris la route qui m’aurait amené directement à l’auberge municipale, vaste et très bien agencée. Au lieu de ça, j’ai suivi le fléchage du Chemin qui contourne la ville par les bois. Mais grâce à ce détour involontaire j'ai rencontré Elisabeth, l’Autrichienne aux cheveux rouges déjà vue près d’Atapuerca, deux semaines auparavant. Elle allait consulter un médecin pour ses ampoules infectées. Ses pieds sont tellement mal en point que le médecin lui interdira de continuer à marcher.
    Serene arrive en fin de journée avec une tête de papier mâché. Elle a pris le bus depuis Melide où elle a fait la fête la veille au soir et n’a pas été capable de marcher ce matin pour arriver ici ! Pendant qu’elle va directement se coucher pour se remettre de ses excès, je passe la soirée avec Elisabeth, Soledad et Charo, deux Espagnoles originaires de Séville, Fabian, un Hollandais et Jens, un Danois. Nous dînons de poulpes à la mode locale et d’une tarte aux amandes, autre spécialité régionale.

    J52 - O Pedrouzo - Borne 18 km

     

     

    J 53. Mardi 30 avril - O PEDROUSO - SANTIAGO.  18 km                                                                 Temps gris, froid

    C’est le grand jour, celui de l’arrivée à Santiago. Je ne ressens rien de particulier. Pas d’excitation, pas d’émotion. Pas encore…
    Je me lève dès 6h30 et pars tout de suite car je veux arriver avant midi pour assister à la messe des pèlerins dans la cathédrale. Au bout de quelques kilomètres, je rattrape Soledad et Charo, les deux Sévillanes qui se sont levées encore plus tôt que moi et qui ne marchent pas très vite. Elles ont démarré à Sarría et manquent d’entraînement.

     J53 - Soledad et Charo sur le chemin d'O Pedrouzo vers Santiago

    Le chemin n’est pas agréable, il contourne l’aéroport, longe des autoroutes, traverse des zones artisanales.

    J53 - Chemin vers Santiago près de l'A54
     

     J53 - Chemin vers Santiago en bout de piste de l'aéroport

    Après une pause café con leche, distrait par un appel téléphonique, je fais une erreur à un carrefour. Quand je m’en aperçois en traversant un hameau qui n’est pas censé être sur mon parcours, je me récupère en coupant à travers champs pour atteindre Monte Grosso sans faire un trop grand détour ni perdre trop de temps.
    Monte Grosso est décevant car il n’y a pas le panorama annoncé sur la ville de Santiago. Par contre, c’est là que se trouve la gigantesque auberge de cinq cents lits construite pour accueillir les grosses foules de l’été ainsi que le monument élevé en souvenir du pèlerinage du pape Jean-Paul II en 1989. Malgré l’importance de ce pèlerinage pour la chrétienté, il est le seul pape à être venu à Santiago.

    J53 - Chemin vers Santiago - Monument à la visite de J Paul II à Monte Grosso


    Un peu après le monument, il y a une pancarte clouée sur un arbre qui indique « Catedral 4,7 km ».

    J53 - Chemin vers Santiago - 4,7 km


    Je suis presque arrivé. Cette pancarte déclenche une envie irrésistible d’arriver au plus vite. Je ne marche plus, je vole. Je franchis des autoroutes, des voies ferrées, je passe devant le panneau d’entrée de l’agglomération. En voilà un qui doit être très photographié ! 

    J53 - Chemin vers Santiago entre Monte Grosso et la ville

    J53 - Chemin vers Santiago - Descente en ville


    J53 - Arrivée à Santiago


    Je traverse les faubourgs de la ville sans m’arrêter, je passe la Puerta del Camino qui donne accès à la vieille ville et emprunte les rues étroites et sinueuses. On ne voit toujours pas la cathédrale.

    J53 - Santiago - Dans la rua das casas reals dans la vieille ville


    Ces rues m’amènent sur la petite plaza de la Imaculada. Je ne le sais pas mais elle est face à la porte Nord de la cathédrale, celle qu’on appelle la porte du Paradis. Et puis je débouche enfin sur la grande place de l’Obradoiro. Soudainement, elle est là devant moi, son immense façade baroque, ses clochers tarabiscotés, son allure de gigantesque pièce montée. Il est 11h30. Une onde de joie m'envahit.

    J53 - Santiago - Avec Serene devant la cathédrale

    J53 - Santiago - Avec Elisabeth devant la cathédrale

     
    Là, sur l’immense parvis, je retrouve Serene, Davide, Chloé et quelques autres pèlerins qui arrivent juste derrière moi. Eux aussi ont foncé pour arriver à temps. On se félicite les uns les autres, on s’embrasse, on prend des photos. Tout le monde est heureux.

    Nous entrons dans la cathédrale déjà pleine de monde. Nous sommes une dizaine de pèlerins, debout au fond de la nef avec nos sacs à dos. L’impression d’entrer dans un bain. Nous sommes enveloppés par la musique de l’orgue, la voix céleste de la religieuse qui dirige les chants, la lumière des immenses lustres et des innombrables cierges qui se combinent pour créer une ambiance quasi irréelle. Je regarde mes amies et amis du Chemin autour de moi. Brutalement, je suis submergé par l’émotion. Je sens des larmes couler sur mes joues et je vois que je ne suis pas le seul. C’est vraiment très fort. On entend à peine le sermon du prêtre qui parle peu de religion mais beaucoup de spiritualité. C’est bien la première fois que je suis content quand l’officiant demande aux gens de se serrer la main. Nous autres, nous nous embrassons, les joues mouillées de larmes, émus, tellement heureux et fiers d’avoir réussi. Elisabeth, en pleurs, nous rejoint à ce moment-là, venue en bus pour respecter l’avis du médecin mais en ayant quand même fait les derniers kilomètres à pied. Elle a vraiment souffert pour arriver jusque là.
    J’ai l’impression que cette messe un peu surnaturelle a duré une éternité. Tant de choses passent par la tête comme en accéléré. J’ai revu tout mon parcours, les bons moments comme les plus difficiles, j'ai pensé à ma femme, à mes enfants, à ma mère, au reste de ma famille et à mes amis qui m’ont soutenu pendant mon périple et avec qui j’aurais aimé partager ces instants.

    J53 - Santiago - Messe des pèlerins dans la cathédrale

    Après la communion, c’est le moment de l’encensoir géant, le botafumeiro, balancé jusqu’aux voûtes du transept comme une balançoire poussée trop fort, accompagné par la musique solennelle de l’orgue. Spectacle magique et envoûtant. Et de nouveau l’émotion reprend le dessus.

    J53 - Santiago - Messe des pélerins dans la cathédrale - L'encensoir

    J53 - Santiago - Dans la cathédrale - La statue de St Jacques au-dessus de l'autel


    Mais tout a une fin, même cette messe bouleversante. Il faut maintenant sacrifier aux traditions. Pendant que la plupart des gens quittent la cathédrale, nous faisons une première queue pour aller embrasser la statue de Saint Jacques derrière l’autel. J’avais prévu de prendre des photos avec Serene. Quand mon tour est venu et qu’elle a voulu me photographier, le gardien l’en a empêchée mais j’ai quand même pu la prendre avec son téléphone sans qu’il s’en aperçoive. Pourquoi cette interdiction ? Sans doute, tout simplement, pour ne pas ralentir le flot des pèlerins. Nous faisons ensuite la queue une deuxième fois pour descendre dans la crypte voir les reliques du saint dans un coffre d’argent.

    J53 - Les reliques de Saint Jacques dans la crypte


    Il ne reste plus qu’à aller chercher la Compostela au bureau d’accueil des pèlerins. Il n’y a qu'une dizaine de personnes devant moi et je n’ai pas longtemps à attendre. Ma créanciale est épluchée par le préposé qui me remet enfin le précieux document, après avoir rédigé la date et mon nom à la main et en latin. 
    Je le roule soigneusement dans un tube de carton pour le protéger en rejoignant Elisabeth qui m'attend dans la cour.

    Maintenant que l’essentiel est fait, il faut penser à se loger. Nous partons à la recherche d’une auberge pour la nuit avec les indications données par l’office du tourisme. La première que l’on visite ne propose que des lits doubles mais la deuxième nous convient tout à fait. Elle est agréable, confortable et surtout à courte distance du centre ville. Nous avons une chambre pour nous deux avec vue sur la cathédrale.

    J53 - Santiago - Avec Elisabeth dans le parc Alameda
     

    Après nous être installés, nous retournons en ville pour manger dans un petit restaurant où nous nous régalons à nouveau de poulpes à la galicienne. Puis nous revenons visiter la cathédrale. Vide, sans la multitude des pèlerins, elle a l’air morte.

    J53 - Santiago - Dans la cathédrale - Jens, Mocha, Max, Elisabeth, Soledad et Fabian

    Par contre, il n’y a personne derrière la statue de Saint Jacques et nous en profitons pour nous prendre tranquillement en photo.
     

     J53 - Le salut à Saint Jacques

    Nous passons le reste de l’après midi à déambuler dans les rues pleines de pèlerins et de touristes où les magasins de souvenirs disputent la place aux restaurants.

    Nous faisons aussi quelques courses dont les indispensables cartes postales que je rédige après avoir retrouvé l’équipe d’O Pedrouso dans un bar. La journée est passée très vite. C’est déjà la nuit et nous rentrons à l’auberge où nous "dînons" succinctement d’un simple yaourt aux pépites de chocolat.
    J’envoie le douzième épisode de mon récit pendant qu’Elisabeth téléphone à son ami à Rome puis nous allons nous coucher après cette belle journée pleine d’émotions. Mais nous avons trop de choses dans la tête et nous parlons longtemps avant de réussir à nous endormir. Par la fenêtre de la chambre, nous voyons la cathédrale illuminée par les projecteurs comme si celle qui a été notre objectif pendant tant de jours voulait nous imposer encore sa présence. Nous sommes heureux d’avoir réussi, d’être arrivés jusque là mais, en même temps, nous sommes un peu tristes d’en avoir terminé. Le sentiment mélancolique que c’est fini s’impose tout doucement. Il va falloir songer à rentrer.

    J53 - Santiago - La cathédrale vue de la chambre à l'albergue

    Heureusement, il reste encore trois jours pour aller jusqu’au Cabo Finisterra. Trois jours de sursis, trois jours pendant lesquels nous serons encore pèlerins.


     

     

    DE SANTIAGO AU CAP FINISTERRE

     

     J 54. Mercredi 1° mai - SANTIAGO - VILASERIO.  33 km                                                   Temps gris, froid, averses

    Comme les jours précédents, bien que nous nous soyons endormis tard, je me lève à 6h30 et pars rapidement sans réveiller Elisabeth. Dehors, alors que le jour se lève à peine, il fait gris et froid mais il ne pleut pas.
    L’auberge était situé du bon coté de la ville et à cent mètres à peine de l’itinéraire. Je retrouve tout de suite les flèches jaunes qui indiquent le chemin et je sors très vite de l’agglomération. Le parcours est agréable, mais il monte et descend sans arrêt dans les collines et donne la désagréable impression de beaucoup zigzaguer.

    L’émotion de la veille est oubliée. Je suis à nouveau sur le Chemin, content de marcher encore, concentré sur le trajet à suivre. Je ne vois que deux autres marcheurs, les deux frères néerlandais déjà vus à Fonfría six jours plus tôt. Mais l’objectif numéro un ce matin est de trouver un bar ouvert pour prendre mon petit-déjeuner car je n’ai absolument rien à manger, pensant trouver un endroit ouvert comme les jours précédents.

    J54 - Chemin vers Finisterre - Au loin la cathédrale

    Mais j’ai oublié que nous sommes le 1° mai, férié aussi en Espagne, et il faudra que je marche quinze kilomètres avant de trouver un bar ouvert à Trasmonte, petit hameau perdu dans la campagne. Les deux frères néerlandais qui m’ont doublé ce matin y sont déjà. Cela faisait longtemps que je n’avais pas autant apprécié un café con leche y tostadas.

    J54 - Chemin vers Finisterre - Calvaire à Ventosa


    Après cette pause bien méritée, je marche un peu plus vite mais le temps ne s’améliore pas et il commence à crachiner sérieusement. Vers midi, je passe Negreiro qui est l’étape prévue par le guide, aussi je continue pour aller jusqu’à Vilaserio où se trouve la prochaine auberge.

    J54 - Chemin vers Finisterre - Ponte Maceira
     

    J54 - Chemin vers Finisterre - Devant la porte de Negreira

    Une heure plus tard, je m’arrête pour manger à l’abri d’un arrêt de bus. Jean-Claude m’appelle après avoir lu mon dernier courriel. C’est sympa de penser à moi et cet appel, comme tous les autres que j’ai reçus, me fait très plaisir. Aujourd’hui grâce à tous les moyens de communications dont nous disposons, nous avons la chance de pouvoir donner et recevoir régulièrement des nouvelles et même de faire vivre certaines choses en direct. Pendant tout mon périple, j’ai appelé chez moi au moins une fois par jour pour dire à ma femme que tout se passait bien. C’était bien sûr aussi l’occasion de prendre des nouvelles car c’est très réconfortant de savoir que tout va bien à la maison et on peut marcher l’esprit libre et profiter sans arrière-pensée du Chemin.
    J’imagine ce que devait représenter ce pèlerinage autrefois. Les gens partaient pour de longs mois, parfois pendant plus d’un an et n’avaient aucun moyen de donner des nouvelles ou d’en recevoir de chez eux. Leur famille ne savait même pas s’ils étaient toujours vivants, compte tenu des nombreux dangers qui guettaient le pèlerin sur les chemins à l’époque. Le retour devait être un grand moment.

    J’arrive à Vilaserio un peu avant 16h, toujours sous la pluie. L’auberge gérée par le seul bar du lieu n’est pas chauffée, du coup je ne lave pas mon linge car il ne sécherait pas. On verra demain s’il fait beau.

    J54 - Chemin vers Finisterre - Devant l'auberge de Vilaserio

    Nous sommes cinq pèlerins : les deux Néerlandais, une Espagnole et une autre fille qui ne parle à personne. Plus tard, trois autres arrivent dont un jeune Français, avec qui je discute un moment mais je préfère dîner avec les frères Néerlandais dans le bar agréablement chauffé, bien obligé de regarder la première mi-temps du match Barcelone Bayern. Le patron distribue cacahuètes et olives et il y a une ambiance formidable dans ce bar où tous les habitants mâles du village se sont réunis. Mais je ne pousse pas le sacrifice jusqu’à rester pour la deuxième mi-temps et je vais me coucher sous trois couvertures.
    J’ai fait trente-trois kilomètres aujourd’hui au lieu des vingt-et-un initialement prévus. C’est autant de gagné pour la suite car je voudrais arriver assez tôt pour aller voir le coucher de soleil sur le cap Finisterre.

    Par rapport au Camino Francès proprement dit, il y a très peu de monde sur le tronçon Santiago - Finisterre car peu de pèlerins font ce trajet à pied préférant prendre le bus qui les emmène là-bas en 2h30 et peut même les ramener à Santiago dans la journée. Cette fréquentation minime me convient tout à fait. Ce sont mes derniers jours sur le pèlerinage, il faut que je les savoure pleinement. 

     

    J 55. Jeudi 2 mai - VILASERIO - CAMIÑOS CHANS.  35 km                                                             Beau temps, froid

    J’ai bien dormi sous mes couvertures. Vers 7h, j’entends partir les Néerlandais qui ont prévu d’aller jusqu’à Cée au bord de la mer à trente-huit kilomètres de là. Tout le monde dort encore quand je me lève à mon tour. Je suis obligé d’attendre un peu que le bar ouvre mais c’est mieux que de partir le ventre vide comme j’ai été obligé de le faire la veille. Une demi-heure plus tard, petit-déjeuner pris, je suis en route.
    La journée s’annonce belle malgré le vent froid qui souffle dans mon dos.
    J’ai décidé de ne pas suivre le balisage qui fait beaucoup de détours et ai repéré un itinéraire plus direct qui emprunte des petites routes et des chemins. Au bout de quelques kilomètres, je m’engage dans une de ces pistes qui va me faire gagner un bon kilomètre. J'ai à peine parcouru cinq-cents mètres quand un champ de hautes herbes me barre le passage. La région est en plein remembrement et le regroupement de certaines parcelles a fait disparaître quelques chemins dont celui-ci. C’est bien signalé sur le guide mais je n’en avais pas mesuré les conséquences. Pour ne pas avoir à revenir en arrière, je continue tout droit à travers la prairie. C’est un bon raccourci mais, à cause de la pluie de la veille, je suis trempé jusqu’aux cuisses lorsque je retrouve le chemin à l’autre bout. Le pantalon sèche très rapidement mais les chaussures resteront mouillées une bonne partie de la journée.

    Il y a beaucoup d’horreos dans cette région, différents de ceux que j’ai vus les jours précédents. Ils sont en pierre et en bien meilleur état, comme s’ils étaient toujours utilisés. Ici, la région est bien plus cultivée et les bois d'eucalyptus sont moins présents.

    J55 - Chemin vers Finisterre - Horreo près de Lago


    J55 - Chemin vers Finisterre - Campagne près de Bon Xesus

    En contrebas de la petite route, je découvre le joli cimetière de Crozón dont les terrasses s'échelonnent dans la pente. Les tombes sont alignées le long des murs du cimetière et le petit clocher mur montre ses deux cloches sur l'un des paliers. Au milieu de la pelouse, le magnifique calvaire sculpté dans le granit, rectiligne et fin, attire le regard.

    J55 - Chemin vers Finisterre - Eglise et calvaire à Corzon


    J’achète mon repas en traversant Santa Marina et la vendeuse me fait cadeau d’un croissant de la veille que je grignote en repartant. J’emprunte encore d'autres raccourcis et arrive à Oliveiroa où je m’arrête pour manger au soleil près d’un magnifique horreo. Puis je bois un café au bar voisin avant de repartir par la route jusqu’à Hospital où j’ai prévu de faire étape.

    J55 - Chemin vers Finisterre - Pause repas à Oliveiroa

    L’auberge est toute petite. Il n’y a que six lits mais j’y suis seul. Elle est au bord de la route, isolée en pleine montagne, loin de tout sauf d’une grande usine sidérurgique qui défigure le paysage.
    Je m’installe mais ça ne me plait pas car il n’est que 14h. Qu’est ce que je vais faire toute l’après-midi ? J’hésite car la prochaine auberge est loin, treize kilomètres d’après le guide. Je regrette de ne pas avoir fait comme les Néerlandais. J’examine ma carte, je refais mes calculs en tenant compte des raccourcis que j’ai empruntés : au lieu des vingt-sept indiqués, je n’ai dû faire que vingt-deux ou vingt-trois kilomètres et pour la suite, au lieu de suivre les treize kilomètres du chemin balisé par la montagne, je m’aperçois que je pourrais marcher sur la route, soit onze kilomètres jusqu’à Cée et neuf ou dix seulement jusqu’à Camiños Chans où se trouve la prochaine albergue. Trente-trois kilomètres au total, c’est tout à fait faisable. Je me décide, reprend mon sac et quitte l’auberge. Le propriétaire ne fait aucun commentaire.

    Le long de la route en descente, je profite des bornes pour mesurer ma vitesse : je mets 9 mn 45 pour parcourir un kilomètre soit 6 km/h. À cette allure, il est tout juste 16h30 quand j’arrive à l’auberge O Bordon après avoir emprunté encore un autre raccourci à La Iglesia qui m’y a amené directement. Je suis redescendu au niveau de la mer, la température est agréable, il y a des citronniers, des palmiers, l’odeur de l’océan, les cris des mouettes, c’est un autre monde. Je me félicite d’avoir fait ce choix. J’ai un peu mal aux jambes car j’ai marché vite longtemps mais demain je n’aurai que dix-huit kilomètres à faire pour arriver au cap.

    J56 - Chemin vers Finisterre - Corcubion

    L’auberge est agréable, un peu à l’écart et nous ne sommes que deux dans le dortoir d’une trentaine de lits. Mon compagnon est espagnol et s’appelle Pepe. Nous nous sommes installés chacun dans un coin de la pièce comme si nous cherchions à nous éviter mais c’est seulement pour ne pas se gêner malgré notre longue habitude des dortoirs et de leur manque d’intimité.

    Pedro le patron m’indique un bon restaurant pas très éloigné à l’entrée de Cée. J’y vais sans me presser et comme le restaurant n’est pas encore ouvert, j’en profite pour faire un tour dans cette petite ville tranquille et surtout pour marcher sur le bord de mer en regardant le manège des mouettes et des goélands. Cée est au fond d’une profonde baie, bien protégée de la houle de l’océan et il n’y a presque pas de vagues, juste un petit clapot qui ne fait pas bouger les gros chalutiers amarrés le long des quais. Je profite aussi de l’occasion pour repérer le départ de l’itinéraire du lendemain. J’éprouve du plaisir à voir et à sentir la mer après tant de temps à l’intérieur des terres. L’impression est similaire à celle ressentie après Astorga quand j’ai abordé les montagnes après huit jours passés à marcher dans les immensités vides et plates de la Meseta.

    Le petit restaurant indiqué est excellent, le repas délicieux et abondant et la serveuse très agréable.
    Puis je rentre tranquillement me coucher en savourant la douceur assez inhabituelle pour moi de la nuit.
    Ce soir, la solitude ne m’a pas pesé comme c’était le cas au début de mon pèlerinage. Peut-être parce que j’arrive au bout. Sans doute aussi parce que la serveuse qui n’avait que moi à servir, m’a fait la conversation pendant tout le repas… 
     

     

    J 56. Vendredi 3 mai - CAMIÑOS CHANS - FISTERA - CABO FINISTERRA.  30 km                                Beau temps

    J’ai dormi comme un bébé, sans doute l’influence de la mer. Et des trente-cinq kilomètres de la veille. Je pars tranquillement vers 8h pour ces derniers dix-huit kilomètres sous un magnifique ciel bleu qui annonce une journée parfaite. À la sortie de Cée, je retrouve les frères néerlandais. Nous discutons un moment tout en marchant jusqu’à ce qu’ils me distancent car ils marchent vraiment plus vite que moi.
    Après Estorde, le chemin bordé de genêts en fleurs avance au milieu des bois d’eucalyptus et offre de superbes vues sur l’océan, la péninsule du cap et le village de Fistera.

     J56 - Chemin vers Finisterre - Le chemin entre Corcubion et Estorde - Au loin, Fistera et le cap Finisterre

    Plus loin, il longe l’immense plage de Langousteira où je m’arrête un moment à la terrasse d’un bar pour mon habituel café au lait. J’y retrouve les Néerlandais qui, bizarrement, arrivent après moi.
    Je prends mon temps pour ces derniers kilomètres, je les savoure. La mer que je longe est d’un bleu profond, magnifique et il n’y a pas un seul nuage dans le ciel.
    Fistera est un joli village de pêcheurs qui doit être très fréquenté à la belle saison car la région est plaisante et la longue plage de Langousteira, abrité des vagues et des vents dominants doit avoir beaucoup de succès en été. À l’entrée du village, un magnifique calvaire de granit très finement sculpté accueille les pèlerins.

    Fistera - Calvaire à l'entrée du village


    Dans le petit port, se mêlent bateaux de plaisance et bateaux de pêcheurs. D’innombrables mouettes volent en tous sens en criant sans arrêt. Sur un promontoire, un petit fortin bien restauré domine la rade. Sur le front de mer, il y a évidemment beaucoup de bars et restaurants mais derrière cette façade, se cachent de jolies ruelles ombragées qui grimpent au flanc de la colline vers l'église. C’est dans l’une de ces rues que se trouve l’auberge Finistellae que m’a recommandée Pedro. Elle est effectivement très bien.

    J56 - Chemin vers Finisterre - Fistera - Le port de pêche

     

    J56 - Chemin vers Finisterre - Fistera - Le vieux fort


    J56 - Chemin vers Finisterre - Fistera - Le clocher de la chapelle


    Une fois installé, je vais faire un petit tour de repérage dans le village où je retrouve Martha arrivée la veille, puis je pars pour Cabo Finisterra qui se trouve à trois kilomètres. Il me faut à peine trente minutes par la route qui longe une belle côte rocheuse escarpée. Je marche jusqu’au bout et m’installe pour déjeuner tout à fait à la pointe de ce promontoire de granit, face à l’océan et à un immense panorama sur la côte découpée. Ce n’est pas le point le plus occidental de l’Europe mais pour les pèlerins du Moyen-âge, c’était carrément le bout du monde.

     J56 - Chemin vers Finisterre - Sur la route du cap

    Autour du calvaire dressé près de la pointe, on voit les restes calcinés de chaussures et vêtements que des pèlerins qui m’ont précédé ont brûlés pour respecter la tradition. Peut-être est-ce la matérialisation du renouveau de l’âme après le pèlerinage. Mais je n’imite pas mes prédécesseurs.

    J56 - Chemin vers Finisterre - Au cap

    Je suis bien sous ce chaud soleil quasi estival et je reste là un bon moment à savourer la vue et le plaisir d’être arrivé au bout de mon périple. Je fais la photo souvenir obligatoire à la symbolique borne "zéro kilomètre" puis je reviens tranquillement à Fistera pour récupérer ma Finistella, le certificat attestant de ma venue en ce lieu à pied.

    J56 - Cap Finisterre - A la borne kilomètre Zéro


    Le précieux document en poche, nous décidons avec Martha d’aller à la plage profiter de cette superbe après-midi. Mais nous n’arriverons pas à entrer dans l’eau plus haut que les genoux tellement elle est froide.
    De retour au village, nous retrouvons Elisabeth qui, comme prévu, est venue en bus, pour un délicieux dîner de poissons et crustacés au restaurant Le Pirate avant de retourner une nouvelle fois au phare admirer le coucher du soleil, ce qui représente six kilomètres de plus aller-retour. J’aurai donc marché trente kilomètres aujourd’hui au lieu des dix-huit prévus, mais c'est une excellente façon de terminer en beauté ce voyage, blottis dans les rochers à l’abri du vent, en regardant le soleil disparaître lentement derrière l’horizon et la nuit s'installer, soulignée par l'allumage du phare derrière nous.

    J56 - Chemin vers Finisterre - Coucher de soleil sur le cap

    J56 - Chemin vers Finisterre - Coucher de soleil sur le cap

    Cette fois-ci c’est vraiment la fin, une belle fin sur un superbe coucher de soleil dans l’immensité de l’océan mais la fin quand même. Ce soir, je ne ressens pas de grande émotion comme l’autre jour à Santiago, juste l’intense satisfaction d’avoir réalisé mon rêve.
    Le retour au village dans la nuit est un peu mélancolique. Le pèlerinage est vraiment terminé. La première conséquence est que je vais quitter mes deux copines autrichiennes bien sympathiques. Martha a prévu de partir tôt à pied pour Moixa, autre village côtier où, selon la tradition, a accosté la barque de pierre guidée par un ange qui a ramené de Palestine le corps de Saint Jacques après qu’il ait été exécuté par Hérode Agrippa II en 44 après Jésus Christ.

    Dans l’après-midi, profitant de l’agence de voyage locale, j’ai pris mon billet retour par un vol Ryan Air dimanche à 8h30 du matin à destination de Barcelone. De là, je prendrai un train pour Montpellier. 

     

     

     

    LE RETOUR

      

    J 57. Samedi 4 mai - Retour à SANTIAGO.                                                                                                  Beau temps

    Je me lève à 7h en ayant très bien dormi. Je ne suis pas pressé car le bus ne part qu’à 8h40. Je vais avec Pepe à l’arrêt où, comme promis, Elisabeth vient me dire au revoir. On boit un café ensemble en attendant l’heure fatidique. Nous sommes tristes et nous n'avons pas besoin de parler pour savoir que ce moment marque la fin d’un épisode exceptionnel de nos deux vies. Le hasard a fait que nous l’avons vécu ensemble. Le bus arrive. On s’embrasse longuement et je quitte avec un petit serrement de cœur mon dernier lien au pèlerinage.
    En montant dans le bus, je me dis que cette fois c’est vraiment fini.

    Quelques kilomètres plus loin, de ma fenêtre du bus, je vois Berndt qui marche au bord de la route en direction de Fistera. Je prends un nouveau coup au moral. L’évidence s’impose à moi d’un seul coup. Je ne fais plus partie du pèlerinage.
    Après un changement à Baio, le bus arrive à 11h à Santiago. Pepe est toujours avec moi et nous allons boire un verre ensemble avant de nous séparer. Je m’installe dans une auberge située entre le centre ville et la gare routière pour ne pas avoir trop de trajet à pied le lendemain matin. Puis je retourne à la cathédrale assister à la messe. Cette fois, je me place dans le transept pour mieux voir le botafumeiro. C’est toujours aussi beau mais, sans l’émotion ressentie le 30 avril avec mes compagnes et compagnons pèlerins, ce n’est plus du tout la même chose. Je ne vois personne que je connaisse. Je ne fais vraiment plus partie du pèlerinage et  j’ai maintenant l’impression d’être un simple touriste.
    Je me promène dans la ville, achète les souvenirs à ramener, dont un carreau émaillé représentant le signe qui a guidé mes pas pendant deux mois. Je mange seul à la terrasse d'un petit restaurant, parle à deux Françaises que j’accompagne à la gare où je profite de l’occasion pour acheter mon billet de train pour le trajet Barcelone - Montpellier.
    Le soir, je dîne seul dans un petit restaurant voisin. De retour à l’auberge, je fais la connaissance d’un Français qui vient d’arriver du Puy et avec qui je vais partager la chambre. On discute un moment de nos expériences respectives. Il a eu pas mal de mauvais temps pendant la traversée du Massif Central mais, dans l’ensemble, tout s’est très bien passé. Je l’envie de n’avoir pas encore terminé son pèlerinage alors que pour moi c’est bien fini. Il est temps de rentrer.
    Je me couche tôt après avoir préparé mon sac pour le lendemain car il faut qu’il passe en bagage à main sur le vol de Ryanair. J’abandonne la bombe d’insecticide, les tongs qui sont de toute façon en piteux état et, ce qui m’embête beaucoup, mon fidèle Opinel.

     

     

    J 58. Dimanche 5 mai - Retour à MONTPELLIER.                                                                                       Beau temps

    Je me lève à 5h pour prendre le premier bus pour l’aéroport. Je sais bien que c’est trop tôt mais je ne veux pas prendre de risque. À 6 h je suis à la gare routière. Le bus arrive pile à l’heure et nous dépose à l’aéroport demi-heure plus tard. Je n’ai pas besoin d’enregistrer et passe directement les contrôles de sécurité.
    Ma montre fait sonner le détecteur quand je passe au portique ce qui me vaut d’être fouillé. Mais les ciseaux sont passés inaperçus dans mon sac ce qui me fait d’autant plus regretter de ne pas avoir gardé l’Opinel.

    J’ai largement le temps de prendre mon petit-déjeuner à la cafétéria mais les prix ne sont plus les mêmes. Ici c’est maintenant huit euros. Je m’étais bien habitué aux tarifs pèlerins du Chemin. Welcome in the real world.
    L’avion de Ryanair est plein. Pas un siège de libre. J’ai eu de la chance en prenant mon billet à Fistera car, si j’avais attendu mon retour à Santiago pour le faire comme je l’avais prévu, je n’aurais peut-être pas eu de place.

    L’avion décolle à l’heure. Pendant tout le début du vol il survole le Chemin et, par le hublot, je reconnais quelques uns des lieux où je suis passé : O Cebreiro, Villafranca del Bierzo, Ponferrada, puis, plus loin, les grandes villes de León et Burgos et quelques uns des petits villages que j’ai traversés. Encore un peu plus de nostalgie m’envahit.
    Après un vol particulièrement tranquille, l’avion se pose à Barcelone vers 11h.
    Comme tout le monde, je prends le bus jusqu’à la place de Catalogne au centre ville. Je vais voir où en sont les travaux de la Sagrada Familia depuis ma dernière visite en 2004 lorsque j’étais venu passer quelques jours avec Hélène pour aider notre fille à s’installer. Les travaux avancent, il y a des échafaudages partout mais l’immense queue qui fait tout le tour du bloc me dissuade d’aller voir l’intérieur.
    Je me sentirais presque déplacé avec mon sac à dos et mon attirail de marcheur au milieu de cette foule multicolore de touristes.
    Je reviens sur la place de Catalogne et descends à pied la Rambla noire de monde jusqu’à la statue de Christophe Colomb près du port. Je fais une petite sieste à l’ombre sur une pelouse puis je me décide à prendre le métro pour rejoindre la gare Sants où j’attends l’heure du train.
    C’est un train à grande vitesse d'un très joli blanc nacré, très confortable, qui vient de Madrid et m’amène à Figueras où la correspondance avec un TGV à destination de Paris est immédiate. Le TGV est plein. Là aussi, je crois que j’ai eu de la chance de ne pas attendre Barcelone pour acheter mon billet.
    J’arrive bien à l’heure en gare de Montpellier après avoir envoyé quelques textos sitôt la frontière passée. Hélène, ma fille Lisa et son ami Mickael sont là. C’est un coup de chance que Lisa soit là. Elle était venue passer quelques jours à la maison sans savoir que j’allais rentrer à cette date. Sa présence me fait énormément plaisir.

     J58 - Accueil du pèlerin au retour à Montpellier

    Arrivé à la résidence, Hélène me fait faire le tour de l’immeuble pour entrer par la porte de derrière. C’est une feinte. Les voisins ont organisé une petite réception bien sympathique pour fêter mon retour. C’est très gentil et j’apprécie beaucoup car cela m’aide à me retremper dans la vie normale.
    Mais l’aventure est définitivement finie. Heureusement, la mélancolie qui m’avait assailli en quittant Fistera la veille a disparu. J’ai repris le dessus. Le Chemin est pour toujours dans ma tête comme un merveilleux souvenir.

    Et je sais que je repartirai.






    ÉPILOGUE

      

    Plusieurs années après ce pèlerinage, j’ai toujours la tête pleine d’images et de souvenirs de ce périple qui m’a enchanté.

    Pendant cette marche de presque deux mois, j’ai veillé à respecter le nombre de kilomètres que je m’étais fixé dans mon planning initial établi en fonction de mes capacités. Sans avoir l’obsession de la distance parcourue ni de celle qu’il restait pour arriver au but, on ne peut échapper aux panneaux qui indiquent qu’il ne reste "que" quelques centaines de kilomètres avant d’arriver au but. En Espagne, dans la province de Rioja, ces panneaux sont placés tous les kilomètres et en Galice on en trouve un tous les cinq-cents mètres !

    Je n’ai pas souffert, n’ayant eu que rarement mal aux jambes ou aux pieds à l’exception de la contracture du départ. Pas une ampoule, pas une tendinite. Rien. Mais je n’ai jamais forcé non plus, n’essayant pas d’aller trop vite ou d’aller trop loin. J’ai plutôt passé mon temps à me freiner !

    Compte tenu de mon passé, de mon entraînement et de la manière très agréable dont s’est déroulé mon pèlerinage, je n’ai vraiment pas le sentiment d’avoir accompli un exploit.

    J’ai marché environ mille-cinq-cent kilomètres. Le chiffre exact n’a pas grande importance. Le bonheur ne se mesure pas en kilomètres mais en jours. Ce voyage a effectivement été cinquante-six jours de bonheur que la fatigue et les intempéries n’ont pas altéré. Bonheur de réaliser un rêve, de marcher sur un itinéraire extraordinaire, où des milliers de pèlerins ont mis leur pas avant moi, d’en rencontrer beaucoup qui marchaient vers le même but, de les découvrir et les apprécier en partageant avec eux le même plaisir, parfois les mêmes souffrances.
    On dit que sur le Chemin un inconnu devient un confident et un confident devient un ami. C'est sûrement vrai car je suis toujours en relation avec la plupart de mes compagnes et compagnons de marche et de chambrée. Et c’est à mes yeux l’élément le plus intéressant, le meilleur souvenir de mon pèlerinage.

    Je suis très content du matériel que j’avais emporté. Il ne m’a jamais fait défaut, même si je trouvais que le sac à dos était d’une construction bien légère comparé à mon sac habituel et même si les chaussures avaient déjà quelques centaines de kilomètres au compteur.
    Je n’avais rien en trop et il ne m’a rien manqué, preuve que les deux longues marches de préparation que j’avais effectuées en mai et septembre 2012 avaient été bien utiles.

    Malgré les apparences et la saison choisie pour effectuer ce pèlerinage, j’ai bénéficié d’un temps majoritairement beau. En effet, sur cinquante-six jours de marche, j’ai eu :
    - trente-huit jours de beau temps,
    - treize jours de grisaille,
    - seulement huit jours de pluie,
    - deux jours de neige, et enfin,
    - treize jours avec beaucoup de vent.

    Pour ce qui est de la température, le thermomètre est très souvent descendu bien en dessous de zéro, entre Béziers et Carcassonne d’abord, puis plus tard, dans les Pyrénées, en Navarre, pendant la traversée de la Meseta et dans les montagnes de Galice. Mais j’ai aussi connu la chaleur car, souvent en Espagne, les températures négatives du matin remontaient lentement pour atteindre 20 à 25° voire plus dans l’après-midi sous l’action du soleil, avec un 31° relevé à l’enseigne d’une pharmacie à Villafranca del Bierzo.

     

    J29 - Sur le chemin vers le Alto del Perdón

      J47 - Température 31° à Villafranca del Biezo

     

     

     

     

     

     





     
     

     



     
    J’ai mentionné quelque part dans mon récit que toutes les conditions étaient réunies pour ne pas prendre du poids au cours du pèlerinage. Effectivement, j’ai pu constater au retour que j’avais perdu 5,5 kg pendant ces cinquante-six jours de marche.

    J’ai beaucoup apprécié les nombreux encouragements reçus par courriels, textos ou téléphone. Au fil des jours, c’était très réconfortant de savoir que la famille, les amis et les voisins suivaient ma progression parfois presque jour par jour, une manière en quelque sorte de participer à mes cotés à ce pèlerinage. Je voudrais ici les remercier pour cette aide, notamment parmi les plus assidus, Yvonne, Michelle, Jean Claude et Alain.

    Enfin, je ne remercierai jamais assez mon Hélène qui m’a laissé partir et vivre ce rêve.

    Je n’ai rédigé ce récit que dix-huit mois après mon retour en reprenant mon journal de marche.
    J'ai longtemps hésité à le publier, avant de me décider, poussé par les encouragements des quelques personnes à qui je l'avais fait lire. Une motivation plus ou moins consciente de cette écriture est de vouloir faire partager aux autres le plaisir que j’ai éprouvé et, pourquoi pas, les inciter à oser à leur tour. Ils sont nombreux ceux qui ont envie de faire ce pèlerinage mais ont peur de se lancer, pensant que c’est un exploit physique dont ils ne sont pas capables. Ils se trompent.

    Faire le pèlerinage de Compostelle en entier et en une seule fois entraîne un état d’esprit particulier qu’on ne ressent pas forcément quand on ne parcourt que des tronçons du Chemin. On marche avec un but, atteindre ce sanctuaire là-bas au fin fond de la Galice et les éventuelles difficultés s’estompent au profit de la satisfaction de s’être chaque jour un peu plus rapproché de cet objectif.
    La vraie richesse du chemin, ce sont les gens. Ceux qui, comme vous, marchent vers ce même but et avec qui vous nouez des relations fortes et sincères. Ce sont eux qui créent cette ambiance si particulière, caractérisée par le souci de l’autre et un esprit d’entraide étonnant. Il y a aussi ceux que vous rencontrez au long de votre marche, habitants des villes et villages que vous traversez, agriculteurs travaillant dans les champs, qui vous regardent d’un œil différent. Vous n’êtes pas un simple marcheur, vous êtes un pèlerin et cela change beaucoup les choses même si la fréquentation grandissante de cet itinéraire commence à atténuer cette différence.


    On m’a parfois demandé pourquoi j’étais parti seul. Tous les pèlerins qui font le Chemin en entier et en une seule fois le font seul. C’est un signe qui ne trompe pas.

    En marchant seul, on est totalement libre de son rythme, du choix de l’itinéraire, des arrêts. On est aussi et surtout totalement disponible pour se rapprocher des autres marcheurs car on lie facilement connaissance sur le Chemin. C’est surtout le soir à l’étape que l’on apprécie de retrouver les autres, même si on n’a pas marché avec eux durant la journée ou même si on ne les a pas vus de plusieurs jours. On peut ainsi profiter de cette ambiance, de ces rencontres enrichissantes, de cette cohésion fantastique qui existe entre pèlerins, ce qui ne serait peut-être pas le cas si on faisait partie d’un groupe.

     

    Je suis assez fier d’avoir incité deux amis à partir à leur tour.

    Le premier c’est Jean-Antoine, un voisin qui était étonnamment ému lors de la petite fête organisée à mon retour. Retraité comme moi, il n’est pas du tout un marcheur et avoue lui-même détester la marche. Pourtant, il a décidé de vivre la même expérience et a quitté Montpellier le 28 février 2014 pour rejoindre Santiago puis le Cap Finisterre par un chemin peu fréquenté, celui du Piémont. Il a écouté mes conseils, s’est bien entraîné, a soigneusement préparé son matériel et son itinéraire et a marché à son rythme, sans forcer. À mon grand plaisir, il est arrivé au bout de son rêve sans ennui et sans même une ampoule.

    Le deuxième c’est Loulou, un ami d’enfance retrouvé très récemment grâce à Facebook. Il a pu voir sur ma page les photos de mon pèlerinage et a eu lui aussi envie de m’imiter. Habitant en région parisienne, il a démarré d’Orléans début avril 2014 et il a lui aussi atteint Compostelle début juin malgré une tendinite au genou qui l’a ralenti et fait souffrir sur la fin.

    Peut-être y en aura-t-il d’autres…

    On dit que l’on revient changé de cette expérience. Je ne sais pas si c’est mon cas mais, ce qui est sûr, c’est que j’ai envie de repartir une nouvelle fois. Je ne sais pas encore quand je pourrai le faire mais j’ai déjà décidé que je partirai de Genève.

    Ultreïa ! Ultreïa ! E sus eïa!

    Deus adjuva nos !

     

     
    La Compostella



    La Créanciale remplie de cachets


    La Créanciale remplie de cachets


    La Créanciale remplie de cachets

     

     

    « AU PAYS D'EMILIANO ZAPATAÜBER ALLES »

    Tags Tags : , , , , , ,
  • Commentaires

    Aucun commentaire pour le moment

    Suivre le flux RSS des commentaires


    Ajouter un commentaire

    Nom / Pseudo :

    E-mail (facultatif) :

    Site Web (facultatif) :

    Commentaire :